La Palestine (2) : la période islamique (638-1099)
En 570 après J.-C., naquit Mouhammad , le dernier des prophètes et le Messager de Dieu par excellence. En 23 années, il remplit sa mission, propager l’Islam, en Arabie en éradiquant le polythéisme. Après sa mort à Médine en 632, ses successeurs, les califes bien guidés,
durent combattre des dissensions au sein de la jeune communauté musulmane et à l’extérieur des frontières pour continuer sa tâche : appeler l’humanité à l’Islam. Les conquêtes musulmanes furent uniquement guidées par cette noble ambition qui a pour corollaire la libération des peuples opprimés.
A la même époque, deux puissances opposées par de longues querelles armées s’épuisaient : Byzance (Constantinople) et la Perse (dynastie sassanide, avec pour capitale Ctésiphon-Séleucie). Les peuples sémites (en Syrie, en Mésopotamie et en Egypte) avaient subi successivement l’occupation oppressive romaine et le joug byzantin.
La conquête de la Palestine par ‘Omar Ibnou Al-Khattâb
Avant l’arrivée de l’Islam en Palestine, la population, dont les communautés juive et chrétienne, subissait des vexations et des représailles de la part des autorités en place qui les écrasaient sous le poids de lourdes taxes.
L’historien musulman du 9ème siècle, Al-Baladhoûrî, commenta la prise de la Palestine par l’armée musulmane comme une « conquête facile » : en 638, après une brève résistance, le patriarche chrétien Sophronius demanda la paix, à condition que le calife du monde musulman se rendît en personne à Jérusalem pour garantir la promesse de sécurité. Lorsque ‘Omar Ibnou Al-Khattâb foula le sol palestinien, c’est en libérateur qu’il fut accueilli par la population. La mise modeste du Commandeur des croyants et sa simplicité trancha indubitablement avec le faste pompeux des précédents conquérants, son entrée dans Jérusalem marqua donc fortement les esprits : « Pour les habitants de Jérusalem, habitués à la pompe et aux vêtements ornés d’or des empereurs byzantins, l’apparition du Calife constitua un étonnant spectacle. Le successeur du Prophète, vêtu d’un pauvre manteau en poil de chameau, pénétra dans Jérusalem sur un chameau qui portait tout son bagage et sa provision de dattes pour la journée. Le contraste entre la simplicité rustique du vainqueur et l’extravagance habituelle déployée, non seulement par les empereurs de Byzance, mais aussi par leurs représentants provinciaux, était frappant. Il ne pouvait manquer de produire une impression favorable sur une population aigrie contre un gouvernement qui s’était montré si tyrannique et si rapace. », Angelot S. Rappoport. Op. cit., p. 177.
Professeur Fazl Ahmad rapporte, dans Les Quatre Califes de l’Islam, que ‘Omar Ibnou Al-Khattâb n’était accompagné que d’un serviteur, et qu’à tour de rôle, ils montaient sur le chameau.
Le calife était à pied le jour de son entrée à Jérusalem, et son serviteur sur la monture :
« Ô Chef des Croyants ! dit le serviteur, je te cède mon tour. Ce serait embarrassant aux yeux des gens si moi je montais et toi tu conduisais le chameau.
– Oh non ! répliqua ‘Omar , je ne vais pas être injuste, l’honneur de l’Islam est suffisant pour nous. »
« (…) Puis le Calife signa le traité de paix :
« Du Serviteur d’Allâh et Chef des Croyants ‘Omar : les habitants de Jérusalem seront assurés pour la sécurité de leur vie et de leurs biens ; leurs églises et leurs croix ne seront pas touchés. Ce traité s’applique à toutes les personnes de cette ville. Leurs lieux de culte resteront intacts et ne seront ni pris, ni démolis. Les gens seront libres de suivre leur religion. Aucun trouble ne sera semé… »
Les portes de la ville furent maintenues ouvertes. ‘Omar alla droit au Temple de Dâoûd
Là, il pria sous l’Arche de Dâoûd
. Puis, il visita la grande église chrétienne de la ville. Il y était encore lorsque arriva l’heure de la prière de l’après-midi :
« Vous pouvez la faire dans l’église », dit l’évêque.
– Non, répliqua ‘Omar , car si je le fais, les musulmans peuvent un jour prendre cela comme excuse pour vous enlever votre église. »
Et ‘Omar pria sur les marches de l’église et après… donna à l’évêque un écrit qui disait que les marches ne doivent jamais être utilisées pour les prières en congrégation, ni pour le âdhân. »
Sophronius
Plusieurs éléments expliquent l’acceptation aisée de l’autorité islamique par les Palestiniens :
· Les Arabes n’étaient pas des étrangers dans la région : ils y étaient depuis trois millénaires, depuis les premières migrations sémitiques dont le réservoir était l’Arabie. Les Amorites, les Cananéens et les Hébreux avaient une même origine ethnique et appartenaient au même groupe linguistique. Des inscriptions grecques découvertes en Transjordanie prouvent qu’à l’époque de la domination romaine la majorité des autochtones étaient arabes.
· Ce n’étaient pas les Arabes qui arrivaient en Palestine, mais c’était l’Islam, qui plus est, ne se présentait pas comme une religion nouvelle, mais une continuation du message divin déjà délivré aux communautés précédentes, notamment juive et chrétienne. Cette affirmation se rencontre dans le Coran : « Dites : ʺ Nous croyons en Dieu, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux tribus [les douze tribus d’Israël, descendant des douze fils de Jacob, fils d’Isaac, fils d’Abraham (paix sur eux) ] ; à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus ; à ce qui a été révélé aux prophètes par leur Seigneur, sans établir entre eux aucune différence. Et c’est à Dieu que nous sommes entièrement soumis.ʺ », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.136 et s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille Imrâne), v.84.
Les Palestiniens juifs voyaient donc l’Islam comme l’héritage d’Abraham et de Moïse, tandis que les Palestiniens chrétiens reconnaissaient en lui celui de Jésus (paix sur eux tous).
· La libéralité de l’Islam contrasta avec l’intolérance insupportable des empereurs byzantins à l’égard de la presque totalité de la population autochtone — juifs et chrétiens dits « hérétiques » —, à l’exception de l’occupant grec (byzantin). Les chrétiens se distinguaient par leurs courants de pensée : ceux du Yémen étaient d’abord monophysites (ils refusent la double nature du Christ et le considéraient comme purement divin), puis ils devinrent nestoriens comme ceux de Syrie (ils réfutent la double nature du Christ et le considéraient comme absolument humain) ; les Ghassanides du nord étaient monophysites ; les Lakhmides étaient en majorité nestoriens ; l’arianisme (le Christ est perçu comme le Verbe de Dieu) était diffus dans toute la Palestine. Or, l’empereur byzantin, Héraclius (610-641), conféra le pouvoir et sa force répressive à l’Eglise chalcédonienne, c’est-à-dire l’Eglise officielle et représentante de l’orthodoxie définie aux Conciles de Nicée et de Chalcédoine, dirigée par les évêques d’Antioche pour la Syrie et de Jérusalem pour la Palestine.
« Le Dieu des vengeances envoya les Arabes pour nous délivrer des Romains. Nos églises ne nous furent pas rendues, car chacun conserva ce qu’il possédait, mais nous fûmes du moins arrachés à la cruauté des Grecs et à leur haine envers nous », écrivait Bar-hebraeus (Bar l’Hébreu).
Après la victoire des musulmans, seuls les colons et les occupants grecs émigrèrent. ‘Omar Ibnou Al-Khattâb appela les gens du Livre (juifs, chrétiens et musulmans) à s’unir. Il assura la sécurité des personnes et des biens (les propriétés des vaincus ne passèrent pas aux mains des vainqueurs), et exigea le respect des moines chrétiens : « Ne molestez pas ceux qui vivent retirés du monde, afin qu’ils puissent continuer à remplir leurs vœux. »
La justice et la tolérance régna en Palestine et pendant quatre siècles, les califes arabes feront régner la paix et la prospérité en Palestine.
Sous la dynastie omayyade (660-750)
Durant cette époque, la capitale de l’Empire musulman était Damas, dont dépendait la Palestine. L’organisation administrative révélait un empire composé de neuf provinces et divisé en cinq grandes régions, chacune dirigée par un gouverneur résidant dans un centre important :
· Koûfa pour la Perse (Iran et Iraq actuels) et l’Arabie orientale ;
· Médine pour le Hijâz, le Yémen et l’Arabie centrale ;
· Mossoul pour la Jazîrah, la Haute-Mésopotamie, l’Arménie et l’Asie Mineure orientale ;
· Foustât pour l’Egypte ;
· Kairouan pour l’Afrique et l’Espagne.
La politique libérale des premiers califes omayyades permit à des chrétiens comme Mansoûr Ibnou Sarjoûm (Serge), de père en fils, d’accéder à des hautes fonctions étatiques. Les musulmans maintinrent en place l’administration byzantine ou sassanide. Ils n’envisagèrent point de convertir les populations locales : ils se satisfirent de leur offrir leur protection en contrepartie de leur loyauté et du paiement d’un impôt ; la fidélité aux musulmans se traduisait par leur hébergement, le fait de les renseigner et ne pas informer l’ennemi, ainsi que l’interdiction de s’habiller à l’arabe. Le constat était, néanmoins, que le nombre de convertis à l’Islam augmenta visiblement sous la dynastie omayyade.
Le calife ‘Abd Al-Malik (647-705) fut à l’origine de l’arabisation de l’administration califale : il ordonna aux fonctionnaires de traduire les documents fiscaux en arabe et de tenir les registres dans cette langue. Les populations sémites de Syrie et de la Mésopotamie adoptèrent facilement l’arabe. L’arabisation s’étendit également au domaine économique et monétaire : des inscriptions arabes marquaient le papyrus et les tissus de luxe produits en Egypte et exportés vers Byzance et les territoires chrétiens. Jusqu’en 685, l’avènement de‘Abd Al-Malik, les pièces byzantines et sassanides avec leurs inscriptions et figures étaient encore frappées et couramment usitées. Le changement fut radical : la nouvelle monnaie ne porta plus aucune figure, le recto comportait l’inscription de la profession de foi musulmane (« Il n’y a de dieu qu’Allâh » ), et sur le verso apparaissait le lieu et la date de la frappe. Le sou (solidus) en or byzantin est remplacé par le dinar musulman pesant 4,25 grammes d’or, soit un peu moins que le sou. Le dirham, pièce en argent de 2,97 grammes fut aussi introduit. Jusqu’aux croisades, le dinar fut l’étalon de valeur dans les échanges internationaux.
Dirham
En 691-692 après J.-C., ‘Abd Al-Malik fit construire le Dôme du Rocher à Jérusalem, tout proche de l’église chrétienne du Saint Sépulcre à laquelle il est semblable sur bien des aspects. Le Dôme du Rocher est par bien des égards le symbole de l’unité et de la continuité de la foi abrahamique, juive, chrétienne et musulmane.
Al-Walîd, le fils aîné de‘Abd Al-Malik, mit sur pied la mosquée Al-Aqsâ entre 705 et 715. Il fit ériger des mosquées dans la quasi-totalité des grands centres de Syrie et de Palestine.Soulaymâne, le second fils, construisit Ramallah, dont il fit une capitale provinciale et un centre commercial, reléguant Jérusalem au rang de petite ville de province.
Il était de fait avéré que la situation des juifs s’améliora nettement sous le gouvernement musulman : leur activité intellectuelle s’accrut ; une académie juive fondée sous l’occupation romaine à Tibériade put être transférée à Jérusalem pour devenir un centre intellectuel rayonnant.Juifs et chrétiens avaient la libre gestion de leurs affaires communautaires.
Mosquée Al-Aqsâ en avant-plan et la mosquée du Dôme du Rocher en arrière- plan.
Sous la dynastie ‘abbasside (750-969)
Les ‘Abbassides transférèrent la capitale musulmane de Damas à Bagdad, diminuant l’importance de la région palestinienne. Le calife Hâroûn Ar-Rachîd ne se rendit jamais dans la Ville sainte, mais il encouragea les pèlerins à la visiter et autorisa Charlemagne de fonder et d’entretenir des centres d’accueil pour pèlerins occidentaux.
Le fils et successeur du calife, Al-Ma’moûn, se chargea financièrement de la restauration des édifices du Mont du Temple : sa cour servit de lieu de réunion des juifs durant la première moitié du 9ème siècle.
A partir de 878, Jérusalem passa sous le contrôle du royaume d’Ahmad Ibnou Toûloûn installé au Caire.
Sous la dynastie fâtimide (969-1071)
En 950, la Palestine fut envahie par les armées de l’Empereur chrétien, sous le commandement du général Nicéphore Phocas, de Byzance : les habitants furent égorgés ; les habitations incendiées ; les champs et les jardins dévastés ; les arbres fruitiers abattus ; les hommes, les femmes et les enfants vendus comme esclaves. « On peut dire que la Terre Sainte fut changée en désert par des mains chrétiennes », Angelo S. Rappoport. Op. cit., p183.
Lors du califat d’Al-‘Azîz (975-996), chrétiens et juifs jouirent d’une importante liberté. Un chrétien répondant au nom de ‘Issa Ben Nestorius devint même premier ministre (vizir) ; et un juif, Mounassé Ibnou Hazra fut nommé gouverneur de Damas.
Mais cette situation idyllique ne dura pas sous le califat d’Al-Hâkîm, successeur d’Al-‘Azîz : en 967, le patriarche Jean fut brûlé par les musulmans, soutenus par les juifs. Ce même calife ordonna en 1009 le démantèlement du Saint -Sépulcre. Ces exactions étaient des faits isolés et rares en terre d’Islam et n’avaient jamais atteint l’ampleur de ceux de l’Occident (pour mémoire : l’orgie sanglante lors de la prise de Jérusalem par les croisés ; l’extermination des cathares au 13ème siècle ; l’Inquisition catholique en Espagne aux 15ème-16ème siècles menée contre les juifs, les musulmans et les Kichinev ; l’Allemagne hitlérienne ; etc.).
A la mort du « calife fou », les pèlerinages reprirent, le Saint-Sépulcre et les églises furent rebâtis.
Le pire était encore à venir : l’invasion turque des Seldjoukides qui se prétendaient musulmans, de 1071 à 1096, rendit tragique la situation des juifs, des chrétiens et des musulmans ; les mosquées, les synagogues et les églises furent mis à sac sans vergogne. Et les calamités ne s’arrêtèrent pas là…