L’Islam en Afrique Noire (1/2) : l’Afrique de l’Est
L’Islam est un mode de vie qui ne s’adresse pas seulement aux Arabes, mais à l’ensemble de l’humanité. Le Coran enseigne : « Ô hommes ! Nous vous avons créé d’un mâle et d’une femelle et Nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous auprès d’Allâh est le plus pieux.
Allâh est certes Omniscient et Grand-Connaisseur. », s.49 Al-Houjourât (Les Appartements), v.13. Le Prophète déclara en substance : « Toute l’humanité descend d’Adam et Ève ; un Arabe n’est pas supérieur à un non Arabe, et un non Arabe n’est pas supérieur à un Arabe ; tout comme un blanc n’est pas supérieur à un noir et vice-versa, excepté de par sa piété et ses bonnes actions. ». D’ailleurs, le premier muezzin de l’Islam, Bilâl Ibnou Rabâh , était originaire d’Afrique de l’Est (Abyssinie). Esclave affranchi des débuts de l’Islam, il faisait partie des Compagnons du Prophète les plus loyaux et dignes de confiance.
Aussi, cette région du monde fut une terre d’asile pour les premiers musulmans persécutés par les Qoraychites, leurs propres concitoyens. Les liens qui unissent l’Islam et l’Afrique sont donc très étroits.
Aujourd’hui, le nombre de musulmans en Afrique de l’Est est estimé à environ 100 millions de personnes. La proportion des musulmans varie d’un pays à un autre dans cette région : elle est de 80% pour le Soudan sur 40 millions d’habitants, 50% pour l’Erythrée sur 5 millions, 94% pour Djibouti sur 507 000, 45% pour l’Ethiopie sur 83 millions, 100% pour la Somalie sur 9 millions, 10% pour le Kenya sur 35 millions, 16% pour l’Ouganda sur 31 millions, 10% pour le Rwanda sur 10,2 millions, 1% pour le Burundi sur 8,6 millions, 35% pour la Tanzanie sur 40 millions, 20% pour le Malawi sur 14 millions, 18% pour le Mozambique sur 21 millions, 99% pour l’archipel des Comores sur 732 000 et 7% pour Madagascar sur 20 millions.
Premiers pas de l’Islam : l’Abyssinie
La première rencontre entre l’Islam et les Africains se produisit du vivant du Prophète Mouhammad . Né en 571, il prêcha le message divin pendant les 23 dernières années de son existence, jusqu’en 632. Basée sur l’unicité de Dieu, la nouvelle religion ne plut guère aux notables Qoraychites qui pratiquaient le polythéisme. Ils se mirent très tôt à persécuter le Prophète et les premiers musulmans. Lorsque leurs supplices se firent de plus en plus pénibles, le Messager conseilla aux fidèles d’émigrer pour trouver refuge autre part sur Terre : « Il y a en Abyssinie un roi auprès de qui personne ne subit d’oppression. [Et] si vous émigriez dans ce pays jusqu’à ce que Dieu vous facilite les choses ? » [Fathou-l-bârî 7/237.]
C’est ainsi qu’en 615, le premier groupe de croyants (environ quinze musulmans dont quatre femmes) s’expatria en Abyssinie (actuelle Éthiopie) alors gouvernée par An-Najâchî (le Négus), un roi chrétien africain.
Après avoir passé deux mois en Afrique, certains musulmans retournèrent à la Mecque suite à une rumeur selon laquelle les Qoraychites se seraient convertis à l’Islam. Constatant bien vite la fausseté de l’information, un nouveau groupe de quatre-vingt-dix personnes partit pour l’Abyssinie.
Les polythéistes envoyèrent deux hommes, à savoir ‘Amr Ibnou-l-‘Âç et ‘Abdoullâh Ibnou Abî Rabî‘a à leur poursuite pour essayer de ramener les exilés en Arabie. Chargés des plus somptueux cadeaux, les émissaires Qoraychites tentèrent par tous les moyens d’amadouer le Négus, qui ne livra cependant point les réfugiés. Son sens de l’équité le poussa même à écouter les fuyards : il fut pleinement convaincu par le discours de Ja‘far Ibnou Abî Tâlib et ému jusqu’aux larmes à la récitation des versets coraniques relatifs à Maryam mère de ‘Îssâ (paix sur eux). Le souverain chrétien offrit donc l’hospitalité aux émigrés musulmans, leur assurant sécurité et bien-être.
Le Prophète et les musulmans quitteront la Mecque en 622, soit treize années après le début de la révélation. ‘Â’icha rapporta que « la plupart des musulmans émigrés en Abyssinie revinrent en Arabie pour se rendre à Médine ». [Rapporté par Al-Boukhârî.]Cependant, un certain nombre d’entre eux resta en Abyssinie où ils établirent de très bonnes relations avec la population autochtone. On raconte que l’épouse de Ja‘far Ibnou Abî Tâlib accoucha le même jour que la femme du Négus et fut priée de devenir la nourrice du petit prince abyssin. Cet honneur lié à la parenté de lait accordé aux musulmans prouve bien la sincérité et l’étroitesse des liens entre les chrétiens d’Afrique et les musulmans d’Arabie.
Ces émigrés restèrent treize années en Abyssinie avant de retourner au Hidjâz en 628, après la bataille de Khaybar.
Plusieurs sources attestent de la conversion du Négus à l’Islam du vivant du Prophète qui fut par la suite informé de son décès par l’ange Jibrîl . Après avoir annoncé la nouvelle à ses Compagnons, il présida la prière funèbre en faveur du roi africain et implora Dieu de lui faire miséricorde.
L’expansion de l’Islam sur la côte orientale de l’Afrique
Contrairement à l’expansion musulmane en Afrique du Nord ou de l’Ouest, la propagation de l’Islam sur la côte Est se fit par vagues successives.
En 696, le calife omeyade ‘Abdoullâh Ibnou Marwâne envoya des émissaires sur la côte Est de l’Afrique, ce qui montre l’existence possible d’échanges commerciaux voire religieux. Dans les chroniques de Kilwa (grande cité médiévale de Tanzanie), il est rapporté que le sultan ‘Alî Ibnou Al-Hassan de Chiraz (Perse) voyagea jusqu’à Kilwa aux alentours du 8ème siècle avec ses biens et ses enfants suite à des persécutions. Il demanda au dirigeant de cette cité l’autorisation de s’installer, ce qu’il obtint sans difficulté en échange de biens commerciaux (tissus et colliers de perles). Le sultan épousa alors la fille du chef et vécut en bons termes avec les indigènes. Il aurait fait construire une des plus anciennes mosquées sur l’île de Zanzibar (archipel au large de la Tanzanie), à Kizimkazi.
D’après l’historien Al-Mas‘oûdî, les premiers marchands musulmans arrivèrent sur la côte orientale de l’Afrique au cours du 10ème siècle en provenance de divers horizons : de la péninsule arabique sans conteste, puisque seulement 80 kilomètres de mer la sépare de la Corne de l’Afrique ; d’Égypte, qui fut le premier pays nord africain à embrasser l’Islam ; du Golfe persique ; de Chine et d’Inde. Les commerçants musulmans se sont vite intégrés à la population en contractant mariage avec les indigènes. Ce brassage donna naissance à un nouveau peuple : les Swahilis. Ceux-ci développèrent une culture et une langue spécifiques, le kiswahili : un mélange d’arabe et de divers dialectes africains.
Le géographe Al-Idrîssî nota des échanges commerciaux entre Zanzibar et Muscat (Oman) en 1154 : l’Afrique de l’Est offrait en effet de l’or, de l’ivoire, des esclaves et plus tard, du coton tissé de qualité ; en échange, les musulmans apportaient du tissu, des épices, de la porcelaine et d’autres biens manufacturés.
L’épique voyageur andalou Ibnou Battoûta, visita Mogadiscio (actuelle capitale somalienne), Mombasa (ville portuaire du Kenya) et Kilwa au 14ème siècle, où il découvrit que les hommes de lettre et les savants, majoritairement chafi‘ites, correspondaient avec leurs homologues dans le Hijâz en arabe, langue de littérature et de commerce. Il rapporta dans ses écrits qu’il se sentait chez lui : la plupart des populations côtières étaient musulmanes.
Les historiographes rapportent également que les Swahilis avaient un mode de vie très naturel qui respectait complètement leur environnement : ils utilisaient des matériaux naturels comme le corail pour bâtir leurs demeures, encore d’aplomb aujourd’hui et leur régime alimentaire se composait de fruits et légumes locaux et de poisson.
Détails d’une maison swahilie
Au 15ème siècle, les Portugais chrétiens atteignirent la côte. Vasco de Gama arriva en 1498 en représentant du roi et de son peuple dans le cadre d’échanges commerciaux et de croisades religieuses. Ironie du sort, les Portugais ne seraient pas arrivés à destination sans les cartes élaborées par les musulmans et aucun matelot portugais n’osa s’aventurer au Cap de Bonne-Espérance sans y être accompagné par les musulmans. De Gama décrivit Kilwa comme étant une cité extrêmement belle, avec des fruits exotiques, des rues organisées, de l’eau courante, des structures solides et une littérature rivalisant avec celle de l’Europe.
Malgré la confiance du peuple swahili, les Portugais attaquèrent Mombasa en 1505, faisant fuir les populations à cause des bombardements de canon. Ils y établirent le Fort Jésus et d’autres forts le long de la côte. Les lusitaniens continuèrent à subjuguer les villes côtières majoritairement musulmanes de l’Océan Indien, de la péninsule arabique (Aden), d’Inde en passant par Goa et Gujarat jusqu’à Calcutta et établirent une route commerciale de la côte de l’Afrique de l’Est à la Chine. Forts de leur expérience des armes et du prosélytisme mené contre les musulmans d’Andalousie, les Portugais maltraitèrent les musulmans dans toutes les villes assujetties. Ceux-ci se révoltèrent et préférèrent être placés sous la protection du califat turc plutôt que d’être asservis par leurs colonisateurs catholiques.
Les Swahilis finirent par venir à bout de leur oppresseurs grâce à l’aide des Omanais, mais en 1812 des conflits éclatèrent entre Mombasa et Lamou (Kenya). Le sultan d’Oman Sayyid Sa‘îd intervint et conquit la côte swahilie. En 1840, elle fut complètement assujettie, au point que Zanzibar devint également la capitale d’Oman, sûrement à cause de son littoral qui était ― et l’est encore ― paradisiaque.
L’imposition brutale de la domination lusitanienne et la tentative de consolider le pouvoir du colonisateur en brisant le contrôle des marchands swahilis sur les commerces lucratifs d’or et d’ivoire fit pénétrer l’économie côtière dans la spirale du déclin. En fixant une taxe sur l’or à toute les villes-états subjuguées et en imposant un système de contrôle du trafic maritime, les Portugais n’ont fait que participer à l’agonie de la poule aux œufs d’or.
Les Omanais ont essayé de faire revivre le passé glorieux du commerce swahili sous le règne du sultan Sayyid Sa‘îd mais en vain. Par conséquent, les marchands se sont de plus en plus tournés vers l’agriculture, produisant des épices comme le clou de girofle ou la noix de muscade à exporter.
L’expansion de l’Islam à l’intérieur des terres
Malgré les succès politique, culturel et économique des villes swahilies, l’Islam se cantonna aux côtes de l’Est de l’Afrique. Cette situation changea à la fin du 18ème siècle, début du 19ème lorsque les plantations de noix de coco, d’épices et de canne à sucre se développèrent sur les îles côtières. Les cultivateurs, ayant besoin d’une main d’œuvre bon marché, commencèrent à ramener des esclaves de l’intérieur des terres. Les Swahilis n’étaient pas les premiers à avoir recours à l’esclavage, puisque dès le 17ème siècle, les Portugais, qui contrôlaient déjà toute la région côtière du Mozambique, le pratiquaient dans les terres de l’Afrique orientale, envoyant leurs esclaves au Brésil ou en Afrique du Sud. Les musulmans de la côte Est se déplaçaient eux-mêmes dans les terres pour rechercher de la main d’œuvre. Par conséquent, ils établirent des relations particulières avec les royaumes intérieurs. À travers leurs contacts avec ces nouveaux partenaires, l’Islam s’introduit progressivement dans certaines régions intérieures. Mais cette expansion s’interrompit rapidement avec l’introduction du colonialisme européen à la fin du 19ème siècle.
L’Islam apparut en Afrique orientale à l’époque du Prophète et il ne lui fallut que quelques siècles pour s’implanter pacifiquement et de façon durable. Avec l’apparition du peuple swahili, l’Afrique de l’Est connut son âge d’or. Malheureusement et une fois de plus, les colonisateurs européens, dans leur désir hégémonique de « civiliser » le reste du monde n’ont fait que précipiter sa décadence.