Un parasite… où ça ?
Fasciola hepatica : la grande douve du foie
Ah, flâner, s’asseoir ou s’allonger sur l’herbe ! Admirer la beauté et la nonchalance d’un troupeau de moutons ! Charmant et romantique scène champêtre et rien de bien dangereux comme activité, en apparence, n’est-ce pas ? Et pourtant,
une simple brindille d’herbe en bouche et les rêveries du promeneur solitaire — clin d’œil à Jean-Jacques Rousseau au passage — peuvent se transformer en cauchemar sanitaire. Comment, à cause de quoi ou de qui ? Explications…
Mère Nature abrite en son sein une faune et une flore dont les mystères insoupçonnés resteraient dans la plus obscure ignorance générale sans la curiosité et les travaux des scientifiques. Merci à eux !
Ainsi, la grande douve du foie (fasciola hepatica), ce minuscule ver primitif proche des êtres unicellulaires, si on ne s’en méfie, peut causer des ravages importants chez l’homme.
En effet, pour se développer, l’animal doit se nourrir de sang et de cellules hépatiques… rien moins que ça ! En temps normal, c’est le foie du mouton qu’elle lorgne ; moins fréquemment celui des bovins, sinon plus rarement… celui de l’homme.Comment une aussi insignifiante bébête s’y prend-elle pour envahir un animal courant sur pattes ou un hôte humain ? Pour le savoir, l’examen de son intéressant cycle de développement est incontournable.
Cycle de développement de la grande douve du foie
Schéma du cycle de la douve
Pour pouvoir se perpétuer, la grande douve devra d’abord se faire ingurgiter par son hôte privilégié, ici, le mouton, puis se nourrir à son tour des cellules hépatiques et du sang de l’ovin. Elle grossit, arrive à maturité et pond ses œufs.
Hélas pour ceux-ci, l’endroit n’est pas le lieu adéquat pour leur éclosion. Si leur mère est entrée par la grande porte pour un séjour à l’œil, les petits vont évacuer le refuge d’une manière moins élégante : les excréments du mouton seront le passage obligé pour retrouver l’air libre.
C’est donc dans ce nid de premier choix que les œufs de la grande douve poursuivent leur maturation. Ils y survivront un ou deux ans si le froid et l’humidité sont au rendez-vous, car ils craignent la dessiccation qui leur est fatale.
Le moment venu, les coquilles libèrent des larves grouillantes qui attirent l’appétit de l’escargot, le futur hôtel ambulant et provisoire de la progéniture survivante de la douve. En SDF (sans domicile fixe) qui se respectent, les larves ayant atteint une certaine taille quittent le gastéropode par le biais des mucosités de ce dernier, émises lors des périodes de pluie.
L’aventure rocambolesque des larves ne s’arrête pas en si bon chemin, puisque les effluves chimiques libérés par les grappes de perles blanches des mucosités vont exercer un pouvoir attractif pour ne pas dire quasi hypnotique sur les fourmis. Une fois de plus, les larves se laissent délibérément gober. Elles ne séjourneront néanmoins que peu de temps dans le jabot social des myrmécéennes : devenues des douves adultes, pour s’en extraire, elles vont consciencieusement percer de mille trous leurs hôtes infectés. Mais point ingrates, elles pansent les plaies avec une colle qui permet aux fourmis de survivre à l’incident : il ne faudrait surtout pas mettre un terme à l’existence de cet intermédiaire entre elles et le mouton. En effet, après s’être installées par dizaine dans les pattes des fourmis, une dizaine dans leur thorax, une dizaine dans leur abdomen et une seule dans le cerveau, elles passent au plan B : le retour aux sources, c’est-à-dire le foie du mouton, pour compléter leur cycle de croissance.
Une douve isolée et … des douves dans un foie
Le mouton, ce doux et bel animal, a pour bonne habitude de brouter le haut des herbes aux heures fraîches du jour. Les fourmis, quant à elles, ne sortent en expédition qu’à la faveur de la chaleur et se cantonnent au pied des herbes. Epineux problème : quelle stratégie la grande douve du foie du mouton va-t-elle mettre en place pour réunir l’ovin et les myrmécéennes en un même lieu et à la même heure ? Tout son génie réside dans le pilotage réussi des fourmis… Rappel pour mémoire, une douve est restée dans le cerveau de certaines fourmis : sa présence perturbe le comportement normal des insectes ; son rôle consiste à amener les fourmis infectées à quitter en somnambule leurs congénères tous les soirs et à s’agripper à la cime des herbes bien déterminées (luzerne, bourse-à-pasteur) en attendant qu’un mouton vienne s’en régaler. Ainsi tétanisées toute la nuit, dès que la chaleur apparaît, les fourmis recouvrent leur raison et leur instinct : elles vont donc vaquer à leurs occupations habituelles jusqu’au soir fatidique… fatidique aussi pour la douve demeurée dans le cerveau, car elle sera broyée par la mâchoire du mouton, mais salvateur pour les autres douves qui pourront compléter leur cycle de croissance grâce au sacrifice de la meilleure d’entre elles. Et la boucle est bouclée. Oui, mais…
Luzerne Luzerne d’Arabie
Et l’homme dans tout ça ?
Ah, oui, la ballade, l’herbe, les rêveries du promeneur solitaire ! L’herbe, justement, c’est là que le bât blesse. Mettre dans sa bouche une brindille sans s’apercevoir qu’elle porte une fourmi, de surcroît infectée par des douves, c’est offrir un logis luxueux à ces dernières qui ne vont pas se priver d’occasionner des désagréments sanitaires à leur hôte peu avisé.
La douve va donc prendre ses aises dans le foie, mais également dans les canaux biliaires de l’homme.
Quand le foie est atteint, apparaissent une fièvre modérée chez l’hôte, une dégradation de l’état général, parfois une douleur de l’hypocondre droit (une région de l’abdomen située directement sous le diaphragme), des manifestations allergiques, un subictère (forme atténuée d’un ictère, c’est-à-dire du jaunissement de la peau et des muqueuses) et une hépatomégalie (augmentation du volume du foie) discrète. Cette phase dure trois mois.
Lorsque ce sont les canaux biliaires qui sont infestés, les symptômes sont plus graves : survenue des crises coliques hépatiques, d’une hépatomégalie douloureuse, des troubles digestifs, d’un ictère rétentionnel, d’une anorexie, d’une asthénie (très grande fatigue) et d’un accès d’angiocholite (inflammation de la bile et des voies biliaires). Le tout pouvant se compliquer par une stase biliaire, une atrophie (réduction) du foie, une cirrhose périportale.
Que des réjouissances, en sommes ! Pour les éviter, il faut s’abstenir de mettre des brindilles en bouche et bien laver les végétaux (quelques gouttes d’eau de Javel ou du vinaigre). Et en cas de contamination, éviter la consommation des végétaux sauvages crus (cresson sauvage, pissenlit, salade, menthe, etc.).
Vous voilà prévenus !