L’imâm Al-Boukhârî (que Dieu lui accorde Sa miséricorde)

Biographie des savants

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   Après les compagnons du Prophète , l’imâm Al-Boukhârî fait partie des plus éminents pieux personnages ayant contribué à l’essor de l’Islam. Ce qui justifie ce statut est le recueil d’un ensemble de ahâdîth prophétiques authentiques qu’il a compilé sous le titre de

« Al-Jâmi’ al-mousnad as-sahîh al-moukhtasar min oumoûri rasoûli-Lâhi salla-Lâhou ‘alayhi wasallam wa sounanihi wa ayyâmih »  (الجامع المسند الصحيح المختصر من أمور رسول الله صلى الله عليه وسلم وسننه وأيَّامه) plus connu sous le nom « Sahîh Al-Boukhârî ». Cet ouvrage est unanimement reconnu comme la plus authentique référence islamique après le Saint Coran. Tant que les musulmans étudieront leur religion, le souvenir de cet illustre spécialiste du hadîth ne s’estompera pas. Aussi, s’arrêter sur sa biographie est une occasion de découvrir le parcours incroyable d’un homme de cœur, persévérant et exigent dans son labeur, mais remarquablement humble pour quelqu’un de sa stature.

Son enfance

   Le nom complet de ce grand savant est Aboû ‘Abdillâh Mouhammad Ibnou Ismâ’îl Ibnou Al-Moughîra Ibnou Al-Ja’fî Al-Boukhârî. Il vit le jour le 13 Chawwâl de l’an 194 H (810 ap. J-C.) à Boukhârâ, ville de l’actuel Ouzbékistan. Son père quitta ce monde alors qu’il était encore jeune enfant. Il fut donc élevé par sa pieuse et courageuse mère qui passa par une épreuve difficile : Al-Boukhârî perdit la vue. Il fut examiné par de célèbres médecins de son époque, mais leur traitement resta inefficace. L’amour maternel poussa la pieuse femme à prier son Seigneur sans relâche pour que son fils recouvre l’usage de ses yeux. Une nuit, elle visita en rêve le prophète Ibrâhîm (paix et salut sur lui) qui lui annonça : « Allâh a rendu la vue à ton fils grâce à l’intensité et à la beauté de tes invocations. » Au petit matin, la gratitude pouvait se lire dans les yeux du garçon…

Ses débuts dans le hadîth

   C’est à l’âge de dix ans qu’Allâh  imprégna le cœur d’Al-Boukhârî de l’amour du hadîth. Son père était un mouhaddith (traditionniste) : il avait rencontré Hammâd Ibnou Zayd, ‘Abdoullâh Ibnou Al-Moubârak et Mâlik Ibnou Anas dont il transmettait des paroles du Prophète . Al-Boukhârî intégra la classe de hadîths de sa ville, où il étudia ardemment. L’année suivante, sa mémorisation des textes et des chaînes de transmission atteignit une telle précision qu’il lui arrivait de corriger ses professeurs. Ses compétences et sa vivacité d’esprit lui permirent, à l’âge de seize ans, de connaître par cœur les ouvrages de ‘Abdoullâh Ibnou Al-Moubârak, Al-Waki’ et d’autres érudits condisciples de l’imâm Aboû Hanîfa.

Ses voyages

   Son premier voyage fut le pèlerinage à La Mecque à dix-huit ans, effectué en compagnie de sa mère et de son frère aîné. Après avoir accomplit leur devoir religieux, le frère et la mère rebroussèrent chemin, tandis qu’Al-Boukhârî séjourna sur le lieu saint pour approfondir ses connaissances, et écrire une biographie des compagnons du Prophète  et des pieux prédécesseurs, intitulé « Qadâyâ as-Sahâba wat-Tâbi’în ».

   À Médine, assis près de la tombe du Prophète  au clair de lune, il compila le célèbre recueil sur les transmetteurs « At-Târîkh Al-Kabîr ». À cette époque, le visage du jeune prodige ne témoignait d’aucune marque de pilosité.

   Guidé par une motivation sans pareille, l’imâm Al-Boukhârî se rendit dans des contrées lointaines pour acquérir la transmission des ahâdîth. Cet éloignement de plusieurs années lui permit d’enregistrer une myriade de connaissances. Il dit lui-même : « Pour rechercher le savoir, j’ai voyagé en Egypte, en Syrie et en Arabie ; je suis allé à Bassora quatre fois, j’ai passé six ans dans le Hijâz et je me suis rendu à Koufa et à Baghdâd à plusieurs reprises, toujours accompagné par des spécialistes de la parole prophétique. »

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Des facultés extraordinaires

   L’incroyable mémoire dont jouit l’imâm Al-Boukhârî est la caractéristique qui le démarquait de tous les autres spécialistes du hadîth et redonnait vie à celle d’Aboû Hourayrâ (grand compagnon du Prophète  qui a rapporté le plus de récits sur lui). Hachid Ibnou Ismâ’îl attestait de ce don extraordinaire : « L’imâm Al-Boukhârî nous accompagnait à Bassora pour écouter les ahâdîth de la bouche des savants. Nous écrivions tous ce que nous entendions, excepté Al-Boukhârî. Seize jours s’étaient écoulés lorsque nous lui reprochâmes cette négligence qui avait engendré tant de gâchis. Il nous demanda alors d’apporter nos notes. Les ayant en main, il se mit à réciter par cœur plus de 15000 ahâdîth, nous permettant ainsi de corriger ceux que nous avions répertoriés. »

   Mouhammad Ibnou Azhar As-Sijistânî témoignait également : « J’allais chez Soulaymân Ibnou Harb en compagnie de l’imâm Al-Boukhârî pour écouter les ahâdîth. J’écrivais ce que j’entendais, contrairement à mon pair. Quelqu’un m’interpella :

 » – Pourquoi Al-Boukhârî ne prend aucune note ?

– Si tu manquais à écrire un hadîth, Al-Boukhârî pourrait te le restituer de mémoire. » »

   N’importe quel quidam ne peut se targuer d’être doté d’une telle faculté d’esprit ! Allâh  donne à qui Il veut, et élève en savoir qui Il veut.

   Une lecture suffisait à Al-Boukhârî pour retenir ce qui l’intéressait du contenu d’un livre. Au début de son apprentissage, il avait déjà mémorisé 70000 hadîths puis, avec l’âge, ce chiffre atteignit 300000, dont 100000 étaient authentiques (sahîh), et 200000 relevaient d’autres degrés d’authenticité (hassan, da’if, …). Un jour, alors qu’il se trouvait à Balkh (ville historique d’Afghanistan), les habitants le sollicitèrent pour réciter un hadîth de chacun de ses professeurs : il déclama ainsi 1000 hadîths, chacun se rapportant à un de ses enseignants.

   À l’occasion de la venue d’Al-Boukhârî à Baghdâd, les traditionnistes locaux décidèrent de le tester en intervertissant les textes et les chaînes de transmission d’une centaine de hadîths, et en impliquant dans la manigance autant de personnes pour les énoncer. À l’arrivée du grand imâm, un rassemblement eut lieu en son honneur, comptant les savants, les nantis et la population. Un homme se leva, conformément au plan élaboré, et posa une question sur un hadîth falsifié. Une autre personne fit de même, et ainsi de suite jusqu’à la centième. Bien évidemment, l’imâm Al-Boukhârî n’avait jamais entendu ces combinaisons entre les paroles prophétiques et les chaines de transmission associées ; il se mit à les corriger une à une en s’adressant à leurs auteurs respectifs : admirative, l’audience reconnut la supériorité de ce savant exceptionnel.

Ses écrits

« Sahîh Al-Boukhârî » est le fruit d’une connaissance profonde des ahâdîth et de leurs chaînes de transmission. La compilation de ce recueil a duré seize ans : Al-Boukhârî n’y ajoutait aucun hadîth s’il n’avait pas fait ses ablutions et accomplit la prière de consultation auparavant. Ce livre compte plus de 7200 ahâdîth, tous authentiques. Il existe plus de 80 commentaires de cette œuvre, mais le meilleur reste celui d’Al-Hâfidh Ahmad Ibnou ‘Alî Ibnou Hajar Al-Asqalânî Aboû Al-Fadhl (mort en 852 H/1449 de l’ère chrétienne), qui fut achevé en 25 années.

   Les compétences d’Al-Boukhârî ne se limitaient pas à ce domaine de prédilection : il était à la fois exégète, linguiste, juriste et il n’a pas manqué de consigner ces différentes connaissances.

Ses professeurs et ses élèves

   Al-Boukhârî a rencontré plusieurs « tabi’ tabi’înes » (les suivants des successeurs pieux), et il eut plus de mille professeurs, dont Ahmad Ibnou Hanbal. Ibnou Hajar Al-‘Asqalânî détaille les différentes catégories d’enseignants :

– ceux qui rapportent d’après les tabi’înes, comme Mouhammad ‘Abdoullah Al-Ansârî.

– Ceux qui vécurent à l’époque des tabi’înes mais n’ont pas rapporté d’eux.

– Ceux qui ont appris chez les grands élèves des tabi’înes à l’instar d’Ibnou Hanbal.

– Ceux qui font partie de sa génération, ou encore certains de ses élèves.

Ses leçons attiraient beaucoup d’érudits : l’imâm Ibnou ‘Îssâ At-Tirmidhî (210 H – 279 H), Aboû Daoûd (230 H – 316 H) et l’imâm Aboû Al-Houssayn Mouslim (204 H – 261 H) faisaient partie de ses disciples.

Quelques traits de son caractère

   Al-Boukhârî était réputé pour son contentement et le respect de la parole donnée. A sa mort, le père d’Al-Boukhârî laissa une grande fortune à sa famille ; Al-Boukhârî disposa d’une bonne partie de cette richesse. Il utilisait son argent sur la base du partenariat silencieux : il fournissait l’échoppe où travaillait son associé, et les profits étaient équitablement partagés. Un jour, un commerçant lui proposa d’acheter des biens pour 5000 dirhams, Al-Boukhârî lui demanda de revenir le lendemain. Le soir, un autre groupe de commerçants lui offrit 10000 dirhams pour ces mêmes biens. Il leur dit : « J’ai déjà convenu d’un arrangement avec quelqu’un d’autre, je ne veux pas changer mon intention pour 10000 dirhams ».

   Le docte répondait à ses propres besoins. Il travaillait dur et, même s’il disposait d’une grande richesse, ne disposait que d’un nombre raisonnable de domestiques. Son attitude respirait la modestie et la simplicité : Mouhammad Ibnou Hâtim Al-Warrâq, un de ses disciples, avait illustré ce code de conduite par ces propos : « Al-Boukhârî construisait un petit hôtel dans la banlieue de Boukhâra ; il plaçait les briques lui-même. Je lui dis :

– « Laisse-moi le faire à ta place.

– Le Jour du jugement, cette action me sera bénéfique » me répondit-il. »

   Sa générosité allait de pair avec son dévouement. Il lui arrivait de faire don de 3000 dirhams en une journée. Al-Warrâq mentionna même qu’Al-Boukhârî dépensait toute sa paie (500 dirhams) pour ses étudiants.

   Les désirs de ce bas monde ne trouvaient guère de place dans le cœur de l’imâm Al-Boukhârî ; l’ascétisme était son vêtement. Durant sa quête du savoir, il se contentait de deux ou trois amandes par jour… Lorsqu’il fut touché par la maladie, les médecins lui signifièrent qu’elle découlait de la sécheresse de son alimentation, ce qu’il réfuta puisqu’il n’avait jamais eu de souci de santé en quarante ans.

   Le comportement de l’imâm Al-Boukhârî était empreint d’une grande piété, mêlée de crainte révérencielle d’Allâh . Sa vigilance quant à la médisance et à la suspicion s’avérait sans faille. La colère était bannie de son tempérament et il ne réprimandait personne en public. Il accomplissait beaucoup de prières surérogatoires et jeûnait fréquemment. Durant le mois de Ramadan, il terminait quotidiennement la lecture du Saint Coran.

   Ce catalogue des vertus de l’érudit n’est pas exhaustif : ce n’est là que les grandes lignes de sa personnalité mises en lumière.

L’incident de Nichapour

   En l’an 250 H, Al-Boukhârî, se rendit à Nichapour (Neysaboûr), dans la province iranienne du Khorâsan pour y dispenser des cours. Cependant, certains cheikhs enviant sa réputation et sa popularité, répandirent une rumeur laissant penser que le grand traditionniste prétendait ceci : « Ma parole, en récitant le Coran, est créée » ; ce ouï-dire impulsa un mouvement contestataire à son égard. Un homme l’interpella lors d’un ses cours : « Ô Abâ ‘Abdillâh, que dis-tu des paroles lors de la récitation du Coran, sont-elles créées ou non créées ? ». L’imâm de Boukhârâ ne donna aucune réponse, mais face à l’obstination de son interlocuteur, il répliqua alors : « Le Coran est la Parole de Dieu, les actes des hommes sont créés… » ; et l’individu d’incriminer le savant de reconnaître « que sa parole, en récitant le Coran, [était] créée ». Mouhammad Ibnou Yahya Ad-Dhouhalî en profita pour proscrire aux gens la fréquentation des assises d’Al-Boukhârî en prétextant que cela cautionnait sa position. Avant de retourner dans sa ville natale, Al-Boukhârî manifesta sa volonté de rétablir la vérité en apportant un éclaircissement à ses affirmations: « Celui qui, de Nichapour, prétend que j’ai dit que ma parole, en récitant le Coran, était créée, celui-là est un menteur. Je n’ai pas dit cela ; cependant j’ai dit que les actes des hommes étaient créés. »

Al-Boukhârî et l’émir de Boukhârâ

   À son retour, Al-Boukhârî fut visité par un envoyé de l’émir Khâlid Ibn Ahmad Az-Zuhalî : le prince l’invitait à lire ses ouvrages « Al-Jâmi’ » et « At-Târîkh » à ses fils. Il était hors de question pour l’imâm de se déplacer au palais, aussi déclara-t-il : « Dis-lui que je ne me permets pas de rabaisser la science ni de la porter devant les portes des sultans. S’il en a quelque besoin, il n’a qu’à venir dans mon oratoire ou chez moi. Et, si cela ne lui plaît pas, il est un sultan et il peut m’interdire de professer. [J’espère] que cela me soit une excuse devant Dieu le jour de la Résurrection… »

   Suite à cette réplique, Al-Boukhârî fut calomnié, persécuté et même exilé. Mais l’injustice ne saurait rester impunie : un mois ne s’était écoulé que le gouverneur s’est vu destitué de ses fonctions, ainsi que tous ses séides.

Sa mort

   L’imâm Al-Boukhârî fut rappelé par son Seigneur le premier jour du mois de Chawwâl de l’an 256 H (870 ap. J.-C.). Il repose à Khartank, un village près de Samarkand. Que Dieu lui accorde Sa miséricorde ! Son travail a marqué l’histoire des sciences du hadîth et constitue une aide précieuse pour les musulmans, désireux de perpétuer le souvenir du Prophète  jusqu’à la fin des temps.

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