Sourate 80 ‘Abassa (Il s’est renfrogné) (2/2)

Tafsir du Saint Coran (articles)

x68

   Le mot « kallâ : كَلَّى », qui exprime la colère et la réprimande, ne se trouve que dans les trente derniers hizbs du Coran : il n’a été révélé qu’à la Mecque.

En utilisant ce terme, Dieu fait savoir à Son Prophète que son comportement à l’égard de l’aveugle ne doit pas être réitéré et qu’il doit revoir ses critères de base pour déterminer avec justesse à qui revient la priorité dans l’appel à Dieu. Comme il est précisé dans le reste du verset, cette consigne est un rappel et non un reproche : Allâh conseille simplement Son Messager. Mais le mot « rappel » (« tadhkira : تَذْكِرَة ») peut aussi faire référence aux versets cités par le Prophète  aux notables polythéistes pour tenter de les persuader de la véracité de son message.

116

13. consigné dans des feuilles honorées,

14. élevées, purifiées,

فِى صُحُفٍ۬ مُّكَرَّمَةٍ۬ (١٣) مَّرۡفُوعَةٍ۬ مُّطَهَّرَةِۭ ١٤

   Il est possible de comprendre dans le verset 13 que le Coran se trouve dans les feuillets qui sont à la disponibilité du musulman. Les savants autorisent la manipulation du Livre Saint dès lors que le croyant a ses grandes ablutions, sauf pour des cas exceptionnels.

   Les feuilles du Coran ont une valeur inestimable compte tenu du caractère sacré de leur contenu, c’est pourquoi seuls les purs peuvent les toucher.

15. entre les mains d’ambassadeurs

بِأَيۡدِى سَفَرَةٍ۬ ١٥

   « Safara : سَفَرَة » est le pluriel de « safîr : سَفِير » qui signifie « un ambassadeur ». Ce terme peut désigner trois groupes distincts :

– les anges, qui sont les ambassadeurs de Dieu pour les prophètes, en l’occurrence Jibrîl  qui a communiqué ce Coran au Messager ;

– les prophètes, qui sont des ambassadeurs de Dieu pour le commun des mortels. Le verset 13 « consigné dans des feuilles honorées » revêt alors un autre sens : l’annonce de la révélation du Coran se trouve dans les feuillets des prophètes précédents (Torah, Evangiles, Psaumes), comme le confirme le Coran lui-même : « Ce [Coran] ci, c’est le Seigneur de l’univers qui l’a fait descendre, et l’esprit fidèle est descendu avec cela sur ton cœur, pour que tu sois du nombre des avertisseurs, en une langue arabe très claire. Et ceci était déjà mentionné dans les Ecrits des anciens [envoyés] », s.26 Ach-Chou’arâ’ (Les Poètes), v.192-196.

– en se référant à un autre sens de « safara » dérivé de « sifroun : سِفْرٌ » qui signifie « un livre » (« asfâr : أَسْفار » « des livres »), il ne s’agirait plus d’ambassadeurs, mais plutôt de scribes écrivant les paroles sacrées. Ce verset mentionne donc également les Compagnons du Prophète  qui notaient scrupuleusement les versets coraniques ; en les évoquant, Allâh  leur rend hommage et suggère leur position élevée auprès de Lui en raison du service qu’ils rendent à l’humanité.

16. nobles, obéissants.

كِرَامِۭ بَرَرَةٍ۬ (١٦)

   Ce verset composé de deux adjectifs en dit bien plus long qu’il n’y paraît. « Barara : بَرَرَة » est un pluriel de « barroun : بَرٌّ » (pieux, obéissant) ou « bâroun : بَارٌ ». Il existe néanmoins un autre pluriel de cette même famille de mots : « abrâr : أَبْرَار ». Certains affirment que « barroun : بَرٌّ » est le singulier de « barara : بَرَرَة » et que « bâroun » est le singulier de « abrâr : أَبْرَار ».

   En arabe, « abrâr : أَبْرَار » est un pluriel de minorité et « barara : بَرَرَة  » un pluriel appliqué à un grand nombre. Par conséquent, plusieurs savants expliquent que Dieu utilise le mot « abrâr : أَبْرَار » pour faire référence aux êtres humains et « barara : بَرَرَة  » pour désigner les anges, car ces derniers sont tous « abrâr : أَبْرَار  » et largement plus nombreux que les humains.

   D’autres doctes indiquent que « abrâr : أَبْرَار  » est un pluriel qui a plus de force que « barara : بَرَرَة  », car l’ange ne fournit pas d’efforts pour être bon « barroun : بَرٌّ », puisqu’Allâh l’a créé tel quel de nature, tandis que l’être humain doit s’appliquer pour le devenir ; c’est pourquoi l’adjectif  « abrâr : أَبْرَار  » est réservé, dans le Coran, aux hommes.

17. Que périsse l’homme ! Qu’il est ingrat !

قُتِلَ ٱلۡإِنسَـٰنُ مَآ أَكۡفَرَهُ ۥ (١٧)

   La réprimande « qoutila : قُتِلَ » est la pire admonestation adressée en langue arabe : elle est une invocation divine contre l’être humain. Elle met en avant la bassesse et l’ingratitude de l’homme et met en garde celui-ci sur les conséquences liées à sa désobéissance. Certains savants expliquent que ce verset s’adresse aux êtres humains en général, du moins à ceux qui se complaisent dans leur suffisance. D’autres affirment qu’il a été révélé suite à un incident confrontant le Prophète  à son cousin ‘Otba Ibnou Abî Lahab. Ce dernier s’était converti à l’Islam, mais son polythéiste de père finit par le convaincre de renier la nouvelle religion. Après l’épisode de l’ascension du Prophète, Dieu révéla les premiers versets de sourate 53 An-Najm (L’étoile) qui débute par : « Par l’étoile à son déclin ». C’est alors que ‘Otba Ibnou Abî Lahab envoya au Messager une lettre lui faisant part de son apostasie : « J’ai mécru au Dieu de l’étoile à son déclin ». Le Prophète prononça alors une invocation contre lui : « Seigneur, éprouve-le par un de tes animaux féroces ! اللهم سلط عليه كلبًا من كلابك ». ‘Otba s’apprêtait à voyager en Syrie pour le commerce, et lorsqu’il fut informé de la supplication formulée contre lui, il prit peur. La nuit tombée, il se mit au milieu du campement de la caravane et sollicita ses compagnons de route : « Protégez-moi et si je vis jusqu’à demain, je donnerai à chacun d’entre vous mille dinars ». Ils acceptèrent son offre et se mirent en place pour le défendre. Mais malgré leur vigilance, ils ne purent arrêter un lion qui surgit en pleine nuit et se dirigea précisément sur leur ami et le tua sur le coup.

x69

   L’expression « mâ akfarah : ما أكْفَرَه » (Qu’il est ingrat !) montre que l’ingratitude a atteint des degrés très élevés. Elle se manifeste par l’athéisme, le polythéisme et l’incrédulité concernant le jour de la résurrection.

18. De quoi [Allâh] l’a-t-Il créé ?

19. D’une goutte de sperme, Il le crée et détermine (son destin)

مِنۡ أَىِّ شَىۡءٍ خَلَقَهُ ۥ (١٨) مِن نُّطۡفَةٍ خَلَقَهُ ۥ فَقَدَّرَهُ ۥ (١٩)

Ces deux versets n’ont pas pour but de prouver qu’Allâh  est Le Créateur, ils montrent plutôt qu’Il est capable de ressusciter, tout comme Il est en mesure de créer.

   Dieu pose cette question pour rappeler à l’homme sa modeste origine. Chacun suivra le chemin qu’Allâh  lui facilite selon la voie qu’il recherche dans sa vie.

20. puis Il lui facilite le chemin ;

21. puis Il lui donne la mort et le met au tombeau ;

22. puis Il le ressuscitera quand Il voudra.

ثُمَّ ٱلسَّبِيلَ يَسَّرَهُ ۥ (٢٠) ثُمَّ أَمَاتَهُ ۥ فَأَقۡبَرَهُ ۥ (٢١) ثُمَّ إِذَا شَآءَ أَنشَرَهُ ۥ (٢٢)

  Dieu a déterminé la création de chaque homme : sa naissance et sa mort sont définies à l’avance. Quant à la résurrection, Allâh n’a pas encore décidé de son moment exact.

   L’utilisation du passé est une manière de confirmer que l’homme passera par ces quatre étapes : l’existence sur Terre, la mort, la vie dans la tombe et la résurrection. Certains exégètes ont expliqué le verset 20 comme faisant référence à l’accouchement.

23. Et bien non ! [L’homme] n’accomplit pas ce qu’Il lui commande.

كَلَّا لَمَّا يَقۡضِ مَآ أَمَرَهُ ۥ (٢٣)

   Cette nouvelle itération de « kallâ : كَلاّ » exprime un mécontentement certain face à l’ingratitude de l’être humain qui, une fois de plus, désobéit à son Seigneur, malgré tout ce qu’Allâh  fait pour lui.

24. Que l’homme considère donc sa nourriture :

25. C’est Nous qui versons l’eau abondante,

26. puis Nous fendons la terre par fissures

27. et y faisons pousser grains,

28. vignobles et légumes,

فَلۡيَنظُرِ ٱلۡإِنسَـٰنُ إِلَىٰ طَعَامِهِۦۤ (٢٤) أَنَّا صَبَبۡنَا ٱلۡمَآءَ صَبًّ۬ا (٢٥) ثُمَّ شَقَقۡنَا ٱلۡأَرۡضَ شَقًّ۬ا (٢٦) فَأَنۢبَتۡنَا فِيہَا حَبًّ۬ا (٢٧) وَعِنَبً۬ا وَقَضۡبً۬ا (٢٨)

   L’homme est invité à méditer sur sa subsistance. Le mot « qadbâ : قَضْبا » du verset 28 fait référence aux végétaux qui sont coupés plusieurs fois dans l’année comme les légumes qu’il est possible de planter deux à trois fois par an.

29. olives et palmiers,

وَزَيۡتُونً۬ا وَنَخۡلاً۬ (٢٩)

   Ces arbres fruitiers – dont l’un est évoqué par son fruit – sont cités isolément à cause de leur statut particulier : de tels végétaux ne doivent pas être coupés aussi souvent que les précédents. Ces deux arbres, et évidemment leurs fruits, présentent de nombreuses vertus bien connues des scientifiques. Plusieurs études ont montré que certains oliviers dataient de plus de deux milles ans, c’est dire que cet arbre présente des substances qui le protègent contre les attaques extérieures ; il peut donc également protéger l’homme qui consomme ses fruits.

   De même, en citant le palmier (et non ses fruits), Dieu montre ainsi que cet arbre est entièrement bénéfique pour l’homme. Le palmier-dattier fournit des fruits très énergétiques, et bien d’autres éléments. Plus de 130 usages sont identifiés auprès des populations oasiennes :

   Son bois est précieux tant comme combustible que comme bois d’œuvre dans des régions où les arbres sont très rares.

   Ses feuilles représentent une matière première pour la fabrication de divers objets de vannerie. Entières, elles sont utilisées pour couvrir les toits ou fixer les dunes. Le rachis sert pour la confection des articles mobiliers. Les bases des pétioles sont utilisées dans la construction ou dans des travaux artistiques d’ébénisterie.

   Le bourgeon terminal, comme pour beaucoup de palmiers, peut être consommé comme chou palmiste.

   Il est aussi souvent employé comme arbre d’ornement.

   Ses épines sont utilisées comme brochettes pour grillades et comme épingles dans le métier à tisser. Parfois certains chasseurs nomades les utilisent pour fabriquer des pièges pour capturer des gazelles, des fennecs et des mouflons.

x70

30. jardins touffus,

31. fruits et herbages,

32. pour votre jouissance [à] vous et [à] vos bestiaux.

وَحَدَآٮِٕقَ غُلۡبً۬ا (٣٠) وَفَـٰكِهَةً۬ وَأَبًّ۬ا (٣١) مَّتَـٰعً۬ا لَّكُمۡ وَلِأَنۡعَـٰمِكُمۡ (٣٢)

   Dans le verset 30, « ghoulbâ : غُلْباً » est un adjectif qui s’utilise pour qualifier la nuque et exprime donc en l’occurrence la robustesse des végétaux qui poussent dans ces jardins.

   Certains Compagnons demandèrent à Aboû Bakr  ce que signifiait le terme « abbâ : أَبّاً » (herbages) dans le verset 31. La réponse qu’il leur donna débordait de prudence : « Quelle est la terre qui me portera et quel est le ciel qui me couvrira si j’énonce un commentaire sur la parole de Dieu alors que je ne sais pas. » Certains savants ont expliqué ce mot en se rapportant à la suite de la sourate : puisque cette nourriture est à la fois un bien pour les hommes et leurs bêtes, il s’agit des pâturages.

33. Puis quand viendra le Fracas,

فَإِذَا جَآءَتِ ٱلصَّآخَّةُ (٣٣)

   « Aç-çâkha : الصّآخَّة » est un bruit strident qui assourdira l’oreille de l’homme ; cela correspond au grondement que produira la fin du monde. Ce mot choisi avec précision fait le lien entre le début de la sourate mentionnant l’aveugle et la suite : le Fracas s’entend, mais ne se voit pas, même celui qui est frappé de cécité pourra le percevoir.

   Aussi, cette sourate réprimande quelque peu le Prophète  de ne pas avoir prêté l’oreille à l’aveugle.

34. le jour où l’homme s’enfuira de son frère,

35. de sa mère, de son père,

36. de sa compagne et de ses enfants,

يَوۡمَ يَفِرُّ ٱلۡمَرۡءُ مِنۡ أَخِيهِ (٣٤) وَأُمِّهِۦ وَأَبِيهِ (٣٥) وَصَـٰحِبَتِهِۦ وَبَنِيهِ (٣٦)

   Pour montrer l’ampleur des tourments du jour du jugement, ces versets décrivent l’invraisemblable dans la vie d’ici-bas : l’homme sera tellement terrifié qu’il n’acceptera même pas de porter assistance aux personnes qui lui étaient les plus chères. L’ordre des proches cités dans ces versets diffère de l’énumération utilisée dans sourate 70 Al-Ma‘ârij (Les Voies d’ascension) : « […] Le criminel aimerait pouvoir se racheter du châtiment de ce jour, en livrant ses enfants, sa compagne, son frère, même son clan qui lui donnait asile. », v.11-13.

   En effet, dans sourate ‘Abassa, l’extraordinaire terreur suscitée par le jour du jugement poussera l’homme à fuir ses proches parents, commençant par le plus lointain d’entre eux : le frère puis les parents, suivis de la compagne et enfin des enfants. La descendance de l’homme est ce qu’il y a de plus cher à ses yeux, d’autant plus que sa progéniture vit en général plus longtemps que ses ascendants directs. En revanche, dans sourate Al-Ma‘ârij, il est question du criminel qui souhaiterait se racheter en livrant ce qui compte le plus pour lui, à savoir ses enfants, puis sa compagne, suivie de son frère et enfin de son clan. Si les parents ne sont pas mentionnés dans ces versets, c’est bien en raison de la déférence qui leur est naturellement due : il est inconcevable qu’une personne puisse livrer ses géniteurs pour échapper au châtiment.

37. car chacun d’eux, ce jour-là, aura son propre cas pour l’occuper.

38. Ce jour-là, il y aura des visages rayonnants,

39. riants et réjouis.

40. De même qu’il y aura, ce jour-là, des visages couverts de poussière,

41. recouverts de ténèbres.

42. Voilà les infidèles, les libertins.

لِكُلِّ ٱمۡرِىٍٕ۬ مِّنۡہُمۡ يَوۡمَٮِٕذٍ۬ شَأۡنٌ۬ يُغۡنِيهِ (٣٧) وُجُوهٌ۬ يَوۡمَٮِٕذٍ۬ مُّسۡفِرَةٌ۬ (٣٨) ضَاحِكَةٌ۬ مُّسۡتَبۡشِرَةٌ۬ (٣٩) وَوُجُوهٌ۬ يَوۡمَٮِٕذٍ عَلَيۡہَا غَبَرَةٌ۬ (٤٠) تَرۡهَقُهَا قَتَرَةٌ (٤١) أُوْلَـٰٓٮِٕكَ هُمُ ٱلۡكَفَرَةُ ٱلۡفَجَرَةُ (٤٢)

   Dans cette série de versets, Allâh  commence par citer les gens du paradis, comme Il a mentionné ‘Abdoullâh Ibnou Oummî Maktoûm  au début de la sourate et termine avec les habitants de l’enfer, dont feront partie certains notables qoraychites abordés par le Prophète  au détriment de son Compagnon atteint de cécité.

   Sourate ‘Abassa est une preuve incontestable de l’origine divine du Coran. Le rappel subtil adressé au Prophète  concernant son attitude vis-à-vis de l’aveugle n’aurait pu être imaginé par un imposteur. La sourate aborde par ailleurs le statut du Livre Saint, à savoir un Rappel pour ceux qui réfléchissent. Les doués d’intelligence trouveront également des signes irréfutables de l’unicité de Dieu dans la création de l’homme et dans sa subsistance. Enfin, les derniers versets mentionnent l’effroi sans nom que connaîtra l’être humain à l’issue de son existence terrestre. Ce jour-là, les hommes se regrouperont en deux catégories déterminantes.

   Celui qui voit la Vérité avec son cœur et sa raison sur Terre goûtera indubitablement aux délices éternels…

Archives

Catégories

Poser une question

Mettre un lien vers formulaire de contact