(10) La prière (3/11) : conditions requises avant l’accomplissement de la prière

Jurisprudence malikite

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   Pilier fondamental de l’Islam, la prière (« aç-çalât : الصَّلاَة ») est le lien sacré qui relie le serviteur à son Seigneur au moins cinq fois par jour. Son importance est telle que l’existence de conditions précises est indispensable à sa validité.

Les modalités préalables à la prière se divisent en trois catégories : les conditions d’exigibilité (« شُروطُ الوُجوب : chouroût al-woujoûb ») qui la rendent obligatoire pour le croyant ; les conditions indispensables à sa validité (« شُروطُ الصِّحَّة : chouroût aç-çihha ») ; et celles qui relèvent à la fois de l’exigibilité et de la validité.

Les conditions d’exigibilité

La prière s’impose au fidèle dès lors :

1 – qu’il est pubère. En effet, ‘Alî Ibnou Abî Tâlib rapporte ces paroles de l’Envoyé de Dieu : « Le qalam est levé pour trois catégories de personnes : le dormeur jusqu’à ce qu’il se réveille, l’impubère jusqu’à ce qu’il atteigne la puberté et l’insensé jusqu’à ce qu’il recouvre ses sens. » [Rapporté par Aboû Dâwoûd.] ;

2 – qu’il n’est pas contraint de renoncer à sa prière pour cause de menace de mort, d’emprisonnement ou de torture. Ce cas de figure est mentionné dans le Coran : « Quiconque a renié Allâh après avoir cru ― sauf celui qui y a été contraint alors que son cœur demeure plein de la sérénité de la foi ― […] », s.16 An-Nahl (Les Abeilles), v.106. S’il est sous le coup de la contrainte, le fidèle accomplira ce qu’il peut de la prière.

Les conditions d’exigibilité et de validité

Certains impératifs confèrent à la prière son caractère obligatoire et valident en même temps son accomplissement :

1- le fidèle doit être en possession de toutes ses facultés intellectuelles. S’il a perdu sa raison, s’est évanoui, tombe dans le coma ou se trouve en état d’ébriété, il n’est pas tenu d’effectuer sa çalât. Celle-ci serait caduque s’il l’accomplissait dans un tel état, il doit d’abord recouvrer sa lucidité ;

2 – il doit pouvoir faire ses ablutions avec de l’eau ou un sol pur (ablution sèche). Celui qui ne trouve ni l’une ni l’autre, ou qui réussit à se procurer l’un des deux mais ne peut s’en servir, n’est pas dans l’obligation d’accomplir la prière que ce soit au cours de son temps légal (« al-adâ’: الأَدَاء ») ou en dehors (« al-qadâ’ : القَضَاء »). Effectuer une prière sans ablution n’a aucune validité ;

3 – il doit avoir présent à l’esprit la prière qu’il est tenu d’accomplir ; s’il l’a oubliée, elle ne s’impose à lui que lorsqu’il s’en rappelle ;

4 – le temps légal d’une prière canonique doit avoir commencé pour que celle-ci devienne obligatoire. L’accomplir avant ce moment la rendrait caduque ;

5 – la femme ne doit pas être en état de menstrues ou de lochies. Dans le cas contraire, la prière ne s’impose pas à elle, et même si elle l’effectuait, celle-ci serait invalidée.

Les conditions de validité

La prière est valide lorsque les circonstances suivantes sont réunies :

1- l’orant doit être musulman.

2 – Il doit être en état de pureté majeure et mineure. Ibnou ‘Omar rapporte ces paroles du Messager d’Allâh : « Dieu n’accepte de prière que de celui qui est en état de pureté. » [Rapporté par Mouslim.]

3 – Son corps, ses vêtements et le lieu de prière ne doivent pas être entachés d’une quelconque impureté matérielle. Fâtima Bint Abî Houbaych questionna le Prophète au sujet de la pureté corporelle : « Ô Envoyé de Dieu, je n’arrive pas à être en état de pureté, dois-je renoncer à la prière ? ― Ce que tu as, répondit le Prophète, c’est le sang d’une veine, ce ne sont pas des menstrues. Quand tes menstrues arrivent, cesse de faire la prière ; puis, lorsque le temps normal sera écoulé, nettoie le sang qui est sur toi et fais ta prière. » [Rapporté par Al-Boukhârî.]L’état de pureté s’impose à ce que porte le fidèle comme vêtements et accessoires : turban ou foulard, ceinture, chaussures, etc. En revanche, si l’orant ne sait pas qu’il est souillé par une impureté matérielle, ou bien s’il ne peut s’en débarrasser physiquement ou matériellement, sa prière sera valide dans tous les cas. En effet Allâh explique dans le Coran : « […] et Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion […] », s.22 Al-Hajj (Le Pèlerinage), v.78.

   En outre, certaines personnes dans des circonstances particulières ont la permission de prier valablement avec une impureté matérielle sur leur corps, leur vêtement ou leur lieu de prière. C’est le cas :
– de la mère dont le corps ou le vêtement est souillé par les matières fécales ou les urines de son nourrisson, malgré les dispositions prises pour éviter leur contact ;
– du chirurgien ou du boucher dont la blouse ou le tablier est sali(e) par le sang des chairs manipulées ;
– du fidèle dont le corps, le vêtement ou le lieu de prière est entaché par une impureté matérielle de la taille d’un dirham baghlî (tâche noirâtre présente sur le coude du chameau). Que cette impureté soit émise par un être humain ou un animal, par soi ou par autrui, au cours de la prière ou en dehors, elle n’invalide pas la çalât ;
– du berger dont le corps, le vêtement ou le lieu de prière est maculé par une souillure émise par ses animaux ;

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– du fidèle dont le vêtement ou le pied est sali par une boue douteuse, présente sur une route bourbeuse qui n’a pas séché ;
– de la femme dont le bas du vêtement sec traîne sur un sol impur et sec.

   Quant à la pureté du lieu de prière, elle se rapporte aux endroits où l’orant pose son front, son nez, ses mains, ses genoux et ses pieds au cours de la çalât. Le sol qui se trouve sous le tapis de prière n’est pas concerné par cette condition, même s’il est souillé. Aboû Hourayra rapporte un incident tout à fait significatif à propos de la pureté du lieu de prière : « Un bédouin se mit à uriner dans la mosquée. Les fidèles le saisirent brusquement, mais le Prophète leur dit : “Laissez-le faire et versez ensuite un seau d’eau sur cette urine. Vous n’avez d’autre mission que de rendre toute chose facile et non de rendre les choses pénibles.” » [Rapporté par Al-Boukhârî.]

4 – Il doit dissimuler sa nudité avec un vêtement ample et opaque.Une tenue ample ne colle pas au corps et ne laisse donc pas deviner les parties à cacher. Oumm Salama demanda un jour à son époux le Prophète : « Une femme peut-elle prier avec un voile et une tunique sans rien dessous ? ― Oui, répondit le Messager, si la tunique est ample et couvre le dos du pied. » [Rapporté par Aboû Dâwoûd.]Si l’orant prie avec un vêtement moulant les parties corporelles à couvrir, sa çalât est blâmable et il doit la recommencer avant la fin de son temps légal. En revanche, si son habit laisse distinguer les formes des parties à dissimuler à cause du vent ou de la pluie, sa prière reste valide.
L’opacité d’un habit empêche le passage de la lumière et ne permet donc pas de distinguer la couleur de la peau ou la forme du corps. Si l’orant prie dans un vêtement transparent, qui laisse apparaître les parties à couvrir, sa prière est caduque, il devra obligatoirement la refaire. S’il prie dans un vêtement qui laisse apparaître la couleur de la peau des parties à couvrir uniquement après une observation minutieuse, sa prière est réprouvée ; il lui est alors recommandé de la réitérer dans son temps légal (voir détails plus bas).

5 – L’orant doit se diriger vers la qibla (la Ka‘ba). Pour cela, il faut :
– qu’il puisse le faire. S’il ne peut pas se tourner vers la bonne direction pour cause de maladie ou autre et que personne ne peut l’orienter correctement, il pourra effectuer sa prière dans le sens où il se trouve sans devoir réitérer sa prière ;
– qu’il se sente en sécurité pour sa personne et pour ses biens. Si ce n’est pas le cas, il peut prier dans n’importe quelle direction et n’aura pas à refaire sa çalât ;
– qu’il n’oublie pas de se diriger vers la qibla. La prière de celui qui prie dans une autre direction par oubli est acceptée, mais il est tout de même recommandé de la refaire avant la fin de son temps légal.

    Plusieurs sources scripturaires témoignent du caractère obligatoire de se diriger vers la qibla. Allâh s’adresse ainsi à Son Envoyé dans le Coran : « Certes Nous te voyons tourner ton visage en tous sens dans le ciel. Nous te faisons donc orienter vers une direction qui te plait ! Tourne donc ton visage vers la Mosquée sacrée. Où que vous soyez, tournez-y vos visages […] », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.144.

   Ibnou ‘Omar rapporte cette tradition prophétique : « Pendant que les fidèles étaient en train d’accomplir la prière du matin à Qouba’, quelqu’un survint et leur dit : “Cette nuit l’Envoyé de Dieu a reçu une révélation : il lui a été ordonné de prendre la Ka‘ba comme qibla. Orientez-vous donc vers cette direction.” Aussitôt les fidèles, dont les visages étaient tournés vers Jérusalem (nord), firent volte-face et prirent la Ka‘ba pour direction. » [Rapporté par Mouslim.]L’exigence de s’orienter vers la Ka‘ba sera plus ou moins stricte selon que le fidèle se trouve à la Mecque ou hors de la cité sacrée. En effet lorsque l’orant se situe dans le Sanctuaire de la Mecque, tout son corps doit faire face à la Ka‘ba. S’il se trouve dans la ville de la Mecque mais hors du Sanctuaire, il doit vérifier qu’il s’oriente bien face à la Ka‘ba. Enfin, s’il est en dehors de la Ville sainte, il doit seulement s’orienter vers la qibla, il n’est pas obligé de se tourner face à l’édifice de la Ka‘ba ; l’essentiel étant qu’au moins une partie de son visage soit face à la qibla.

Quelles sont les parties corporelles concernées par la ‘awra ?

La ‘awra correspond aux parties du corps que le musulman doit couvrir pendant la prière ou en dehors.

A. Les parties corporelles à dissimuler au cours de la prière

Deux types de ‘awra concernent l’orant :
– « al-‘awra al-moughalladha : العَوْرَة المُغَلَّظَة » ou nudité profonde.
Pour l’homme, cette nudité correspond à la verge, aux testicules et à la raie fessière.
Pour la femme, il s’agit de la partie du corps (avant et arrière) comprise entre le nombril et les genoux.
La nudité profonde doit être complètement couverte pour que la prière soit valide. Si le fidèle prie avec une partie de cette ‘awra découverte, tout en ayant conscience de sa nudité alors qu’il pouvait la dissimuler, alors sa prière est caduque. Il devra donc la refaire même si son temps légal est écoulé. S’il lui est impossible de cacher sa nudité profonde (car ne peut financièrement se vêtir ou emprunter un habit) ou s’il ne sait pas qu’il est découvert, sa prière reste valide.
– « al-‘awra al-moukhaffafa : العَوْرَة المُخَفَّفَة » ou nudité superficielle.
Pour l’homme, cette ‘awra correspond à la partie du corps située entre le nombril et les genoux, en plus de sa nudité profonde.
Pour la femme, il s’agit de tout son corps ― y compris sa nudité profonde ―, excepté son visage et ses mains.
La nudité superficielle doit être complètement couverte au cours de la prière pour que celle-ci soit valable. Si une partie de cette ‘awra est dénudée pendant la çalât, celle-ci sera caduque ; le fidèle devra alors réitérer sa prière avant la fin de son temps légal daroûrî. Si le temps daroûrî s’est écoulé avant que le fidèle ait refait sa prière, il lui est tout de même recommandé ― mais pas obligatoire ― de la recommencer après ce délai.
Deux exceptions dérogent néanmoins à la règle : la plante des pieds pour les femmes et les cuisses pour les hommes. Si ces parties se découvrent au cours de la prière, elles n’astreignent pas le fidèle à refaire sa prière.

B. Les parties corporelles à dissimuler en dehors de la prière

   Les parties du corps à cacher en dehors de la prière varient selon que l’on soit un homme ou une femme et dépendent des personnes présentes en un même lieu. Dans le cas d’une femme qui est en présence :
– d’une musulmane, elle doit au moins couvrir la partie du corps allant du nombril aux genoux ;
– d’une non musulmane, seuls le visage et les mains peuvent être visibles d’après l’avis le plus répandu dans l’école ;
– de proches parents masculins qu’il lui est interdit d’épouser (« mahârim : مَحَارِم »), elle ne peut découvrir que la tête (visage et cheveux), le cou, les mains et les pieds ;
– d’hommes avec lesquels une union maritale est légalement possible, elle doit couvrir tout son corps sauf le visage et les mains.

   Dans le cas d’un homme qui se trouve en présence :
– d’hommes et de femmes de sa famille, il doit dissimuler la partie du corps comprise entre le nombril et les genoux ;
– de femmes qu’il lui est possible de prendre pour épouses, il ne peut découvrir que la tête, les bras et les jambes (en-dessous des genoux).

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Où est-il permis de prier ?

   Le musulman est autorisé à effectuer sa çalât à même le sol dans un pré réservé aux animaux comestibles, car les excréments de ces bêtes sont considérés comme purs (sauf la poule, qui se nourrit de déchets). Jâbir Ibnou Samoura rapporte cet échange entre un homme et le Prophète : « Un homme demanda à l’Envoyé de Dieu s’il pouvait prier dans un enclos pour les moutons. ― Oui, répondit le Prophète. ― Puis-je prier, reprit l’homme, dans les points d’eau aménagés pour abreuver les chameaux ? ― Non, répliqua le Prophète . » [Rapporté par Mouslim.]

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   Il est permis de prier dans toutes sortes de cimetières, que les tombes soient celles de musulmans ou non, qu’ils soient fréquentés ou délaissés. Jâbir Ibnou ‘Abdillâh rapporte ces paroles du Prophète : « Il m’a été accordé cinq choses qu’aucun prophète avant moi n’avait obtenu : pendant un mois de marche j’ai été uniquement protégé par la crainte (que j’inspirais) ; la terre m’a été assignée comme oratoire de prière et pour moi, son sol est pur […] » [Rapporté par Al-Boukhârî.]

   Le fidèle a également la permission d’accomplir sa prière dans les endroits où l’on prend des bains, où l’on abandonne les immondices, où l’on abat les animaux, s’il pense pouvoir se préserver des impuretés locales.

   Si le fidèle prie en ayant un doute concernant la pureté de son lieu de prière, sa çalât est réprouvable et il doit la refaire dans un endroit pur durant le temps légal propre à cette prière. Mais si ce temps est écoulé, il n’est plus obligé de la réitérer.
À l’inverse, si le croyant est sûr que le lieu envisagé pour prier est souillé, il lui est interdit d’y accomplir sa prière. S’il y effectue tout de même sa çalât, il devra la renouveler, que ce soit au cours de son temps légal ou en dehors.

Quels sont les endroits où il est réprouvé de prier ?

   Alors qu’il est permis de prier dans des enclos pour chameaux, il est réprouvé d’accomplir la çalât là où ils s’abreuvent, conformément au hadîth cité en amont. Une prière effectuée près d’un réservoir d’eau destiné aux chameaux est à refaire ailleurs dans son temps légal, même si l’orant est sûr de pouvoir se préserver des impuretés. Ce point de vue est justifié par des considérations adoratives qui dépassent l’entendement humain (« ‘illa ta‘aboudiyya »).

   Il est également réprouvé de prier dans les lieux de culte non musulmans ― qu’ils soient fréquentés ou délaissés ―, sauf si le fidèle y est contraint (température extrême, crainte d’un ennemi…). En revanche, si une prière y est accomplie sans nécessité, elle doit être recommencée ailleurs dans son temps légal.

Qu’en est-il de la prière accomplie dans un moyen de transport (ou à dos de monture) ?

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   Deux cas de figure se présentent : soit la prière est surérogatoire, soit elle est obligatoire.

   S’il s’agit d’une prière surérogatoire, l’orant peut l’effectuer dans un véhicule sans être orienté vers la qibla dans le cas où la distance parcourue est au moins égale à quatre-vingt-un kilomètres. Tout en restant assis, il simulera l’inclinaison et la prosternation en avançant le buste (un peu plus pour la prosternation).

    S’il est question d’une prière canonique ― çobh, dhohr, ‘açr, maghrib ou ‘ichâ’―, il n’est pas permis au croyant de prier dans un véhicule en mimant la génuflexion et la prosternation en étant assis, même si son corps est orienté vers la qibla. Jâbir Ibnou ‘Abdillâh décrit le comportement du Messager de Dieu : « Le Prophète fit la prière (surérogatoire) tout en étant sur sa monture et se tournant vers l’Est. Lorsqu’il voulut faire la prière canonique, il descendit de sa monture et se tourna vers la qibla. » [Rapporté par Al-Boukhârî.]Cela dit, est autorisé à le faire celui qui n’est pas en sécurité en sortant du véhicule ou qui est malade et ne peut en descendre.

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