(17) La prière (10/11) : raccourcir et regrouper les prières

Jurisprudence malikite

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   La prière est un acte cultuel fondamental que le croyant ne peut négliger sous aucun prétexte. Cela dit, l’Islam étant une religion de facilité et non de difficulté, il existe des dérogations précises qui permettent au fidèle d’accomplir sa prière dans les meilleures conditions.

La réduction des prières concerne les prières de quatre cycles, tandis que le regroupement se rapporte à toutes les prières excepté celle du çobh.

Le raccourcissement

   C’est d’abord dans le Coran qu’apparaît le fondement légal de la réduction des prières : « Et quand vous parcourez la terre, ce n’est pas un péché pour vous de raccourcir la çalât, si vous craignez que les mécréants ne vous mettent à l’épreuve, car les mécréants demeurent pour vous un ennemi déclaré. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.101.

   Dans la tradition prophétique, un hadîth mentionné par Ya‘lâ Ibnou Oumayya  explicite le verset précédent. Ce dernier rapporte : « Je récitai à ‘Omar Ibnou-l-Khattâb le verset : “Et quand vous parcourez la terre…”, lui faisant remarquer que les fidèles étaient désormais en sécurité. – J’ai éprouvé, me dit ‘Omar, le même étonnement que toi et ai questionné le Prophète à ce propos ; il me répondit : “Il s’agit d’une aumône que Dieu vous a faite, acceptez-la donc !” » [Rapporté par Mouslim.]

   Cette réduction concernant les prières quaternaires, il s’agit tout simplement d’accomplir deux cycles au lieu de quatre pour les prières du dohr, du ‘açr et du ‘ichâ’.

   Le statut légal relatif à la réduction des prières dépend de la nature du voyage entrepris. Il sera :

– vivement recommandé si le croyant se déplace dans le cadre d’un voyage licite sur une longue distance ;

– répréhensible pour celui qui quitte sa ville dans le but de s’amuser (ex. de la chasse) ;

– interdit si le voyage en question est illicite (pour contracter une vente illicite ou participer à une manifestation réprouvée par l’Islam).

Conditions de validité de la réduction des prières

   Plusieurs conditions doivent être respectées pour que le raccourcissement des prières quaternaires soit valable. Le voyageur doit :

– parcourir une distance égale ou supérieure à 81 km environ ;

– partir dans le cadre d’un voyage licite ;

– avoir l’intention d’effectuer les 81 km d’une seule traite ;

– quitter complètement son lieu de résidence (ville ou bourgade) ;

– ne pas prier sous la direction d’un imâm résidant ou d’un imâm voyageur qui effectuerait tout de même les quatre cycles. Le cas échéant, il devra compléter sa prière en quatre cycles.

   La possibilité de raccourcir les prières quaternaires prend fin dès lors que le fidèle :

– est arrivé dans la localité où il réside ;

– entre dans une ville où il a choisi d’élire domicile ;

– arrive avec son épouse dans l’agglomération où elle habitait ;

– décide de séjourner quatre jours entiers sans interruption dans l’endroit où il arrive (ne pas compter les jours d’arrivée et de départ), ou bien le temps d’effectuer vingt prières ;

– a l’intention de rentrer chez lui ou de séjourner durablement dans un lieu et qu’il lui reste moins de 81 km à parcourir jusqu’à son arrivée.

   N’est pas concerné par ces restrictions le soldat en territoire ennemi ou en expédition : il pourra réduire sa prière aussi longtemps qu’il sera impliqué dans les opérations militaires.

   Par ailleurs, si, pendant qu’il accomplit une prière raccourcie, le voyageur formule l’intention de séjourner longtemps dans son lieu d’arrivée, il devra interrompre sa çalât commencée en tant que voyageur et la refaire en tant que résidant (quatre cycles), même pendant le temps dit daroûrî.

 La question de l’imâmat

   Prier derrière un voyageur pour le fidèle résidant est un acte réprouvable [chez les mâlikites] dans la mesure où l’intention diffère ; mais il est plus répréhensible de prier derrière un imâm résidant lorsque l’on est en voyage, car cela revient à négliger une dérogation (« roukhça : رُخْصَة ») accordée par Allâh , sauf si cet imâm présente des qualités reconnues. Dans ce cas, le voyageur devra suivre l’imâm jusqu’au bout, comme énoncé précédemment.

   Si l’orant en voyage pense prier derrière un imâm qui partage son statut de voyageur et qu’il découvre finalement que ce dernier est résidant, il devra obligatoirement recommencer sa prière (intention différente). Pareillement pour un fidèle résidant qui prie derrière un imâm qui s’avère être en voyage, il est dans l’obligation d’interrompre sa prière et de la refaire.

Le regroupement des prières

   La loi islamique autorise le regroupement des prières du dohr et du ‘açr dans le temps légal de l’une d’entre elles, ainsi que la réunion des prières du maghrib et du ‘ichâ’ dans le temps de l’une des deux dans des circonstances bien particulières :

– en voyage ;

– en cas de maladie ;

– s’il pleut abondamment ;

– lorsque la boue recouvre les chemins et que le ciel est obscur.

1. Réunir les prières en voyage

   C’est dans la tradition prophétique que cette possibilité trouve son fondement légal. Anas  rapporta ces paroles de l’Envoyé de Dieu  : « Lorsque vous êtes pressés en voyage, retardez la prière du dohr jusqu’au début du temps du ‘açr et accomplissez ensemble ces deux prières ; retardez ensuite la prière du maghrib de manière à la réunir avec la prière du ‘ichâ’, au moment de la lueur crépusculaire. » [Authentifié par Mouslim.]

   Cela dit, le voyage doit être licite et s’effectuer par voie terrestre, comme le précise le Coran : « Quand vous vous déplacez sur terre, il n’y a aucun inconvénient pour vous à raccourcir la prière […] », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.101.

   Toutefois, contrairement à la réduction des prières, parcourir 81 km ne conditionne pas le regroupement de celles-ci ; il suffit que le croyant se déplace assez loin pour pouvoir les rassembler.

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   Deux possibilités s’offrent au fidèle concernant les prières du dohr et du ‘açr :

– réunir ces deux prières lorsqu’il fait une halte pendant le temps légal du dohr (jam‘ taqdîm : جَمْع تَقْدِيم) s’il ne pense pas s’arrêter avant le coucher du soleil. Il formulera alors l’intention de réunir ces prières au moment de prier le dohr. Par contre, s’il pense s’arrêter au début du temps légal du ‘açr, il ne regroupera pas ces deux prières et s’il a l’intention de s’arrêter à la fin du temps du ‘açr, il choisira une des deux options (réunir les prières ou non) ;

– les regrouper durant le temps légal du ‘açr, avant que l’horizon ne se colore pour le coucher du soleil (içfirâr : إِصْفِرار) s’il ne marque aucune pause avant (jam‘ ta’khîr : جَمْعُ تَأْخِير). En revanche, pendant le temps du dohr, le fidèle formulera l’intention de retarder cette prière pour la regrouper avec le ‘açr.

Idem pour les prières du maghrib et du ‘ichâ’, deux solutions sont possibles :

– accomplir ces deux prières lors d’une halte dès que le soleil est couché, tant que le voyageur n’envisage pas de s’arrêter avant le lever de l’aube. Bien entendu, il formulera l’intention de prier le ‘ichâ’ juste après le maghrib dans le temps de ce dernier (jam‘ taqdîm : جَمْع تَقْدِيم);

– différer la prière du maghrib jusqu’au temps du ‘ichâ’ (entre le début du temps du ‘ichâ’ et la fin du premier tiers de la nuit). Dans ce cas, il formulera cette intention durant le temps du maghrib (jam‘ ta’khîr : جَمْعُ تَأْخِير).

2. Regrouper les prières en cas de maladie

   Le malade pour qui il est difficile d’effectuer chaque prière au début de son temps légal est autorisé à regrouper les prières du dohr et du ‘açr en accomplissant la première à la fin de son temps ikhtiyârî et la seconde au début de son temps légal ; idem pour les prières du maghrib et du ‘ichâ’ en effectuant le maghrib au dernier instant de son temps ikhtiyârî et le ‘ichâ’ au commencement de son temps légal (cf. Les temps des prières). Il s’agit en réalité d’un « regroupement formel » (jam‘ çoûrî : جَمع صُوري), car chaque prière est observée en son temps.

   Pour sa part, le fidèle qui risque d’être pris de vertige, d’une forte migraine, d’un accès de fièvre ou d’un évanouissement dans le temps du ‘açr ou du ‘ichâ’, il lui est permis d’avancer chacune de ces deux prières pour l’effectuer juste après celle qui la précède (respectivement dohr et maghrib). Ibnou ‘Abbâs  a confirmé que cette pratique faisait partie de la sunna : « À Médine, l’Envoyé de Dieu  a réuni les prières du dohr et du ‘açr, et celles du maghrib et du ‘ichâ’ sans craintes ni pluies. » [Authentifié par Mouslim.]

   Si ce qu’il craignait ne se réalise pas, il lui est préférable de recommencer sa prière durant son temps légal.

3. Rassembler les prières en cas de pluie abondante

   Les croyants sont autorisés à regrouper les prières du maghrib et du ‘ichâ’ (uniquement) dans le temps du maghrib dans n’importe quelle mosquée s’il pleut à verse ou va pleuvoir abondamment (ou neiger selon certains mâlikites), que les chemins sont boueux et que le ciel s’est obscurci.

   Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour valider ce regroupement de prières : il faut que le maghrib et le ‘ichâ’ soient accomplis à la mosquée, en assemblée et que les fidèles formulent l’intention de les associer au moment de commencer le maghrib.

   Concrètement, la réunion de ces prières en de telles circonstances se déroule comme suit :

– formulation à voix haute de l’adhân du maghrib sur le minaret au début du temps ikhtiyârî ;

– attente d’un délai équivalent à trois cycles de prière ;

– accomplissement du maghrib ;

– formulation de l’adhân du ‘ichâ’ à voix relativement basse (pas sur le minaret) ;

– formulation de l’iqâma à voix haute ;

– accomplissement de la prière du ‘ichâ’.

4. Autres circonstances

   L’école mâlikite ne permet de regrouper les prières pour d’autres raisons que celles citées en amont. Cela dit, d’autres savants ont élargi la possibilité de regrouper les prières à d’autres circonstances.

   Pour les hanafites, il est permis de réunir les prières du dohr et du ‘açr, et celles du maghrib et du ‘ichâ’ lorsque le fidèle craint pour sa personne, ses biens, son honneur ou encore de perdre ses ressources (travail).

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   Parmi les savants qui ont également permis de recourir au jam‘ en cas de difficulté figurent Ibnou Sirîn, Rabî‘at Ar-Ray, Ach-hab et Ibnou-l-Mâjichoûn (tous  deux mâlikites), Ibnou-l-Moundhir et un groupe des gens du hadîth. Leur source est tirée de la tradition prophétique. Ibnou ‘Abbâs  a rapporté : « Le Prophète a une fois rassemblé la prière du dohr avec celle du ‘açr, et la prière du maghrib avec celle du ichâ’, sans cause de peur ni de voyage. » [Authentifié par Mouslim.] Dans une autre version : « … sans cause de peur ni de voyage ni de pluie. » [Authentifié par Mouslim.]

   Lorsqu’il fut questionné sur le but d’une telle conduite, il répondit : « Ceci pour enlever la difficulté à sa communauté. » [Rapporté par Mouslim.]

   ‘Abdoullâh Ibnou Chaqîq, un successeur, a rapporté : « Ibnou ‘Abbâs nous fit un jour un sermon après la prière du ‘açr jusqu’à ce que le soleil se couche et qu’apparaissent les étoiles… Les gens ont commencé à dire : « La prière, la prière… » Un homme se leva dans l’assemblée et répéta ces mêmes mots. Ibnou ‘Abbâs répliqua alors : « Est-ce que tu vas m’apprendre la sunna ? J’ai vu le Prophète rassembler le dohr avec le ‘açr, et le maghrib avec le ‘ichâ’. » J’ai alors eu un doute et je suis parti me renseigner auprès d’Aboû Hourayra qui me confirma ses propos. » [Authentifié par Mouslim.]

   D’après ces deux ahâdîth, certains savants ont conclu qu’il était possible de regrouper les prières de l’après-midi (dohr et ‘açr) en jam‘ taqdîm lorsque le fidèle risque de rater la prière du ‘açr d’une journée hivernale (plus courte) dans les pays occidentaux. Cette dérogation concerne bien entendu les étudiants ou les salariés contraints pour qui il est difficile ou gênant de prier sur leur lieu de travail ; le musulman ne peut regrouper ces prières sans raison valable. La réunion de ces prières ne doit néanmoins pas devenir une habitude.

   Le rassemblement des prières (dohr avec ‘açr et maghrib avec ‘ichâ’) est donc une possibilité envisageable selon les sources les plus authentiques dès qu’une difficulté ou une gêne se présente. Même si voyager aujourd’hui n’est plus aussi contraignant qu’auparavant, le regroupement des prières reste un « cadeau » que le croyant doit accepter comme il se doit.

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