Les actes ne valent que par les intentions…
La valeur du hadîth
Le commandeur des croyants, ‘Omar Ibnou-l-Khattâb a rapporté ces propos de l’Envoyé de Dieu : « Certes les œuvres ne valent que par les intentions, et chaque homme n’obtient que ce qui est conforme à son intention. Quiconque accomplit l’Hégire en vue de Dieu et de Son Envoyé se verra compter son hégire comme telle.
Et quiconque accomplit l’Hégire en vue d’obtenir ce monde, ou en vue d’épouser une femme, (qu’il sache que) son hégire lui sera comptée comme telle. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.] À l’instar d’An-Nawawî, de nombreux experts en hadîth ont inauguré l’écriture de leurs ouvrages avec ces paroles prophétiques ; elles sont mentionnées dans soixante-dix chapitres de jurisprudence islamique. À propos de ce premier hadîth, l’imâm Ach-Châfi‘î a expliqué qu’il représente le tiers de l’Islam ; certains savants avancent qu’il équivaut à la moitié de la religion, l’autre moitié étant un hadîth rapporté par ‘Â’icha qui a entendu le Prophète dire : « Apostasie celui qui accomplit une œuvre non conforme à notre religion. »
Enfin l’imâm Ahmad, en accord avec d’autres érudits, a affirmé : « La base du savoir repose sur trois ahâdîth : le hadîth rapporté par ‘Omar, celui rapporté par ‘Â’icha [susmentionnés] et celui rapporté par An-Nou‘mâne Ibnou Bachîr : “Le licite est évident et l’illicite est clair, et entre les deux il y a des choses équivoques.” »
La chaîne de transmission
Le hadîth rapporté par ‘Omar Ibnou-l-Khattâb revêt donc une importance incontestable pour le musulman. Cependant, les savants le qualifient de « gharîb » (étrange) pour plusieurs raisons, dont le fait que plusieurs variantes existent, mais que seule cette version est reconnue comme authentique. Ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’aucun Compagnon à part ‘Omar n’a rapporté ces paroles du Prophète , et que le Successeur ‘Alqama Ibnou Waqqâs Al-Laythî est le seul à l’avoir entendu de ‘Omar et à l’avoir transmis à Mouhammad Ibnou Ibrâhîm. Enfin, aucun autre ne l’a entendu de Mouhammad à part Yahyâ Ibnou Sa‘îd Al-Ançârî, le grand qâdî de Médine.
Jusqu’à Yahyâ ― qui transmit ce hadîth à deux cents grandes personnalités, parmi lesquelles les imâms Mâlik, Ath-Thawrî, Ibnou ‘Ouyayna et Hammâd (le maître d’Aboû Hanîfa) ―, chaque maillon de la chaîne de transmission ne compte qu’un seul rapporteur. Cette caractéristique fait de ce hadîth un hadith qualifié de singulier (« âhâd »).
L’imâm At-Tirmidhî fut le premier à introduire une classification plus précise en ajoutant les catégories « hassan » (bon) et « gharîb » (étrange) à celles de « çahîh » (authentique) et « da‘îf » (faible).
Le contenu
Après l’étude de la chaîne de transmission, il convient de s’intéresser au sens véhiculé par le hadîth « al-matn » qui correspond aux paroles, aux actes ou aux approbations du Prophète .
L’Envoyé d’Allâh dit en l’occurrence : « Certes, les œuvres ne valent que par les intentions. » Les actions, « al-a‘mâl », sont de deux sortes : celles qui relèvent de l’adoration d’Allâh (actes de dévotion) et les habituelles qui concernent la vie courante. Accomplir la çalât, jeûner ou lire le Coran appartiennent à la première catégorie, tandis que manger, boire ou s’habiller ― actes effectués par le commun des mortels ― relèvent de la seconde.
Le mot « إنَّمَا : innamâ » (certes), qui ouvre le matn, marque la restriction : les actes ne peuvent valoir que par les intentions qui les animent. Un acte peut effectivement paraître béni, en apparence seulement, car c’est l’intention qui l’accompagne qui le valorisera réellement : si cette intention est louable, visant la satisfaction divine, l’acte sera bon ; mais si la sincérité a déserté l’action, celle-ci sera nulle et ne sera pas récompensée par Dieu.
D’un point de vue étymologique, l’intention (« النِّيَّة : an-niyya ») est un terme qui fait référence à la volonté d’accomplir telle ou telle chose. D’un point de vue religieux, elle est le fait de viser un acte pour se rapprocher de Dieu, d’espérer Son agrément et Sa récompense. Accomplir une action dans le seul but d’obtenir la récompense divine est donc une bonne intention. Lorsqu’une intention correcte et sincère accompagne un acte qui relève de la vie courante, celui-ci devient un acte adoratif. Ainsi l’intention agit comme un catalyseur qui transforme une action banale en un acte d’adoration pour lequel le fidèle sera rétribué par Allâh .
Le musulman a donc la possibilité de multiplier les actes de dévotion et les récompenses qui en découlent en accompagnant ses gestes de la vie courante d’une intention bonne et sincère.Lorsque le croyant anime continuellement ses œuvres d’une intention pure et méritoire, c’est la preuve qu’il ressent constamment la présence de Dieu. En revanche, celui qui agit par automatisme est un individu sujet à l’oubli. Allâh distingue ces deux types de personnes dans le Coran : « Quiconque désire labourer [le champ de] la vie future, Nous augmenterons pour lui son labour ; et quiconque désire labourer [le champ de] la présente vie, Nous lui accorderons [de ses jouissances], mais il n’aura pas de part dans l’au-delà. », s.42 Ach-Choûrâ (La Consultation), v.20.
C’est avec sagesse que Yahyâ Ibnou Kathîr a dit : « Apprenez la sincérité (bonne intention), car elle est plus importante que les actions. » L’intention sincère est effectivement indispensable pour valoriser l’action, mais l’installer définitivement dans son for intérieur est une tâche des plus ardues. Sofiâne Ath-Thawrî (que Dieu lui fasse miséricorde) l’avait bien compris : « La chose la plus difficile que j’ai à dompter c’est ma sincérité parce qu’elle se révolte souvent. »
Non seulement l’intention distingue les actes mécaniques de la vie courante de ceux empreints de dévotion, mais elle joue également le rôle de différenciateur entre les actes d’adoration. Elle doit se préciser avant chaque action pour concorder parfaitement avec l’œuvre à accomplir. Par exemple, le fidèle ne peut changer son intention au cours d’une prière obligatoire, s’il se rappelle ne pas avoir accompli la précédente. L’intention permet de différencier les actes obligatoires des actes surérogatoires. Ainsi, elle doit toujours se conformer à l’action que le croyant s’apprête à effectuer, elle est une condition de validité de l’acte. Si le fidèle plonge dans la mer avec l’intention de lever un état d’impureté majeure, alors son acte est validé comme tel, car l’eau est passée sur l’ensemble de son corps. Par contre, si cette intention est formulée après que le croyant soit sorti de l’eau, son bain n’est pas considéré comme un ghousl, car il n’a pas été accompagné d’une intention conforme.
Le Prophète poursuit son enseignement comme suit : « et chaque homme n’obtient que ce qui est conforme à son intention. » Alors que la première partie de la phrase renseigne sur la validité des actions selon l’intention qui les anime, cette deuxième partie informe que la rétribution des actes est la conséquence de cette même intention.
D’après les savants, il existe deux types d’intentions : celle de l’acte lui-même et celle qui concerne l’être visé en accomplissant l’action. Si l’intention est sincère, l’être visé n’est autre qu’Allâh , mais beaucoup de croyants, oubliant ou négligeant cette donnée extrêmement importante, effectuent des œuvres pour eux-mêmes. Voici comment le Coran qualifie ces gens en déroute et leurs œuvres : « Dis : “Voulez-vous que Nous vous apprenions lesquels sont les plus grands perdants en œuvres ? Ceux dont l’effort dans la vie présente s’est égaré, alors qu’ils s’imaginent faire le bien. », s.18 Al-Kahf (La Caverne), v.103-105.
Aboû Hourayra rapporte avoir entendu le Prophète s’exprimer comme suit : « Au jour de la Résurrection, Allâh descendra pour juger Ses serviteurs à un moment où toute ma communauté se sera agenouillée. Les premiers à comparaître seront : un homme ayant appris le Coran, un combattant dans le chemin d’Allâh et un homme très riche. Allâh s’adressera à l’homme qui connaît le Coran :
“Ne t’ai-Je pas appris la Révélation que J’ai transmise à Mon Messager ?
― Si, répondra-t-il.
― Qu’as-tu fait de ton savoir ?
― Je l’appliquais au cours de mes prières de jour et de nuit.
― Tu mens, rétorquera Dieu.”
Et les anges lui diront aussi : “Tu voulais surtout que l’on dise de toi que tu es un bon maître (du Coran), et cela a été dit.”
C’est ensuite le tour du riche, à qui Dieu demandera :
“Ne t’ai-Je pas enrichi de sorte que tu n’avais plus besoin de personne ?
― Si, ô Maître.
― Qu’as-tu fais de ce que Je t’avais donné ?
― Je l’ai utilisé pour entretenir mes liens de parenté et faire des aumônes.
― Tu mens, répliquera Allâh.”
Et les anges lui diront aussi : “Tu voulais que l’on dise de toi que tu étais généreux et cela a été dit.”
Est emmené enfin celui qui a trouvé la mort au cours du jihâd. Allâh le questionnera :
“Pourquoi as-tu été tué ?
― On m’a donné l’ordre de participer au jihâd sur Ta voie et je me suis battu jusqu’au sacrifice suprême.
― Tu mens, répondra Dieu.”
Et les anges lui diront aussi : “Tu voulais que l’on dise de toi que tu étais brave et cela a été dit.” »
Aboû Hourayra continue son récit : « Puis le Messager d’Allâh me tapota le genou et me dit : “Ô Aboû Hourayra, ces trois-là sont les premiers à servir de combustible au feu [de l’enfer] au Jour de la Résurrection.” » [Rapporté et jugé bon par At-Tirmidhî ; authentifié par Ibnou Hibbân et Ibnou Khouzayma.]
L’intention sincère de vouer exclusivement une œuvre à Allâh est primordiale pour qui désire l’agrément et la récompense divins. Mais une dernière exigence s’impose pour obtenir la satisfaction du Très-Haut : ne pas dévoiler ses bonnes actions. En effet, faire étalage de ses activités pieuses abolit tout ce qui a été effectué et montre que le croyant a également agit par ostentation.
Mais comment savoir si l’intention est exclusivement tournée vers Dieu ? À quel moment le croyant sait qu’il a atteint une sincérité pure (« al-ikhlâç ») ? L’indice le plus révélateur se décèle lorsque les louanges et les critiques de ses semblables à son égard le laissent stoïque. Al-ikhlâç est un état intérieur dont Seul Dieu connaît le secret : l’ego est incapable de l’élaborer, l’ange ne le connaît pas pour l’écrire et Satan l’ignore pour l’anéantir.
Al-Foudayl Ibnou ‘Iyâd disait : « Celui qui travaille pour les gens fait de l’association et celui qui délaisse une œuvre à cause des gens agit par ostentation. » Pour espérer rencontrer son Seigneur dans les meilleures conditions, le croyant doit rechercher l’accomplissement d’œuvres bénies exclusivement dédiées à Allâh tout en purifiant sans cesse son intention. Que Dieu aide chaque fidèle à fortifier sa foi pour atteindre la sincérité dans ses actes, ses paroles et ses sentiments.