De la versatilité humaine*

Vie spirituelle

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   * Cet article est tiré du prêche du 12 octobre 2007 (voir audiothèque)

   Le Coran renferme la meilleure parole et invite les hommes à la guidance. À l’homme de s’attarder sur ces versets pour en saisir pleinement la valeur.

   Dans sourate 70 Al-Ma‘ârij (Les Degrés), Allâh mentionne une caractéristique fondamentale de l’être humain de façon générale : « Oui, l’homme a été créé instable [très inquiet] », v.19.

إِنَّ ٱلإِنسَانَ خُلِقَ هَلُوعاً

   L’inconstance dont il est question est exprimée en arabe par le terme « haloû‘ » (هَلُوع), un vocable rarement employé donc difficile à cerner. Ce mot se trouve dans certains vers de la poésie arabe, où notamment il s’applique au chameau lorsqu’il court : l’esprit imagine aisément sa démarche chancelante.

   Les savants divergent quant à une définition précise du mot « haloû‘ » (هَلُوع). Comme ce terme n’a pas d’équivalent en français, certains disent qu’il signifie une grande inquiétude (« ad-dajar »). En réalité, c’est dans le Coran qu’il faut chercher la signification de ce mot. Lorsqu’il fut interrogé sur son sens, Ath-Tha‘labî déclara qu’il se trouvait dans les deux versets suivants où Allâh s’attarde sur la nature de cette instabilité : « Il est tout retourné quand le malheur le touche et avare quand le bonheur le touche. », v.20-21.

إِذَا مَسَّهُ ٱلشَّرُّ جَزُوعا

وَإِذَا مَسَّهُ ٱلْخَيْرُ مَنُوعاً

   « Haloû‘ » (هَلُوع) correspond finalement à l’état d’âme de l’être humain quand il est confronté au malheur ou au bonheur.

   Tous les hommes subissent des épreuves au cours de leur vie. Dans ces moments, le musulman ne doit pas déprimer, il lui incombe plutôt de patienter et de surmonter son malheur avec force pour mériter la récompense divine. Or, beaucoup de croyants deviennent anxieux et se rendent malades au moindre problème rencontré. Ils perdent toute confiance en Dieu si bien qu’ils ne s’adressent plus à Lui. L’exemple qui traduit le mieux ce sentiment est celui du patient à qui le médecin recommande d’effectuer des analyses : la crainte de découvrir une maladie grave l’envahit aussitôt, c’est ce qu’on appelle « al-hala‘ ». Cette appréhension existe en chaque être humain, elle est innée. Seulement, dès qu’elle dépasse le stade de l’inconscient ou de la pensée et se transforme en un acte, un comportement ou un tempérament, elle devient symptomatique. S’inquiéter continuellement et ne pas connaître la sérénité sont de sérieux facteurs de morbidité.Paradoxalement, ce terme s’applique également à celui qui connaît la prospérité. En effet, certains vénèrent tant l’argent et les biens qu’ils refusent de les partager avec autrui. Amasser des richesses devient alors un objectif qui emprisonne l’avare dans la servitude.

   Il oublie qu’il n’avait rien auparavant, ses possessions l’aveuglent : verser la zakat devient un tel fardeau qu’il refuse de s’y plier.

   Cette attitude se rencontre aussi lorsqu’une personne possède un bien, un savoir, un savoir-faire ou une notoriété et qu’elle en prive autrui.

   Loin de constituer une qualité, cette caractéristique doit être neutralisée par le musulman à l’aide de moyens précisés dans les versets suivants de la même sourate. Allâh a cité huit catégories de personnes dont la conduite est à imiter :

● « (…) ceux qui pratiquent la salât et qui observent une rectitude dans son accomplissement », v. 22-23.

إِلاَّ ٱلْمُصَلِّينَ
ٱلَّذِينَ هُمْ عَلَىٰ صَلاَتِهِمْ دَآئِمُونَ

● « ceux sur les biens desquels il y a un droit déterminé pour le mendiant et le déshérité », v.24-25.

وَٱلَّذِينَ فِيۤ أَمْوَٰلِهِمْ حَقٌّ مَّعْلُومٌ

لِّلسَّآئِلِ وَٱلْمَحْرُومِ

   Les exégètes s’accordent à dire que ces versets concernent la zakât. En réalité, les revenus du musulman ne lui appartiennent pas entièrement. Une part déterminée revient obligatoirement au pauvre et au défavorisé. Le mendiant demande l’aumône contrairement au déshérité qui n’ose pas le faire, d’où l’importance pour le musulman d’aller à la recherche de ce type d’individu pour ne pas le priver de ce qui lui revient de droit. Tant qu’il ne leur rend pas leur dû, cette somme polluera son argent. La zakât a justement un rôle purificateur et ne doit pas être considérée comme une contrainte puisqu’elle permet de se débarrasser d’une somme illicite.

   Lorsqu’Allâh octroie Son bienfait à une personne ― santé, argent, intelligence ou autre ―, c’est précisément pour qu’elle en fasse profiter ceux qui n’en bénéficient pas. Sachant qu’une part leur revient de droit, ces derniers n’éprouvent ni jalousie ni envie et invoquent même leur Seigneur en faveur des donateurs. Ainsi, la lutte des classes n’a pas lieu d’être dans une société musulmane puisqu’aucun de ses membres ne se sent négligé. L’Islam établit le cadre d’un équilibre social permettant d’atteindre un équilibre individuel.

● « et qui déclarent véridique le jour de la rétribution », v.26.

وَٱلَّذِينَ يُصَدِّقُونَ بِيَوْمِ ٱلدِّينِ

   Allâh a utilisé un verbe au présent, donc la déclaration du cœur ou même verbale ne suffit pas. La conduite à tenir se doit d’être continuelle et se traduire par des actes de piété qui montrent la sincérité du croyant.

● « et ceux qui craignent le châtiment de leur Seigneur, car vraiment il n’y a nulle assurance contre le châtiment de leur Seigneur », v.27-28.

وَٱلَّذِينَ هُم مِّنۡ عَذَابِ رَبِّہِم مُّشۡفِقُونَ

إِنَّ عَذَابَ رَبِّہِمۡ غَيۡرُ مَأۡمُونٍ۬

   La crainte du châtiment doit être omniprésente chez le croyant car la sanction peut lui être infligée à n’importe quel moment, il se peut qu’il fasse partie de ceux qui seront châtiés au final. Un hadîth raconte l’histoire d’une femme qui passait ses journées à jeûner et ses nuits en prières surérogatoires. À côté de cela, sa langue n’épargnait guère ses voisins : médisance et calomnie lui valurent l’enfer. Cette anecdote montre bien que personne n’est à l’abri de la punition divine, quelle que soit sa pratique. Le Prophète a décrit les personnes qui serviront de premier combustible à l’enfer : le lecteur du Coran qui lit pour qu’on dise de lui qu’il est bon lecteur, le combattant qui accomplit le jihad pour être qualifié de courageux et celui qui donne pour qu’on le considère comme généreux. Ne sont-ils pas ostensiblement des exemples de pratiques, abstraction faite de leurs intentions dévoyées ?

   Le Prophète dépeint également le sort en enfer d’un homme qui invitait les gens au bien et leur demandait de s’éloigner du mal, mais qui n’appliquait pas lui-même ces principes : il marchera sur ses tripes en enfer. Les apparences sont donc trompeuses, l’homme ne peut même pas se fier aux siennes.

   Le musulman sincère est celui qui, malgré son assiduité dans l’adoration, est toujours habité par la crainte qu’Allâh n’accepte pas ses œuvres et le juge sur son inconscience. Car l’être humain, oublieux de nature, n’est pas reconnaissant envers son Créateur comme il devrait l’être.

● « et se maintiennent dans la chasteté, et n’ont de rapports qu’avec leurs épouses ou leurs esclaves, car dans ce cas ils ne sont pas blâmables ; mais ceux qui cherchent leur plaisir hors de cela, ceux-là sont les transgresseurs », v.29-31.

وَٱلَّذِينَ هُمۡ لِفُرُوجِهِمۡ حَـٰفِظُونَ

إِلَّا عَلَىٰٓ أَزۡوَٲجِهِمۡ أَوۡ مَا مَلَكَتۡ أَيۡمَـٰنُہُمۡ فَإِنَّہُمۡ غَيۡرُ مَلُومِينَ

فَمَنِ ٱبۡتَغَىٰ وَرَآءَ ذَٲلِكَ فَأُوْلَـٰٓٮِٕكَ هُمُ ٱلۡعَادُونَ

   Celui qui cherche à guérir de sa versatilité doit se préserver tout au long de sa vie en n’assouvissant ses plaisirs charnels que dans la licéité. Si le désir prend le dessus sur la raison de l’individu alors ce dernier s’expose à toutes sortes de turpitudes. Son esprit vagabonde alors quasiment sans cesse autour des plaisirs de la chair et Satan profite de cette faiblesse pour l’inciter aux mauvais penchants. Le mariage est donc la solution pour apaiser son désir et le protéger contre son ennemi juré.

● « et qui gardent les dépôts qui leur sont confiés », v.32.

وَٱلَّذِينَ هُمۡ لِأَمَـٰنَـٰتِہِمۡ وَعَهۡدِهِمۡ رَٲعُونَ

   Cette catégorie concerne ceux qui respectent leurs promesses. Un dépôt n’est pas forcément une somme d’argent, il peut aussi s’agir de l’engagement de la foi : vivre son Islam dans la constance, que ce soit dans la facilité ou l’adversité ; et non pas refuser de se plier à ses prescriptions à la moindre infortune. Les dépôts englobent également toutes sortes de responsabilités telles celle du père vis-à-vis de sa famille, de la mère à l’égard de son foyer, ou encore celle de tout un chacun au niveau de sa profession. Dès que le musulman s’engage dans une quelconque entreprise par contrat explicite ou tacite, il est face à un dépôt qu’il doit honorer.

● « ceux qui témoignent de la stricte vérité », v.33.

وَالَّذِينَ هُمْ بِشَهَادَاتِهِم قَائِمُونَ

   Lorsqu’il est sollicité pour une affaire qui a une répercussion sur la vie collective, le croyant décrit ce qu’il a vu ou entendu, car le témoignage préserve l’équilibre de la société. Que la déposition concerne un musulman ou un non-musulman, un proche ou un inconnu, le témoin est tenu de se limiter à la stricte vérité, même à son propre détriment. Le faux témoignage constitue le pire des mensonges car ses conséquences sont destructrices au sein de la collectivité. Il ne s’agit pas ici de délation et encore moins de dévoiler les péchés de ses semblables.

● « ceux qui sont réguliers dans leur prière », v.34.

وَٱلَّذِينَ هُمۡ عَلَىٰ صَلَاتِہِمۡ يُحَافِظُونَ

   Ce dernier principe va de pair avec le premier. Seulement il décrit ceux qui sont dévoués et concentrés. Il y a une différence entre respecter la prière et ses horaires et respecter les exigences de son accomplissement.

   En réalité, Allâh cite cette catégorie en dernier pour clore la liste. Les deux conditions qui concernent la prière s’apparentent à la couverture d’un livre, elles recouvrent six autres conduites à suivre pour se débarrasser de l’instabilité qui caractérise le genre humain.

   Finalement, beaucoup de musulmans respectent l’application de certains de ces huit principes mais cela s’avère insuffisant, car il est nécessaire de rassembler l’ensemble de ces conditions pour aspirer à la guérison. En effet, de nombreux non-musulmans mettent en pratique certaines de ces règles : donner par générosité, préserver sa chasteté, craindre le Jour du Jugement, etc. Ce qui distingue les musulmans de ces gens-là est l’accomplissement de la prière. Deuxième pilier de l’Islam, elle est aussi le remède le plus efficace aux maux du cœur.  Allâh promet non seulement la guérison au musulman qui respecte les conditions citées dans sourate 70 Al-Ma‘ârij, mais Il lui garantit surtout un honneur inégalé le Jour du Jugement : « Ceux-là seront honorés dans des jardins », s.70, v.35.

أُوْلَـٰئِكَ فِي جَنَّاتٍ مُّكْرَمُونَ

   Non seulement le musulman doit accomplir ses prières toute l’année, mais il doit aussi respecter le temps imparti pour chacune d’elles. La prière est vitale tout comme le sont la respiration ou l’alimentation. L’assiduité dans cette pratique constitue un principe fondamental : où qu’il soit, quelles que soient les contraintes qu’il rencontre, le musulman ne doit jamais y déroger. Elle est même la condition première permettant de vivre sereinement, car si elle n’est pas respectée le musulman ne pourra jamais prétendre à la guérison malgré l’observance des autres règles.

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