(2) Ach-Chafi’î : L’épreuve du pouvoir

École Chafi'ite

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   Ach-chafi’î a encore en mémoire le frais souvenir de son maître Mâlik Ibnou Anas ««. Celui-là même auprès de qui il apprit les sciences religieuses durant neuf merveilleuses années ; celui-là même qui a manifesté une extraordinaire ouverture d’esprit en autorisant Ach-chafi’î

«« de se rendre en Iraq pour acquérir l’érudition léguée par Aboû Hanîfa dans ce pays : généreusement, il finança le voyage de son désargenté disciple.

   Mâlik Ibnou Anas «« proposa à son élève, dès le retour de celui-ci, de délivrer des fatwas, mais Ach-chafi’î «« refusa, désirant poursuivre ses études en Iraq. Là-bas, il s’était lié d’amitié avec Mouhammad Ibnou Al-Hassan, et ce personnage jouera un rôle crucial dans l’existence du savant.
Or, Mâlik Ibnou Anas «« meurt, et Ach-Chafi’î «« est toujours aussi pécuniairement démuni. Son projet de départ va-t-il tomber à l’eau ?

   Allâh qui connaît les secrets des cœurs, offre une issue au docte en la personne du gouverneur du Yémen qui arrive au Hidjaz. Après une audience avec Ach-Chafi’î ««, celui-là lui propose un poste de juge au Yémen.

   Si la décision de l’érudit d’accepter la magistrature se heurte à l’opposition virulente d’Ibrahîm Ibnou Abî Yahia «« — celui-ci estime que les savants doivent se distinguer par leur indépendance à l’égard du politique —, il rencontre, en revanche, l’approbation chaleureuse de Soufiâne Ibnou ‘Ouyayana ««. Cette sommité qui déclare en substance : « Nous avons appris la nouvelle de ta prise de fonction en tant que juge ; tu auras fais le bon choix si tu accomplis ce qui est exigé de toi et si tu ne transgresses pas les limites. »

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Audience chez un cadi

   Les pratiques de concussion sont courantes à Nedjrâne, les habitants ont pour mauvais usage de flatter les juges, or la magistrature d’Ach-Chafi’î «« va littéralement s’opposer à cette coutume désastreuse. Le nouveau juge fait montre d’une impartialité et d’une justice remarquables et sans faille, au point d’attirer la sympathie et la reconnaissance des plus humbles de la société, mais également l’hostilité des nantis. Parmi ces derniers, l’inique gouverneur abbasside et ses acolytes de Thaqîf ; ils recherchent subséquemment le moyen de neutraliser Ach-Chafi’î ««, qui représente à leurs yeux une menace pour leurs intérêts.

   Or, le gouverneur pratique une politique des plus intransigeantes et injuste à l’égard des opposants au sunnisme, dont les chiites. Et cela ne peut que contrarier l’illustre docte et juge, qui estime cela contraire à l’éthique islamique qui reconnaît à tout être, à tout groupe, les libertés religieuse et politique. Ach-Chafi’î «« avance, en outre, que le durcissement et l’injustice favorisent la haine envers les Abbassides.

   Loin de suivre ce sage avis, le gouverneur exècre l’attitude du juge, et trouve là le prétexte pour nuire à son adversaire : accusant Ach-Chafi’î «« et neufs autres personnes, considérées comme égarées, de fomenter un complot contre le calife, il les met à l’arrêt et les fait présenter devant Haroun Ar-Rachid, en Iraq. Alors que les neufs autres inculpés sont mis à mort sous ses yeux, l’innocent savant invoque Allâh par son attribut « Al-Latif » (« Le Doux »). Quand il est interrogé, il réfute les charges qui pèsent sur lui par une argumentation convaincante. Le cadi (juge) Mouhammad Ibnou Al-Hassan «« — son ami on s’en souvient — est également présent au conseil du calife. Ach-Chafi’î «« signale au passage ses liens de parenté avec le calife — ils sont cousins —, et sollicite le témoignage de Mouhammad Ibnou Al-Hassan «« pour affirmer qu’il est un docte sincère. Le cadi, se tournant vers le calife, confirme cette vérité : « Il possède un rang éminent dans le domaine de la science, et je ne pense pas qu’il soit impliqué dans ce qui t’a été rapporté. »

   Ach-Chafi’î «« est libéré, il se jure à lui-même de ne plus accepter les charges officielles, afin d’éviter les vicissitudes des puissants et leurs intrigues. Son épreuve a du bon dans la mesure où il est amené en Iraq conformément à son intention première d’y venir étudier, et cela, sans avoir à verser le moindre pécule. Ach-Chafi’î «« comprend sa chance : Dieu lui destine beaucoup mieux que la fonction de juge. Il mobilise dès lors toute son énergie pour se consacrer à la science et profite de la compagnie de Mouhammad Ibnou Al-Hassan pour s’imprégner de la jurisprudence des gens de l’Iraq, hérité d’Abou Hanîfa ««. A force de travail, il devient une référence incontournable en matière des jurisprudences du Hidjaz et de l’Iraq. Bien que différentes, les deux conceptions se complètent ; leurs approches seront examinées ultérieurement dans un autre épisode de la biographie d’Ach-Chafi’î ««.

    Les deux savants se portent une sincère estime réciproque, au point où Mouhammad Ibnou Al-Hassan «« préfère de loin la compagnie d’Ach-Chafi’î «« à celle du calife ; comme en ce jour où il prend le chemin du palais et qu’il croise l’érudit du Hidjaz. Il laissa sa monture à son domestique et confie à ce dernier le soin de l’excuser auprès de Haroun Ar-Rachid, malgré les protestations d’Ach-chafi’î «« pour qu’il poursuive sa route.

   Même s’il s’est éloigné des hommes de pouvoir et de leurs manigances, Ach-Chafi’î «« garde un intérêt pour les questions politiques. A propos de l’autorité qui gère la religion et les affaires de l’Etat, il déclare : « C’est à son ombre que le croyant œuvre, que l’incroyant jouit de ses droits, que l’ennemi est combattu, que les voies sont sécurisées, que le faible arrive à prendre ses droits du puissant, que le vertueux trouve la sérénité et que la société peut être à l’abri du criminel. »

   Sur le chapitre de l’imâmat, le savant, à l’instar de la majorité des doctes, soutient qu’il doit revenir à un Qouraïchite, pas obligatoirement de la tribu des Hachimites, d’où, selon sa conception, l’existence de cinq califes bien guidés, et non quatre, avec la prise en considération de ‘Oumar Ibnou Abdal ‘Azzîz ««, un Oumayyade. Le seul Hachimite ayant gouverné fut ‘Alî Ibnou Abî Tâlib ««. En outre, suivant les pensées d’Ach-Chafi’î ««, l’imâmat s’instaure sans allégeance en cas de nécessité absolue : il suffit pour cela qu’un Qouraïchite revendique le pouvoir et que des hommes l’entourent et agréent son commandement ; cette seconde condition peut être antérieure ou postérieure à sa revendication de l’autorité.

   C’est lors de ses deux années écoulées en Iraq que le fameux docte reçoit du calife 50 000 dinars qui lui permettent de poursuivre ses études, d’épouser une descendante d’‘Outhmâne Ibnou ‘Affâne «« et de faire venir sa mère en Iraq. Ach-Chafi’î ««, fort de sa science du Hidjaz, dont il est le chantre en Iraq, et de celle du pays en question, juge bon de retourner à la Mecque, où enfin il va pouvoir s’adonner à l’écriture et à l’émission des fatwas.

   Quelles sont les particularités de son école, ses réflexions en matière de théologie dogmatique ? C’est à découvrir dans un prochain article.

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