(10) Al-Moutakabbir (Le Suprême)
C’est dans un verset de sourate Al-Hachr qu’apparaît le Nom divin « Al-Moutakabbir » : « C’est Lui, Allâh. Nulle divinité autre que Lui ; Le Souverain, Le Pur, L’Apaisant, Le Rassurant, Le Prédominant, Le Tout-Puissant, Le Contraignant, Le Suprême.
Gloire à Allâh ! Il transcende ce qu’ils Lui associent. », s.59 Al-Hachr (L’Exode), v.23.
هُوَ ٱللَّهُ ٱلَّذِى لَآ إِلَـٰهَ إِلَّا هُوَ ٱلۡمَلِكُ ٱلۡقُدُّوسُ ٱلسَّلَـٰمُ ٱلۡمُؤۡمِنُ ٱلۡمُهَيۡمِنُ ٱلۡعَزِيزُ ٱلۡجَبَّارُ ٱلۡمُتَڪَبِّرُۚ سُبۡحَـٰنَ ٱللَّهِ عَمَّا يُشۡرِڪُونَ
Le Prophète employa ce Nom divin dans un de ses sermons. Debout sur la chair, il récita ce verset : « Ils n’ont pas estimé Allâh comme Il devrait l’être alors qu’au Jour de la Résurrection, Il fera de la terre entière une poignée, et les cieux seront pliés dans Sa [main] droite. Gloire à Lui ! Il est au-dessus de ce qu’ils Lui associent. », s.39 Az-Zoumar (Les Groupes), v.67. Puis il déclara : « Allâh se loue Lui-même en disant : “Je suis Le Contraignant, Je suis L’Orgueilleux, Je suis Le Roi, Je suis Le Très-Haut” » Le Messager d’Allâh continua de répéter ces mots avec tant d’insistance que la chair se mit à osciller. L’assistance pensait même qu’elle allait s’écrouler. [Çahîh Ibnou Hibbân, 7327.]
Définitions
Comprendre le Nom divin « Al-Moutakabbir » fait appel à un raisonnement implacable et exige une bonne dose de perspicacité. Certains savants affirment que le Nom « Al-Moutakabbir » provient de « al-kibriyâ’ : الكِبْرِيآء » qui signifie grandeur et souveraineté, associée à l’idée de perfection de l’Être. Encore plus en amont, la racine première du mot se compose des lettres كبر (kâf, bâ’, râ’) et véhicule plusieurs connotations :
– être grand en taille, rang ou dignité ;
– être vaste, impressionnant ;
– être d’un âge avancé, le plus âgé ;
– être grand en dignité, noblesse, majesté ;
– avoir un savoir étendu ;
– disposer de droits au-dessus de tous.
« Al-Moutakabbir » peut donc découler du verbe « kabira » qui veut dire « grandir, vieillir » ; ou bien du verbe « kaboura » qui signifie « gagner en importance » et suggère ainsi l’élévation du rang et l’éminence.
La signification d’« Al-Moutakabbir » revêt en réalité plusieurs nuances qui se complètent et donnent ainsi une portée et une force uniques, spécifiques aux Noms divins.
Un Nom d’exception
Associé au nom « al-kibriyâ’ » (grandeur, orgueil), le nom « moutakabbir » qualifie ainsi celui qui a le droit de prétendre à l’éminence et à la sublimité. Allâh utilise le terme « kibriyâ’ » dans le Coran : « Ils dirent : “Est-ce pour nous écarter de ce sur quoi nous avons trouvé nos ancêtres que tu es venu à nous, et pour que la grandeur appartienne à vous deux sur la terre? Et nous ne croyons pas en vous !” », s.10 Yoûnous (Jonas), v.78.
قَالُوٓاْ أَجِئۡتَنَا لِتَلۡفِتَنَا عَمَّا وَجَدۡنَا عَلَيۡهِ ءَابَآءَنَا وَتَكُونَ لَكُمَا ٱلۡكِبۡرِيَآءُ فِى ٱلۡأَرۡضِ وَمَا نَحۡنُ لَكُمَا بِمُؤۡمِنِينَ
Celui qui se qualifie de « Moutakkabir » considère toute autre créature comme insignifiante comparée à lui. Tout pouvoir et toute gloire n’existent qu’à travers l’existence de sa personne. Ainsi, sa vision des autres peut être rapprochée de celle d’un roi vis-à-vis de ses sujets.
Allâh Tout-Puissant est Le Créateur des cieux et de la Terre. C’est à Lui qu’appartient la souveraineté de toute chose et c’est à Lui que revient tout jugement ou décision. S’Il décide la création de quoi que ce soit, il Lui suffit de dire « Sois ! » pour concrétiser Sa volonté.
Le Nom « Al-Moutakabbir » sied à Dieu, car il reflète Sa toute puissance et la connaissance parfaite qu’Il a de Lui-même. En ce dernier sens, « Al-Moutakabbir » se rapproche du Nom « Al-Mou’mine » qui indique une harmonie parfaite entre Ses Noms et Ses actes.
Allâh est Le Suprême, Il transcende de loin toutes les déficiences et les limites inhérentes à la nature humaine et à la création de manière générale. Le Nom « Al-Moutakabbir » devient en ce sens un synonyme de « perfection » applicable aussi bien en termes de quantité que de qualité. En effet, Son règne et Sa souveraineté sont impérissables et Sa divine sublimité est infinie ; Sa volonté traduit une justice absolue envers Ses serviteurs et Il est La source de miséricorde pour chacun d’entre eux.
Dieu – Exalté soit-Il – est Celui devant Qui tout tyran dominateur sur Terre devra en fin de compte se prosterner. Étant Le Seul à mériter la possession de la gloire ultime, toute créature qui se permet d’y aspirer fait preuve d’arrogance. Le Prophète enseigna à ses coreligionnaires ce qu’Allâh dit de Lui-même dans un hadîth qodsî : « L’éminence est Ma cape et la grandeur est Ma robe, celui qui essaie de rivaliser avec Moi concernant l’une ou l’autre se verra relégué aux flammes. » [Authentifié par Aboû Dâwoûd.]
Allâh est Celui pour Qui le tout est insignifiant par rapport à Son essence et Qui ne voit la magnificence et l’orgueil que pour Lui-même.
Le Nom divin « Al-Moutakabbir » découle également d’un autre Nom divin : « Al-Kabîr : الكَبِير » (Le Grand), qui apparaît six fois dans le Coran. Quelques occurrences : « C’est ainsi qu’Allâh est Lui Le Vrai, alors que ce qu’ils invoquent en dehors de Lui est le faux ; c’est Allâh qui est Le Sublime, Le Grand. », s.22 Al-Hajj (Le Pèlerinage), v.62 ;
ذَٲلِكَ بِأَنَّ ٱللَّهَ هُوَ ٱلۡحَقُّ وَأَنَّ مَا يَدۡعُونَ مِن دُونِهِۦ هُوَ ٱلۡبَـٰطِلُ وَأَنَّ ٱللَّهَ هُوَ ٱلۡعَلِىُّ ٱلۡڪَبِيرُ
« […] car Allâh est certes, Haut et Grand. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.34.
إِنَّ ٱللَّهَ كَانَ عَلِيًّ۬ا ڪَبِيرً۬ا […]
L’éminence et la grandeur infinies (« al-kibriyâ’ : الكِبْرِيآء ») ne siéent qu’à Son Être : « Et à Lui la grandeur dans les cieux et la terre. Et c’est Lui le Puissant, le Sage. », s.45 Al-Jâthiya (L’Agenouillée), v.37.
وَلَهُ ٱلۡكِبۡرِيَآءُ فِى ٱلسَّمَـٰوَٲتِ وَٱلۡأَرۡضِۖ وَهُوَ ٱلۡعَزِيزُ ٱلۡحَكِيمُ
La grandeur de Dieu embrasse toutes les choses : Il est Le plus Grand dans Sa nature, Ses attributs, Ses Noms et Ses actions. Il est donc évident que le musulman proclame Sa grandeur au moment de prier lorsqu’il dit « Allâhou Akbar ».
« Moutakabbir » est également la forme emphatique de la racine كبر (kâf, bâ’, râ’). Cette forme dénote un usage actif des droits, attributs et privilèges qui se situent au-dessus et au-delà des droits de quiconque. Au sein de l’humanité, il s’agirait d’orgueil et d’arrogance, mais dès qu’il est question de L’Unique, il s’agit tout simplement de la vérité.
La place de l’être humain
Au vu des caractéristiques de grandeur et d’éminence propres à Allâh développées précédemment, l’être humain n’a plus qu’à trouver sa juste place au sein de la création et à s’y tenir pour vivre en harmonie avec ce qui l’entoure.
Les signes qu’Allâh met à disposition des êtres doués d’intelligence sont clairs et ne tolèrent aucune arrogance. L’Univers représente un livre ouvert de découvertes infinies et de preuves irréfutables de la grandeur d’Allâh pour qui sait les reconnaître ; et l’exploration du corps humain n’est pas en reste, puisque ce dernier renferme également un monde de mystères encore inexpliqués. Le Coran invite sans cesse les hommes à vérifier ces preuves : « Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela (le Coran), la vérité. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute chose ? », s.41 Fouççilat (Les Versets détaillés), v.53.
سَنُرِيهِمۡ ءَايَـٰتِنَا فِى ٱلۡأَفَاقِ وَفِىٓ أَنفُسِہِمۡ حَتَّىٰ يَتَبَيَّنَ لَهُمۡ أَنَّهُ ٱلۡحَقُّۗ أَوَلَمۡ يَكۡفِ بِرَبِّكَ أَنَّهُ ۥ عَلَىٰ كُلِّ شَىۡءٍ۬ شَہِيدٌ
« Il y a sur terre des preuves pour ceux qui croient avec certitude ; ainsi qu’en vous-mêmes. N’observez-vous donc pas ? », s.51 Adh-Dhâriyât (Qui éparpillent), v.20-21.
وَفِى ٱلۡأَرۡضِ ءَايَـٰتٌ۬ لِّلۡمُوقِنِينَ (٢٠) وَفِىٓ أَنفُسِكُمۡۚ أَفَلَا تُبۡصِرُونَ
L’infiniment grand et l’infiniment petit sont inexorablement liés par leur Créateur Qui offre ainsi une mine d’enseignements à Son lieutenant sur Terre.
L’homme s’inscrit parfaitement dans l’Univers et y joue un rôle important, malgré son existence éphémère sur la Planète bleue. D’ailleurs, il a été rapporté avec justesse que « chaque nouvelle aube annonce : “Ô fils d’Adam ! Je suis l’aube d’un jour nouveau et le témoin de tes actions. Profite de moi, car je ne reviendrai pas avant le Jour de la Résurrection !” ». Aussi, lorsque l’honorable adoratrice Rabi‘a Al-‘Adawiyya fut questionnée sur la nature de l’être humain, elle rétorqua : « Il ne représente que quelques jours ; à chaque fois qu’un jour se meurt, une partie de lui-même disparaît. »
Il est donc également nécessaire que l’homme connaisse son rang au sein de l’humanité. La situation de l’être humain au niveau social découle tout simplement de la volonté divine. Allâh dit à ce sujet dans le Coran : « Est-ce eux qui distribuent la miséricorde de ton Seigneur ? C’est Nous qui avons réparti entre eux leur subsistance dans la vie présente et qui les avons élevés en grades les uns au-dessus des autres, afin que les uns prennent les autres à leur service. La miséricorde de ton Seigneur vaut mieux, cependant, que ce qu’ils amassent. », s.43 Az-Zoukhrouf (L’Ornement), v.32.
Étant donné qu’une position élevée implique plus de responsabilités et qu’un rang moins haut exige plus de patience, il apparait clairement que la situation décrite dans le verset représente une épreuve pour chacun. Dieu le précise dans le Coran : « C’est Lui qui a fait de vous les successeurs sur terre et qui vous a élevés, en rangs, les uns au-dessus des autres, afin de vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. (Vraiment) ton Seigneur est prompt en punition, Il est aussi Absoluteur et Miséricordieux. », s.6 Al-An‘âm (Les Bestiaux), v.165.
Il revient donc à chacun de donner le meilleur de soi pour réussir cette épreuve en s’inspirant, entre autres, des significations des Noms divins.
Imprégnation du Nom « Al-Moutakabbir »
Dieu enjoint à Ses serviteurs de suivre la voie de l’humilité et leur prohibe le despotisme ou tout comportement tyrannique et agressif. Il est Le Seul digne de régner sur Sa création. Son omnipotence et Son pouvoir irrésistible ne laissent d’autre choix à l’humanité que d’observer une soumission volontaire, gage de dignité dans l’ici-bas et dans l’au-delà.
En effet, la plus grande force qui s’offre aux êtres humains se trouve dans la confiance qu’ils placent en Dieu et dans la recherche de Son soutien. Aussi, c’est en faisant preuve d’humilité et en s’inclinant face à leur Seigneur qu’ils pourront atteindre le plus haut degré de grandeur.
Quant aux transgresseurs qui abusent de leur pouvoir à l’égard de leurs semblables humains, leur comportement ne fait que traduire l’absence de foi qui habite leur cœur. Allâh leur réserve le châtiment en rétribution de leur comportement : « Il n’y a de voie [de recours] que contre ceux qui lèsent les gens et commettent des abus, contrairement au droit, sur la terre : ceux-là auront un châtiment douloureux. », s.42 Ach-Choûrâ (La Consultation), v.42.
De même, les hommes et les femmes qui perdent leur foi en Dieu finissent inexorablement par se soumettre de plein gré à l’oppression et à l’injustice imposée par leurs tyrans. Les vestiges des civilisations pharaoniques, romaines et bien d’autres encore témoignent de cet état de fait. Par exemple, le prophète Moûssâ se prémunissait contre Pharaon et ses sbires. Ses sages paroles sont consignées dans le Coran : « Je cherche auprès de mon Seigneur et le vôtre, protection contre tout orgueilleux qui ne croit pas au Jour du Compte. », s.40 Ghâfir (L’Absoluteur), v.27.
Chaque musulman devrait considérer consciencieusement ces paroles prophétiques : « Celui dont le cœur contient le poids d’un atome d’orgueil n’entrera pas au paradis. » [Rapporté par Mouslim.] Ce hadîth est un appel clair à l’humilité et au respect mutuel, quels que soient le niveau d’étude, la notoriété ou la richesse possédée par les uns ou les autres. Être orgueilleux est tout simplement incompatible avec le fait d’être un serviteur d’Allâh .
D’autres ahâdîth corroborent cette idée en insistant sur cette qualité qui doit briller dans le cœur de chaque musulman. Le Messager dit : « Certes, Allâh me révéla : “Soyez humbles, de manière à ce que personne n’opprime quelqu’un et que personne ne se vante devant quelqu’un” » [Rapporté par Aboû Dâwoûd.]
Dieu déclare Son amour aux plus humbles d’entres les hommes dans un hadîth qodsî : « J’aime trois catégories de personnes et Mon Amour pour trois autres est encore plus grand : J’aime l’obéissant et Mon amour pour un jeune obéissant est plus grand. J’aime le modeste et Mon amour pour un modeste fortuné est plus grand. J’aime le généreux et Mon amour pour un généreux démuni est plus grand. Et Je déteste trois genres de personnes et Ma haine pour trois autres est encore plus grande : Je hais le désobéissant et Ma haine pour un désobéissant âgé est plus grande. Je hais l’arrogant et Ma haine pour un arrogant misérable est plus grande. Je hais l’avare, et Ma haine pour un avare opulent est plus grande encore. »
Le Prophète incarnait lui-même la plus noble des modesties, puisqu’il n’hésitait pas à retrousser ses manches pour effectuer certaines tâches ménagères ou porter ses provisions. Il traitait tout le monde avec respect. Il appliquait tout simplement ce qu’il recommandait à ses coreligionnaires : « Celui qui fait preuve d’humilité envers Dieu d’un degré, Allâh l’élève en honneur d’un degré (et ainsi de suite) jusqu’à ce qu’Il le place parmi les plus honorables ; et celui qui montre un degré d’arrogance envers Dieu, Allâh l’humilie d’un degré (et ainsi de suite) jusqu’à ce qu’Il le rabaisse au plus bas niveau. » [Rapporté par Ibnou Mâjah.]
Ainsi, lorsque le Prophète conquit la Mecque, il y pénétra tête baissée de sorte que son turban touchait presque le cou de sa monture par humilité pour Allâh .
Et tandis qu’un homme vint rendre visite à l’Envoyé de Dieu et se mit à trembler en le voyant, le Messager le rassura : « Du calme mon frère, je ne suis pas un roi, je ne suis que le fils d’une femme qui mangeait du qadîd (viande séchée). » [Rapporté par Ibnou Mâjah.]
À l’instar du Prophète, ses héritiers – les savants – sont des exemples d’humilité qui craignent Dieu à Sa juste valeur. L’un d’entre eux ne passait pas toutes ses nuits en prières, justifiant son comportement avec sagesse : « Je préfère passer la nuit à dormir et me réveiller plein de regrets, que prier toute la nuit et avoir le cœur rempli de vanité au matin. »
Tout compte fait, c’est la quête constante de la connaissance de Dieu qui mène le croyant à Le craindre véritablement. À l’exemple des érudits, le fidèle doit sans cesse chercher à se rapprocher de son Seigneur en essayant de Le connaître au mieux.
Même si la connaissance de la réalité de l’Être divin est comparable à un océan – toutes proportions gardées –, la connaissance que peut avoir l’homme de son Créateur ne dépasse pas la quantité d’eau qu’une aiguille retirerait de l’océan si elle y était plongée. Mais comme a dit l’imâm ‘Alî avec sagesse : « Prendre un peu vaut mieux que délaisser beaucoup ! »
Qu’Allâh facilite l’accès à la connaissance de Son Être à Ses serviteurs !!