(1) Mouhammad Ibnou Idriss Ach-Châfi’î : Ses débuts
Alors qu’un astre s’éteint à Bagdad en 150H avec le décès d’Aboû Hanîfa An-Nou’mâne , une étoile naît à Gaza en Palestine, dans un quartier yéménite pauvre. Un jour, ce guide nocturne dissipera les ténèbres et éblouira de sa lumière de vastes contrées.
Son nom ? Mouhammad Ibnou Idriss Ach- Châfi’î .
L’enfant profitera peu de la présence et de l’amour paternels : Allâh rappellera à Lui son père, le laissant entièrement aux soins d’une mère pieuse et dévouée. Mouhammad a atteint ses deux ans quand celle-ci, par un décret de Dieu, prit une importante décision : retourner à la Mecque, pour que sa progéniture n’oublie point ses origines qouraïchites. Car si la pauvreté les atouchés en Palestine, il n’en demeure pas moins qu’il leur reste la noblesse de leurs racines. Et puis, n’est-il pas vrai que leur arbre généalogique comporte un ancêtre commun, nommé ‛Abdou Manâf, avec le Prophète Mouhammad ?
Le périple n’est pas sans risque et fatigue pour cette courageuse mère, qui comme toute femme de son statut souhaite un avenir souriant pour son enfant. Elle s’est mise avec son fils sous la protection généreuse du Très Haut : y a-t-il meilleur refuge sinon celui d’Allâh ?
Et de la patience, de l’abnégation, de la satisfaction des décrets divins, le tout chapeauté par une foi inébranlable, elle en aura besoin, car la vie qui l’attend à la Mecque n’est pas des plus faciles.
L’enfance d’Ach-Châfi’î se passe, pauvre et démunie…mais très riche de spiritualité, grâce à la personnalité remarquable, sans doute, de sa mère. Même sans ressource, celle-ci aspire à une éducation religieuse poussée pour son fils, et lui transmet l’amour de la religion. Que faire quand on ne dispose pas des fonds nécessaires pour rémunérer un maître d’école qui enseignerait à son enfant le Coran ? Allâh connaît le tréfonds de cette noble âme, de ses intentions louables, et il est normal qu’Il réponde à ses prières en l’exauçant. La Mecque, terre d’Islâm par excellence, la religion rayonne de tous ses éclats : les musulmans sont respectueux de leur éthique et les pieux font légion à cette époque bénie. Allâh met sur la route d’Ach-Châfi’î un enseignant, parmi les généreux, qui accepte gracieusement de prendre sous son aile bienveillante le futur savant ; l’enfant, de temps à autres, doit juste surveiller la classe pendant l’absence du maître.
A sept ans, Ach-Châfi’î ancre le Coran dans son petit cœur pur. Allâh lui facilite l’apprentissage des sciences religieuses. Musulman zélé, Ach-Châfi’î souhaite de toutes ses forces ressembler à son modèle de l’époque, l’imâm Mâlik Ibnou Anas , l’illustre docte de Médine. Mieux, il veut l’approcher ! C’est sans doute ce désir qui le pousse à emprunter à un Mecquois le monumental chef d’œuvre de l’imâm, « Al-Mouwatta’ », et à l’apprendre par cœur. Il atteint cet objectif à l’âge de dix ans !
Son amour se porte également sur l’étude des hadiths du Prophète et la jurisprudence (fiqh) ; et que fait-il le restant de son temps ? Il aimait à se rendre dans les quartiers de la tribu arabe de Hudhayl, en dehors de la Mecque, pour tenir compagnie à la langue arabe et sa poésie : il en maîtrisera toutes les subtilités en une dizaine d’années. Il côtoie les meilleurs traditionnistes de son époque, dont un très célèbres, Soufiâne Ibnou ‘Ouyayna , qui dit de lui : « On ne lui a jamais connu d’enfance », tant Ach-Châfi’î a soif d’apprendre. Ach-Châfi’î fera honneur à ses professeurs en s’appliquant dans ses études. Plus tard, en prenant de l’âge, il se voit confier par ce même savant la tâche de répondre aux interrogations des élèves. « Ô Abâ ‛Abdillâh ! Que signifie la parole du Prophète : « Laissez les oiseaux à leurs places ! ″ ? »
Et Ach-Châfi’î de répondre : « La science des Arabes consistait à attribuer aux oiseaux un pouvoir d’augure, de divination et de porter chance ou malheur. Lorsque l’un d’eux s’apprêtait à sortir de chez lui, le matin, il regardait vers le premier oiseau qu’il apercevait. Si cet oiseau se posait sur sa droite, il pensait que c’était de bon augure, et il allait vaquer à ses occupations ; mais si cet oiseau se posait à sa gauche, il pensait que c’était de mauvais augure, et revenait sur ses pas. C’est pour cela que le hadith du Prophète recommande de laisser les oiseaux à leurs places et de ne pas tirer d’augure de leurs envols. »« Interrogez celui-là ! Il est le meilleur des jeunes de son époque», dit Soufiâne Ibnou ‘Ouyayna , à ceux de ses interlocuteurs qui lui adressent directement des questions. Son autre maître, Mouslim Ibnoû Khâlid Az-Zandjî , constate un jour que son étudiant a atteint un tel niveau en fiqh, qu’il lui annonce : « Délivre des fatwas [avis religieux], ô Abâ ‛Abdillâh, car il est temps que tu le fasses ! »
Fébrile, le jeune Ach-Châfi’î patiente dans le grand hall de la demeure du gouverneur de la Mecque. Enfin, il est reçu ; et quelques instants plus tard, ressort du bâtiment avec le précieux document tant convoité : une chaude recommandation pour approcher et peut-être, si Dieu le veut, devenir un disciple de Mâlik Ibnou Anas .
C’est en compagnie du gouverneur de Médine qu’Ach-Châfi’î se rend à la demeure de Mâlik Ibnou Anas . Ce dernier reçoit la lettre de recommandation, mais en la parcourant il s’exclame, outré : « Gloire à Allâh ! La science du Messager d’Allâh se donne-t-elle maintenant par le biais des intermédiaires ? » Le gouverneur, impressionné et incapable de rétorquer, garde le silence, tandis qu’Ach-Châfi’î s’avance respectueusement et dit : « Qu’Allâh te guide dans le droit chemin. Je suis un homme en quête de science, et je suis envoyé vers toi pour ce faire. »
Le clairvoyant Mâlik Ibnou Anas dévisage ce jeune audacieux, s’enquiert de son nom puis laisse tomber ce conseil : « Ô Mouhammad ! Crains Allâh et évite les péchés, car tu auras un grand avenir. Allâh a mis dans ton cœur une lumière, ne l’éteins pas par des péchés. Tu viens demain avec ce que tu dois lire. »
Le lendemain, l’étudiant revient, mais son émoi est si palpable qu’il n’ose réciter « Al-Mouwatta’ » comme il a prévu de le faire. Il se contente de débiter des hadiths, le livre serré dans une de ses mains. Sa lecture plaisante retient l’attention de l’érudit : il est encouragé alors à la poursuivre encore et encore. Au bout de quelques jours, il achève la récitation d’« Al-Mouwatta’ », à la manifeste satisfaction de Mâlik Ibnoû Anas : le pieux savant l’agrée dans son cercle d’étude et concrétise ainsi le rêve du jeune Ach-Châfi’î .
« Derrière chaque grand homme, il y a une grande femme » précise à raison un adage. Ach-Châfi’î , éternellement redevable à sa mère, ne l’oublie pas : au cours de ses études, il lui rendra visite pour l’embrasser et profiter de ses judicieux conseils. Il s’accordera des excursions dans les contrées islamiques, séjournant en Iran, en Anatolie et en Palestine. « Les voyages forment la jeunesse » et ont le mérite d’ouvrir l’esprit et d’accroître l’intelligence. C’est dans la maturité physique et intellectuelle que notre futur savant se remet à côtoyer les assises de Mâlik Ibnou Anas . L’étudiant puisera son savoir de la jurisprudence et des sciences du hadith de son maître jusqu’à la mort de celui-ci en 179H.
Cet inéluctable évènement se produit à la grande affliction de la communauté musulmane, mais la perte est encore plus vivement ressentie par Ach-Châfi’î et ses compagnons d’étude ; ils savent néanmoins adopter une attitude digne et retenue, comme le recommande l’Islâm en de pareilles circonstances.
Ach-Châfi’î vit toujours dans une situation financière précaire qui va l’obliger à rechercher du travail, pour pouvoir subvenir à ses besoins. Une page vient d’être tournée avec le décès de Mâlik Ibnou Anas , et un autre pan de sa vie va s’ouvrir avec la venue au Hidjâz du gouverneur du Yémen…