L’Islam en Chine (1/2)
La Chine est comme un chien endormi, ne la réveillez pas, car le jour où elle s’éveillera, le monde entier tremblera. » Cette phrase attribuée à Napoléon Bonaparte n’aurait pas été envisageable deux siècles plus tôt.
À cette époque la Chine n’était qu’une immense contrée s’étendant de l’aile Pacifique aux profondes terres de l’Asie Centrale. Mystérieuse, elle abritait une des plus anciennes cultures connues de l’homme, témoignant par la même occasion de l’apogée ou du déclin de maintes civilisations. Comparée aux autres nations, elle n’exerçait aucun poids sur la scène internationale. La seule inquiétude de l’Occident concernait sa croissance démographique. De nos jours, cette crainte prend une dimension significative, car la Chine compte un cinquième de la population mondiale.
Fort de 1.2 milliards d’habitants, le pays est une mosaïque de plusieurs communautés ethniques. Il existe une importante minorité musulmane, historiquement responsable de nombreuses découvertes et avancées humaines, qui ont mené la Chine à ce qu’elle est aujourd’hui. Cette minorité a montré une grande force d’âme en résistant aux épreuves infligées par leurs ennemis à cause de leur foi en Allâh . Leurs adversités sont toujours d’actualité, jour après jour, conséquences d’un régime répressif contrôlant toute initiative personnelle, malmenant le droit de croire et de pratiquer librement sa religion. Ce régime a manifesté maintes fois sa volonté d’enrayer toute opposition à son idéologie : les massacres et destructions de son fait en témoignent.
Nombre et composition de musulmans
Les musulmans de Chine ont fait preuve d’une ingéniosité remarquable pour pérenniser leur croyance dans un environnement hostile et suspicieux : l’Islam continue aujourd’hui de se renforcer et de s’étendre en Chine, le nombre des musulmans de croitre. Combien sont-ils de nos jours ? Dans les années 80, le recensement officiel montrait que la population chinoise musulmane atteignait les 16 millions de personnes. Or, les estimations de 1949 affirmaient déjà qu’elle comptait entre 45 à 50 millions d’individus ; même son de cloche pour les annales chinoises de 1938, qui avançaient le chiffre de 50 millions. Depuis, la population chinoise a plus que doublé en 50 ans, il est donc difficile d’imaginer que l’évolution démographique de ses musulmans soit allée dans le sens inverse de celle du pays en diminuant. Un tel décalage dément incontestablement les chiffres officiels publiés par les autorités chinoises. Si l’essor démographique des chinois musulmans s’alignait sur celui du pays dans son ensemble, ils seraient 190 millions.
L’Islam en Chine a réuni plusieurs groupes ethniques et a apporté sa propre contribution à l’histoire de la nation. Il concentre dix minorités différentes sur les 56 reconnues par l’Etat, dont six originaires de l’Asie Centrale. L’ethnie musulmane la plus importante est celles des Huis, dispersés sur tout le territoire jusqu’au Myanmar (Birmanie). Les autres sont les Ouigours, les Kazak, les Dongxiang, les Kirghiz, les Salar, les Paoan, les Ouzbeks, les Tatars et les Tajiks : la plupart de ces minorités se trouvent dans la province du nord-ouest de Xinjiang aux frontières du Pakistan, de l’Afghanistan et des républiques d’Asie Centrale. D’autres sont éparpillées dans les provinces de Gansu, Qinghai et Ningxia au nord-ouest. Les Chinois musulmans sont principalement issus de brassages entre populations d’Asie Centrale et de natifs chinois. Quelques communautés ethniques ont également des origines mongoles et tibétaines.
Installation de l’Islam en Chine
Les premiers musulmans de Chine apparurent à la suite de mariages mixtes entre commerçants arabes et perses avec des habitants chinois. Les derniers musulmans ont émergé suite aux conquêtes des territoires musulmans d’Asie Centrale comme la Perse, l’Iraq et l’Afghanistan par les Mongols. L’histoire montre qu’entre le 7ème et le 13ème siècle les empires musulman et chinois étaient les plus avancés dans le domaine commercial. Les commerçants musulmans perses et arabes arrivés en Chine par voie maritime se sont installés dans les villes côtières du sud comme Ghanzhou (Canton), qui était le port le plus important du monde à l’époque. Les musulmans parvenus en Chine par la route se sont sédentarisés à Xi’an et ses alentours, tout au long de la fameuse Route de la soie.
Ce premier chapitre du livre de l’histoire de l’Islam en Chine s’ouvrit en 651 ap. J.C. Selon les documents historiques chinois, ce fut l’année où le gouvernement de Médine durant le califat de ‘Outhmâne envoya officiellement des émissaires pour rencontrer l’empereur chinois dans la capitale Xi’an. Un des envoyés s’appelaient Sa’d Ibnou Abî Waqqâs , le cousin maternel du Prophète . Il fut inhumé dans la ville de Canton, où sa tombe est toujours bien conservée. À cette époque, la Chine était dirigée par la dynastie Tong, connue pour avoir favorisé un commerce florissant et des échanges culturels avec les pays avoisinants. Dans les premiers temps de commerce, l’Islam se limitait à une communauté de commerçants et aux tribus converties. Le lent processus d’islamisation de la Chine vit le jour à travers les contacts commerciaux et les unions matrimoniales entre les marchands musulmans vivant dans les villes chinoises et les autochtones. En 629, la première mosquée en dehors de l’Arabie fut construite à Ghanzhou. L’édifice religieux fut appelé « La mosquée Huaisheng », ce qui veut dire « Souviens-toi du Sage » (en mémoire au Prophète). Erigé sur le bord de la rivière des Perles, il prit aussi l’appellation « Guangta Mosque » signifiant « La mosquée à la tour lumineuse ». Son style moyen-oriental unique, avec son minaret de 25 à 35 mètres de haut servant de phare aux navigateurs de l’époque, n’a de réplique nulle part ailleurs en Extrême-Orient.
Bien que les premiers registres de contact chinois avec les musulmans datent de 651, il est très probable que les commerçants musulmans arabes et perses vinrent en Chine avant cette date par voie maritime ou terrestre.
Pendant la dynastie Tang en 618, la fameuse Route de la soie fut étendue pour relier l’Est à l’Ouest. Son point de départ fut Xi’an, capitale de cette dynastie, et se sépara en deux routes qui menaient aux villes arabes et indiennes en passant par l’Asie Centrale et la Perse. Les Arabes et les Perses furent nombreux à entrer en Chine par la Perse en empruntant la Route de la soie à des fins commerciales ; ils dirigeaient la majeure partie de l’import-export. La Grande Mosquée de Xi’an, une des plus imposantes de Chine, témoigne de leur présence.
Pavillon qui fait office de minaret, mosquée de Xi’an
Une des rares pièces témoignant du caractère islamique de ce lieu de prière
Durant la dynastie Song, de 960 à 1278, le commerce entre l’Arabie et la Chine prospéra et devint si important qu’il constituait le tiers des revenus annuels de l’empire. Les commerçants arabes et perses apportèrent en Chine des parfums, de l’ivoire, des perles précieuses et des objets en verre d’Afrique et d’Arabie. Les articles exportés de Chine comptaient du papier, des tissus, du thé, de la porcelaine, de la soie, de l’alun et même des plantes médicinales.
Cette dynastie engagea un commerçant musulman, riche et célèbre, Pou Chou Khan, au poste de haut commissaire de la police maritime pour surveiller le négoce avec les Arabes en Chine. Plus tard, il fut promu commissaire des douanes (1244-1246), puis commissaire de pacification le long des côtes méridionales chinoises.
De 651 à 1279, la Chine fut dirigée par plusieurs dynasties différentes. Même si les changements de dynastie entraînaient quelques remous sociaux, les routes commerciales et spécialement celle de la soie ne furent jamais complètement coupées. Les commerçants arabes et perses se succédèrent de génération en génération apportant non seulement leurs marchandises, mais aussi la guidance spirituelle musulmane à la société chinoise. Les indigènes chinois commencèrent à accepter la foi et se convertirent. Toutefois, le processus s’avérait extrêmement lent…
La véritable percée dans l’histoire des Chinois musulmans eut lieu au 13ème siècle, lorsque les Mongols conquirent pour la première fois les terres musulmanes, puis la Chine entière. Ils établirent la dynastie Yuan en Chine en 1279, et amenèrent avec eux des centaines de milliers d’artisans musulmans, des administrateurs, des soldats et des marchands d’Asie Centrale, de Perse et d’Arabie. Ces musulmans nouveaux venus se différenciaient de leurs prédécesseurs à plusieurs aspects :
– certains d’entre eux appartenaient à l’élite dirigeante de la dynastie Yuan, composée de scientifiques et d’érudits.
– Plusieurs musulmans furent affectés aux postes de gouverneurs de provinces, et au sein des fonctions ministérielles mongoles, douze postes sur seize étaient occupés par des musulmans. Grâce à leur rôle prééminent au gouvernement, ils ne rencontraient aucune restriction quant à la pratique et la propagation de leur religion.
– Contrairement aux premiers commerçants musulmans qui arrivèrent avec une culture rudimentaire et de sommaires connaissances linguistiques, les nouveaux venus étaient issus d’un milieu culturellement et linguistiquement diversifié, ils parlaient leur langue d’origine, ceci rendait les échanges difficiles. Pour une courte durée, la langue mongole servit de moyen de communication. Lorsque les mongols adoptèrent le chinois comme langue officielle, ils s’adaptèrent rapidement au nouvel environnement linguistique et abandonnèrent peu à peu leur langue maternelle. L’arabe et le persan furent maintenus dans les activités et études religieuses. La permutation vers la langue chinoise par les musulmans facilita la propagation de l’Islam au sein des indigènes chinois. Le règne de la dynastie Yuan ne dura que 89 ans, mais l’Islam s’enracina fermement dans la société chinoise durant une génération, et il en émergea une éminente communauté de musulmans chinois.
En 1368, les mongols ont dominé la dynastie Yang, qui fut évincée et remplacée par la dynastie Ming. Cette dernière adopta une politique isolationniste interdisant toute route commerciale maritime avec le monde extérieur. L’influence détériorée des navigateurs musulmans causa le déclin rapide de la communauté musulmane située sur les côtes portuaires. Mais dans les régions intérieures du pays, la situation s’avérait différente : la communauté musulmane continuait de fleurir dans certaines villes et campagnes. Les musulmans commençaient à organiser leurs propres structures, d’où l’apparition de mosquées ici et là. Chaque édifice religieux était indépendant des autres, et adoptait la tendance de la majorité de ses fidèles.
Evolution des musulmans
99% des musulmans chinois sont sunnites. La plupart d’entre eux suit les écoles d’Aboû Hanîfa et de Mâlik. Quelques musulmans originaires d’Asie Centrale, vivant dans la province de Xinjiang suivent l’école châfi’ite. Du 7ème au 17ème siècle, aucun accent n’avait été mis sur la dénomination des musulmans. La plupart d’entre eux s’appelaient « Qâdim » signifiant « les suiveurs de la tradition islamique ». Ils croyaient en la majorité des articles de foi et observaient les cinq piliers, cependant ils avaient aussi gardé diverses coutumes chinoises, déguisées sous une forme islamique. À partir du 17ème siècle, plusieurs sectes ont commencé à voir le jour. La propagation de différents enseignements sectaires au sein des communautés musulmanes du Nord-Ouest eut un effet immédiat : plusieurs factions se livraient souvent bataille pour la domination et le pouvoir ; certaines combattirent pendant 200 ans, entrainant maintes souffrances et la perte d’ô combien innocentes et précieuses vies !
Chaque secte s’engageait à recruter de nouveaux adeptes parmi les coreligionnaires. Préoccupés à s’entretuer, ils négligèrent complètement leur devoir de propager l’Islam au reste de la communauté chinoise. De plus, dans ces années de division et de discorde, quelques doctrines anti-islamiques furent introduites dans les sectes, dévoyant ainsi bon nombre de croyants des enseignements du Prophète : les hommes qui constituaient une communauté dynamique et prospère plongèrent dans l’apitoiement et les guerres intestines.
Tout comme le reste du monde islamique à la fin du 19ème siècle, la communauté musulmane chinoise se trouvait dans le désarroi le plus total. Les musulmans ordinaires aspiraient à de grands changements et à des réformes. La réponse à leurs attentes se concrétisa avec l’apparition d’un mouvement de revivification de la foi. Cette renaissance surgit en Chine au tournant du 19ème siècle. Sa source fut majoritairement le berceau de l’Islam : la Péninsule arabique. Les fondateurs de ce mouvement revivifiant appartenaient à un groupe qui se rendait souvent au pèlerinage : certains abandonnèrent les pratiques de leur bande pour se conformer au modèle des Arabes rencontrés durant le pèlerinage à la Mecque. Cette tentative rencontra un succès raisonnable, son but principal étant d’encourager les gens à identifier et à rejeter les traditions non islamiques, greffées au fil du temps, pour mener leur vie en accordance avec les préceptes coraniques, en calquant la vie du Prophète Mouhammad , incarnation parfaite des enseignements du Coran. Le désir ardent de réformes rendit ces objectifs populaires aux yeux de la communauté, et permit de réunir les efforts de plusieurs illustres imâms de cette époque. Le message du mouvement réformiste se propagea très rapidement en Chine : il devint la force dominante au sein de la communauté. Des écoles apparurent peu de temps après, fournissant l’instruction primaire et secondaire, usant des dernières méthodes de l’époque pour les filles et pour les garçons. L’Islam était enseigné à la lumière du contexte culturel chinois et à travers les travaux de divers savants chinois, qui représentaient la source principale des études islamiques. Le mouvement réformiste fut aussi la cause de l’organisation d’un mode de vie commun à tous les musulmans chinois : la communauté avait collecté des fermes dans les régions rurales du Nord-Ouest et des entreprises commerciales à travers le pays. Les particuliers étaient encouragés à travailler à la ferme, à s’engager dans des compagnies ou à étudier dans les universités en fonction de leurs talents et capacités. La structure et l’influence de ce mouvement sont toujours maintenus mais progressent peu : le mode de vie communal fut démantelé après la prise de pouvoir par les communistes en 1949. Jusque là, les musulmans participèrent grandement à l’essor de la civilisation chinoise.
La contribution de l’Islam à la Chine
La présence de l’Islam en Chine a été bénéfique au pays et à sa culture de différentes manières. Elle permit à d’éminents musulmans de réaliser de grands progrès dans les domaines de la science, l’administration, la guerre, la politique et le commerce. Un des plus grands navigateurs de Chine était le musulman chinois répondant au nom de ‘Amrou Mouhammad Zhang Ho, et originaire de la famille Ma, musulmane, de la province du Yunnan. Ce fut un caprice de l’empereur Chang Su (1403 à 1444) de la dynastie Ming de changer le nom Ma en Zhang. ‘Amrou Zhang Ho dirigea une flotte de 700 navires et navigua vers l’ouest sept fois. Sa flotte visita plus de trente pays et régions en Asie et Afrique. Elle atteignit le sud-est de l’Asie et les côtes de l’Afrique de l’est, 150 ans avant la découverte du nouveau continent par Colomb. Il encourageait la bonne volonté, l’amitié et le commerce international avec la population locale, partout où sa flotte jetait l’ancre. Bien que ses navires comptaient de nombreux soldats, il ne terrorisait jamais les indigènes ni ne colonisait leurs terres, ce qui contraste fortement avec les exactions des pouvoirs européens envers les natifs des territoires à conquérir…
Au cours de son dernier voyage, en 1433, ‘Amrou Zhang Ho atteignit la péninsule arabique pour accomplir son pèlerinage sur la terre sacrée.
Au Moyen Âge, les érudits du monde islamique excellaient en mathématiques, en algèbre et en trigonométrie. L’introduction de leurs connaissances en Chine facilita énormément l’étude de l’astronomie. C’est un célèbre astronome musulman du nom de Jamâl Ad-Dîn Mouhammad Ibnou Tâhir Ibnou Mouhammad Az-Zaydî que fit venir l’empereur de Boukhârâ. En 1267, il inventa 7 instruments d’astronomie en bronze :
– une sphère armillaire équatoriale ;
– un « instrument pour observer et mesurer les rayons des étoiles de la voûte céleste », sans doute l’organon parallacticon de Ptolémée ;
– un cadran solaire plan pour les heures inégales ;
– un cadran solaire plan pour les heures égales ;
– un globe céleste ;
– un globe terrestre ;
– un astrolabe.
Il a aussi traduit de l’arabe au chinois le nom des étoiles. Il fabriqua également un calendrier perpétuel, utilisé par le gouvernement Yuan jusqu’en 1281. Jamâl Ad-Dîn fonda en 1271 son propre bureau astronomique équipé d’un observatoire, qui coexista avec le bureau chinois de telle sorte que les deux systèmes d’évaluation fonctionnèrent côte à côte, avec plus ou moins de compétition. Les autres astronomes célèbres durant l’histoire Yuan furent Bactia, ‘Abdoullâh et Massalî : ils ont participé à la régulation de l’ampleur du calendrier utilisé en Chine pour diminuer la différence entre les années lunaires et solaires. Ce calendrier est aussi très précis dans la détermination des quatre saisons, essentielle aux yeux des agriculteurs chinois, coréens et japonais pour la culture de différentes céréales tout au long de l’année.
L’apport de l’Islam ne se limite bien évidemment pas à ces quelques exemples et la civilisation chinoise n’aurait atteint son apogée sans la participation des musulmans. Cependant, le gouvernement chinois a quelque peu perdu la mémoire et n’accorde pas à la population musulmane le statut qu’elle mérite… Mais laissons le second épisode nous relater ces faits…