L’Islam en Afrique Noire (2/2) : l’Afrique de l’Ouest

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   L’Islam et l’Afrique sont liés de façon inextricable : c’est ce continent qui servit de refuge à la première génération de musulmans qui fuyaient les persécutions des Qoraychites dès le début de la Révélation. Aujourd’hui, l’Islam est une religion traditionnelle à part entière en Afrique Noire Occidentale puisqu’il est présent dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest : le nombre de musulmans s’y élève à 190 millions.

Le Bénin compte entre 20 et 25% de musulmans sur 8,7 millions d’habitants ; le Burkina Faso, 50% sur 15 millions ; la Côte d’Ivoire, 38% sur 19 millions ; la Gambie : 95% sur 1,7 millions ; le Ghana : entre 15 et 20% sur 23 millions ; la Guinée : 85% sur 10 millions ; la Guinée-Bissau : 45% sur 1,5 millions ; le Liberia : 20% sur 3,3 millions ; le Mali : 80% sur 12 millions ; le Niger : 90% sur 13 millions ; le Nigeria : 50% sur 149 millions ; le Sénégal : 90% sur 13,7 millions ; le Sierra Leone : 60% sur 6,3 millions et le Togo 10% sur 5,8 millions.

   À partir de la péninsule arabique, l’Islam s’étendit très rapidement vers l’est, le nord et l’ouest. Il avait atteint l’est de l’Afrique du Nord durant la deuxième moitié du 7ème siècle (en 670) et arriva en Afrique de l’Ouest au cours du 8ème siècle. De nombreux historiens arabo-musulmans ont commencé à écrire sur l’Afrique de l’Ouest au début du 8ème siècle, comme Ibnou Mounabbih, suivi par Al-Mas’oûdî au 10ème siècle.

L’Islam en Afrique Occidentale

   L’Islam atteignit la savane africaine dès le 8ème siècle. Ce biome tropical forme une ceinture allant de l’Océan Atlantique à la Mer Rouge. Il est bordé au nord par le désert du Sahara et par les sources des fleuves Sénégal et Niger au sud. Tout naturellement, les échanges commerciaux s’établirent entre le sud de l’Afrique du Nord et les pays voisins.
Les premiers Noirs à embrasser l’Islam furent la dynastie des Dya’ogo, peuple situé le long de la vallée de l’actuel Sénégal vers 850 ap.J.-C. Les historiens arabo-musulmans se réfèrent souvent à cette région appelée « bilâd at-takroûr » qu’ils considèrent être le pays des premiers musulmans noirs.

   War-jabi, fils de Rabis fut le premier dirigeant du Takroûr sous le règne duquel l’Islam s’établit fermement et la chari‘a fut respectée. La population put ainsi s’épanouir sous un système législatif uniforme. Lorsque les Almoravides lancèrent une attaque sur Takroûr, l’Islam était déjà bien implanté dans les cœurs des habitants de cette région. En 1511, Al-Idrîssî décrivit cet endroit comme étant « sûr, paisible et serein ». La capitale, qui portait le même nom que la région, était devenue une ville commerçante incontournable. Les marchands y apportaient de la laine en provenance du Maghreb et repartaient avec de l’or et des perles.

   Les historiens arabes connaissent bien l’Afrique de l’Ouest qu’ils appellent « bilâd as-soûdân » (« le pays des Noirs »). À l’époque médiévale émergèrent des empires très célèbres encore aujourd’hui : les empires du Ghana, du Mali et de Songhay. D’éminents historiens ont décrit la gloire de ces terres des siècles avant les Européens, notamment Al-Bakrî, Al-Mas’oûdî, Ibnou Battoûta et Ibnou Khaldoûn. D’autres historiographes locaux tels As-Sa‘dî dans Târîkh As-Soûdân ou encore Mahmoûd Ka’t le Tombouctien dans Tarîkh Al-Fattâch fî akhbâri-l-bouldân wa-l-jouyoûch wa akhbâri-n-nâss enrichirent la documentation concernant ces grands empires.

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    Plusieurs routes commerciales virent le jour pour faciliter les échanges entre le sud de l’Afrique du Nord et l’Afrique Occidentale : celle qui partait de Sijilmâsa (région de Tâfilâlt au Maroc) vers Taghaza (nord du Mali) puis Awdaghost (Mauritanie) menait vers l’Empire du Ghana ; et une autre qui démarrait également de Sijilmâsa passant par Touat (ouest algérien), Gao (Mali) et arrivait à Tombouctou (Mali). D’autres routes reliaient Bornou (actuel Nigeria) à Tripoli (Lybie) et à Fez. D’autres encore reliaient Bornu à la Tunisie via Ghadamès (Libye), Ghat (Libye) et Agadez (nord du Niger) jusqu’au sud-ouest du Lac Tchad. Toutes les villes qui forment ces routes sont devenues de célèbres centres de commerce et d’apprentissage de l’Islam à la civilisation parfaitement épanouie.

L’Islam dans l’ancien Empire du Ghana (Wagadu)

   Les limites de ce vaste empire allaient de l’Océan Atlantique à l’ouest jusqu’au Lac Tchad à l’est, et du Sahara au nord jusqu’aux sources des fleuves Sénégal et Niger au sud. Cette région doit son nom à l’appellation donnée par les Arabes : « ghana » était le titre attribué au souverain de cette contrée ; ce mot signifie « chef de guerre ». Le monarque du Wagadu fit bon accueil aux commerçants musulmans arrivés dès le 9ème siècle. Ces derniers s’installèrent juste à côté de la capitale, Koumbi Saleh, et marchandaient leurs produits contre de l’or. Ce fut la première puissance du Sahara à embrasser l’Islam.

   Le géographe musulman Al-Bakrî donna très tôt une description détaillée de cet empire dans son livre Kitâb fî-l-masâlik wa-l-mamâlik (Livre des routes et des royaumes) où il décrit le Ghana de 1068 comme étant extrêmement évolué. Le pays était prospère grâce à une économie très développée : l’agriculture au sud, l’élevage au nord, le commerce ― transsaharien en particulier ― était florissant (or, sel, peaux, céréales, etc.) grâce au développement du transport caravanier, et surtout, les mines aurifères et les ferrières semblaient intarissables.
Le roi avait employé des interprètes musulmans et la plupart de ses ministres et trésoriers étaient également musulmans. Les représentants musulmans étaient assez lettrés pour consigner les événements en langue arabe et, au nom du roi, correspondaient avec d’autres dirigeants. En tant que musulmans, ils faisaient également partie de la sphère politique du monde islamique, ce qui facilitait les relations internationales.

   La capitale Koumbi Saleh (ou Ghana) peuplée de 20 000 habitants se composait de deux villes établies sur une plaine ; l’une d’elles, habitée par des musulmans, comptait douze mosquées : tous les fidèles de la ville se rassemblaient dans l’une d’entre elles pour assister à l’office du vendredi. À chaque mosquée étaient assignés un imâm, un muezzin et des récitateurs du Coran rémunérés. Un grand nombre de jurisconsultes et d’érudits vivaient également dans cette grande ville

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   L’Empire du Ghana commença son funeste déclin sous les campagnes des Almoravides (« Al-mourabitoûne » qui veut dire « ceux qui s’enferment dans un “ribât” ou monastère »), des Berbères musulmans tout droit sortis de leur retraite. Au début du 11ème siècle un des leaders de ces derniers, Tarsina, effectua son pèlerinage à la Mecque. À son retour, il lança une expédition contre les païens installés sur les deux rives du fleuve Sénégal. Débuta alors une âpre bataille entre les fractions almoravides et les souverains de l’Empire de Ghana qui, malgré leur hospitalité bienveillante à l’endroit des musulmans, restaient les rois du paganisme. Tarsina finit par perdre la vie au combat en 1023. Son œuvre fut reprise par son frère Yahyâ Ibnou Ibrâhîm, qui accomplit également son pèlerinage et ramena avec lui un grand prédicateur du nom de ‘Abdoullâh Ibnou Yâssîn qui prêcha auprès des populations situées sur les rives du Sénégal. Même si beaucoup de ces peuples, profondément attachés à leurs croyances païennes, ont d’emblée refusé de se convertir à l’Islam, ils finirent par l’accepter après la conversion de leurs dirigeants. En effet, le message de Mouhammad attira en premier lieu certaines familles royales du Pays noir, notamment les princes et les notables, avant de se généraliser à la population.

   À la fin du 11ème siècle, moins de cinquante ans après les premières prédications de ‘Abdoullâh Ibnou Yâssîn, l’Islam avait atteint des endroits situés à moins de 400 kilomètres des côtes du Golfe de Guinée. Certains commerçants musulmans, intéressés par les noix de cola produites en abondance dans cette région, s’installèrent sur les rives de la Volta Noire et fondèrent la ville de Bégho (au Ghana actuel) qui ne tardera pas à devenir un important centre de commerce et d’apprentissage de l’Islam.

   Bien plus que les expéditions des Almoravides, c’est surtout la sécheresse conséquente à une exploitation intensive des ressources sylvestres qui poussa la population à migrer vers des terres plus accueillantes. Le Royaume du Ghana tomba progressivement en décadence et finit par être annexé en 1240 par l’Empire du Mali qui connaissait un épanouissement certain.

L’Islam dans l’Empire du Mali  .

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   Le Royaume du Mali naquit des ruines de l’Empire du Ghana. La période aride avait poussé les populations à émigrer dans des régions plus humides du sud comme celle du Mandé. Ces zones fonctionnaient comme de véritables royaumes miniatures, dirigées par des chefs de guerre qui se donnaient le titre de « Mansa ». Aux alentours de 1050, après des années de sécheresse, le leader mandingue (du Mandé) du nom de Baramendena fit la connaissance d’un marchand musulman auquel il demanda de prier pour demander la pluie. Ce dernier accepta à condition que son hôte royal embrassât l’Islam et priât avec lui. Le souverain se convertit et ils prièrent toute la nuit durant : le précieux liquide se mit à tomber du ciel au lever du jour. Constatant ce fait miraculeux, le roi fit détruire toutes les idoles et chassa tous les sorciers de son pays. Alors que ses descendants et les notables du royaume acceptèrent sincèrement l’Islam, la population resta foncièrement polythéiste.

   Barmendena effectua son pèlerinage à la Mecque. Il commença alors à établir des liens avec les pays voisins, hautement bénéfiques à l’extension de son pouvoir et à la croissance de son royaume. À cette époque, c’était l’Empire du Ghana qui détenait les sources de productions aurifères (dans le Bambouk), mais très vite les Almoravides se familiarisèrent à la route qui menait au Mandé et invitèrent les caravanes marocaines à s’y fournir en or. C’est ainsi que le roi mandingue s’enrichit considérablement et offrit ainsi à son peuple de nouvelles perspectives. Barmendena fit construire des mosquées et des écoles islamiques dans tout le pays si bien qu’en 1200, le royaume comptait près de 42 000 érudits répartis dans les grandes villes d’apprentissage.

   Ce petit royaume mandingue suscita bien vite les convoitises des chefs d’Etats voisins et tomba en 1224 entre les mains de Soumangourou, roi de la région de Sosso. Soundjata Keïta, un des héritiers légitimes du Mandé, ne tarda pas à libérer son pays de l’oppresseur qu’il défit en 1235 et en profita pour conquérir Ghana en 1240. Il était de ce fait devenu un chef remarquable par son courage et par l’intérêt qu’il porta au développement de l’agriculture, à l’introduction de la culture et du tissage du coton et par la sécurité qu’il instaura aux quatre coins de son royaume. Il s’éteignit en 1255, victime d’un accident lors d’une fête publique.
Son continuateur, le mansa Oulé, resta fidèle à la tradition de Baramendena et accomplit son pèlerinage à la Mecque, puis poussa plus loin les frontières du nouvel empire vers l’ouest en intégrant le Bambouk, le Boundou et la plus grande partie de la vallée de la Gambie.

   De 1285 à 1300 régna un esclave affranchi nommé Sakoura. Ce fut le seul étranger, ex-serf de surcroît, à accéder au trône infailliblement occupé par la longue lignée des Keïta. Son œuvre ne fut que le prolongement de ses maîtres et antécesseurs : il poussa les frontières du royaume mandingue jusqu’au nord-est dans le Massina et atteignit le bas-Sénégal au nord-ouest, intégrant ainsi le Takroûr à l’empire le plus vaste de l’Afrique et un des plus considérables que connut le monde. Sakoura se rendit, à l’instar de ses prédécesseurs, au pèlerinage à la Mecque mais ne retrouva pas les siens puisqu’il fut assassiné à son retour près de Djibouti (Afrique de l’Est) par des pillards qui lorgnaient son or. Ses compagnons réussirent à conserver son corps pour le ramener jusqu’au Royaume du Mali : ses funérailles furent dignes des obsèques des rois Keïta.

   L’empire du Mali atteignit son apogée au cours de la première moitié du 14ème siècle sous le règne de mansa Moûssâ (ou Kankan Musa) qui gouverna de 1307 à 1332. Celui-ci suivit les traces de ses aïeuls en se rendant à la Mecque en 1324 : son pèlerinage marqua les esprits par le faste qui caractérisait son voyage et le comportement exemplaire de sa cour. Il arriva au Caire à la tête d’une caravane de 60 000 personnes, une centaine de chameaux chargés de plus de deux tonnes d’or destiné aux pauvres ; parmi les quelques 12 000 servants tous vêtus de soie et de brocart, 500 transportaient des bâtons d’or pur. Mansa Moûssâ dépensa sans compter en Égypte, rendant le métal précieux si abondant qu’il fit chuter son cours pendant plus d’une décennie au Caire. La splendeur de sa caravane fit évidemment sensation et rendit mansa Moûssâ et son empire célèbres dans tout le monde arabe. Le Mali atteignit une telle renommée que les Européens produisirent en 1375 une carte montrant Moûssâ assis sur un trône au milieu de l’Afrique Occidentale tenant une pépite d’or dans sa main droite.

   Mansa Moûssâ a toujours participé activement à l’expansion de l’Islam et à son apprentissage. Durant ses premières années de règne, il envoya des étudiants s’instruire dans les universités marocaines, si bien que peu avant sa mort, ces érudits établissaient leurs propres centres d’apprentissage à Tombouctou. C’est après avoir visité les villes saintes de l’Islam que Moûssâ décida de faire construire de grandes mosquées, de vastes bibliothèques et des écoles islamiques. De nombreux savants religieux et autres hommes de lettres, parmi lesquels le poète et architecte cordouan Aboû Ishâq Ibrâhîm As-Sâhilî, accompagnèrent mansa Moûssâ lors de son retour pour s’installer dans l’empire malien. As- Sâhilî fut l’illustre ingénieur de la grande mosquée Djingareyber de Tombouctou, édifice classé aujourd’hui au patrimoine mondial de l’Unesco. Construite entièrement en matières périssables (terre crue, bois, pierres tendres, etc.), le temple témoigne du recours à des techniques traditionnelles vulnérables face aux aléas du temps. La bâtisse perdura malgré tout au fil des siècles grâce à la responsabilisation des maçons et à l’implication de toute la population dans les travaux annuels d’entretien.

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   Cette mosquée, à l’instar de tous les édifices religieux construits par mansa Moûssâ, joua un grand rôle dans la diffusion et le renforcement de l’Islam. Cependant, quoi que l’on puisse dire sur l’empire malien, l’Islam ne fut pas pratiqué sous sa forme la plus épurée. En effet, les pratiques païennes subsistaient en Afrique de l’Ouest. Ibnou Battoûta fit une description frappante des mœurs courantes à l’époque : « Lorsque le souverain appelait un de ses sujets à une audience, celui-ci retirait ses vêtements, s’habillait en guenilles et remplaçait son turban par un couvre-chef crasseux. Il entrait ensuite en soulevant ses habits à mi-hauteur du tibia et avançait de manière soumise allant même jusqu’à frapper le sol de ses coudes. Il se tenait alors comme incliné en prière pour écouter les paroles du roi. Lorsque l’un d’entre eux s’adressait au souverain et que ce dernier répondait, il ôtait ses vêtements et se frottait la tête avec de la poussière comme pour se la laver. » L’historien arabe fut également choqué de voir des femmes marcher nues dans la rue pour amener de la nourriture au roi durant le mois de Ramadan.

   Parmi les successeurs de l’empereur Moûssâ, son frère Soulaymâne régna de 1341 à 1360 et maintint le royaume à son zénith. Ibnou Battoûta lui rendit visite en 1353-1354 et ne manqua pas de noter le luxe de la cour royale : « La salle d’audiences a trois fenêtres en bois recouvertes de plaques d’argent et, au-dessous, trois autres recouvertes de plaques d’or. […] Les écuyers arrivent avec des armes magnifiques : carquois d’or et d’argent, sabres ornés d’or ainsi que leur fourreau, lances d’or et d’argent, massues de cristal. »
Toutefois, à la mort de mansa Soulaymâne vers 1360, l’empire commença à décliner du fait de querelles successorales qui entraînèrent décadence et anarchie. Durant cette période de troubles au sein du pouvoir central, les vassaux proclamèrent l’indépendance de leurs régions. Selon Ibnou Battoûta, c’est à ce moment-là que fut vendue la fameuse pépite d’or du trésor royal ; elle était considérée comme la plus précieuse des richesses du royaume de par sa rareté.
Au début du 15ème siècle l’ascension de l’Empire Songhay restreignit le Mali à sa chefferie originelle.

L’Islam dans l’Empire de Songhay

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   Le petit Royaume de Songhay naquit au 7ème siècle suite aux métissages entre le peuple Sonrhaï et les Berbères fuyant les invasions arabes. Ce mélange de population donna naissance à la dynastie des Dia qui s’établira en un royaume vassal des Empires du Ghana puis du Mali.

   La religion musulmane s’introduisit dans le Songhay vers 1010, lorsque ses rois s’installèrent à Gao et se convertirent à l’Islam.

   Ce n’est qu’au 15ème siècle que cette région se développa pour reprendre le flambeau de l’empire mandingue déchu. L’Empire s’étendit sur la majeure partie du fleuve Niger, le Mali et une portion du Nigéria actuels, devenant ainsi le plus vaste empire qu’ait connu l’Afrique.

   En 1464, Sonni Ali s’empara du pouvoir à Gao. Après avoir formé sa cavalerie et une flotte de 400 bateaux, il s’empara de Tombouctou en 1468. La flotte de Djenné finit par s’associer à celle de Sonni Ali et assura sa domination sur tout le delta intérieur du fleuve Niger. Il se fera connaître sous le nom de « Ali le Grand », développa le commerce, centralisa son administration et avait pour habitude de rédiger des textes officiels. Sonni Ali était un musulman qui mit l’Islam au service de ses ambitions. Il avait facilement recours à la magie et aux pratiques païennes, et allait même jusqu’à persécuter certains savants pour arriver à ses fins. Lorsque le docte Al-Mâghilî osa le qualifier de païen, il le punit comme les autres. Sonni Ali essayait de trouver un compromis entre l’Islam et le paganisme, ce que les savants de l’époque condamnaient bravement. Son syncrétisme fut fermement contesté par les notables musulmans et les savants de Tombouctou. La célèbre famille de savants berbères Agit, qui tenait le poste de grand qâdî, était connue pour son audacieuse opposition envers les dirigeants. Sonni Ali n’hésitait pas à prendre des mesures contre les érudits de Tombouctou, mais à sa mort, un revirement de situation fit triompher les experts religieux : Mouhammad Toure, un commandant des armées demanda au successeur potentiel de Sonni Ali, Sonni Barou, d’exprimer publiquement son appartenance à l’Islam. Voyant que ce dernier refusait de s’exécuter, le militaire l’évinça du pouvoir et établit une nouvelle dynastie en son nom : les Askiya.

   Dès qu’il prit le pouvoir, Askiya Mouhammad établit la loi islamique et encouragea bon nombre de fidèles à se former au poste de juge (qâdî). Il parrainait les savants et leur offrait de belles parcelles de terre : d’éminents érudits du Maghreb furent attirés par Tombouctou grâce à son patronage et la ville ouvrit la première université islamique de toute l’Afrique Occidentale ; elle devint le siège incontournable de l’apprentissage de l’Islam et un centre intellectuel où se développa une littérature fort intéressante rédigée en arabe aux 16ème et 17ème siècles ― c’est de cette période que datent Târîkh as-Soûdân et Târîkh al-Fattâch.

   À l’instar de la plupart des empereurs africains, Mouhammad accomplit son pèlerinage à la Mecque en 1497. Il fit ainsi connaissance avec de nombreux savants dont As-Souyoûtî avec lequel il s’entretint longuement. Il rencontra également le dirigeant de la Mecque, moulay Al-‘Abbâs, qui le reçut de la meilleure des manières, lui offrit une épée et lui donna le titre de « Calife du Soudan occidental ».

   Le roi s’intéressait tellement au système légal islamique qu’il ne cessait de questionner Mouhammad Al-Maghlî, avec qui il s’était lié d’amitié ― celui-là même qui avait courageusement tenu tête à Sonni Ali. Le savant répondait en détail aux interrogations de l’Empereur, qui faisait ensuite diffuser les réponses aux quatre coins du Royaume Songhay.

   Paradoxalement, aucune loi n’avait été fixée concernant la succession au trône, et Mouhammad, devenu aveugle, se fit destitué par son propre fils Moûssâ. Commença alors une série de massacres odieux, de guerres civiles et d’expéditions inutiles qui effritèrent le grand Empire bâti par le premier Askiya. Un autre fils de Mouhammad, Dâwoûd, tenta d’éradiquer les maux introduits par son frère et de rétablir la stabilité de l’Empire durant son règne de 1549 à 1583. Il réussit à relancer l’agriculture, à inciter la population à étudier et surtout à préserver l’amitié du sultan du Maroc Ahmad Adh-Dhahbî : celui-ci avait obtenu de Dâwoûd en 1578 contre 10 000 dinars d’or la possibilité d’exploiter les salines de Teghaza pendant un an. Mais cette solution placebo eut les conséquences inverses que celles escomptées. En effet, ayant goûté aux profits de ces précieuses sources, Ahmad prit la résolution de s’approprier non seulement les salines, mais aussi les mines d’or dont l’acquisition lui vaudra son qualificatif d’« Adh-Dhahbî » (Le Doré).

   Après plusieurs batailles, les Maures avaient eu raison de la faiblesse des dirigeants songhay et prirent possession de l’Empire en 1591.

   Suite à ces périodes impériales prospères tant sur les plans commercial que culturel et religieux coexisteront de nombreux petits royaumes. À la fin du 18ème siècle, début du 19ème, l’Afrique, à l’instar du reste du monde musulman, fut balayée par une vague de réformes religieuses. Des réformateurs actifs comme les Fulani ou les partisans de Lhâj ‘Omar, étendirent considérablement les terres sur lesquelles l’Islam était prédominant en Afrique de l’Ouest. Usumanu dan Fodio (1809) fondit le califat de Sokoto qui sera finalement intégré à la colonie britannique (actuel Nigeria) tout en gardant une certaine autonomie.

   Pendant ce temps, et ce depuis le début du 15ème siècle, l’Empire portugais avait commencé son périple vers les Indes en contournant le continent africain. Les flottes ibériques établirent des premiers contacts commerciaux avec l’Afrique de l’Ouest et fondèrent plusieurs comptoirs (ou forts) sur la côte qu’ils dominèrent jusqu’en 1600. De nouvelles routes commerciales reliant le nord au sud du Sahara s’imposèrent au détriment des itinéraires transsahariens allant d’ouest en est et vice-versa. À son apogée en 1532, le comptoir de San Jorge de Mina (Ghana actuel) fournit 700 kg d’or ; son rendement plafonna à 150 kg au cours du 16ème siècle puis chuta fatalement à cause de l’importation massive du métal précieux du Nouveau Monde.

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    Les Français et les Anglais établirent également des comptoirs sur la côte Ouest de l’Afrique, à l’instar des lusitaniens, délaissant l’intérieur du continent parce que difficile d’accès. Durant la deuxième moitié du 19ème siècle, le décèlement de richesses inespérées telles les mines de diamant du Transvaal (nord-est de l’Afrique du Sud) réveilla la convoitise européenne, lançant les grands empires dans une course effrénée à la colonisation. À l’issue de la conférence de Berlin en 1885, l’Afrique de l’Ouest fut majoritairement attribuée à la France, excepté le Togo qui revint à l’Allemagne ; la Gambie, le Nigeria, le Ghana et le Sierra Leone à l’Angleterre et la Guinée-Bissau au Portugal. Le Liberia ― fondé en 1822 pour y rapatrier les esclaves affranchis d’Amérique ― est un Etat indépendant depuis 1847. Toute cette entité géographique prit le nom d’Afrique Occidentale Française.

   De nombreux heurts opposèrent les grandes puissances, mais maints traités bilatéraux permirent d’établir les frontières entre les différents empires. Ces limites artificielles, basées sur un principe de compensations territoriales, divisèrent les différents royaumes africains et leurs ethnies.

   Face à la présence française, la résistance de l’Afrique Occidentale est réelle, notamment aux confins du Mali, de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et de la Côte d’Ivoire grâce au soulèvement mené par Babemba Traoré ou Samory Touré. Mais ces derniers finirent par céder des terres à l’armée coloniale qui finit par prendre le dessus ; le premier se suicida et le second mourut en captivité.

   Aussi, les pratiques féodales de la colonisation (pillage des ressources, impôts, etc.) provoquèrent plusieurs révoltes spontanées jusqu’en 1906.

   La domination française finit par s’imposer aux Africains de l’Ouest et perdura jusqu’en 1958, soit environ 80 ans.

   À l’heure où l’Europe moyenâgeuse vivait dans l’obscurantisme le plus total, l’Afrique Noire sub-saharienne traversa son époque la plus glorieuse. Caractérisée par la présence de richesses abondantes, cet âge d’or conféra à cette partie du monde une postérité chère aux Africains d’aujourd’hui mais attira également la convoitise des empires européens. La présence de ces derniers en Afrique Occidentale mais aussi sur tout le continent marqua à jamais les esprits en laissant derrière elle le goût amer d’une rupture irréversible dans l’histoire de l’Afrique.

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