(18) La bataille d’Ouhoud et ses suites (2/2)
Les musulmans rentraient doucement chez eux à la suite de la bataille d’Ouhoud. L’issue de cet affrontement laissait un goût amer puisque celui-ci ne se solda ni par une victoire ni par une défaite.
Les conséquences de ce conflit allaient pourtant avoir un retentissement manifeste sur le moral des troupes mecquoises et médinoises, mais également sur la suite des événements en Arabie…
Même si le dénouement ne ressemblait pas à un échec, plusieurs aspects propres à cette bataille dénotaient d’amères déconvenues durant cette quatrième année qui suivait l’Hégire. La perte des êtres chers – tel que Hamza pour le Prophète – marquait les esprits d’une profonde tristesse. Quel ne fut pas le regret des archers restés en vie ! L’erreur de quelques-uns d’entre eux se répercutait sur l’ensemble de la communauté. Ainsi, l’accueil réservé par les hypocrites aux combattants d’Ouhoud témoignait d’un mépris flagrant, sans oublier qu’un impact négatif se refléta sur la perception qu’avaient les autres tribus des musulmans.
Une baisse de moral générale
Le doute gagna les Compagnons qui pensaient finalement qu’ils ne devraient pas donner leur avis. Certains se remémoraient la victoire de Badr et ne comprenaient pas pourquoi les anges n’étaient pas intervenus en renfort. D’ailleurs, l’idée même de la défaite malgré la présence du Prophète restait un mystère pour bon nombre d’entre eux.
Le Messager, quant à lui, fut envahi de tristesse mais Allâh révéla des certitudes qui réconfortèrent Son Envoyé :
« C’est par quelque miséricorde de la part d’Allâh que tu (Mouḥammad) as été si doux envers eux ! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage. Pardonne-leur donc, et implore pour eux le pardon (d’Allâh). Et consulte-les à propos des affaires ; puis une fois que tu t’es décidé, confie-toi donc à Allâh, Allâh aime, en vérité, ceux qui Lui font confiance. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.159.
فَبِمَا رَحۡمَةٍ۬ مِّنَ ٱللَّهِ لِنتَ لَهُمۡۖ وَلَوۡ كُنتَ فَظًّا غَلِيظَ ٱلۡقَلۡبِ لَٱنفَضُّواْ مِنۡ حَوۡلِكَۖ فَٱعۡفُ عَنۡہُمۡ وَٱسۡتَغۡفِرۡ لَهُمۡ وَشَاوِرۡهُمۡ فِى ٱلۡأَمۡرِۖ فَإِذَا عَزَمۡتَ فَتَوَكَّلۡ عَلَى ٱللَّهِۚ إِنَّ ٱللَّهَ يُحِبُّ ٱلۡمُتَوَكِّلِينَ
Ce verset certifie que la consultation est essentielle, même si le résultat n’est pas à la hauteur des espérances.
D’autres paroles adressées aux Compagnons rétablissaient l’ordre des choses de manière explicite : « Quoi ! Quand un malheur vous atteint – mais vous en avez jadis infligé le double – vous dites : “D’où vient cela ?” Réponds-leur : “Il vient de vous-mêmes”. Certes Allâh est Omnipotent. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.165.
أَوَلَمَّآ أَصَـٰبَتۡكُم مُّصِيبَةٌ۬ قَدۡ أَصَبۡتُم مِّثۡلَيۡہَا قُلۡتُمۡ أَنَّىٰ هَـٰذَاۖ قُلۡ هُوَ مِنۡ عِندِ أَنفُسِكُمۡۗ إِنَّ ٱللَّهَ عَلَىٰ كُلِّ شَىۡءٍ۬ قَدِيرٌ۬
Concernant l’absence des anges à la bataille d’Ouhoud, Allâh expliqua : « Et Allâh ne le fit que (pour vous annoncer) une bonne nouvelle, et pour que vos cœurs s’en rassurent. La victoire ne peut venir que d’Allâh, le Puissant, le Sage. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.126.
وَمَا جَعَلَهُ ٱللَّهُ إِلَّا بُشۡرَىٰ لَكُمۡ وَلِتَطۡمَٮِٕنَّ قُلُوبُكُم بِهِۦۗ وَمَا ٱلنَّصۡرُ إِلَّا مِنۡ عِندِ ٱللَّهِ ٱلۡعَزِيزِ ٱلۡحَكِيمِ
Enfin, pour encourager les Compagnons démoralisés, Dieu révéla plusieurs versets :
« Ne vous laissez pas battre, ne vous affligez pas alors que vous êtes les supérieurs, si vous êtes de vrais croyants. Si une blessure vous atteint, pareille blessure atteint aussi l’ennemi. Ainsi faisons-Nous alterner les jours (bons et mauvais) parmi les gens, afin qu’Allâh reconnaisse ceux qui ont cru, et qu’Il choisisse parmi vous des martyrs – et Allâh n’aime pas les injustes. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.126.
وَلَا تَهِنُواْ وَلَا تَحۡزَنُواْ وَأَنتُمُ ٱلۡأَعۡلَوۡنَ إِن كُنتُم مُّؤۡمِنِينَ (١٣٩) إِن يَمۡسَسۡكُمۡ قَرۡحٌ۬ فَقَدۡ مَسَّ ٱلۡقَوۡمَ قَرۡحٌ۬ مِّثۡلُهُ ۥۚ وَتِلۡكَ ٱلۡأَيَّامُ نُدَاوِلُهَا بَيۡنَ ٱلنَّاسِ وَلِيَعۡلَمَ ٱللَّهُ ٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ وَيَتَّخِذَ مِنكُمۡ شُہَدَآءَۗ وَٱللَّهُ لَا يُحِبُّ ٱلظَّـٰلِمِينَ
« Ne faiblissez pas dans la poursuite du peuple [ennemi]. Si vous souffrez, lui aussi souffre comme vous souffrez, tandis que vous espérez d’Allâh ce qu’il n’espère pas. Allâh est Omniscient et Sage. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.104.
وَلَا تَهِنُواْ فِى ٱبۡتِغَآءِ ٱلۡقَوۡمِۖ إِن تَكُونُواْ تَأۡلَمُونَ فَإِنَّهُمۡ يَأۡلَمُونَ كَمَا تَأۡلَمُونَۖ وَتَرۡجُونَ مِنَ ٱللَّهِ مَا لَا يَرۡجُونَۗ وَكَانَ ٱللَّهُ عَلِيمًا حَكِيمًا
La nécessité de se reprendre
Les enjeux étaient multiples pour le Messager : enhardir ses troupes, leur offrir l’occasion de retrouver leur honneur et inhiber toute éventuelle tentative qoraychite de nuire aux musulmans. Pour cela, il devait motiver les Compagnons à affronter une nouvelle fois Qoraych.
Après avoir effectué la prière du çobh un matin sur la route de Médine, le Prophète harangua ses troupes et déclara : « Je pars à la rencontre de Qoraych et il n’y a que ceux qui m’ont accompagné hier qui peuvent le faire aujourd’hui. » Tout en prononçant ces mots, il savait pertinemment que les Mecquois ne répondraient pas à ce défi. Cette action était néanmoins essentielle pour le moral des Médinois et pour leur réputation à travers la péninsule arabique. La meilleure défense restait indubitablement l’offensive pour les musulmans, qui devaient se montrer forts. Les Compagnons suivirent le Messager sans mot dire vers Hamrâou al-assad (à 13 km), en dépit de l’épuisement et du chagrin qui les envahissaient.
De son côté, Qoraych envisageait la même démarche dans l’optique d’affermir son hégémonie chancelante en Arabie. Le Prophète s’avança donc vers l’ennemi et signifia la détermination des musulmans face à l’entêtement des Mecquois d’empêcher la diffusion du Message divin. Aboû Sofiâne, qui appréhendait un affrontement, dépêcha un de ses hommes qui s’écria : « Ô Mouhammad, que viens-tu faire, les Qoraychites portent leurs peaux de tigre. » Mais les Compagnons, loin d’être impressionnés par ces paroles, se mirent à scander ces versets coraniques sur ordre du Prophète : « Certes ceux auxquels l’on disait : “Les gens se sont rassemblés contre vous ; craignez-les” – cela accrut leur foi – et ils dirent : “Allâh nous suffit ; Il est notre meilleur garant.” », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.173.
ٱلَّذِينَ قَالَ لَهُمُ ٱلنَّاسُ إِنَّ ٱلنَّاسَ قَدۡ جَمَعُواْ لَكُمۡ فَٱخۡشَوۡهُمۡ فَزَادَهُمۡ إِيمَـٰنً۬ا وَقَالُواْ حَسۡبُنَا ٱللَّهُ وَنِعۡمَ ٱلۡوَڪِيلُ
Grâce à cette astuce, le Messager réussit à éviter l’affrontement qui s’annonçait. Mais Aboû Sofiâne comptait bien conquérir Médine ; il confia le commandement de l’armée de Qoraych à Khâlid Ibnou Sofiâne, un guerrier endurci qui vouait une haine sans nom au Prophète . Le combattant polythéiste se réjouissait à l’idée d’assassiner celui qui allait révolutionner le destin de la Mecque.
Lorsque l’Envoyé de Dieu eut connaissance de ce qui se tramait du côté mecquois, il demanda à ‘Abdoullâh Ibnou Ounays de s’infiltrer dans le contingent qoraychite pour en éliminer le chef. Une fois à la Mecque et constatant le départ guerrier pour Médine, le valeureux Compagnon imagina promptement une ruse. Il s’introduisit habilement au sein de la troupe et se mit à invectiver le Prophète dans le but d’enhardir les combattants et d’attirer l’attention de leur meneur. Quand ce dernier remarqua la nouvelle recrue, il lui demanda de décliner son identité. Mais la réponse de ‘Abdoullâh dépassa les espérances du chef : « Je suis quelqu’un qui voue à Mouhammad une haine plus inexorable que la tienne », et il en fit donc son garde du corps.
‘Abdoullâh ne perdit pas de temps et élimina Khâlid Ibnou Sofiâne au cours de son sommeil avant de se cacher dans les montagnes, le temps que la panique au sein de l’armée mecquoise s’estompe et aboutisse à sa dissolution.
Après trois jours de repli dans les hauteurs avoisinantes à se nourrir de feuillage, ‘Abdoullâh regagna Médine où l’attendait le Prophète inquiet. Le Messager se réjouit de revoir son émissaire et le félicita pour l’accomplissement de sa mission avec succès ; il lui offrit même son bâton en guise de récompense et lui expliqua : « Ô ‘Abdoullâh, garde ce bâton auprès de toi ; le jour de la résurrection, viens me voir et je te ferai entrer au paradis ». Depuis ce jour, ‘Abdoullâh ne se sépara jamais de son précieux morceau de bois et demanda à ce qu’on l’enterre avec lui.
L’attaque d’Ar-Rajî’
Les tribulations ne cessèrent pas pour autant cette année-là (4H) pour les musulmans. Des tribus voisines de Médine sollicitèrent le Prophète pour qu’il leur envoie des émissaires chargés de les instruire sur l’Islam, prétextant une éventuelle conversion à la nouvelle religion. Six Compagnons furent sélectionnés pour cette mission, à la tête desquels Martab Ibnou Martab . Ce Compagnon faisait preuve d’un courage exemplaire : il avait l’habitude de se rendre à la Mecque de nuit pour aider les musulmans faibles à s’exiler secrètement vers Médine. Ayant remarqué la fréquence soutenue de ses trajets, une prostituée prénommée ‘Inâq proposa ses services à Martab. Mais celui-ci refusa sans hésitation : « Je crains Allâh et Son Messager ». Une fois à Médine, il demanda tout de même l’autorisation au Prophète d’épouser ‘Inâq ; cette circonstance entraina la révélation d’un verset significatif : « Le fornicateur n’épousera qu’une fornicatrice ou une associatrice. Et la fornicatrice ne sera épousée que par un fornicateur ou un associateur ; et cela a été interdit aux croyants. », s.3 An-Noûr (La Lumière), v.3.
ٱلزَّانِى لَا يَنكِحُ إِلَّا زَانِيَةً أَوۡ مُشۡرِكَةً۬ وَٱلزَّانِيَةُ لَا يَنكِحُهَآ إِلَّا زَانٍ أَوۡ مُشۡرِكٌ۬ۚ وَحُرِّمَ ذَٲلِكَ عَلَى ٱلۡمُؤۡمِنِينَ
Il ne restait plus à Martab qu’à patienter dans l’attente d’épouser une femme pieuse.
Arrivés à Ar-Rajî’, les Compagnons subirent une attaque inattendue de la part des membres de ces tribus, qui s’avéraient finalement être des hypocrites. Les musulmans étaient prêts à se défendre, mais leurs agresseurs prétendirent ne pas leur vouloir de mal. Trois des Compagnons restaient tout de même méfiants à l’égard de ces impies et s’engagèrent donc dans un combat sans merci où ils trouvèrent la mort. Les trois survivants ne s’opposèrent pas à leurs assaillants, sans toutefois imaginer qu’ils seraient capturés et ligotés.
‘Assim Ibnou Thâbit faisait partie du groupe et n’avait pas survécu. Une qoraychite avait commandité sa mort pour venger trois de ses enfants tués pendant la bataille d’Ouhoud. Elle tenait même à récupérer sa tête et s’en servir comme coupe à vin. Alors que les bourreaux tentaient de détacher la tête de leur victime, une colonie de frelons vient envahir l’encéphale, empêchant tout contact direct. N’est-ce pas un miracle corroboré par le Coran ? « Nul ne connaît les armées de ton Seigneur, à part Lui. Et ce n’est là qu’un rappel pour les humains. », s.74 Al-Mouddaththir (Le Revêtu d’un manteau), v.31.
Avant que les mécréants ne puissent s’approcher de ‘Assim, Dieu fit disparaitre son corps par une pluie torrentielle jusqu’à la fin des temps.
Le Prophète fut mis au courant de la mort de ses courageux Compagnons, mais il ne les vengera que trois ans plus tard, car s’engager sur plusieurs fronts à ce moment-là n’aurait fait qu’affaiblir la position des musulmans.
Le massacre de Bi’r Ma‘oûna
Soixante-dix autres Compagnons connurent le même sort en se rendant chez les Banî Najd pour les instruire également sur l’Islam. Hayrâne Ibnou Mahlâne s’avança devant les Banî Najd et annonça le motif de leur venue, mais avant qu’il terminât son discours, le chef de cette tribu ordonna discrètement son exécution. Le Compagnon reçut une lance dans le dos, mais il eut le temps de crier avant de s’éteindre : « Par le Seigneur de la Ka‘ba, je l’ai gagné ! » Ces mots résonnèrent dans la tête de son assassin Jabbâr Ibnou Salam, jusqu’à ce qu’il en comprenne la signification quelque temps plus tard. La description de la récompense obtenue par Hayrâne – le paradis – que le Prophète détailla à Jabbâr convainquit ce dernier de la véridicité de l’Islam, il dit : « Par Allâh, celui qui meurt de cette manière et pense à ce que tu dis est un homme sincère et je suis convaincu que tu es un homme sincère, je témoigne que tu es le Messager de Dieu ! »
Le reste des Compagnons trouva la mort sans même avoir quitté le campement. Un seul échappa à ce massacre collectif ; il aperçut les vautours tournoyer dans le ciel et comprit aussitôt quel malheur toucha la communauté.
À l’annonce de cette tragédie, le Prophète pleura amèrement ses Compagnons et pria sans compter contre les Banî Najd, jusqu’à la révélation de ce verset : « Tu n’as (Mouhammad) aucune part dans l’ordre (divin) – qu’Il (Allâh) accepte leur repentir (en embrassant l’Islam) ou qu’Il les châtie, car ils sont bien des injustes. », s.3 Âli-‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.128.
لَيۡسَ لَكَ مِنَ ٱلۡأَمۡرِ شَىۡءٌ أَوۡ يَتُوبَ عَلَيۡہِمۡ أَوۡ يُعَذِّبَهُمۡ فَإِنَّهُمۡ ظَـٰلِمُونَ
La sécurité de Médine ébranlée
Profitant du contexte hostile affiché à l’égard des musulmans, les juifs de Banoû-N-Nadhîr n’hésitèrent pas à trahir les musulmans malgré le pacte conclu avec le Prophète . Grâce à leur contact épistolaire établi avec la tribu de Qoraych, ils envisageaient de nuire activement à l’Islam. Le Prophète comprit très vite que sa vie était en danger et que la sécurité de Médine n’était plus garantie. La meilleure solution s’incarnait dans l’éviction pure et simple des juifs de Médine pour manquement à leurs engagements. Un délai d’un mois leur permettait de rassembler leurs affaires et de se préparer pour une nouvelle vie à Khaybar, où une large communauté juive avait les moyens de les accueillir. Tous ces préparatifs se passaient au mieux jusqu’à ce que ‘Abdoullâh Ibnou Saloûl, la tête pensante des hypocrites de Médine, leur proposât son aide grâce à un effectif de sept cents hommes prétendument à sa disposition. Devant ce revers de situation, les musulmans n’eurent d’autre choix que d’assiéger les places fortes juives.
Une nuit particulière au cours de ce siège, Allâh révéla les versets interdisant la consommation de boissons alcoolisées ; le lendemain matin, les rues de Médine étaient inondées du vin désormais prohibé pour les musulmans. Une épreuve supplémentaire testait leur obéissance envers Allâh et leur capacité à s’éloigner des péchés. Dieu ne manqua pas de récompenser leur promptitude à suivre Ses prescriptions en agissant sur le cœur de leurs ennemis ; le Coran énonce : « […] Et Il a jeté l’effroi dans leur cœur […] », s.33 Al-Ahzâb (Les Coalisés), v.26.
[…]وَقَذَفَ فِى قُلُوبِهِمُ ٱلرُّعۡبَ […]
C’est ainsi que les juifs finirent par plier bagages, mais le Prophète leur interdit de prendre leurs armes avec eux cette fois-ci.
L’expédition de Dhât Ariqâ’
Banoû Tha‘laba et Banoû Mouhârib, deux tribus de la région de Ghatafân se préparaient à attaquer les musulmans. La meilleure défense étant l’offensive, le Prophète décida d’en engager une sur les terres de l’assaillant. Non pas que ces tribus étaient puissantes, mais prendre ainsi les devants permettait de calmer les ardeurs des mécréants qui osaient croire à une éventuelle faiblesse de la part des musulmans après la bataille d’Ouhoud.
Les quatre cents (trois cents selon une autre version) Compagnons parcoururent donc 300 km malgré leur modeste équipement : six hommes se relayaient pour une seule monture ! Exténués, les chaussures déchirées et les pieds écorchés, les Compagnons finirent par arriver à destination en bandant leurs pieds avec des morceaux de vêtements.
Arrivés sur le champ de bataille, les musulmans inspirèrent la peur à leurs ennemis : leur détermination se lisait non seulement sur leur visage, mais émanait également de tout leur corps. Toutes les tribus mécréantes présentes se divisèrent et prirent la fuite.
Les Compagnons s’en retournèrent alors vers Médine. En cours de route, craignant d’être attaqué par surprise, le Prophète instaura la prière de la peur : une première moitié d’hommes priaient pendant que les autres montaient la garde et vice-versa. Allâh entérina cette conduite dans le Coran : « Et lorsque tu (Mouhammad) te trouves parmi eux, et que tu les diriges dans la çalât, qu’un groupe d’entre eux se mette debout en ta compagnie, en gardant leurs armes. Puis lorsqu’ils ont terminé la prosternation, qu’ils passent derrière vous et que vienne l’autre groupe, ceux qui n’ont pas encore célébré la çalât. À ceux-ci alors d’accomplir la çalât avec toi, prenant leurs précautions et leurs armes. Les mécréants aimeraient vous voir négliger vos armes et vos bagages, afin de tomber sur vous en une seule masse. Vous ne commettez aucun péché si, incommodés par la pluie ou malades, vous déposez vos armes ; cependant prenez garde. Certes, Allâh a préparé pour les mécréants un châtiment avilissant. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.102.
وَإِذَا كُنتَ فِيہِمۡ فَأَقَمۡتَ لَهُمُ ٱلصَّلَوٰةَ فَلۡتَقُمۡ طَآٮِٕفَةٌ۬ مِّنۡہُم مَّعَكَ وَلۡيَأۡخُذُوٓاْ أَسۡلِحَتَہُمۡ فَإِذَا سَجَدُواْ فَلۡيَكُونُواْ مِن وَرَآٮِٕڪُمۡ وَلۡتَأۡتِ طَآٮِٕفَةٌ أُخۡرَىٰ لَمۡ يُصَلُّواْ فَلۡيُصَلُّواْ مَعَكَ وَلۡيَأۡخُذُواْ حِذۡرَهُمۡ وَأَسۡلِحَتَہُمۡۗ وَدَّ ٱلَّذِينَ كَفَرُواْ لَوۡ تَغۡفُلُونَ عَنۡ أَسۡلِحَتِكُمۡ وَأَمۡتِعَتِكُمۡ فَيَمِيلُونَ عَلَيۡڪُم مَّيۡلَةً۬ وَٲحِدَةً۬ۚ وَلَا جُنَاحَ عَلَيۡڪُمۡ إِن كَانَ بِكُمۡ أَذً۬ى مِّن مَّطَرٍ أَوۡ كُنتُم مَّرۡضَىٰٓ أَن تَضَعُوٓاْ أَسۡلِحَتَكُمۡۖ وَخُذُواْ حِذۡرَكُمۡۗ إِنَّ ٱللَّهَ أَعَدَّ لِلۡكَـٰفِرِينَ عَذَابً۬ا مُّهِينً۬ا
Aux abords de Médine, le Messager remarqua un retardataire dans la troupe : il s’agissait de Jâbir Ibnou ‘Abdillâh. Le Prophète le rejoignit et discuta un peu avec lui. La conversation suivante rend parfaitement compte de la finesse du Prophète , de sa générosité et de l’affection qu’il portait à ses Compagnons.
« ― Pourquoi es-tu à la traîne Jâbir ?
― Ma chamelle est vieille, ô Messager d’Allâh ! Le Prophète en déduisit que le Compagnon vivait très modestement.
― Es-tu marié ?
― Oui, répondit le Compagnon.
― Ton épouse, est-elle vierge ?
― Non.
― Pourquoi as-tu épousé une femme qui s’est déjà mariée ?
― Mon père est mort le jour de la bataille d’Ouhoud et m’a laissé sept sœurs à élever. J’ai choisi une femme mûre qui puisse m’aider dans cette tâche.
― Tu as bien fait, ô Jâbir ! Nous n’entrerons à Médine qu’une fois que ta femme saura que tu arrives et qu’elle t’aura préparé des coussins pour te recevoir comme il se doit. Le Prophète cherchait par ces paroles à le réconforter ; il voulait que Jâbir retrouvât sa femme dans les meilleures conditions.
― Mais nous n’avons pas de coussins ô Envoyé d’Allâh ! rétorqua Jâbir.
― Tu en auras ô Jâbir ! lui assura le Messager qui cherchait à l’aider sans l’embarrasser. Vends-moi ta chamelle ! »
Le Compagnon refusa de la lui vendre et insista pour la lui offrir, mais le Prophète s’en tint à sa première proposition et promis de le payer à Médine.
Arrivé devant chez lui, le Messager trouva la chamelle que Jâbir avait déposée juste devant. Il envoya Bilâl payer le prix de la chamelle et rendre l’animal à son propriétaire. Ces paroles prophétiques accompagnaient son geste : « Prends l’argent et garde ta chamelle, tu es un neveu pour moi. »
Ainsi se résume l’an 4 de l’Hégire : une année de sacrifices et de détermination qui permit à la communauté musulmane d’affermir sa position de force en Arabie. Les différents événements vécus par les musulmans mirent en lumière l’importance d’obéir à Allâh et à Son Messager pour pouvoir profiter pleinement de la bénédiction divine ; et redonnèrent à la consultation entre les croyants toutes ses lettres de noblesse.
Les musulmans d’aujourd’hui doivent s’inspirer des tribulations endurées par leurs prédécesseurs et se montrer à la hauteur du message en essayant de respecter au mieux les valeurs pour lesquelles des familles entières se sont sacrifiées.