(5) Aboû Hanîfa An-Nou’mâne : Diverses notions religieuses selon Aboû Hanifa

École Hanafite

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De la foi

   Selon Aboû Hanîfa , et à l’opposé de l’avis d’al-jahmiya  — secte déviante dont le fondateur était Jahm Ibnou Çafwân —, « La foi est affirmation et confirmation ». En clair,

affirmer la foi dans son cœur est insuffisant, il est nécessaire de la confirmer par la langue.

   Il ajoutait qu’une personne qui n’exprimait pas verbalement et ouvertement sa foi demeurait suspecte, et que si elle mourait, elle mourait incroyante : « La foi est reconnaissance, affirmation et déclaration de l’Islam. Concernant l’affirmation, les gens se répartissent en trois catégories : certains affirment Allâh avec leur cœur et leur langue ; certains l’affirment avec la langue et nient avec le cœur ; certains l’affirment avec le cœur et nient avec la langue. En ce qui concerne la personne qui reconnaît avec sa langue et son cœur Allâh et ce qui est parvenu du Messager d’Allâh, elle est croyante auprès d’Allâh et auprès des gens. Si quelqu’un affirme avec sa langue et nie avec son cœur, il est un incroyant auprès d’Allâh et un croyant auprès des gens, car les gens ne savent pas ce qu’il y a dans son cœur et ils l’appellent croyant suite à sa déclaration publique de la chahâda. Le dernier est croyant auprès d’Allâh et incroyant auprès des gens. Celui-ci expose sa mécréance par sa langue par le biais de la taqiyya [le fait de camoufler sa foi]. »

Il est rapporté que Jahm Ibnou Çafwân se rendit auprès d’Aboû Hanîfa pour controverser sur le sujet :« Je suis venu pour discuter avec toi de certains sujets que j’ai préparés.
—   Discuter avec toi constitue une infamie et approfondir tes positions ne peut que conduire à un feu ardent.
—   Comment peux-tu me juger alors que tu ignores mes dires ?
—   Tes paroles, que les orants ne profèrent pas, m’ont été rapportées. Tes propos sont de notoriété publique tant auprès du peuple que de l’élite. Par conséquent, je peux me permettre d’affirmer cela sur toi.
—   Aboû Hanîfa, je ne te questionnerai que sur la foi : que penses-tu de quelqu’un qui reconnaît Allâh dans son cœur et qui sait qu’Allâh est Un et n’a pas d’associé, ni semblable, qui reconnaît à Allâh Ses attributs et puis qui meurt avant de l’articuler avec sa langue : meurt-il croyant ou mécréant ?
—   S’il ne formule pas avec sa langue ce que reconnaît son cœur, il sera voué au feu.
—   Comment ne peut-il être croyant alors qu’il accepte, dans son cœur, Allâh avec Ses attributs ?
—   Si tu crois au Coran et l’accepte comme une évidence, j’y puiserai mes arguments. Si tu y crois, mais ne l’accepte pas comme une évidence, je te parlerai comme à un opposant à l’Islam.
—   Je crois au Coran et l’accepte comme une évidence.
—   Dans Son Livre, Allâh Le Tout-Puissant relie la foi à deux organes : le cœur et la langue. Le Tout-Puissant dit : “ Et lorsqu’ils entendent ce qui a été révélé au Prophète, on voit leurs yeux déborder de larmes tant ils sont saisis par la vérité du message, et ils disent : ‘Ô notre Seigneur ! Nous croyons ! Inscris-nous au nombre des témoins ! Pourquoi ne croirions-nous pas en Allâh et à la vérité qu’Il nous a envoyée ? Pourquoi n’espérerions-nous pas que notre Seigneur nous fasse entrer en la compagnie des gens vertueux ? Allâh leur accorda en récompense de leur déclaration des jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, où ils demeureront éternellement.’ ”  [S.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.85.] Ainsi, Il a lié le jardin à la reconnaissance et à la parole, et Il a fait du croyant quelqu’un qui atteste par le cœur et par la langue. Allâh Exalté dit aussi : “Dites : ‘Nous croyons en Dieu, à ce qui a été révélé à Ibrâhim, Ismâ‘îl, Ishâq, Ya‘qoûb et aux tribus ; à ce qui a été donné à Moûsâ et à ‘Îsâ ; à ce qui a été révélé aux prophètes par leur Seigneur, sans établir entre eux aucune différence. Et c’est à Dieu que nous sommes entièrement soumis.’ Si les gens du Livre adhèrent à votre croyance, ils seront dans la bonne voie ; et, s’ils s’en détournent, c’est qu’ils auront opté pour la rébellion. Dieu te protégera de leur mal, car Dieu entend tout et sait tout.” [S.2 Al-Baqara (La Génisse), v.136-137.] »

   Puis l’érudit récita d’autres versets coraniques avant de conclure : « Si les paroles n’avaient pas été nécessaires et que la seule reconnaissance avait suffit, Allâh n’aurait pas mentionné l’articulation verbale. Satan aurait été un croyant, car il reconnut son Seigneur et il sut qu’il Lui avait désobéit. »

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Il n’y a de Dieu qu’Allâh et Mouhammad est Son Messager

    Plusieurs  savants sunnites affirment que l’action fait partie de la foi, qu’elle en affecte l’augmentation ou la diminution sans remettre en cause son fondement. Par conséquent, lorsque le musulman n’applique pas les règles de la charî‘a, il est considéré comme un croyant quand le principe d’affirmation existe, mais sa foi est réputée comme incomplète : elle peut donc croître ou décroître.
Aboû Hanîfa «« ne pensait pas ainsi, à la grande réprobation des mou‘tazilites et des kharijites : selon lui, l’action n’interfère pas sur la foi. Il dit : « La foi des gens de la Terre et du paradis est identique ; et la foi des premiers, des derniers et des prophètes est similaire, car nous croyons tous en Allâh L’Unique et l’affirmons, même si les obligations sont nombreuses. L’incroyance est une et les attributs de l’incroyant sont multiples. Tous nous croyons en ce que les messagers croient, mais ils ont une plus grande récompense que nous pour la foi et pour tous les actes d’obéissance, vu qu’ils sont les meilleurs dans l’action et qu’ils sont les meilleurs dans tous les domaines, les récompenses et autres. Ceci n’est pas une injustice envers nous car cela ne diminue en rien ce qui nous revient. Cela augmente notre estime pour eux, car ils sont des modèles pour les gens et les délégués d’Allâh. Personne n’a le même rang qu’eux et les gens ne peuvent atteindre l’excellence que par leur biais ; tous ceux qui rentreront au paradis y rentreront grâce à leur rappel. »
Pour l’érudit, la foi n’augmente pas et ne diminue pas : de par leur double attestation de la foi (Allâh est Dieu et Mouhammad «« est son Envoyé), les transgresseurs de la chari‘a ne sont pas des incroyants, mais ils sont des croyants qui mélangent les bonnes et mauvaises actions, et Allâh «« leur pardonnera s’Il le veut. De ce point de vue, l’imâm Mâlik Ibnou Anas «« rejoint Aboû Hanîfa (que Dieu les agrée).

De la prédestination et des actions humaines

   Ces deux concepts sont englobés dans le terme arabe « al-qadar ». Le perspicace érudit Aboû Hanîfa abhorrait la controverse sur ce thème et incitait ses compagnons à la même attitude. Il répondit un jour à Yoûsouf Ibnou Khâlid As-Samtî qui le questionnait à ce sujet : « C’est une question qui est difficile pour les gens. Comment seraient-ils capables de comprendre ? C’est une serrure dont la clé a été perdue. Si la clé est retrouvée, son contenu sera connu. Elle n’est ouverte que par une personne informée par Allâh. »
Aux qadarites qui débattaient avec lui, il répondait entre autres : « Ne savez-vous pas qu’une personne qui étudie le qadar est telle celui qui regarde les rayons du soleil : plus il regarde, plus sa confusion augmente. […] Allâh décrète toutes choses et elles ont lieu selon Son décret et pourtant les gens croient que ce qui arrive est à attribué à leurs propres actions. »

   Aboû Hanîfa traita cette question d’une manière très restreinte. Pour lui, le décret du bien et du mal, l’infini savoir, l’absolue volonté et le pouvoir d’Allâh sur toute Sa création sont des réalités incontestables ; le dogme issu du noble Coran est qu’aucune action humaine n’échappe à la volonté d’Allâh ««, même si l’homme est doté du libre arbitre pour l’obéissance et la transgression et qu’il aura des comptes à rendre à son Créateur.

De la création du Coran

    A l’époque d’Aboû Hanîfa , le concept de la création du Coran fut introduit et répandu par Al-Ja‘d Ibnou Dirham. Le gouverneur du Khorassân, Khâlid Ibnou ‘Abdillâh, mit fin à l’hérésie de son auteur en ordonnant son exécution. Cependant, l’idée s’est incrustée dans l’esprit de certains dont Al-Jahm Ibnou Çafwân.
Les détracteurs d’Aboû Hanîfa ont prétendu que l’érudit partageait cette thèse et que les gouverneurs omayyades d’Irak, Aboû Yoûsouf Ibnou ‘Omar, puis Ibnou Abî Layla lui demandèrent de s’en repentir. Il n’en fut rien, l’Histoire de Baghdâd relate au contraire : « Quant à l’idée que le Coran a été créé, Aboû Hanîfa ne l’adopta pas. »  « Ni Aboû Hanîfa, ni Aboû Yoûsouf, Zafar, Mouhammad ou Ahmad ne parlèrent du Coran. Ceux qui en parlèrent furent Bichr Al-Marîsî et Ibnou Abî Dou‘âd. Ils calomnièrent les disciples d’Aboû Hanîfa. »

   La calomnie est hélas le lot des illustres représentants de la foi musulmane, et Aboû Hanîfa n’en fut point épargné tant par ses concitoyens, ses pairs que par les autorités en place. Mais ce furent justement les épreuves qui firent rayonner son éminente personnalité et son extraordinaire savoir, et l’histoire islamique laisse de lui une réputation enviable perpétuée par ses disciples et la communauté musulmane dans sa grande majorité.

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