Aboû Al-Hassan Al-Ach’arî
On connaît peu de révélations relatives à la vie privée de l’imâm Aboû Al-Hassan ‘Alî Ibnou Ismâ‘îl Ibnou Ishâq Ibnou Sâlim Ibnou Ismâ‘îl Ibnou ‘Abd-Allâh Ibnou Moûssâ Ibnou Bilâl Ibnou Abî Bourdah Ibnou Abî Moûssâ Al-Ach’arî Compagnon du Prophète.
Les recherches font surtout apparaitre une personnalité entièrement vouée au savoir depuis la jeunesse et à la défense du dogme islamique purifié des déviances.
La jeunesse et la formation religieuse de l’imâm
Aboû Al-Hassan Al Ach’arî vit le jour en 260 H (fin 9ème siècle chrétien) à Bassora en Iraq. Attractive et effervescente, Bassora l’était puisque l’activité scientifique régnante brillait à son firmament.
Depuis sa prime enfance, Aboû Al-Hassan Al-Ach’arî baigna dans un contexte riche en savoir et Bassora était son cocon jusqu’à son départ pour la poursuite de ses études à Bagdad alors capitale califale. Ce fut là qu’il étudia entre autres le droit auprès du savant châfi‘ite Aboû Ishâq Al-Marwazî et le hadîth auprès du hâfidh Zakariyyâ Ibnou Yahyâ As-Sâjîd Aboû Khalîfa Al-Joumahî, de Sahl Ibnou Sarh, de Mouhammad Ibnou Ya‘qoûb Al-Mouqrî et de ‘Abd Ar-Rahmâne Ibnou Khalaf.
Le remariage de sa mère avec le maître des mou‘tazilites de Bassora, Aboû ‘Alî Al-Joubbâ’î, offrit l’occasion à l’imâm de se former à la pensée de cette tendance (cf. la rubrique « Pensées islamiques »). La personnalité charismatique de son beau-père influença fortement les prédispositions du jeune Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî à devenir un brillant disciple, puis l’associé de son mentor et subséquemment un vif défenseur des thèses de l’école théologique mou‘tazilite. Il se forgea ainsi une réputation de dialecticien et de débateur hors pair, maîtrisant parfaitement les subtilités de la raison pour la propagande de sa doctrine.
Aboû Al-Hassan Al Ach‘arî, connu pour ses aptitudes en théologie scolastique, était également un juriste et un traditionniste présentant un fort penchant pour une existence ascète. Certaines sources précisent d’ailleurs qu’il était soûfî.
La rupture de l’imâm avec la pensée mou‘tazilite
Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî demeura sous l’influence de son maître Al-Joubbâ‘î une quarantaine d’années, mais il rompit tout lien spirituel avec lui le jour de sa prise de conscience du véritable danger que représentait la doctrine mou‘tazilite pour l’Islam. Il tourna le dos à al-i‘tizâl pour adhérer à la doctrine de l’orthodoxie sounnite « ‘ahlou as-sounna wa al-jamâ‘a ».
L’imâm As-Soubkî écrit dans Tabaqât ach-châfi’iyya al-koubrâ : « Al-Joubbâ’î enseignait le sens rationnel de la souffrance et de la compensation d’Allâh . Cette doctrine mou‘taziliste énonce qu’Allâh fait toujours le bien (« as-salâh ») et est tenu de tout faire pour le mieux. »
Empruntant la logique de cette vision théologique, Aboû Al-Hassan Al-Ach ‘arî posa le problème suivant à son maître et non moins beau-père :
« Supposons qu’il y ait trois frères. L’un meurt adulte dans l’obéissance à Allâh (« mou’mine ») ; le second meurt adulte dans la désobéissance (« koufr ») ; le troisième meurt enfant (« çabiy »). Qu’adviendra-t-il d’eux ? »
Al-Joubbâ’î lui répondit : « Le premier est récompensé par le Paradis, le second est puni par l’enfer, le troisième n’est ni récompensé ni puni ! »
« Soit ! rétorqua Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî. Mais si le troisième dit : » Ô Seigneur, pourquoi m’as-tu laissé mourir étant enfant et ne m’as-tu pas laissé vivre pour que je T’obéisse et que j’entre au Paradis ? » Que lui dira alors le Seigneur ? »
Al-Joubbâ’î répondit : « Le Seigneur lui dira : » Je sais que si tu avais grandi, tu aurais désobéi et tu serais entré en enfer ; aussi le mieux pour toi a été de mourir enfant ! »
Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî reprit alors : « Et si le deuxième dit : » Ô mon Seigneur, pourquoi ne m’as-tu pas laissé mourir enfant ? Je ne serais pas entré en enfer ? » Que dira le Seigneur ? »
Al-Joubbâ’î resta sans voix (« fa inqata’a Al-Joubbâ’î ») devant l’impasse de la question.
Il est dit qu’après cet échange, Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî fit un songe dans lequel lui apparut le Prophète qui l’incita à suivre les vrais croyants. Il relata lui-même ce rêve : «Une nuit, je fus envahi par des doutes concernant une question doctrinale. Je me levai, accomplis une prière et demandai à Dieu de me guider vers le droit chemin. Puis je me rendormis. Je vis en songe le Messager d’Allâh et je me plaignis à lui des doutes qui m’assaillaient. Le Messager de Dieu me dit alors : « Tiens-t’en à ma tradition ! » Je pris note de cette recommandation et pris le parti de renvoyer les questions théologiques à l’autorité du Coran et des hadîths. Je gardai ce qu’ils confirmaient et rejetai derrière moi ce avec quoi ils ne concordaient. »
« Mouhammad » (pbDsl) en calligraphie
L’imâm décida d’annoncer publiquement sa rupture avec la doctrine mou‘tazilite, un vendredi, devant l’assemblée de la mosquée de Bassora. Après la prière, il se leva et tonna : « Ô gens ! (…) j’ai soutenu jadis que le Coran est créé, que les yeux des croyants ne verront jamais Allâh , que nous étions les créateurs de nos actes. Maintenant, je reviens à la vérité. Je renonce à ces thèses et je prends la résolution de réfuter les idées mou’tazilistes et d’exposer leur infamie et leur turpitude ! »
Symboliquement, concomitamment à ce discours, l’imâm ôta l’habit qu’il portait pour manifester son abandon définitif des thèses mou‘tazilites et mit au rebut tous les ouvrages pro-mou‘tazilites dont il était l’auteur.
La doctrine ach‘arîte
Un véritable tournant s’opérait ainsi dans la vie intellectuelle et religieuse d’Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî ; un virage audacieux et dangereux, à en croire les théologiens, puisqu’il amenait l’imâm à s’opposer ouvertement et farouchement aux thèses des mou‘tazilites. Et les points de discordance avec elles sont nombreuses et portent sur :
Les attributs éternels de Dieu (la parole, la vue, la connaissance, …) : contrairement aux mou‘tazilites, l’imâm déclaraient que Dieu a des attributs distincts de Son essence.
· L’anthropomorphisme : l’interprétation coranique des expressions « la main » ou le « visage » de Dieu relève du sens de « grâces » ou « essence » selon les mou‘tazilites. Or, d’après Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî, s’il n’a pas de signification physique ou matérielle de ces formules, il n’en demeure pas moins que ces expressions sont des qualités divines réelles à la nature exacte inconnue et hors de portée de l’intelligence humaine.L’Imâm indiquait dans son œuvre Al-ibâna fî ousoûl ad-diyâna : « Allâh est au-dessus des cieux, au-dessus du Trône, au-dessus de tout, avec une élévation (fawqiyya) qui ne Le rend pas plus proche du Trône ou des cieux, tout comme elle ne Le rend pas plus éloigné de la Terre. Il est proche de tout ce qui est en existence, Il est plus proche du serviteur que sa veine jugulaire, et Il est un témoin sur toute chose. »
· La création du Coran : Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî affirmait que le Coran est la parole de Dieu car il est Son attribut éternel, par conséquent, il ne peut être une créature ; les mou‘tazilites soutenaient l’inverse.
La vision de Dieu : elle est une réalité dans l’au-delà, selon l’imâm, même si le comment est un mystère. Les mou‘tazilites prétendaient qu’au sens littéral du terme cela relève de l’impossible, car cela impliquerait une nature matérielle et limitée de Dieu.
Le libre-arbitre des humains : c’est une notion inhérente à la nature humaine dans la conception mou‘tazilite. En revanche, Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî mettait l’accent sur l’omnipotence de Dieu : les bons ou mauvais évènements dépendent de l’unique volonté de Dieu. L’imâm développait ainsi la doctrine de « l’acquisition » (« al-kasb ») : Dieu est tout à la fois Le Créateur des actions des humains et Le Pouvoir de leur agir en toute circonstance.
L’école ach‘arîte
La fondation de sa propre école théologique fut une conséquence inéluctable de la rupture d’Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî avec la pensée mou‘tazilite. Cette institution s’inspirait de la doctrine musulmane classique, elle est le résultat de la méthodologie de l’Imâm découlant d’une logique en six points :
1. L’inventaire de toutes les thèses et doctrines islamiques qui s’étaient exprimées dans le cadre de la controverse théologique. Il les décrit dans son ouvrage encyclopédique Maqâlât al-islâmiyyîne wa khtilâfât al-mouçallîne (Les Doctrines islamiques et les divergences des orants). Il y expliquait, par exemple, comment la question de la succession du Prophète déboucha sur l’apparition de plusieurs sectes musulmanes : les khârijites énonçant que n’importe quel grand péché fait sortir de l’Islam ; les chî‘ites défendant la doctrine de l’imâmat ; les mourji‘ites, à l’inverse des khârijites, prétendant que le péché n’altère pas la foi ; les fatalistes («al-jabriyya ») affirmant que l’homme n’a aucun libre-arbitre et qu’il est prédestiné ; les autodéterministes (« al-qadariyya ») réfutant l’idée de prédestination (« al-qadar ») et avançant que l’homme s’autodétermine et qu’il est seul créateur de ses actes.
2. La classification méthodique des doctrines répertoriée. L’Imâm Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî les replaça dans leur contexte historique et les distingua en dix grandes familles doctrinales : les chî`ites, les khârijites, les mourji’ites, les mou‘tazilites, les jahmites, les dirârites, les houssaynites, les bakrites, les sounnites et les kilâbites.
3. L’étude des postulats et des implications de chaque doctrine sur les différentes questions auxquelles elle s’est intéressée. L’Imâm Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî indiquait les divergences qui peuvent exister au sein d’un même courant. Il consacra la plus importante partie de son œuvre suscitée à la secte mou‘tazilite.
4. L’évaluation rationnelle de la justesse et de la consistance de ces différentes doctrines.
5. La réponse à l’égarement des sectes.
6. L’établissement par l’Imâm Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî de sa propre doctrine, véritable synthèse de la doctrine sounnite.
Les ouvrages de l’imam Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî
L’Imâm combattit la doctrine mou‘tazilite dans de multiples ouvrages, dont voici les plus célèbres :
Al-‘Oumad (Les piliers) ;
Maqâlât al-islâmiyyîne wa khtilâfât al-mouçallîne (Les doctrines islamiques et les divergences des orants) ;
Ar-radd ‘alâ Al-moujassimah (La réplique aux anthropomorphistes) ;
Istihsân al-khawd fî ‘ilmi al-kalâm (De l’utilité de la science dogmatique).
Avant son décès, il produisit un nombre conséquent de livres dont voici quelques-uns :
Al ‘amd fî ar-rou’yâ
Fousoûl fî ar-radi ‘alâ al-moulhidîn
Kitâb al-louma’ fî ar-radi ‘alâ ahli az-zayghi wa al-bida’
Al-louma’ al-kabîr
Al-louma’ as-saghîr
Al-jawâbât fî as-sifât ‘an masâ’il ahli az-zayghi wa ach-choubouhât
Al-moukhtasar fî at-tawhîd wa al-qadar
Ar-rad ‘alâ al-falâsifa
La reconnaissance de l’imâm par ses pairs et sa fin
Polémiste hors pair, l’imam réfuta les écoles théologiques divergentes avec leurs propres outils intellectuels et montra que leurs positions étaient rationnellement et logiquement intenables. La majorité de la communauté musulmane le surnomma très justement « l’Imâm des sounnites », car il sut allier la puissance de la raison à l’autorité de la révélation.
De nombreux savants le présentaient comme le champion de la doctrine authentique défiant par la force de la raison toutes les innovations hérétiques qui s’exprimaient en son temps.
L’imâm Adh-Dhahabî (mort en 748 H / 1347 ap. J-C) dit de l’imâm Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî : « Il avait une intelligence exceptionnelle et une aisance dans la compréhension »,
« Et son intelligence était prodigieuse, il excella dans les sciences, il fit des œuvres pies, et la majeure partie de ses écrits montre clairement l’étendue de sa science .»
L’illustre défenseur de l’Islam authentique s’éteignait à Bagdad en 324 H (date la plus probante selon certains historiens ; ultérieurement pour d’autres). Même sur son lit de mort, il maudissait encore la doctrine mou‘tazilite. Paix à l’âme d’ Aboû Al-Hassan Al-Ach‘arî.