Le jihâd sous toutes ses formes
Selon ‘Â’icha , le Messager de Dieu a dit : « Il n’y a plus d’Hégire après la conquête de La Mecque. Désormais, il n’y a plus que le jihâd et la bonne intention. Si l’on vous demande de participer au combat, mobilisez-vous ! » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.]
لا هجرة بعد الفتح ولكن جهاد ونِيّةٌ وإذا استُنْفِرْتُم فانْفِروا
Deux émigrations ont marqué l’histoire de l’Islam : la première vers l’Abyssinie et la seconde, plus importante, vers Médine. Cette dernière appelée « Hégire » a duré plusieurs années et son commencement (622 ap. J.-C.) marque le début du calendrier musulman. Allâh a promis une large récompense à ceux qui participèrent à cet exil, considéré comme un véritable jihâd.
Le Coran mentionne l’Hégire dans diverses sourates, tant l’événement représentait un moment capital dans la vie des premiers musulmans. Ceux-ci purent ainsi sauver leur religion et fonder le premier État islamique à Médine.
La Mecque fut reconquise en 630 (8 H), année charnière pour les musulmans puisque c’est à ce moment précis que le Prophète énonça le hadîth précité, abolissant ainsi tout exil de la ville sainte. Par ces dires, il sous-entend que le jihâd et les œuvres animées d’une bonne intention peuvent attribuer au croyant des récompenses équivalentes à celles obtenues par les premiers convertis en émigrant à Médine.
Ce hadîth suggère également que la Mecque restera musulmane tant que les fidèles seront toujours sur Terre et que la destruction de la Ka‘ba ne surviendra qu’après leur départ. Rien ni personne ne poussera les musulmans à quitter la Mecque une nouvelle fois pour protéger leur religion. Cela dit, ils sont autorisés à s’en éloigner pour accomplir le jihâd ou toute autre action dans le sentier de Dieu.
La négation qui débute le hadîth concerne exclusivement l’émigration depuis la Mecque et n’a pas une portée générale puisque le Prophète a expliqué : « L’émigration ne s’interrompra pas jusqu’à ce que le repentir s’interrompt. Et le repentir ne s’interrompra pas jusqu’à ce que le soleil se lève par l’Occident. » [Rapporté par Mouslim.]
Le terme « جِهَاد : jihâd » vient du mot « جُهْد : jouhd » qui signifie « effort », donc le verbe « جَاهَدَ : jâhada » veut dire « déployer des efforts ». Il se peut encore qu’il provienne du vocable « جَهْد : jahd » qui signifie « difficulté, fatigue » ; il sera alors employé pour exprimer l’adversité qui touche une personne.
Le jihâd dont il est question dans ce hadîth découle cependant de « جُهْد : jouhd ». Mener un « jihâd fî sabîlillâh » correspond donc au fait de déployer des efforts pour concrétiser la volonté d’Allâh . Peu importe la nature de cette lutte dès lors qu’elle est licite. La traduction française « guerre sainte » ne correspond absolument pas au concept islamique du jihâd, car cette notion reste spécifique au christianisme. En Islam, le jihâd est un moyen qui peut varier selon l’époque et les circonstances. Ainsi, les savants affirment qu’il en existe quatorze formes pouvant être regroupées en quatre grandes catégories.
1. Le jihâd mené contre l’égo
Cette forme de jihâd se divise en quatre types étroitement liés entre eux :
1.1 – rechercher le savoir ;
1.2 – traduire ses connaissances en une pratique ;
1.3 – répandre ce savoir autour de soi (l’enseigner) ;
1.4 – patienter devant les éventuelles épreuves, car celui qui apprend, qui pratique et qui appelle à l’Islam sera inéluctablement éprouvé : certaines gens vont l’insulter, semer le doute sur sa personne, l’accuser, lui faire du mal, etc.
Ces quatre aspects du jihâd apparaissent dans un même verset coranique qui relate les conseils que prodiguait Louqmâne à son fils : « Ô mon enfant accomplis la çalât, commande le convenable, interdis le blâmable et endure ce qui t’arrive avec patience. Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise ! », s.31 Louqmâne, v.17.
2) Le jihâd conduit contre Satan
Le jihâd entrepris contre cet ennemi déclaré de l’être humain se subdivise en deux catégories :
2.1 – lutter contre les tentations qu’il attise en l’homme. Allâh révèle dans le Coran que Satan a embelli plusieurs plaisirs aux yeux des fils d’Adam, parmi lesquels les femmes, l’argent, les terres, etc. : « Les hommes sont irrésistiblement attirés, dans leurs passions trompeuses, par les femmes, les enfants, les amoncellements d’or et d’argent, les chevaux de race, les troupeaux et les champs. C’est là une jouissance éphémère de la vie d’ici-bas, mais c’est auprès de Dieu que se trouve le meilleur séjour. », s.3 Âli ‘Imrâne (la Famille de ‘Imrâne), v.14.
Les exégètes affirment qu’il existe deux origines par lesquelles ces sources de jouissance sont embellies aux yeux des êtres humains. D’une part, l’embellissement provenant d’Allâh fait que l’homme penche vers ce qui lui permet d’assurer sa vie sur terre (les biens matériels, l’autre sexe, la nourriture, etc.). D’autre part, Satan – refusant que le fils d’Adam se limite à ce qui est licite parmi ces délices – jubile intérieurement à l’idée d’attiser ces plaisirs à l’excès, de manière à ce que l’homme ou la femme soit attiré(e) par ce qui est illicite. La lutte contre les appâts de Satan est en réalité un jihâd perpétuel ;
2.2 – lutter contre les doutes qu’il jette dans les cœurs. Satan abhorre l’idée que l’homme ait une foi inébranlable, il essaie toujours de semer le doute dans ses convictions.
3) Le jihâd contre les hypocrites
Les hypocrites sont ceux qui prétendent être musulmans en apparence, mais dont le for intérieur ne se plie pas aux principes de l’Islam. Cette forme de jihâd passe par :
3.1 – le cœur qui doit ressentir un pincement en observant les agissements de ces imposteurs ;
3.2 – la langue pour répondre aux nuisances verbales ou écrites qu’ils émettent ;
3.3 – l’argent dépensé pour contrecarrer leurs activités d’envergure ;
3.4 – la main pour répondre à leurs attaques physiques. Il s’agit de recourir à des actions fermes permettant de stopper les agissements nuisibles pour l’Islam. Ce type de lutte ne peut avoir lieu qu’avec l’autorisation du chef de l’État musulman.
4) Le jihâd face aux armées non musulmanes offensives
Dieu dit : « Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes, Allah n’aime pas les transgresseurs », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.190.
Cette dernière sorte de jihâd se compose des mêmes formes de lutte que celles sus mentionnées (3.1, 3.2, 3.3, 3.4).
C’est dans le quatrième contexte (3.4) que le Messager de Dieu dit dans la seconde partie du hadîth : « Et si l’on vous demande de participer au combat, mobilisez-vous ! »
Dans ce cas précis, le jihâd de guerre devient donc une obligation individuelle (فَرْض عَيْن : fard ‘ayn) qui concerne chaque musulman. Personne ne doit déserter le front, sauf si une excuse valable l’empêche de participer à l’effort. Dieu dit à cet égard : « Ô vous qui croyez ! Qu’avez-vous lorsque l’on vous a dit : “Elancez-vous dans le sentier d’Allâh” ? Vous vous êtes appesantis sur la terre. La vie présente vous agrée-t-elle plus que l’au-delà ? Or, la jouissance de la vie présente ne sera que peu de chose, comparée à l’au-delà ! Si vous ne vous lancez pas au combat, Il vous châtiera d’un châtiment douloureux et vous remplacera par un autre peuple. Vous ne Lui nuirez en rien. Et Allâh est Omnipotent. », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.38-39.
En temps normal, le jihâd est une obligation pour la communauté dans son ensemble (فَرْض كِفائِيٌّ: fard kifâ’iyy). Si un groupe de musulmans se charge d’accomplir l’effort de guerre et que leur force suffit pour repousser l’ennemi, il n’incombe aucunement au reste de la communauté de s’y astreindre.
En revanche, certaines situations bien précises obligent chaque musulman, homme ou femme, jeune ou plus âgé, à accomplir le jihâd du combat :
1) lorsque celui-ci est prononcé par le gouverneur des musulmans. Ce chef doit bien entendu être une personne juste, dont la décision de mener le jihâd est soutenue par des illustres savants et des spécialistes militaires qui ont pris soin d’étudier rigoureusement la situation avant d’émettre la fatwa ;
2) lorsqu’un ennemi attaque un pays musulman dans le but de le détruire, le coloniser, le spolier de ses richesses ou d’anéantir l’Islam en son sein ;
3) lorsque les musulmans sont prêts à combattre face aux rangs ennemis. Les soldats musulmans ne sont pas autorisés à quitter leur position tant que le combat persiste, sauf si la stratégie de guerre exige que les combattants reculent. Il s’agit par exemple de la tactique qu’a mise au point le grand stratège Khâlid Ibnou-l-Walîd lors de la bataille de Mo’ta : constatant la faiblesse numérique et l’épuisement des musulmans face aux Byzantins, il décida de rentrer à Médine, où il fut critiqué pour un tel choix. Le Prophète approuva néanmoins cette décision qui épargna le sang des musulmans. Allâh confirme cette possibilité dans le Coran : « Ô vous qui croyez ! Quand vous rencontrez l’armée des mécréants en marche, ne leur tournez point le dos. Quiconque, ce jour-là, leur tourne le dos – à moins que ce soit par tactique de combat ou pour rallier un autre groupe –, celui-là encourt la colère de Dieu et son refuge sera l’enfer. Et quelle mauvaise destination ! », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.15-16.
En outre, le Prophète a précisé que le fait de déserter au cours du combat comptait parmi les sept péchés capitaux qui plongent l’être humain dans les abîmes de l’enfer ;
4) lorsque le musulman est une des rares personnes à maîtriser un savoir-faire stratégique ou des connaissances spécifiques à l’utilisation des armes, il lui incombe donc de se lancer dans la lutte pour prêter main forte à ses coreligionnaires.
Il est impératif pour le musulman sincère d’être animé par l’intention de défendre l’Islam contre toute agression, même si cela doit passer par une lutte armée qui risque de lui coûter la vie. Sa récompense auprès de Dieu sera alors à la hauteur de son sacrifice. Dieu énonce : « Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier d’Allâh sont morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus et joyeux de la faveur qu’Allâh leur a accordée, et ravis que ceux qui sont restés derrière eux et ne les ont pas encore rejoints, ne connaîtront aucune crainte et ne seront point affligés. Ils sont ravis d’un bienfait d’Allâh et d’une faveur, et du fait qu’Allâh ne laisse pas perdre la récompense des croyants. », s.3 Âli-‘Imrâne (La Famille de ‘Imrâne), v.169-171.
Le Prophète a déclaré : « Par Celui qui détient mon âme en Sa Main, toute personne blessée dans le chemin d’Allâh – et Dieu sait mieux qui s’est blessé dans Son chemin – viendra le Jour du Jugement, sa blessure coulant d’un sang dont la couleur est la couleur du sang et l’odeur est l’odeur du musc. » [Rapporté par Al-Boukhârî.]
La défense de l’Islam ne passe pas systématiquement par une lutte armée contre ses ennemis. Si l’éventualité du jihâd belliqueux demeure nécessaire – dans certaines situations et sous certaines conditions –, chaque musulman du monde possédant un savoir ou un bienfait doit prendre conscience que sa lutte pour servir l’Islam réside dans son investissement permanent. Celui-ci aura pour but d’assurer la paix et la justice sur terre et dépendra des compétences et des moyens du fidèle qui s’engage. Son entreprise doit indubitablement passer par la purification de son âme contre toute passion destructrice, par la quête du savoir et son enseignement, par l’aide apportée à ceux qui sont dans le besoin et par l’engagement dans les multiples domaines qui peuvent assurer à sa communauté richesse et épanouissement.