(9) Al-Jabbâr (L’Irrésistible)
Le nom divin « Al-Jabbâr : الجَبَّار » n’est mentionné qu’une fois dans le Coran : « Il est Dieu en dehors de qui il n’y a point de divinité ; Il est le Souverain, le Saint, le Salut, le Protecteur, l’Arbitre Suprême, le Puissant, l’Irrésistible, le Superbe.
Gloire à Dieu ! Ilest bien au-dessus de ce qu’on peut Lui associer ! », s.59 Al-Hachr (L’Exode), v.23.
Définitions
« Al-Jabbâr » vient de la racine « jabr » dont découlent plusieurs significations :
– lorsque l’on qualifie quelque chose de « jabbâr », cela veut dire que cette chose est gigantesque et difficile à atteindre. Cet adjectif s’appliquera à un palmier par exemple, pour signifier qu’il est si haut que l’on ne peut cueillir ses fruits ; ou à un grand chameau sur lequel il est difficile de monter. Dans le même ordre d’idées, Allâh rapporte ces paroles dans le Coran : « Ils dirent : “Ô Moïse, il y a là un peuple de géants [jabbârîn]. Jamais nous n’y entrerons jusqu’à ce qu’ils en sortent. S’ils en sortent, alors nous y entrerons.” », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.22.
قَالُواْ يَـٰمُوسَىٰٓ إِنَّ فِيہَا قَوۡمً۬ا جَبَّارِينَ وَإِنَّا لَن نَّدۡخُلَهَا حَتَّىٰ يَخۡرُجُواْ مِنۡهَا فَإِن يَخۡرُجُواْ مِنۡهَا فَإِنَّا دَٲخِلُونَ
Dans ce contexte, « jabbârîn » prend le sens d’« impitoyables, trop forts pour être défaits ».
Appliqué à un être humain, « jabbâr » véhicule une idée d’arrogance et de tyrannie. Allâh cite dans le Coran ces paroles du prophète ‘Îssâ (Jésus) , enfant, alors que les gens questionnaient sa mère : « […] “Il n’a point fait de moi un être violent (jabbâran) ni malheureux (chaqiyâ)” », s.19 Maryam, v.32.
وَلَمۡ يَجۡعَلۡنِى جَبَّارً۬ا شَقِيًّ۬ا […]
– « ajbara » signifie principalement « contraindre ». C’est le sens exprimé par ces paroles divines adressées au Prophète Mouhammad : « Nous savons mieux ce qu’ils disent. Tu n’as pas pour mission d’exercer sur eux une contrainte. […] », s.50 Qâf, v.45.
[…] نَّحۡنُ أَعۡلَمُ بِمَا يَقُولُونَۖ وَمَآ أَنتَ عَلَيۡہِم بِجَبَّارٍ۬
Allâh informe Son Messager qu’il ne peut forcer les gens à accepter Son Message. Son seul rôle est de le transmettre.
– La signification du verbe « jabara » est « guérir une fracture » ou « sortir quelqu’un de la pauvreté ». Attribué à Allâh, ce nom signifie « Celui qui guérit ou corrige les affaires de Ses créatures ».
« Al-Jabbâr » est donc un nom divin polysémique dont les diverses significations concordent parfaitement entre elles.
Al-Jabbâr : Le Suprême, Le Majestueux
, Allâh se présente à Ses serviteurs à travers Ses noms et attributs divins. Étudier ces noms et les méditer sont les meilleurs moyens de Le connaître. Cependant, même si tous les êtres humains s’associaient pour les examiner et les explorer jusqu’à la fin des temps, leur esprit serait incapable d’embrasser la nature du Divin. Toutes les explications visant à décrire l’Être Suprême ne sont que des commentaires simplifiés, des approximations qui donnent un sommaire aperçu sur Allâh . Al-Jabbâr (L’Inaccessible), comme il convient donc de L’appeler, ne peut ni être vu par les yeux de l’homme ni être perçu par l’entendement humain : les secrets de Son essence divine ne peuvent être dévoilés. Est donc ignorant celui qui prétend concevoir et comprendre ce qu’est la réalité de l’Entité divine.
« Al-Jabbâr » fait partie des attributs de perfection. Le Prophète utilisait ce nom ou des éléments de ce nom dans les invocations. Ibnou ‘Abbâs rapporte qu’entre les deux prosternations, le Prophète disait : « rabbi ghfir lî wa rhamnî wa jbournî wa rzouqnî wa rfa‘nî : Ô Allâh ! Pardonne-moi, couvre-moi de Ta miséricorde, guéris-moi, donne-moi la subsistance et élève-moi ! »
Utilisant un élément de ce nom divin, le Prophète enseigna une invocation pour la prière nocturne. ‘Awf Ibnou Mâlik rapporte qu’il s’est levé pour prier avec le Prophète . Pendant l’inclinaison, le Prophète a dit : « Soubhâna dhi-l-jabaroût, wa-l-malakoût wa-l-kibriyyâ’ wa-l-‘adhamah : Gloire à Celui qui possède la Majesté, la Royauté, la Grandeur et la Puissance » Contrairement à d’autres noms divins, « Al-Jabbâr » éloigne Dieu de toute approche anthropomorphiste.
Appliqué à l’être humain, le qualificatif « jabbâr » prend un sens plutôt négatif, puisqu’il signifie que l’individu est excessivement orgueilleux et arrogant. Il désobéit à Allâh, ne porte aucune forme d’attention à l’égard des autres et devient même tyrannique et injuste à leur encontre. Ce type de personnage finira nécessairement par être anéanti par Al-Jabbâr, car l’orgueil ― tout comme le pouvoir et la majesté ― n’appartient qu’à Lui. Dès lors qu’un humain, quel qu’il soit, essaie de rivaliser avec Allâh concernant ces grands attributs divins, il va très certainement tout droit à sa perte. Allâh dit dans le Coran : « Et ils demandèrent [à Allâh] la victoire. Et tout tyran insolent fut déçu. », s.14 Ibrâhîm, v.15.
وَٱسۡتَفۡتَحُواْ وَخَابَ ڪُلُّ جَبَّارٍ عَنِيدٍ۬
Le Prophète a décrit une situation propre au Jour du Jugement : « Le Jour de la Résurrection s’élèvera du Feu un cou qui aura deux yeux qui voient, deux oreilles qui entendent et une langue qui parle et dira : “Je suis chargé de tout tyran, de tous ceux qui ont invoqué avec le Seigneur un autre que Lui et des païens.” » [Rapporté par At-Tirmidhî.]Allâh n’accepte l’injustice et la tyrannie humaines sous aucun prétexte, Il est Le Seul à disposer du droit de contraindre Ses serviteurs.
Al-Jabbâr : Le Contraignant
Tout être humain a déjà été envahi par un sentiment d’impuissance face à certaines situations. En effet, des éléments de la création et des caractéristiques propres aux êtres humains échappent complètement au contrôle de l’individu. Allâh enseigne dans un hadîth qodsî : « Ô Mon serviteur ! Tu veux et Je veux. Si tu te soumets à Moi dans ce que tu veux, Je te suffirai dans ce que tu veux. Mais si tu ne te soumets pas à Moi dans ce que tu veux, Je t’épuiserai dans ce que tu veux et rien ne sera excepté ce que Je veux. » Avoir conscience de cette réalité pousse le croyant à être plus tolérant et à accepter plus facilement certaines circonstances dans lesquelles il évolue, au lieu de lutter vainement dans des domaines qu’il ne maitrise pas.
Il s’agit donc pour le croyant de développer une patiente irréprochable pour éviter la frustration et l’accomplissement d’actes inacceptables par l’Islam. Il trouvera la sérénité dès lors qu’il se souviendra constamment que la contrainte qu’Allâh exerce sur Ses créatures relève exclusivement du bien.
Bien qu’Il soit Le Contraignant, Allâh n’empêche pas l’être humain de prendre part au déroulement de son existence. L’homme ne peut avancer comme excuse le fait qu’Allâh soit Al-Jabbâr pour justifier ses décisions ; le libre-arbitre humain est en effet irréfutablement établi dans le Coran : « Et dis : “La vérité émane de votre Seigneur. Quiconque le veut, qu’il croie, quiconque le veut qu’il mécroie”. […] », s.18 Al-Kahf (La Caverne), v.29.
Chaque âme choisit la voie qu’elle désire suivre dans cette vie. Préalablement, Allâh fait savoir à chaque être humain ce qui a trait au bien et ce qui relève du mal : « Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété ! », s.91 Ach-Chams (Le Soleil), v.7-8.
Cette connaissance innée de la corruption et de la vertu permet donc à l’être humain de faire un choix légitime en toute connaissance de cause. Il est donc responsable de ses décisions et sera jugé en conséquence.
Dieu aurait pu forcer tous les hommes à croire. Il dit dans le Coran : « […] Les croyants ne savent-ils pas que si Allâh avait voulu, Il aurait dirigé tous les hommes vers le droit chemin ? […] », s.13 Ar-Ra‘d (Le Tonnerre), v.31.
[…]أَفَلَمۡ يَاْيۡـَٔسِ ٱلَّذِينَ ءَامَنُوٓاْ أَن لَّوۡ يَشَآءُ ٱللَّهُ لَهَدَى ٱلنَّاسَ جَمِيعً۬ا […]
Pourtant ce n’est pas Son choix, Il créa les êtres humains différents des anges : les hommes ont la capacité de choisir.
Même si les actions de l’homme s’accomplissent avec la permission divine, Allâh met en place des circonstances qui permettent à l’individu d’agir comme il a choisi de le faire. C’est dans cette perspective que Dieu dit : « Alors que c’est Allâh qui vous a créés, vous et ce que vous faites. », s.37 Aç-Çâffât (Les Rangs), v.96.
L’être humain vit constamment cette réalité : il prévoit d’accomplir certaines choses, mais les circonstances ne le lui permettent pas toujours. Une force supérieure gère ses possibilités et fait qu’il peut ou non exécuter ses choix : Allâh est Le Maître de son destin.
Quoi qu’il en soit, l’homme est responsable de ce qu’il fait, d’où l’existence du Jour du Jugement, du paradis et de l’enfer. Et Allâh n’est injuste envers personne : « En vérité, Allâh n’est point injuste à l’égard des gens, mais ce sont les gens qui font du tort à eux-mêmes. », s.10 Yoûnous, v.44.
Certaines personnes sont en effet injustes envers elles-mêmes, tandis que d’autres portent préjudice à autrui. Les opprimés et les démunis devraient savoir à qui s’adresser, non seulement pour obtenir gain de cause, mais également pour trouver un soutien infaillible : Al-Jabbâr.
Al-Jabbâr : La Source de réconfort
Allâh, Al-Jabbâr, est également Celui Qui console et apaise le cœur des opprimés. À l’image d’« al-jabîra » (l’attelle) qui immobilise l’os fracturé en vue de le consolider, Al-Jabbâr réconforte et soutient les âmes peinées, humiliées et orphelines. Ceux et celles qui cherchent refuge auprès d’Al-Jabbâr sont sûrs de trouver le réconfort souhaité. Le Prophète a indiqué que les personnes faibles et terrifiées trouvaient un asile inviolable auprès d’Al-Jabbâr, et il ne manquait pas de formuler cette invocation : « Ô Allâh ! Tu es Le Seul Qui soulage les affligés. » Placer sa confiance en nul autre qu’Al-Jabbâr et chercher refuge auprès de Lui sont les clés du vrai réconfort. Le Coran interpelle son lecteur : « N’est-ce pas Lui Qui répond à l’angoissé quand il L’invoque, et Qui enlève le mal […] ? », s.27 An-Naml (Les Fourmis), v.62.
Que ceux qui sont en détresse se rappellent l’exemple de la mère de Moûssâ (Moïse) . Angoissée à l’idée de perdre son nouveau-né à jamais, elle s’en remit à Allâh, Al-Jabbâr, Qui lui fit savoir : « […] “Allaite-le. Et quand tu craindras pour lui, jette-le dans le flot. Et n’aie pas peur et ne t’attriste pas : Nous te le rendrons et ferons de lui un Messager.” », s.28 Al-Qaçaç (Le Récit), v.7. Le doute gagna malgré tout la mère terrifiée ; Dieu décrit son état : « Et le cœur de la mère de Moïse devint vide. Peu s’en fallut qu’elle ne divulguât tout, si Nous n’avions pas renforcé son cœur pour qu’elle restât du nombre des croyants. », s.28 Al-Qaçaç (Le Récit), v.10. Non seulement Dieu la rassura en lui indiquant la voie à suivre, mais Il soutint également son cœur dans la patience de manière à ce qu’elle ne flanchât pas dans sa décision. L’engagement de Dieu ne tarda pas ensuite à se concrétiser : « Ainsi Nous le rendîmes à sa mère, afin que son œil se réjouisse, qu’elle ne s’affligeât pas et qu’elle sût que la promesse d’Allâh est vraie. Mais la plupart d’entre eux ne savent pas. », s.28 Al-Qaçaç (Le Récit), v.13.
Cet exemple montre bien comment Al-Jabbâr soutient et réconforte les cœurs peinés. L’être humain doit s’en inspirer pour espérer bénéficier de l’assistance de Dieu au Jour de la Résurrection.
Imprégnation du nom divin « Al-Jabbâr »
Le nom divin « Al-Jabbâr » est un attribut qui ne sied qu’à Allâh . En comprenant sa portée, le croyant ajuste sa volonté à celle de Dieu de manière à profiter pleinement des situations qui s’imposent à lui. Avoir conscience qu’Allâh est Al-Jabbâr doit également encourager l’individu à reconnaître sa part de responsabilité dans les choix qu’il fait dans sa vie.
Même si cet attribut ne s’applique qu’à Allâh , l’être humain peut néanmoins essayer de s’inspirer de la dernière signification, à savoir le fait d’être une source de réconfort pour ses semblables. La gentillesse et l’empathie sont des qualités à développer dans les relations humaines. Réconforter son prochain en détresse par une parole affectueuse et apaisante peut lui redonner le sourire et l’aider à traverser plus sereinement une épreuve difficile.
En définitive, « Al-Jabbâr » est un attribut divin propre à Allâh dans la mesure où il décrit des caractéristiques de perfection qui ne laissent aucune place à l’anthropomorphisme. S’imprégner des sens d’« Al-Jabbâr » revient donc essentiellement à accepter la volonté divine en y trouvant refuge, pour tirer le meilleur de son existence en termes de piété et de patience.