(3) Mâlik Ibnou Anas, étudiant exemplaire : Les facteurs favorisant sa vocation

École Malikite

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   Allâh a destiné Mâlik Ibnou Anas à briller par sa science et sa piété. Dans ce dessein, il l’établit à Médine, la ville du Prophète bien aimé et de ses Compagnons, ce qui lui confère le prestige d’être la référence en matière de jurisprudence islamique.

   Le Prophète dit de Médine la lumineuse : « En vérité, Médine ressemble au soufflet, elle écarte la souillure qui adhère à elle et ce qui est excellent en elle brille d’un vif éclat. » (Rapporté par Al-Boukhârî).

   « Médine est un haram entre les monts ‘Ayn et Tawn. Quiconque introduira des innovations sur ce territoire ou y donnera asile à un novateur, qu’il soit atteint par sa malédiction ! »
Selon At-Tabarî, Médine est surnommée à juste titre « la demeure de la sunna » : elle en est la plus abondante source, elle en est le rempart.
A chaque fois que ‘Abdoullâh Ibnou Mas‘oûd venait en visite à Médine, il ne cessait de se renseigner sur des questions au sujet desquelles il avait prononcé des fatâwâ en Irak. Si les réponses n’étaient pas conformes à l’avis des savants de Médine, il avisait celui qui s’était renseigné auprès de lui de l’opinion adoptée par les gens de Médine.
Une fois, après avoir été consulté par ‘Abdoullâh Ibnou Az-Zoubayr et ‘Abdoullâh Ibnou Marwân (tous deux postulants au khilâfa), ‘Abdoullâh Ibnou ‘Omar leur dit : « Si vraiment vous sollicitez un renseignement, vous devriez vous adressez au foyer de l’émigration, le berceau de la sunna », à savoir Médine.
Ce fut dans cette atmosphère particulière de Médine que grandit Mâlik .

   Un proverbe chinois énonce cette vérité : « Ne pas se corriger après une faute, c’est la vraie faute ». Depuis qu’il a essuyé le reproche de son père à propos de sa négligence des études religieuses, Mâlik Ibnou Anas a complètement revu son comportement — la remise en cause de soi est un trait de son caractère : il abandonne l’insouciance de l’enfance et enfile l’habit sérieux de l’aspirant aux sciences divines. Sa jeunesse est dès lors studieuse… très studieuse. Il apprend le noble Coran, puis s’applique à l’étude du hadîth.
Il n’a cure des distractions des camarades de son âge, il s’est fixé un objectif, et il va l’atteindre, in châ’ Allâh ! Les pigeons s’en frottent les pattes, ils peuvent roucouler sous des jours plus propices : voilà un chasseur en moins !

   Que de poussière soulevée sous les sandales du garçonnet, de trajets parcourus entre la maison paternelle et celle du maître Ibnou Hourmouz ! Qu’il pleuve abondamment, qu’il vente effroyablement, qu’il gèle atrocement, ou que la chaleur soit accablante, rien ne freine, rien ne décourage, d’abord l’enfant patient, puis l’adolescent persévérant, et enfin l’adulte endurant Mâlik Ibnou Anas dans sa quête du savoir.

   L’accueil débonnaire, l’abnégation dans la transmission des connaissances, la délicatesse et la patience de ses instructeurs lui donnent des ailes. Leurs paroles parfois rudes et leurs blâmes injustifiés butent sur sa volonté de fer, sa ténacité à toute épreuve. Il en faudrait plus pour abattre Mâlik Ibnou Anas . Mais d’où puise-t-il tant de force face à l’adversité ? Outre la confiance qu’il place en Allâh L’Omniscient, Le Savant, le disciple exemplaire est guidé par une idée maîtresse : les acquisitions de valeur ne s’obtiennent qu’avec des efforts consentis ; ainsi l’âme ressent-elle véritablement la nécessité de les conserver.

   Cette persévérance dans la recherche du savoir et les concessions qui lui sont liées sont à rapprocher d’un fameux épisode coranique chargé de préceptes spirituels, et dont les acteurs  ne sont autres que Moussa (Moïse) , son serviteur, et Al-Khidr (cf. rubrique exégèse).
Sourate 18 Al-Kahf (La caverne), v. 60- 82 relate comment ce messager, sur indication divine, part en quête de connaissance auprès d’Al-Khidr, unique dépositaire d’une science émanant d’Allâh . Ce passage coranique décrit les difficultés rencontrées par l’apprenant dans son harassant voyage, qui n’a cependant pas influé négativement sur son désir d’accéder au mystérieux maître ; une envie naturelle de comprendre les motivations des agissements d’Al-Khidr qui se manifeste par de l’impatience. Moussa n’a pas su attendre que l’érudit donne lui-même les justifications de ses actes. S’il avait eu cette patience, les croyants auraient pu profiter d’encore plus de sagesses, dixit le Prophète Mouhammad . A cause de cet empressement, le disciple (psl) est sommé de quitter l’instructeur, interrompant ainsi son initiation.
Méditant cette leçon, Mâlik Ibnou Anas en tire tout bénéfice : il est toute humilité et patience face à ses maîtres.

   Comme tout un chacun, Mâlik Ibnou Anas subit les aléas de la vie et ses tribulations, menant une existence matérielle tantôt aisée, tantôt difficile. Ibnou Al-Qâsim est témoin de l’amour sans faille de Mâlik Ibnou Anas pour les sciences religieuses. Voici donc ce que l’on raconte sur l’aspirant… Depuis peu, la maison d’à côté est secouée d’intermittents soubresauts. Les tuiles et gravats chutant au sol dans un fracas assourdissant captent l’attention des badauds en reste d’occupations. Scène toute banale de réfection du logement, dira-t-on ! Que nenni ! On assiste à un va-et-vient incessant d’individus transportant des poutres d’une toiture détruite. Quelques jours plus tard, l’habitat défiguré par la démolition reste sans toit, offrant son cœur au ciel. Piqués de curiosité, les gens s’interrogent, pourquoi ? Beaucoup plus tard, ils apprendront que Mâlik Ibnou Anas a vendu les poutres de sa résidence pour pouvoir payer ses études ! Il dira ultérieurement à ses élèves : « Personne n’obtiendra rien de cette science tant qu’il n’endurera pas la pauvreté et ne la préfèrera pas au reste. », («Tazyîne al-mamâlik »), ou encore « Personne ne renonce au bas monde sans que Dieu ne lui accorde la sagesse. »

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   S’il est exigent et clairvoyant dans le choix de ses maîtres, Mâlik Ibnou Anas l’est également envers sa propre personne. Il fuit les discussions futiles et préfère les propos sans détours ; scrute son âme, pourchassant les démons intérieurs qui ruinent le succès : la paresse, et c’est une tare ; l’impatience, et c’est un défaut ; le manque de sincérité dans la recherche de l’érudition se traduisant par de l’ambition personnelle, et c’est un fléau… « La science est une lumière qui n’accompagne que les cœurs pieux et respectueux. », telle est la parole de Mâlik Ibnou Anas .

   Sincère et respectueux, oui, il l’est, tout comme l’est son immense affection pour les paroles du Prophète Mouhammad . Ainsi, le futur docte, refuse de recevoir en étant debout les hadîths de l’Envoyé de Dieu par la bouche de ses professeurs : par considération et vénération pour les saintes paroles, il s’assoit posément, invite la sérénité à prendre possession de son corps et de son esprit, et là seulement, concentré, il recueille et retient les nobles hadîths. A maintes reprises, ses condisciples le poussent à se justifier, à s’expliquer sur cette attitude, dont ils ne perçoivent pas la profondeur de réflexion… qu’importe !

   Toutes ces qualités personnelles de Mâlik Ibnou Anas jouent en la faveur du futur savant dans sa vocation : elles concourent à faciliter son acquisition des connaissances. Toutefois, il en est une qu’il est inévitable de mettre en relief : sa prodigieuse mémoire, qui ne cesse de se renforcer par l’apprentissage. Faut-il rappeler qu’à son époque la transmission du savoir est surtout orale, et cela est un facteur positif supplémentaire pour le développement de la mémoire. Celle-ci est par conséquent un outil indispensable sur lequel s’appuient les apprenants pour retenir et restituer leur savoir accumulé.

   Mâlik Ibnou Anas , pour ne pas se perdre dans ses comptes de hadîths à mémoriser chez ses maîtres, apporte toujours avec lui un fil qu’il noue au fur et à mesure : chaque nœud représente une parole du Prophète .

   Au cours d’une visite à Aboû Salama, ‘Ourwa Al-Qâsim, Sa‘îd Ibnou Al-Moussayyab, Sâlim et d’autres doctes, Mâlik Ibnou Anas écoute et retient par cœur, sans les mélanger, les cinquante à cents hadîths émanant de chacun d’eux. Si ce n’est là un exploit !
Rien d’étonnant qu’à dix-sept ans, il reçoit l’autorisation de nombreux savants pour enseigner…

   Mâlik est connu pour sa blancheur et ses taches de rousseur. Il est grand et très élégant.

   Il attache une grande importance à son apparence et déclare : « La modestie réside dans la piété et la religion, non dans les habits ».Il aime les fruits tout particulièrement la banane.

  Lorsqu’il est interrogé sur ce fruit, il réplique : « C’est un fruit qui ne peut être touché ni par des mouches ni par des animaux, tu peux le trouver été comme hiver, il ressemble le plus aux fruits du paradis. »

   La demeure de Mâlik , située à Al-‘AQîq (2 Km de Médine), est belle, et sur sa porte est écrit : « Mâ châ’a Allâh » en référence au verset coranique : « Que n’as-tu dit en entrant dans ton jardin : « Telle est la volonté de Dieu ! (…) » », s.18 Al-Kahf (La caverne), v.39.

   Mâlik mène une vie paisible. Dans sa jeunesse, il pratique le commerce de la soie en association avec son frère. Une fois avancé dans l’âge, il perçoit des dons pécuniaires des califes abbassides Aboû Ja’far Al-Mansoûr, Al-Mahdî et Hâroûn Ar-Rachîd : il les considère comme licite, mais met en garde qui veut les recevoir. De plus, il refuse les dons des subordonnés des califes.Mâlik ne manque cependant aucune occasion pour conseiller les gouverneurs et dénoncer tout égarement de leur part. Une grande amitié le lie à l’éminent savant d’Egypte, Al-Layth Ibnou Sa’d. Celui-ci est très riche et très généreux avec Mâlik et les autres savants.

   Mâlik a trois garçons, Yahyâ, Mouhammad et Hammâd, ainsi qu’une fille Fâtima, surnommée Oum Al-Banîne, qui connaît par cœur Al-Mouwatta’. Celle-ci a l’habitude de se placer derrière la porte, et dès qu’un lecteur se trompe, elle frappe sur la porte pour avertir Mâlik , qui rectifie alors la lecture.

   Yahyâ et Mouhammad ne s’intéressent guère au savoir, et Mâlik de déclarer : « Ce qui me soulage, c’est le fait que cette question n’est pas héréditaire, et personne n’a substitué son père dans sa chair, excepté ‘Abder-Rahmâne Ibnou Al-Qâsim. » Il dit aussi : « Certes, la bienséance est un don divin, celui-ci est mon fils et celle-ci est ma fille. »

   Les gens voient habituellement Mâlik qu’avec son turban et ses beaux habits ; jamais ils ne le voient manger en public. Mâlik déplore qu’un savant parte au marché pour acheter ses affaires.Un ascète écrit à Mâlik l’invitant à s’isoler et à se consacrer exclusivement à l’adoration. Mâlik lui répond en ces termes : « Dieu a partagé les œuvres à l’instar des moyens de subsistance. Il se peut qu’un homme se retrouve plus dans la prière que dans le jeûne et qu’un autre se retrouve plus dans l’aumône que dans le jeûne et un autre se retrouve plutôt dans le jihâd. Or, propager le savoir fait partie des meilleures œuvres. Je suis donc satisfait de ce que Dieu m’a facilité. Et je ne pense pas que ma situation soit moins importante que la tienne et j’espère que chacun de nous soit dans la voie du bien et de la piété. »

   Lorsqu’il prie, l’imâm Mâlik étale par terre un tissu qu’il garde toujours plié en quatre dans sa poche. Il pose dessus son front lors de la prosternation. Lorsqu’il est interrogé sur cette pratique, il rétorque : « Je le mets pour que les petites pierres ne provoquent pas de trace sur mon front laissant penser aux gens que je veille la nuit. »

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   Lors des dernières années de sa vie, Mâlik souffre d’incontinence urinaire (salasou- l-bawl). Ceci l’empêche de fréquenter souvent la mosquée, de participer aux funérailles ou de rendre visite aux gens. Il cache son mal et dispense les cours uniquement chez lui.

   Mâlik refuse de transmettre des ahâdîth du Prophète s’il n’est pas bien vêtu, parfumé et confortablement installé.

   L’érudit n’a jamais quitté le Hijâz : Médine est en effet une ville où se rendent couramment les savants avec lesquels l’imâm Mâlik peut lier connaissance et discuter.

   Acquérir les sciences religieuses, puis l’enseigner pour l’amour d’Allâh , servir la religion de Dieu, tel est le destin brigué par Mâlik Ibnou Anas . A force de persévérance et de droiture, il y parvient avec virtuosité…

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