Commentaire de l’aphorisme 5 (article)

Sagesses d'Assakandarî (articles)

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«إجتِهادك فيما ضُمِن لك وتقصيرك فيما طُلِب منك دليل على انطِماس البصيرة منك»

   « Ton effort à poursuivre ce qui t’es garanti et ta négligence en ce qui t’es demandé sont une preuve que l’œil de ton cœur s’est assombri. »

   Allâh  a assigné un rôle précis à l’ensemble de la création. Le Coran corrobore cette idée en rapportant les paroles que Moïse (Moûssâ)  adressa à Pharaon : « Notre Seigneur, dit Moïse, est Celui qui a donné à chaque chose sa propre nature puis l’a dirigée. », s.20 Taha, v.50.

   Depuis l’atome et ce qui le compose, jusqu’aux galaxies et ce qu’elles englobent, en passant par tous les êtres qui s’y trouvent – les anges, les animaux, les végétaux, les roches, les océans, les cieux, etc. –, toutes les créatures ont été créées pour une mission qui leur a été attribuée dès leur origine. Et chacune d’elles remplit son rôle à la perfection, ce dont témoigne ce verset : « N’as-tu pas vu que Dieu est glorifié par tous ceux qui sont dans les cieux et la terre ; ainsi que par les oiseaux déployant leurs ailes ? Chacun, certes, a appris sa façon de L’adorer et de Le glorifier. Dieu sait parfaitement ce qu’ils font. », s.24 An-Noûr (La Lumière), v.41.

   L’homme ne fait pas exception à la règle quant à sa fonction sur terre – les djinns sont dans le même cas. Allâh explique dans le Coran : « Je n’ai crée les djinns et les humains que pour qu’ils M’adorent. », s.51 Adh-Dhâriyât (Qui Éparpillent), v.56.

Cependant, au lieu d’être contraint à remplir son rôle à l’instar des autres créatures, Allâh  lui a donné la possibilité de choisir entre deux options :

– s’acquitter de cette mission et bénéficier par conséquent de la miséricorde divine ;

– se soumettre à l’appel de ses passions et de ses instincts bestiaux en conséquence de quoi il subira le châtiment de Dieu.

   L’homme est donc la seule espèce parmi la création – avec les djinns – à compter une frange d’individus qui se détournent de l’adoration de leur Seigneur Unique. Dieu est explicite : « N’as-tu pas vu que c’est devant Dieu que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ? Il y en a aussi beaucoup qui méritent le châtiment. Et quiconque Dieu avilit n’a personne pour l’honorer, car Dieu fait ce qu’Il veut. », s.22 Al-Hajj (Le Pèlerinage), v.18.

   La prosternation dont il est question dans ce verset fait référence à la soumission à Dieu et à la mission assignée à chacune de Ses créatures. Lorsqu’Allâh  parle de l’être humain dans ce verset, Il distingue deux catégories : celle des hommes qui se prosternent comme le restant de la création et celle de ceux qui méritent le châtiment parce qu’ils n’ont pas accepté la soumission à Dieu.

   En méditant sur cette question, le croyant doit ressentir l’honneur qu’Allâh lui porte en faisant de lui un être capable de choisir, un être possédant une volonté, certes relative, mais malgré tout importante. De ce fait, la reconnaissance de l’homme doit être à la hauteur de ce privilège : celui-ci devrait s’élancer avec zèle et plaisir dans l’accomplissement de sa mission. Malheureusement, seule une minorité décèle véritablement cette faveur divine et accepte de vivre sa vocation avec plaisir, émulation et recueillement.

Quelle est la mission de l’homme sur Terre ?

   Dieu rapporte les paroles que Çâlih adressa à son peuple Thamoûd : « […] De la terre Il vous a créés et Il vous l’a fait peupler (et exploiter). […] », s.11 Hoûd, v.61. L’homme a donc pour mission d’habiter la terre, de l’exploiter et d’y faire régner la justice et la bienfaisance « […] afin d’éprouver qui de vous est le meilleur en œuvre, […] », s.67 Al-Moulk (La Royauté), v.2.

Celui qui respecte les termes de cette tâche doit réaliser deux objectifs :

1 – pratiquer son adoration par choix ;

2 – exploiter la terre et y installer une civilisation qui instaure l’équité entre les hommes, qui fait régner la sécurité et qui respecte l’environnement dans sa globalité.

   Certes l’homme a une fonction bien précise à remplir sur Terre. Cela dit, sa subsistance incombe à Allâh, Le Pourvoyeur. En effet, Il dit dans le Coran : « Nous accordons abondamment à tous, ceux-ci comme ceux- là, des dons de ton Seigneur. Et les dons de ton Seigneur ne sont refusés [à personne] », s.17 Al-Isra’ (Le Voyage nocturne), v.20 ; et : « C’est dans le ciel qu’il y a votre subsistance et ce qui vous est promis. », s.51 Adh-Dhâriyât (Les Vents qui éparpillent), v.22.

   Malheureusement, nombreux sont les êtres humains qui n’ont pas compris l’équilibre de cette équation. Au lieu de donner la priorité à sa mission – qu’il est tenu de respecter et sur laquelle il sera jugé –, l’homme s’est entièrement focalisé vers sa subsistance qui elle, est garantie par Allâh  d’où l’intérêt de cet aphorisme : « Ton effort à poursuivre ce qui t’es garanti et ta négligence en ce qui t’es demandé sont une preuve que l’œil de ton cœur s’est assombri. »

   La course derrière les moyens de subsistance reste en effet le plus grand ennemi de la soumission adorative. Un jour alors que le Prophète  prêchait le sermon du vendredi, une caravane commerciale entra à Médine. Les fidèles, attirés par les festivités qui accompagnaient l’arrivée de ces commerçants, ont quitté la mosquée pour participer au divertissement. Dieu révéla alors : « Quand ils entrevoient quelque commerce ou quelque divertissement, ils s’y dispersent et te laissent debout. Dis : « Ce qui est auprès de Dieu est bien meilleur que le divertissement et le commerce, et Dieu est le Meilleur des pourvoyeurs ». », s.62 Al-Joumou‘a (Le Vendredi), v.11.

   Pourtant, Dieu ne cesse d’avertir Son lieutenant sur Terre – à travers le Coran – de ne pas se tromper de mission et d’objectif dans son éphémère vie terrestre : « Et ne tends point tes yeux vers ce dont Nous avons donné jouissance temporaire à certains groupes d’entre eux, comme décor de la vie présente, afin de les éprouver par cela. Ce que Dieu fournit (au Paradis) est meilleur et plus durable. », s.20 Ta-ha, v.131.

   Dieu garantit en effet une belle vie ici-bas et au-delà à ceux qui agissent conformément aux prescriptions divines : « Quiconque, mâle ou femelle, fait une bonne œuvre tout en étant croyant, Nous lui ferons vivre une bonne vie. Et Nous les récompenserons, certes, en fonction des meilleures de leurs actions. », s.16 An-Nahl (Les Abeilles), v.97.

   Ce qui est vrai au niveau de l’individu, l’est aussi à l’échelle d’un groupe ou d’une communauté : « Dieu a promis à ceux d’entre vous qui ont cru et fait les bonnes œuvres qu’Il leur donnerait la succession sur terre comme Il l’a donnée à ceux qui les ont précédés. Il donnerait force et suprématie à leur religion qu’il a agréée pour eux. Il leur changerait leur ancienne peur en sécurité. Ils M’adorent et ne M’associent rien et celui qui mécroit par la suite, ce sont ceux-là les pervers. », s.24 An-Noûr (La Lumière), v.55.

   Quels que soient les moyens utilisés par les musulmans pour faire triompher les valeurs morales et éthiques de l’islam, ils ne pourront parvenir à cet objectif tant qu’ils ne se conformeront pas aux injonctions coraniques. L’histoire de l’Islam en dit long à ce sujet : comment une poignée d’Arabes vivant dans le désert de manière tribale et n’ayant opéré aucun développement civilisationnel sont-ils parvenus en l’espace de trente ans à atteindre plusieurs contrées lointaines qu’ils ont imprégnées d’un mode de vie exceptionnel ? Le secret de cette réussite réside assurément dans la compréhension qu’ils avaient de l’Islam, de la vie d’ici-bas et de l’au-delà, et de leur rôle dans cette existence.

   Ce cinquième aphorisme établit un équilibre entre les obligations de la « vie spirituelle » et celles de la « vie profane » en mettant en avant un lien étroit entre les deux. La recherche de la subsistance ne doit pas détourner le musulman de son rôle dans cette vie : exploiter la terre avec justice et bienfaisance. Toutefois, l’être humain ne peut assurer cette fonction que lorsqu’il est immunisé par la soumission à Dieu axée sur l’adoration délimitée par l’exécution de ce qui est obligatoire et le délaissement de ce qui est interdit. Tant que le croyant se maintient dans cette dimension adorative, ses efforts à acquérir les moyens de subsistance deviennent eux aussi des adorations, à condition que l’intention qui l’anime lors de l’acquisition de la subsistance soit mue par le désir de se soumettre à l’ordre divin et non à l’instinct humain. Dieu dit dans le Coran: « C’est Lui qui vous a soumis la terre : parcourez donc ses grandes étendues. Mangez de ce qu’Il vous fournit. Vers Lui est la Résurrection », s.67 Al-Moulk (La Royauté), v.15.

   At-Tabarânî a rapporté de Ka‘b Ibnou ‘Ajrah que le Prophète  marchait avec un groupe de Compagnons lorsqu’ils croisèrent sur leur chemin un homme dont le dévouement au labeur matinal ne les laissa pas indifférents. Un des Compagnons fit alors une remarque : « Pauvre de lui, si au moins il déployait cet effort dans le sentier de Dieu ! » Le Prophète  réagit immédiatement à cette observation : « S’il est sortit pour subvenir aux besoins de ses enfants, c’est dans le sentier de Dieu qu’il l’a fait. Si c’est pour ses parents âgés, c’est dans le sentier de Dieu qu’il l’a fait. Si c’est pour lui-même, pour ne pas avoir besoin des autres, c’est dans le sentier de Dieu qu’il l’a fait. Si c’est pour son épouse, c’est dans le sentier de Dieu qu’il l’a fait. Par contre, s’il est sortit pour assouvir un orgueil ou pour une course à la richesse, c’est alors dans le sentier de Satan qu’il l’a fait. »

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   Le mot adoration (عبادة : ‘ibâda) n’est pas spécifique aux actes rituels tels que la prière, l’aumône, le pèlerinage, le jeûne ou autre, il englobe en réalité tout ce qu’effectue le musulman pour se rapprocher d’Allâh . En travaillant dans le commerce, l’agriculture, l’industrie ou n’importe quel autre domaine – y compris celui de la politique – le fidèle accomplit des actes adoratifs dès lors qu’ils servent sa propre soumission à Dieu et la cause divine à l’échelle communautaire. Mais dès que ces activités le détournent de son devoir vis-à-vis de Dieu (prières non accomplies en leur temps, orgueil, sous estime des autres, éloignement de la mosquée…), il tombe dans le cas décrit par la sentence d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh : « Ton effort à poursuivre ce qui t’es garanti et ta négligence en ce qui t’es demandé sont une preuve que l’œil de ton cœur s’est assombri. »

Pourquoi les meilleurs endroits sur terre aux yeux de Dieu sont les mosquées, et les endroits les plus détestés par Dieu sont les marchés ?

   Les mosquées sont les demeures qui nous rappellent les vérités de la vie et les certitudes de la foi. C’est dans ces lieux que le musulman prie, psalmodie le Coran, apprend la sagesse, noue des relations fraternelles, invoque et évoque son Seigneur, apprend sa religion et la philosophie avec laquelle il doit affronter les défis de la vie, etc. Dans une mosquée, le fidèle vit pleinement sa foi en y trouvant les dispositions spirituelles qui lui permettent d’exploiter la terre avec justice et bienfaisance. Allâh  dit dans le Coran : « Dans des maisons [des mosquées] que Dieu a permis que l’on élève, et où Son Nom est invoqué ; Le glorifient en elles matin et après-midi, des hommes que ni le négoce, ni le troc ne distraient de l’invocation de Dieu, de l’accomplissement de la çalât et de l’acquittement de la zakât, et qui redoutent un Jour où les cœurs seront bouleversés ainsi que les regards. », s.24 An-Noûr (La Lumière), v.36-37.

   En revanche, les marchés symbolisent parfaitement la course éphémère que mène l’homme pour obtenir sa subsistance. Les supermarchés ou les marchés communaux sont des lieux où les gens sont absorbés par le matérialisme. L’évocation et l’invocation de Dieu y sont inexistantes et il arrive même que les musulmans sincères se dévêtissent de leur dimension spirituelle pour revêtir la dimension matérielle caractéristique des échanges commerciaux dépourvus d’altruisme.

   La raison pour laquelle Dieu ne qualifie pas de plus haïssables les bars, les maisons closes ou autres lieux de débauche, c’est tout simplement parce que ces milieux sont spécifiques aux égarés et qu’ils ont pour fonction de les égarer davantage. Quant aux marchés, ils sont tellement attractifs qu’ils drainent également les pieux et leur feraient facilement oublier leur dimension religieuse.

   Le mot « الهى : alhâ » qui signifie « distraire » apparait plusieurs fois dans le Coran :

« Ô vous qui avez cru ! Que ni vos biens ni vos enfants ne vous distraient du rappel de Dieu. Et quiconque fait cela… alors ceux-là seront les perdants. », s.63 Al-Mounâfiqoûn (Les Hypocrites), v 9.

« La course aux richesses vous distrait jusqu’à ce que vous visitiez les tombes. », s.102 At-Takâthour (La Course aux richesses), v.1.

« La présente vie n’est que jeu et divertissement. […] », s.6 Al-An‘âm (Les Bestiaux), v.32.

   Le verbe « أَلْهَى : alhâ » n’est pas un synonyme du verbe « أشغل : achghala » (préoccuper). Même si ces deux termes ont un sens commun qui est « صرف : çarafa » (détourner), ils divergent dans la mesure où la distraction détourne toujours la personne de ce qui est important et prioritaire vers ce qui est dérisoire et secondaire.

   L’aphorisme d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh expose justement la conduite à ne pas suivre. Le fidèle doit à la fois déployer un maximum d’efforts pour accomplir ce qui lui est demandé et ne pas négliger les moyens qui mènent vers ce qui lui est garanti. Les croyants de Banoû Isrâ’îl avaient déjà conseillé Coré (Qâroûn) dans ce sens : « En vérité, Qâroûn était du peuple de Moïse mais il était empli de violence envers eux. Nous lui avions donné des trésors dont les clefs pesaient lourd à toute une bande de gens forts. Son peuple lui dit : « Ne te réjouis point. Car Dieu n’aime pas les arrogants. Et recherche à travers ce que Dieu t’a donné, la Demeure dernière. Et n’oublie pas ta part en cette vie. Et sois bienfaisant comme Dieu a été bienfaisant envers toi. Et ne recherche pas la corruption sur terre. Car Dieu n’aime point les corrupteurs. » », s.28 Al-Qaçaç (Le Récit), v.76-77.

   Nombreux sont les musulmans qui interpréteront cette cinquième sagesse – et celles qui la précèdent – de la meilleure manière. Ils se détourneront de la vie, placeront leur confiance en Allâh  et non en leurs œuvres, et invoqueront sans cesse leur Seigneur. Malgré leur ferveur, leur vie matérielle ne s’améliorera pas systématiquement, et certains d’entre eux commenceront à douter de la promesse de Dieu. En cela, la sixième hikma s’adresse directement à ces derniers : « Garde-toi du désespoir si, en dépit de tes instants de supplication, Il tarde à t’exaucer, mais en ce qu’Il a choisi pour toi, non en ce que tu choisis pour toi-même, en temps voulu par Lui, et non en temps que tu aurais voulu. »

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