Sourate 90 Al-Balad (La Cité) (2/3)

Tafsir du Saint Coran (articles)

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3. Et par le père et ce qu’il engendre !

وَوَالِدٍ۬ وَمَا وَلَدَ


Selon certains exégètes, ce verset fait référence au prophète Âdam et à sa descendance. Dieu jure donc par la première terre habitée par un homme (La Mecque) et par le premier des êtres humains (Âdam) qui l’a habitée.

   Pour d’autres érudits, il s’agit du prophète Ibrâhîm et de son enfant Ismâ‘îl , les deux fondateurs de La Mecque et aïeux du Prophète Mouhammad .

   Enfin, quelques savants comme le Compagnon Ibnou ‘Abbâs affirment que Dieu jure par tout géniteur et ce qu’il procrée, et cette expression englobe les animaux. Cette dernière interprétation met en avant les difficultés et les douleurs engendrées par la gestation puis par la parturition qui mobilisent une forte endurance physique de la part des femmes chez l’être humain et des femelles chez les animaux.  Ainsi le serment concorde parfaitement avec la réponse qui lui est fait au verset suivant : « Certes, Nous avons créé l’homme dans l’affliction. »
Par ailleurs, les parents ont besoin de patience et de mansuétude pour éduquer et protéger leur progéniture, d’où le lien direct du verset 3 avec le verset 17 de la même sourate : « […] et s’enjoignent mutuellement l’endurance et s’enjoignent mutuellement la miséricorde. »

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   Pourquoi Dieu dit «وَمَا وَلَدَ » (et ce qu’il engendre) et non pas « وَ مَنْ وَلَدَ » (et celui qu’il engendre) ?

   Le mot « مَا » (mâ) s’emploie dans la généralité, alors que « مَنْ » (man) de manière plus exclusive. En effet, « مَا » (mâ) s’applique à la fois pour l’être qui raisonne et pour celui qui ne raisonne pas (للعاقل وغير العاقل), tandis que « مَنْ » (man) est strictement réservé aux individus doués de raison. Les exemples d’utilisation de « مَا » (mâ) pour l’être doué de pensée abondent dans le Coran :
– « Et par ce qu’Il a créé, mâle et femelle ! », s.92 Al-Layl (La Nuit), v.3 ;

وَمَا خَلَقَ ٱلذَّكَرَ وَٱلۡأُنثَىٰٓ

– « Puis lorsqu’elle en eut accouché, elle dit : “Seigneur, voilà que j’ai accouché d’une fille” ; or Allâh savait mieux ce dont elle avait accouché ! […] », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.36 ;

[…]  فَلَمَّا وَضَعَتۡہَا قَالَتۡ رَبِّ إِنِّى وَضَعۡتُہَآ أُنثَىٰ وَٱللَّهُ أَعۡلَمُ بِمَا وَضَعَتۡ

– « Et les gens de la droite ; que sont les gens de la droite ? », s.56, Al-Wâqi‘a (L’Événement), v.27.

وَأَصۡحَـٰبُ ٱلۡيَمِينِ مَآ أَصۡحَـٰبُ ٱلۡيَمِينِ

   Dans ces différents cas, l’emploi de « مَا » (mâ) accentue la valeur de ce qu’elle représente. Polysémique, ce pronom fait écho au terme « hilloun : حِلٌّ » présent dans le verset 2, qui l’est également.

4. Certes, Nous avons créé l’homme dans l’affliction.

لَقَدۡ خَلَقۡنَا ٱلۡإِنسَـٰنَ فِى كَبَدٍ

   Ce verset est la réponse aux trois serments qui le précèdent.

   Le vocable « كَبَد : kabad » (affliction) comprend à la fois les difficultés et les peines de la vie d’ici-bas et celles de l’au-delà. Dieu n’a ni utilisé un nom de sujet (مكابدا) ni un verbe (يكابد ) mais plutôt un complément nominal (فِى كَبَد ) pour montrer que la vie de l’homme est profondément marquée par la souffrance et les épreuves : cette caractéristique intrinsèque à l’existence humaine est immuable.

   « كَبَد : kabad » signifie aussi « difficulté, dureté » ; ce terme fait référence à l’embarras qui empêche l’être humain de manifester sa reconnaissance envers son Créateur dans le bonheur, et aux difficultés qu’il rencontre à patienter face aux épreuves.

   « كَبَد : kabad » veut également dire « squelette », c’est-à-dire tout élément qui donne sa rigidité physique à un être ou à une chose. Dans le hadîth d’Al-Khandaq, il est rapporté : « … c’est alors qu’ils rencontrent un roc dur (فعرضت كبدة شديدة) ». On parle aussi de « terre dure : أرض كبداء ». Selon cette signification du mot « كَبَد : kabad », l’être humain doit être solide comme un roc pour supporter les vicissitudes de la vie et mériter le paradis. Dans le hadîth rapporté par Mouslim, le Prophète  dit : « Le paradis a été entouré de difficultés et l’enfer a été entouré de désirs ». Ce hadîth montre clairement la voie du salut et celle de la perdition.

   Avec la révélation de ce verset, Dieu console Son Messager et l’encourage à endurer vaillamment les tourments occasionnés par son appel à l’Islam.

5. Pense-t-il que personne n’a pouvoir contre lui ?

أَيَحۡسَبُ أَن لَّن يَقۡدِرَ عَلَيۡهِ أَحَدٌ۬

   Certains exégètes avancent que ce verset concerne Al-Walîd Ibnou-l-Moughîra et Aboû Jahl. En fait, Dieu adresse dans ce verset une menace à l’endroit de toute personne injuste qui se croit à l’abri du jugement —  les Mecquois qui font obstacle à la mission du Prophète appartiennent à cette catégorie de personnes. La forme interrogative donne au verset une connotation de forte réprobation liée au comportement et aux attitudes blâmables de celui à qui il s’adresse. Plusieurs compréhensions sont envisageables :

– « Celui qui vit dans la félicité croit-il que personne ne peut le faire basculer dans l’adversité ? » ;
– « Celui qui se vante de sa force et de son égarement ne pense-t-il pas que Celui qui l’a créé est également capable de le ressusciter après sa mort pour le juger ? »

6. Il dit : « J’ai dilapidé d’abondantes richesses. »

يَقُولُ أَهۡلَكۡتُ مَالاً۬ لُّبَدًا

   Il est rapporté que ce verset vise Al-Hârith Ibnou Nawfal, car celui-ci a prétendu avoir dépensé une grande somme d’argent pour parasiter la mission du Prophète . Toutefois, aucune source authentique ne confirme cette présomption.

   Celui qui lance : « J’ai dilapidé d’abondantes richesses. » exprime soit l’orgueil, soit le regret, mais d’après le contexte de la sourate, il s’agit plutôt du premier sens. Les Arabes de l’époque préislamique aimaient à se vanter de leurs dépenses superflues pour signaler leur richesse.

Pourquoi Dieu a-t-Il employé le verbe « اهلك : ahlaka » (dilapider) plutôt que « انفق : anfaqa » (dépenser) ?

   Le verbe « dépenser » s’applique à une sortie d’argent plus ou moins importante, alors que le verbe « dilapider » concerne une dépense excessive et inconsidérée ; l’utilisation de ce dernier verbe est donc plus appropriée au contexte de la sourate. Il concorde également avec les versets précédents, puisque l’affliction et les difficultés peuvent conduire à la dilapidation des biens.

   Le terme «اللبد : al-loubad » signifie « réunis en grand nombre » ; il s’applique à la laine ou aux cheveux lorsqu’ils deviennent denses et collants. L’incrédule se vante donc de gaspiller ses multiples biens démesurément et sans crainte.

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Pourquoi Dieu a-t-Il utilisé «اللبد : al-loubad » plutôt que « الكثير : al-kathîr » (nombreux) ?

   Le vocable « لبدا » apparaît dans un autre passage coranique : « Et quand le serviteur d’Allâh s’est mis debout pour L’invoquer, ils faillirent se ruer en masse sur lui. », s.72 Al-Jinn (Les Jinns), v.19.

وَأَنَّهُ ۥ لَمَّا قَامَ عَبۡدُ ٱللَّهِ يَدۡعُوهُ كَادُواْ يَكُونُونَ عَلَيۡهِ لِبَدً۬ا

   Dans ce verset, « لبدا » reflète la manière dont les polythéistes se sont rassemblés pour nuire au Messager. À la lumière de ce passage, amasser de l’argent dans le but de le dilapider est similaire à la réunion des incrédules pour anéantir la mission du Prophète.
Par ailleurs, cette idée de grand nombre se retrouve tout au long de la sourate avec des éléments fonctionnant par deux ou mentionnés en groupe : le procréateur et ce qu’il a procréé, les deux yeux, la langue et les deux lèvres, les deux voies, ceux qui ont cru et ceux qui ont mécru ; enfin, s’encourager réciproquement à la patience et à la mansuétude rapproche les croyants entre eux, et par ailleurs, le Feu se refermera sur le groupe d’incrédules.

7. S’imagine-t-il que personne ne l’a vu ?

أَيَحۡسَبُ أَن لَّمۡ يَرَهُ ۥۤ أَحَدٌ

   Une nouvelle fois, Dieu a recours à la forme interrogative pour avancer la réprimande. Le verset peut être interprété comme suit : « Cet homme croit-il que Dieu ne sait pas s’il a vraiment gaspillé son argent ou pas ? » ou bien : « Cet homme croit-il que Dieu n’est pas au fait de ce qu’il a dilapidé ? »
Ce verset met en exergue la capacité de Dieu à voir toute chose, et se rapproche du verset 5 dans lequel Dieu mentionne Sa puissance (« Pense-t-il que personne n’a pouvoir contre lui ? »). Dieu indique ainsi à Ses serviteurs qu’Il est Al-‘Azîz (Le Tout-Puissant) et Al-Baçîr (Le Tout-Voyant) ; ces deux attributs divins ne laissent aucune échappatoire à celui qui désirerait se soustraire à Allâh .

8. Ne lui avons-Nous pas assigné deux yeux,

9. et une langue et deux lèvres ?

أَلَمۡ نَجۡعَل لَّهُ ۥ عَيۡنَيۡنِ (٨) وَلِسَانً۬ا وَشَفَتَيۡنِ

Ces deux versets illustrent et corroborent la véracité des attributs cités dans les versets 5 et 7. Celui Qui a attribué à l’homme deux yeux pour voir, une langue et deux lèvres pour parler ainsi que la liberté de choisir entre deux voies est parfaitement capable de voir ce que celui-ci fait, dit ou pense dans les moindres détails. La précellence de l’être humain sur les autres créatures provient indubitablement de la perfection du Créateur.
Le verset 8 est en corrélation avec le verset 7 : l’homme a besoin de ses yeux pour jouir de la vue, mais Celui Qui l’en a doté ne requiert aucun moyen particulier pour voir.
Quant au verset 9, il se rapporte au verset 6 : l’être humain ne peut parler sans sa langue et ses deux lèvres, c’est grâce à elles qu’il est capable d’exprimer son orgueil oralement.

10. Ne l’avons-Nous pas guidé aux deux voies [pentes] ?

وَهَدَيۡنَـٰهُ ٱلنَّجۡدَيۡنِ

   Le terme « نجد : najd » désigne un chemin tracé sur un monticule ou une montée à faible déclivité. Les deux pentes sous-entendues dans ce verset sont celles du bien et du mal. Dans d’autres passages coraniques, Allâh parle plutôt de « سبيل : sabîl » ou de « صراط : çirât » qui font plus référence à « voie, chemin » :

– « Guide-nous dans le droit chemin », s.1 Al-Fâtiha (L’Ouverture), v.7.

ٱهۡدِنَا ٱلصِّرَٲطَ ٱلۡمُسۡتَقِيمَ

– « Nous l’avons guidé dans le chemin […] », s.76 Al-Insâne (L’Homme), v.3.

[…] إِنَّا هَدَيۡنَـٰهُ ٱلسَّبِيلَ

– « Puis Il lui facilite le chemin », s.80 ‘Abasa (Il s’est renfrogné), v.20.

ثُمَّ ٱلسَّبِيلَ يَسَّرَهُ

   Le mot « نجد : najd » se distingue de « سبيل : sabîl » et de « صراط : çirât » par la connotation de difficulté, de gêne qu’il véhicule. C’est pourquoi il est le plus approprié dans le contexte de sourate Al-Balad, qui traite d’affliction et de voie ascendante (al-‘aqaba). Les difficultés liées à la voie du bien s’inscrivent en amont : accéder à la guidance nécessite méditation, réflexion et adoration. Les tourments relatifs à la voie du mal se situent, eux, en aval : ils sont les conséquences directes du refus d’adhérer au message divin.

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