Gare à l’endurcissement des coeurs

  Lorsque le croyant s’acquitte de quelques devoirs prescrits par l’Islam, ou qu’il évite certains interdits, son for intérieur peut être gagné par le sentiment du devoir accompli.
Où est le danger ? Le diable est en vérité l’ennemi juré des hommes,

et particulièrement des musulmans : il ne peut supporter la rectitude pour eux, aussi profite-t-il de chaque faille pour les faire glisser. L’ignorance et le manque de vigilance à l’égard de l’ego sont deux des portes d’entrée du démon : l’autosatisfaction est un risque majeur pour les musulmans qui ne prémunissent pas leur âme – par l’introspection – contre les insufflations démoniaques. À l’identique, des connaissances religieuses rudimentaires et surestimées mènent à l’infatuation ; la naïveté et le peu de savoir d’une partie de la communauté musulmane renforcent cet orgueil : ils élèvent en une position imméritée des individus qui n’ont pas apporté la preuve de leur érudition.

   La pratique de l’Islam ne se limite pas à la connaissance du licite et de l’illicite, et au respect du cadre que ceux-ci tracent. L’Islam est également une pratique spirituelle qui alimente l’âme pour lui apporter les éléments nécessaires à la construction d’une éthique exemplaire.

   À travers les enseignements qu’ils dispensaient, nos savants établissaient un équilibre entre les domaines exotériques et ésotériques de l’Islam. Ils procuraient ainsi au commun des musulmans une spiritualité forte, encadrée par les connaissances jurisprudentielles nécessaires au devoir de cheminement vers Allâh .

   L’abandon de cet équilibre engendre l’apparition d’individus auxquels manquent les règles de conduite basiques, inhérentes à la religion islamique, et ce, même si leurs connaissances en matière de jurisprudence sont pointues. Le Prophète Mouhammad a clairement rappelé que l’objectif principal de sa mission était de promouvoir une éthique exemplaire : « Je n’ai été envoyé que pour parachever les nobles caractères. »

   Les exactions commises autrefois par les dissidents – Al-khawârij – ou aujourd’hui par leurs héritiers, restent le meilleur exemple pour comprendre les effets d’une démarche idéologique boiteuse qui n’a pas su donner au spirituel la place qu’il mérite dans l’éducation islamique.

    Pendant la révélation, le Coran ne manquait pas de blâmer les compagnons du Prophète à chaque fois qu’ils s’oubliaient et privilégiaient la dimension temporelle sur le spirituel. Ce fut le cas lors leur triomphe à l’issue de la bataille de Badr : leur principale préoccupation était la répartition du butin, jusqu’à l’éclatement d’une polémique. Il eut mieux valu pour eux qu’ils tournassent leurs visages vers Allâh , afin de Lui témoigner leur reconnaissance et leur gratitude pour le soutien qu’Il leur a accordé avant et pendant la bataille.
Ainsi la révélation est venue leur rappeler ce que devrait être un véritable croyant : « Les vrais croyants sont ceux dont les cœurs frémissent quand le Nom de Dieu est évoqué ; ceux dont la foi augmente quand Ses versets leur sont récités et qui, en tout, s’en remettent à Lui ; ceux qui sont assidus à la salat et qui donnent en aumône une partie des biens que Nous leur avons accordés. Les voilà, les véritables croyants auxquels une place de choix auprès de leur Seigneur sera réservée, ainsi qu’une rémission et une généreuse récompense. », s. 8 Al-Anfâl (Le Butin), v. 2 à 4.

   La première caractéristique du croyant mentionnée est celle du frémissement de son cœur à l’évocation d’Allâh . On retrouve le même élément lorsque, dix ans après le début de la révélation, Allâh réprimanda les croyants en leur disant : « Le moment n’est-il pas venu pour ceux qui ont cru de remplir leurs cœurs d’humilité devant l’évocation de Dieu et ce qui a été descendu comme vérité. Ne doivent-ils pas éviter de suivre l’exemple de ceux qui avaient reçu le Livre avant eux et dont les cœurs se sont desséchés avec le temps, au point que beaucoup d’entre eux devinrent pervers ? », s. 57 Al-Hadîd (Le Fer), v.16. Le compagnon du Prophète , Ibnou ‘Abbâs , commentait ce verset en disant : « Dieu a trouvé une lenteur dans le cheminement des cœurs des compagnons dix ans après le début de la révélation. » Le grand successeur Al-Hassan Al-Basrî commentait à son tour ce verset en affirmant : « Dieu a trouvé une lenteur dans le cheminement des cœurs des compagnons alors qu’ils font partie des humains les plus aimés de Lui ».

   Si ce message coranique s’adressait à des croyants dont la foi, la piété et l’éthique étaient sans égales, comment ne nous sentirions nous pas, aujourd’hui, concernés par cette réprimande ?
Nous vivons une triste époque où les cœurs se sont endurcis : l’évocation d’Allâh dans le Coran, les adorations rituelles et les exhortations spirituelles n’ont que peu d’effet sur nos âmes. Les coeurs sont devenus des réceptacles défaillants et desséchés, en raison de notre avidité dans la quête des moyens de jouissances éphémères ; ils sont entachés par l’inconscience et les péchés, au point que les musulmans ne bénéficient plus des bienfaits de l’évocation d’Allâh .
Lorsqu’ Allâh parle dans le Coran des négateurs au jour de la Rétribution, Il nous dévoile la raison de leur égarement, celle-là même qui risque de nous toucher un jour, la dureté du cœur. Ainsi, Dieu dit : « Oh que non ! Ce sont plutôt leurs mauvaises actions qui se sont accumulées au point de dessécher leurs cœurs. Aussi un voile sera-t-il dressé ce jour-là [le jour de la Rétribution], pour les empêcher de contempler la Face de leur Seigneur. », s. 83 Al-Moutaffifîn (Les Fraudeurs), v. 14-15.

   Lorsque le Coran parle du cœur, il ne fait pas référence à l’organe en tant que tel, mais au siège des sentiments, des passions (amour, courage, générosité,…), des pensées intimes, …etc.

   Le musulman ne prend pas soin de son coeur lorsqu’il ne l’alimente pas continuellement avec des denrées spirituelles telles que la lecture du Coran, le rappel de Dieu (ad-dhikr), la méditation sur la création (attafakkour), etc. : la mort spirituelle devient imminente, le coeur se cadenasse, et la lumière de la foi s’éteint progressivement, laissant le gouvernail à la passion destructrice.

   La prise de conscience de ce danger représente le premier pas d’une démarche constructive qui engage le croyant, corps et âme, dans une voie éducative et spirituelle équilibrée. Telle est la seule entreprise capable de former un musulman et d’attendrir son cœur pour recevoir les gratifications divines.