(5) Mâlik Ibnou Anas : Les fondements de son école

École Malikite

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   Chaque école juridique se base sur des fondements pour extraire des décrets relatifs à toutes les questions religieuses ou profanes que peuvent se poser les musulmans dans leur quotidien.

   Le rite mâlikite se base non seulement sur des sources communes aux quatre écoles juridiques les plus connues, mais aussi sur des fondements qui lui sont spécifiques.

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Madrassa Ben Youssef (Maroc, Marrakech)

1. Sources scripturaires

a. Le Coran
· Le Coran constitue un ensemble d’éléments textuels. Il est la Parole de Dieu transmise à Son Envoyé par l’entremise de l’archange Jibrîl (Gabriel, ). Il constitue à la fois un signe de la prophétie de Mouhammad , un ensemble de lois destinées à guider les hommes et une supplication dont la lecture s’apparente à une adoration.

Il est la base des autres fondements puisque c’est dans ses versets que les savants puisent leurs preuves pour justifier le choix des fondements de leur jurisprudence.

b. La sunna (السُّنَّة)
· La sunna représente la transmission verbale des traditions prophétiques. Elle comprend tous les dires du Prophète, toutes ses actions réalisées, ainsi que les actes et les paroles d’autrui qu’il a admis ou approuvés.

   Mâlik prenait en compte les ahâdîth moursala (الأحاديث المُرسلة). Un hadîth moursal est un hadîth rapporté par un successeur sur le Prophète sans qu’il n’y ait dans sa chaîne de transmission le nom du ou des Compagnons qui l’ont entendu directement du Prophète. À l’époque de l’éminent érudit, les ahadîth forgés étaient rares et Mâlik était d’une grande rigueur dans l’acceptation de ce qu’on lui rapportait comme ahâdith sur le Prophète, c’est pourquoi Mâlik et Aboû Hanîfa pouvaient accepter les ahadîths moursala, contrairement à Ach-Chafi‘î ou Ahmad Ibnou Hanbal qui ne purent agir de la sorte à leurs époques respectives.

   C’est à partir de ces éléments scripturaires que l’imâm Mâlik a élaboré sa doctrine : il s’est basé sur leur authenticité pour dégager le sens véhiculé par leur formulation.

2. Principe de la déduction de l’opposition

   Mâlik puisait du texte coranique ou prophétique un principe de base nommé « La preuve du message » (دليل الخطاب ) ou « La déduction de l’opposition »(مَفهوم المُخالفة) : « Lorsque le texte coranique ou prophétique émet un décret sur une affaire qu’il mentionne, alors l’inverse de ce décret est attribué à ce qui n’a pas été mentionné. »

إذا دلَّ النَّصُّ من القرآن أوالسُّنَّة على حكم بالمنطوق به في هذا النصِّ ، فإن المسكوتَ عنه يثبت له نقيضُ ما ثبت للمنطوق به

Exemple 1 :

   Le Prophète dit : « Celle qui n’est plus vierge est plus à même [d’être responsable de son mariage] que son tuteur. »
A partir de ce texte les mâlikites concluent que la vierge ne peut se marier qu’avec l’autorisation de son tuteur. C’est pour cela qu’ils considèrent comme caduc un acte de mariage contracté avec une vierge sans le consentement de son tuteur ; et qu’un père a le droit de marier sa fille vierge, contre le consentement de celle-ci, dès lors qu’il estime que le mari qu’il lui propose est bien pour elle selon les critères islamiques : il s’agit du principe de « la contrainte du père » (إجبارالأبُ).

Exemple 2 :

Dieu dit :

فَمِنْ مَّا مَلَكَتْ أَيْمَٰنُكُم مِّن فَتَيَٰتِكُمُ ٱلْمُؤْمِنَٰتِ وَمَن لَّمْ يَسْتَطِعْ مِنكُمْ طَوْلاً أَن يَنكِحَ ٱلْمُحْصَنَٰتِ ٱلْمُؤْمِنَٰتِ

   « Et quiconque parmi vous n’a pas les moyens pour épouser des femmes libres (non esclaves) croyantes, eh bien (il peut épouser) une femme parmi celles de vos esclaves croyantes […] », s.4 An-Nisâ’ (Les Femmes), v.25.
A partir de ce verset, les mâlikites concluent que celui qui a les moyens d’épouser des femmes libres ne doit pas donner la priorité à une union avec des esclaves.

   Toutefois, l’utilisation du principe de la « déduction de l’opposition » est conditionnée par le respect d’une dizaine de clauses (non traitées dans cet article).

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3. Le consensus (« al-ijmâ‘ ») (الإجماع)

   Les fouqahâ’ se mettent unanimement d’accord pour adopter une nouvelle norme légale afin de résoudre une problématique nouvelle à une époque déterminée.

· Les moujtahidîn conviennent ensemble d’un avis commun duquel résulte un jugement qui a force de loi religieuse.

   Le consensus correspond à l’accord de tous les savants d’une même époque sur un cas juridique précis.

   Ce fondement est apparu après la mort du Prophète.

   Cet assentiment peut être explicite (صريحاً) ou implicite (سكوتِيّاً), ce dernier cas ayant été le plus usuel.
Ibnou Al-Qattân Al-Fâsî a écrit un livre nommé « Al-Iqnâ’ fî masâ’ili l’ijmâ’ » (الإقناع في مسائل الإجماع) où il a recensé presque 4 000 questions sur lesquelles il y avait consensus et dont la majorité fait partie du consensus implicite.
Le consensus chez les mâlikites est considéré comme un fondement indirect (دليل بغيره لا بذاته) puisque tout consensus se base sur un verset, un hadîth ou un raisonnement par analogie.

4 – La pratique des Médinois (« عمل أهل المدينة : ‘amalou ahli al-madîna »)

   Ce fondement est spécifique à l’école mâlikite.

   Cette source juridique réunit l’ensemble des avis émis par les Compagnons du Prophète et leurs successeurs qui ont résidé à Médine.
L’authenticité de cette jurisprudence réside dans sa transmission notoire d’une génération à une autre, ce qui lui confère une primauté que l’imâm Mâlik ne reconnaissait pas pour les ahâdîth singuliers en cas d’opposition entre les deux. En effet, un savoir ou des actes véhiculés de génération en génération présentent une authenticité incontestable, contrairement à une information transmise d’une personne à une autre. Par ce principe, l’imâm Mâlik a donné la priorité à ce qui est notoire par rapport à ce qui est singulier.

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Médine actuelle

5 – Le « dire » du Compagnon du Prophète (قولُ الصَّحابيِّ)

Il s’agit de l’avis émis par un Compagnon pour une situation précise. Dès lors qu’il est validé et qu’il n’éveille aucune contestation, il devient une source de droit reconnue surtout lorsqu’il se base sur une parole ou un acte prophétique.En revanche, si le compagnon donne un avis issu de sa propre réflexion, Mâlik considère qu’il peut accomplir son propre ijtihâd.

6 – La législation de ceux qui nous ont précédés (شَرْعُ َمن قَبْلَنا) Il s’agit d’appliquer un décret qui a été appliqué par une religion monothéiste qui a précédé l’Islam. Pour qu’il soit accepté, les mâlikites exigent :
– L’authenticité de l’information relative au décret : elle doit être rapportée par un verset coranique ou une sunna authentique.
– Que le décret ne soit pas abrogé dans la législation islamique.
– Que le décret ne soit pas mentionné comme un décret islamique, car dans ce cas, il n’est pas nécessaire de recourir aux autres religions.

Exemples :

   Prière, jeûne, aumône, etc.

7 – Le raisonnement par analogie (« al-qiyâs ») (القِياس)

   Le qiyâs consiste à juger un cas juridique inconnu des textes en le comparant à une situation analogue pour laquelle une prescription existe déjà dans un texte.

إلحاق فرع غير منصوصٍ بأصلٍ منصوص بكونهما يتساويان في العِلّة

   Il s’agit de déterminer la cause précise (al-‘illa) (العِلّة) d’une décision, qui servira à déterminer d’autres décrets respectant la même logique.

   L’exemple de la consommation du vin est significatif : sa prohibition est due à l’ivresse (al-‘illa) qu’il engendre chez l’être humain ; l’ensemble des boissons alcoolisées sera alors interdit pour la même raison.

   Il est rapporté que l’imâm Mâlik a l’exclusivité de ce fondement et qu’il donne parfois la priorité au raisonnement par analogie sur une information singulière lorsque ceux-là s’opposent.

Exemple :

   Celui qui rompt le jeûne du mois de Ramadan par oubli.

   Certes le hadîth du Prophète stipule : « Quand celui qui jeûne boit ou mange par mégarde, qu’il poursuive son jeûne. En réalité, c’est Dieu qui l’a nourri et qui lui a donné à boire. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.] Toutefois, contrairement aux autres écoles, Mâlik considère que la personne qui est dans ce cas de figure doit poursuivre son jeûne, mais doit aussi rattraper un jour. En effet, le jeûne est l’abstention de manger, de boire et d’avoir des rapports charnels depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil. Celui qui rompt ce jeûne par erreur ne respecte plus ce principe. Le raisonnement veut que cette personne récupère sa journée par respect pour le caractère sacré du mois du Ramadan.

   Les mâlikites d’Irak (ainsi que certains autres mâlikites comme Al-Qarâfî de l’Egypte), sont d’avis de donner la priorité au raisonnement par analogie par rapport au hadîth singulier en cas d’opposition.

   En revanche, les mâlikites de Médine considèrent que le hadîth singulier est prioritaire par rapport au raisonnement par analogie. Cela est aussi l’avis d’Aboû Al-walîd Al-Bâjî dans ses livres « Al-mountaqâ » et « Ihkâm al-fouçoûl ».
Aboû Bakr Al-Abharî (irakien) confirme que Mâlik ne donne la priorité au raisonnement par analogie que lorsque celui-ci est certain.
Cette divergence entre savants mâlikites est due au fait que Mâlik n’a pas explicitement donné son avis sur cette affaire. Il s’agit des conclusions de ceux qui ont étudié ses avis dans différentes affaires.

   L’avis le plus argumenté est que Mâlik ne donne la priorité au raisonnement par analogie sur le hadith singulier que dans deux cas :
a. Lorsque le raisonnement est soutenu par un fondement comme le Coran, la sunna ou le consensus.
b. Lorsque le hadîth singulier ne soit pas soutenu par un verset ou un autre hadîth.

Exemple :

   Le Prophète a dit : « Celui qui décède et qui est redevable d’un jeûne, son héritier peut jeûner pour lui. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.] De plus, selon Ibnou ‘Abbâs , une femme de Jouhayna demanda au Prophète : « Ma mère a fait vœu d’accomplir le pèlerinage, mais elle est décédée. Puis-je l’entreprendre à sa place ? » Le Prophète répondit : « Oui, tu fais-le ! Si ta mère était redevable d’une dette, ne l’aurais-tu pas rembourser à sa place ? Réglez les dettes à l’égard de Dieu, Il est Celui à l’égard Duquel les dettes méritent le plus l’acquittement.» [Rapporté par Al-Boukhârî.]

   Or, Mâlik considère qu’on ne peut pas remplacer quelqu’un dans les actes adoratifs tels que la prière, le jeûne ou le pèlerinage. L’érudit a donné la priorité au raisonnement par analogie à ces ahâdith en se basant sur des versets tels que : « Aucune [âme] ne portera le fardeau [le péché] d’autrui, et qu’en vérité, l’homme n’obtient que [le fruit] : de ses efforts »,
s.53 Al-Najm (L’Etoile), v.38-39.
A partir de là, Mâlik a jugé que celui qui a rompu le jeûne par inadvertance doit récupérer un jour et celui qui est décédé sans accomplir une adoration cultuelle, personne n’a à l’entreprendre pour lui.

   Cette procédure a été utilisée par des Compagnons telle que ‘Â’icha qui, lorsqu’elle a entendu Ibnou ‘Omar rapporter sur le Prophète que « le défunt est châtié par les pleurs des siens », a réfuté l’explication que donnait Ibnou ‘Omar en précisant qu’elle ne concordait pas avec le verset cité plus haut.
Il en est de même lorsqu’elle a réfuté la pensée selon laquelle le Prophète aurait vu Dieu le jour de l’Ascension en s’appuyant sur le verset : « Les regards ne peuvent L’atteindre, cependant qu’Il saisit tous les regards.» s.6 Al-An’âm (Les Bestiaux), v.103.

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