S’alimenter en Islam : Des additifs (gélatine, présure,…) 2
La présure à l’état pur est-elle licite ? La présure dans l’abomasum (vrai estomac) du veau 1. La présure est une substance extraite de l’estomac du veau. En arabe elle se dit «الإنْفحَة : al-infaha ». Si le veau est abattu conformément aux recommandations de l’Islam, la présure qui en est ensuite extraite est pure et licite. 2. Si le veau est abattu d’une façon non conforme à l’Islam : D’après Aboû Hanîfa, et selon un des deux avis rapportés d’Ahmad Ibnou Hanbal, une telle présure est pure et licite. D’après les autres savants (Ach-Châfi’î, Mâlik, les propres élèves d’Aboû Hanîfa, et l’autre avis d’Ahmad Ibnou Hanbal), une telle présure est impure (najisa) et donc illicite (harâm), car la présure devient impure du fait de son immédiate proximité avec des organes devenus impurs (estomac) à cause de la mort. Quelle est la signification des E422, E471, etc. et sont-ils autorisés dans l’alimentation du musulman ? Les E422, E471, etc. sont des additifs alimentaires ainsi définis par une directive de l’Union Européenne : « On entend par additif alimentaire toute substance habituellement non consommée comme aliment en soi et habituellement non utilisée comme ingrédient caractéristique dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive, et dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique au stade de leur fabrication, transformation, préparation, traitement, conditionnement, transport ou entreposage, a pour effet, ou peut raisonnablement être estimée avoir pour effet, qu’elle devient elle-même ou que ses dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant des denrées alimentaires ». Les additifs alimentaires sont des produits ajoutés aux produits alimentaires de base dans le but d’en améliorer la conservation, la couleur, le goût, l’aspect… Quand un additif alimentaire est autorisé au niveau européen, celui-ci bénéficie d’un code du type Exxx. 1. Il faut tout d’abord connaître l’avis des biologistes, des chimistes et des industriels qui fabriquent et utilisent ces produits. Il faut ensuite se référer à des mouftis pour établir lequel de ces additifs est licite et lequel est illicite. 2. Si ces ingrédients sont en soi harâm, il se peut que le produit alimentaire auquel l’un d’eux a été incorporé devienne harâm par voie d’incidence. En revanche, il se peut que ce produit fini soit halâl pour cause de transformation complète (الإسْتِحالة) de l’ingrédient harâm après qu’il ait été mélangé et cuit avec les autres ingrédients, lesquels sont, eux, halâl. 3. Etant donné que l’ajout croissant d’additifs alimentaires s’est vulgarisé et banalisé, les savants opèrent un raisonnement par analogie avec d’autres situations connues de la jurisprudence islamique pour déterminer le caractère licite ou illicite des produits finis. Pour y parvenir, voici l’enchainement de questions auxquelles ils doivent répondre au préalable : Quelles sont les règles qui s’appliquent lorsque des ingrédients illicites se mélangent avec d’autres licites ? Les règles qui s’appliquent sont similaires à celles liées à l’eau dans laquelle une impureté tombe : 1. Si quelques gouttes d’urine tombent involontairement dans un seau d’eau, cette eau devient-elle impure ou, au contraire, reste-t-elle pure ? D’après les écoles hanafite et châfi’ite, deux critères sont à prendre en considération : la quantité de l’eau et ses caractéristiques (couleur, odeur, saveur). Si l’eau est en petite quantité, alors elle devient impure, même si ses caractéristiques ne sont pas altérées. En revanche, si elle est en grande quantité et qu’une de ses qualités change, elle devient impure, sinon, elle garde sa pureté originelle. Les hanafites et les chafi’ites divergent cependant sur la notion du volume d’eau à considérer. Selon l’école mâlikite, le seul critère qui entre en jeu est la présence ou l’absence de toute trace d’impureté dans cette eau — que celle-ci soit en grande ou en petite quantité. Ainsi, si une des caractéristiques de cette impureté (couleur, odeur, saveur) est apparue dans l’eau, cette dernière est impure. Ibnou Taymiyya et Al-Boukhârî se rangent à cet avis. 2. La question qui se pose ensuite : peut-on établir un raisonnement par analogie entre l’eau et un autre liquide ? Ex : une souris tombe dans de l’huile et y meurt, l’huile reste-t-elle pure ou non ? D’après certains savants, il n’y a pas d’analogie entre l’eau dans laquelle une impureté est tombée et tout autre liquide. A part l’eau, tous les autres liquides qui sont en petite quantité deviennent systématiquement impurs dès qu’une impureté s’y introduit. De l’avis d’Aboû Hanîfa et d’après un des deux rapportés de Mâlik et d’Ahmad, l’analogie est possible : les règles qui concernent l’eau dans laquelle une impureté est tombée s’appliquent pleinement aux autres liquides. Ibnou Taymiyya suit cette opinion (Majmoû’ al-fatâwâ, tome 21 p. 514). Un élément rituellement impur (najis), mais qui a subi une transformation reste-t-il impur ? Ex : Le cadavre d’un chien brûlé et entièrement réduit en cendre, ou encore le cadavre d’un chien tombé dans une mine de sel et transformé entièrement en sel. 1. D’après l’école châfi’ite, cet élément reste impur. 2. Selon les écoles hanafite et dhâhirite (الظّاهِرِية), cette chose devient pure à cause de la transformation («الإسْتِحالة : al-istihâla ») qu’elle a subie. Le 8ème colloque de l’Organisation Islamique des Sciences Médicales, qui s’est tenu au Koweït en 1995, a lui aussi affirmé, d’après ce qu’en a rapporté Wahba Az-Zouhaylî, que « la transformation complète rendait pure une matière impure, et licite une matière illicite » (Al-Fiqh al-islâmî wa adillatouh, pp. 52-65). Trois cas se présentent quand un élément illicite a été mélangé à d’autres éléments licites par nature : Soit l’élément illicite s’incorpore sans transformation complète aux éléments licites, il demeure présent dans le produit sous forme de petits morceaux : le produit alimentaire est alors illicite. Soit l’élément illicite a connu une transformation incomplète, une trace de cet ingrédient illicite reste perceptible : le produit alimentaire est alors également illicite. Soit l’élément illicite a subi une transformation complète (« al-istihâla ») dans cette matière : le produit alimentaire est par conséquent licite. Comment définir si la transformation est complète ou incomplète ? La transformation complète dans la matière licite se vérifie par l’absence : – d’un quelconque morceau de l’élément illicite, – d’une des qualités de l’élément prohibé (goût, couleur, odeur). Aujourd’hui, cette vérification reste toujours valable, mais les possibilités techniques permettent de disposer désormais de preuves avancées. C’est pourquoi des oulémas contemporains ajoutent, au-delà de cet indice premier, une autre vérification qui relève des preuves avancées. Al-Qaradâwî considère ainsi qu’un ingrédient est purifié lorsqu’il a subi une transformation complète sur le plan chimique. Nounours gélifiés Quelques cas concrets (تَحْقيقُ المَناط : tahqîq al-manât) de l’application de ce principe juridique : 1. Les produits sont illicites parce que l’ingrédient illicite y subsiste sous la forme de petits morceaux perceptibles : les fromages au jambon sont bien sûr illicites. 2. Les produits sont illicites parce que l’ingrédient illicite n’y a subi qu’une transformation incomplète, ses caractéristiques subsistent : les chocolats à la liqueur sont illicites, car l’alcool n’a pas disparu : on y retrouve sa trace (son odeur et sa saveur). la viande ou le poisson cuits au vin : l’aliment est illicite pour la même raison. les bières dotées d’un faible pourcentage d’alcool : non seulement on retrouve ici la trace (saveur et / ou odeur) de l’alcool, mais en plus le Prophète a interdit la consommation, même en petite quantité, de tout ce qui provoque l’ivresse lorsqu’il est pris en grande quantité. 3. Les produits devenus licites parce que l’élément illicite y a subi une transformation complète (« al-istihâla ») : Les fromages : la présure se transforme totalement dans les autres ingrédients, et le fromage ainsi composé est donc halal, même d’après l’avis disant que la caillette de veau est en soi illicite si le veau n’a pas été abattu selon les rites islamiques. Al-Qourtoubî écrit ainsi qu’étant donné que la présure, même illicite, est en petite quantité, elle se trouve diluée dans le lait (Tafsîr Ibnou Kathîr, tome 1 p. 180). Il s’agit donc bien d’une transformation. Ceci explique que, comme l’ont relaté plusieurs savants, des Compagnons du Prophète aient consommé des fromages préparés par des Zoroastriens. Une preuve supplémentaire en faveur de la licéité d’un ingrédient au départ illicite, mais dont la transformation complète dans un produit dominant et licite entraîne sa licéité. 4. Les produits à propos desquels il faut approfondir la question : Certains biscuits sont licites, car une ou deux éléments illicites ont subi une transformation complète. En revanche, sont illicites les biscuits où des ingrédients illicites subsistent sous la forme de petits morceaux perceptibles ou s’ils ont conservé une ou plusieurs de leurs qualités originelles. La gélatine est-elle autorisée à la consommation ? Deux présentations de la gélatine 1. D’après Al-Qaradhâwî, même si elle a été fabriquée à partir d’os d’animaux illicites, la gélatine est licite, car « les experts, parmi lesquels le Dr. Mouhammad Al-Hawârî, ont affirmé que cette matière s’est transformée chimiquement », (Fatâwâ mou’âçira, tome 3 p. 658). 2. Selon la recherche de Louqman Ingar de la Réunion, le changement qui s’opère lors de la production de la gélatine n’est pas complet, et il n’y a donc pas d’istihâla ; dès lors, si la gélatine est produite à partir de substances illicites, elle est illicite. Cette recherche se fonde sur une interprétation très stricte du concept de l’istihâla, la même que celle de Mouftî Taqî, et c’est ce qui explique sa différence par rapport à l’avis précédent. Dessert nécessitant l’usage de la gélatine 1. Avis du 8ème colloque de l’Organisation Islamique des Sciences Médicales, qui s’est tenu au Koweït en 1995 : la gélatine est permise même si elle a été « fabriquée à partir d’os, peau ou tendons d’un animal impur » parce qu’il y a eu « transformation complète » (« al-istihâla »), (Al-Fiqh al-islâmî wa adillatouh, pp. 52-65, Az-Zouhaylî). 2. Lors de la 3ème session de l’Académie du Fiqh, qui s’est tenu à Amman en 1986, il a été décidé qu’« il n’est pas autorisé d’utiliser dans les aliments les ferments et gélatine fabriqués à partir d’éléments du porc. »