Commentaire de l’aphorisme 18 (article)

Sagesses d'Assakandarî (articles)

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   Ajourner les œuvres pour un temps où tu seras libre c’est se sacrifier au penchant de l’âme. »

إحالتُك الأعمالَ على وجود الفراغ، مِن رُعونات النفس

   Cet aphorisme fait suite aux paroles d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh : « Il épuise toute ignorance celui qui veut que dans l’instant présent advienne autre chose que ce que Dieu y manifeste. »

   Allah  a en effet guidé chacun de Ses serviteurs vers un travail particulier ; c’est ainsi que chaque être humain investit le temps qui lui est imparti sur cette terre. Grâce à cette diversification au niveau des intérêts de chacun, la terre sera harmonieusement construite et bien peuplée.
Il n’appartient à personne d’inciter tous les hommes à s’investir dans un seul domaine, quand bien même il s’agirait de la sphère religieuse. Néanmoins, le musulman ne doit pas reléguer ses devoirs adoratifs au second plan et privilégier ses occupations mondaines. C’est d’ailleurs l’objet de ce 18ème aphorisme : « Ajourner tes œuvres pour un temps où tu seras libre c’est se sacrifier aux penchants de l’âme. »

   Les œuvres dont parle Ibnou ‘Atâ’i Allâh dans cet aphorisme sont celles qui répondent aux critères des activités adoratives obligatoires (telles que la prière), ou des actions vivement conseillées (telles que la lecture du Coran, l’acquisition du savoir, la fréquentation régulière de la mosquée, le rappel de Dieu (dhikr), l’aide apportée à son prochain, etc…).
Pour Ibnou ‘Atâ’i Allâh, le temps libre correspond aux moments non investis dans des préoccupations mondaines telles que le travail, la responsabilité politique, le commerce, etc.
Quant aux penchants de l’âme, ils renvoient aux passions mauvaises, auxquelles il est nécessaire de résister.
Donc selon Ibnou ‘Atâ’i Allâh, différer les bonnes œuvres et ne s’y consacrer uniquement pendant son temps libre revient à répondre à la véhémence de ses émotions dévorantes. Le fidèle écoute le conseil de Satan qui investit tout son être pour dévoyer le musulman des œuvres assainissantes tant sur le plan éthique que moral.

     Lorsque le musulman écoute des exhortations ou des allocutions sur les pieux Compagnons du Prophète  et sur les successeurs, il reste admiratif en découvrant l’actif de ces hommes et de ces femmes, leur foi, leur courage, leurs sacrifices, leur générosité, leur magnanimité ou leur pratique religieuse.

   Il arrive aussi souvent que le prédicateur réveille en lui la flamme de la foi durant le prêche du vendredi : celle-ci s’éteint fréquemment par les aléas de la vie et par les préoccupations quotidiennes. La ferveur qui réchauffe alors le cœur du croyant réanime la motivation et la détermination qui prennent le dessus sur la fainéantise et l’inconscience. Une voix intérieure s’éveille en lui pour l’inciter à s’engager fermement dans la voie de la religion au quotidien : prier à la mosquée, lire du Coran journellement, participer aux assises de savoir et d’apprentissage, prendre le temps de méditer, se rappeler de Dieu, etc. Malheureusement, à mesure que le temps passe, plus la ferveur ressentie se refroidit et plus la voix de la conscience s’étouffe et finit par s’éteindre.

   Une autre voix prend alors le relais et énonce les excuses nécessaires à l’élimination du remord dans le cœur du fidèle. Il s’agit en effet de l’appel de la passion dont les arguments sont dictés par Satan.

   Pour quelqu’un qui ne croit pas ou dont la foi est très faible, l’argumentaire développera ces idées : « Ce qui compte c’est la foi en Dieu, dès lors que je crois en Dieu, ou dès lors que je fais du bien ; accomplir de bonnes œuvres adoratives me servira-t-il vraiment ? Pour l’instant, j’ai des préoccupations quotidiennes qui m’empêchent de libérer du temps pour un quelqu’autre engagement, même spirituel. On verra lorsque je serai âgé et disposerai d’une retraite bien méritée pour mener une nouvelle vie où le spirituel dominerait le temporel … »

   C’est d’ailleurs souvent pour cette raison que plusieurs musulmans ne trouvent le chemin des mosquées et du pèlerinage qu’à un âge très avancé ou suite à une rude épreuve qui réveille de l’inconscience. C’est à ces personnes que Dieu s’adresse clairement dans le Coran : « La course aux richesses vous distrait jusqu’à ce que vous visitiez les tombes. Mais non ! Vous saurez bientôt, encore une fois ! Vous saurez surement si vous saviez de ( ?) certaine, vous verrez, certes la fournaise. Puis vous la verrez certes avec l’œil de certitude. Puis assurément  vous serez interrogés, ce jour-là sur les délices. », s.102 At-Takâthour (La Course aux richesses).

   Ces individus se basent donc sur de faux espoirs inspirés par Satan. Dieu dit d’ailleurs à ce propos : « Il leur fait des promesses et leur donne de faux espoirs. Et le diable ne leur fait que des promesses trompeuses. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.120.

   Quant aux croyants dont la foi est relativement forte, les inspirations sataniques se développent avec plus de subtilité. Les excuses justifiant l’impossibilité d’observer une rectitude dans l’engagement spirituel (plus de prières, lire le Coran et apprendre quelques sourates par cœur, fréquenter régulièrement la mosquée, participer à des assises de savoir ou de rappel) semblent plus appropriées et sont donc mieux acceptées par l’audience : « Je suis un peu occupé ces jours-ci, mais je suis rassuré ! Mon travail et mes préoccupations sont bénis, je suis engagé dans le sentier de Dieu ; dès que je gagnerai suffisamment d’argent, j’en réserverai une bonne part pour les nécessiteux ou pour les œuvres pies. Dès que j’aurai suffisamment d’argent qui me garantira une certaine sécurité financière, je diminuerai la cadence de mes efforts pour me consacrer un peu à ma religion ; je viendrai plus souvent à la mosquée et je réserverai quelques minutes par jour à lire le Coran et à l’apprendre ; je participerai aux assises de savoir et aux entreprises pieuses telles que des associations qui œuvrent pour l’Islam. »

   Ô combien sont nombreuses les personnes aux compétences utiles à leur communauté, mais s’investir dans l’enseignement au sein de la mosquée, tenir une responsabilité dans une association productive ou écrire pour des sites internet islamiques ne fait pas forcément l’objet d’un élan entreprenant. Tout comme précédemment, l’argumentaire semble acceptable devant des pairs investis dans l’appel à Dieu : « Je m’excuse j’ai pour l’instant quelques occupations qui m’empêchent de m’engager tout de suite, comme il est de mon habitude de ne m’engager que lorsque je suis sûr d’être régulier et constant, je préfère ajourner ma participation à plus tard. InchâAllâh, dès que j’aurai du temps libre, je ne manquerai pas de vous porter main forte… »

    Ce genre d’excuses est, encore une fois, dicté par la passion inspirée de Satan le maudit.

   Satan ne supporte pas de voir un fidèle pris de ferveur. Dès que la foi de ce dernier a trouvé sa source de vitalité et qu’elle lui permet de façonner positivement son comportement et son engagement pour Dieu, le diable n’hésite pas à agir. Il utilise toutes les ruses en sa possession pour éteindre la flamme de cette ardeur spirituelle et faire sombrer le serviteur dans l’occupation mondaine. Il le presse encore et toujours à différer ce que sa foi lui a dicté d’accomplir en l’instant présent. Voici ce que le fidèle pourrait facilement entendre : « De toute façon tu es un bon musulman, tu es meilleur que des millions et des millions de personnes qui sombrent dans l’égarement et l’oubli. Tu accomplis tes prières quotidiennes, tu jeûnes le mois de Ramadan, tu donnes ta zakât, tu t’efforces de participer aux prières du vendredi et de l’Aïd, tu sacrifies un agneau à l’occasion de Aïd al-adha, tu donnes de temps en temps de l’aumône à la mosquée et pour les nécessiteux. Que cherches-tu de plus ? Consacrer le restant de tes jours à bien gagner ta vie, c’est comme ça que tu pourras mieux éduquer tes enfants et leur assurer une place dans les grandes écoles ; c’est comme ça que tu disposeras d’une bonne retraite financière qui te permettra de te consacrer plus tard exclusivement à la religion (accomplir des pèlerinages à la Mecque, accomplir des ‘omra, aider les pauvres, passer tes journées à la mosquée à prier et à invoquer Dieu). De toute façon le travail est une adoration, et la communauté ne va pas périr si tu ne t’engages pas dans la prédication. Ibnou ‘Atâ’i Allâh Assakandari – dont nous aimons tant les aphorismes – ne dit-il pas lui-même ? “Il épuise toute ignorance celui qui veut que dans l’instant présent advienne autre chose que ce que Dieu y manifeste.” ne dit-il pas dans le 3ème aphorisme ? “Au travers des remparts des décisions divines, ne passe aucune force psychique précative.”

   Le destin de chaque membre de la communauté est décrété par Dieu, chacun vit selon les facilités qui lui sont accordées, quels que soient le temps et le lieu d’existence. L’exemple des Compagnons reste incontournable en matière de sacrifice et d’engagement ; l’histoire relatée par Al-Hâkim et Al-Bayhaqî marque les esprits des musulmans contemporains : Handhala Ibnou Abî ‘Amir  embrassa l’Islam à Médine. Il était peiné de voir son père refuser la nouvelle religion. Son ami ‘Abdoullâh fils de ‘Abdoullâh Ibnou Oubayy Ibnou Saloul était un jeune musulman très proche du Prophète , tandis que le père de ce dernier, ‘Abdoullâh Ibnou Saloul dirigeait les hypocrites de Médine. Handhala demanda la main de la sœur de son ami, Jamila fille de ‘Abdoullâh Ibnou Oubayy Ibnou Saloul. Leur nuit de noce coïncidait avec la veille de la bataille d’Ouhoud, donc Handhala demanda l’autorisation au Prophète  de célébrer son mariage, malgré la probabilité de guerre prévue pour le lendemain. Le Prophète  accepta.

   Le matin du jour suivant, le Messager  appela les musulmans à se diriger vers Ouhoud  pour affronter l’ennemi. Handhala n’hésita pas un instant à se joindre aux autres combattants ; ce jeune marié aurait pu rester auprès de son épouse – une excuse recevable et compréhensible par tout le monde –, mais il ne voulait en aucun cas ajourner sa participation au jihâd. Son courage lui inspira de s’attaquer au chef des polythéistes Aboû Soufiâne. Dès qu’il aperçut sa cible, il s’approcha de son cheval qu’il blessa à la patte pour le faire tomber. Une fois au sol, Aboû Sofiâne se mit à crier de toutes ses forces : « Je suis Aboû Soufiâne Ibnou Harb ! » pour demander l’aide des Qoraychites. Chaddâd Ibnou Al-Aswad vint à son secours et réussit à poignarder Handhala à mort.

   Une fois la bataille terminée, les musulmans réunissaient les corps de leurs martyrs pour prier sur eux et les enterrer. Le Prophète  raconta la vision qu’il eut de Handhala aux Compagnons : « J’ai vu les anges laver Handhala entre la terre et le ciel avec l’eau de pluie dans des récipients en argent. Demandez à son épouse ce qui s’est passé. »

   Jamila expliqua que suite à la nuit de noces, son mari sortit rejoindre les rangs sans même accomplir ses grandes ablutions, tant il était pressé de partir. Depuis cet événement, Handhala fut surnommé « le lavé par les anges ».

f2

   Plusieurs occasions d’effectuer une œuvre louable récompensée par le paradis se présentent parfois au serviteur, mais en prétextant un certain manque de temps, celui-ci ajourne l’accomplissement de ces actions à la valeur immensurable. La mort le surprend alors, l’empêchant de réaliser ce qu’il espérait concrétiser au final. Ce musulman fait malheureusement partie des fidèles platement dupés par Satan. Dieu exprime sans détour la fourberie qui caractérise tant Satan : « Excite, par ta voix, ceux d’entre eux que tu pourras, rassemble contre eux ta cavalerie et ton infanterie, associe-toi à eux dans leur biens et leurs enfants et fais-leur des promesses.” Or, le Diable ne leur fait des promesses qu’en tromperie. », s.17 Al-Isrâ’ (Le Voyage nocturne), v.64.

وَٱسۡتَفۡزِزۡ مَنِ ٱسۡتَطَعۡتَ مِنۡہُم بِصَوۡتِكَ وَأَجۡلِبۡ عَلَيۡہِم بِخَيۡلِكَ وَرَجِلِكَ وَشَارِكۡهُمۡ فِى ٱلۡأَمۡوَٲلِ وَٱلۡأَوۡلَـٰدِ وَعِدۡهُمۡ‌ۚ وَمَا يَعِدُهُمُ ٱلشَّيۡطَـٰنُ إِلَّا غُرُورًا

   Il décrit également l’attitude du défunt une fois qu’il a quitté ce monde : « …Puis, lorsque la mort vient à l’un deux, il dit : “Mon Seigneur ! Fais-moi revenir (sur terre), afin que je fasse du bien dans ce que je délaissais”. Non, c’est simplement une parole qu’il dit. Derrière eux, cependant, il y a une barrière, jusqu’au jour où ils seront ressuscités. », s.23  Al-Mou’minoûn (Les Croyants), v. 99-100.

حَتَّىٰٓ إِذَا جَآءَ أَحَدَهُمُ ٱلۡمَوۡتُ قَالَ رَبِّ ٱرۡجِعُونِ (٩٩) لَعَلِّىٓ أَعۡمَلُ صَـٰلِحً۬ا فِيمَا تَرَكۡتُ‌ۚ كَلَّآ‌ۚ إِنَّهَا كَلِمَةٌ هُوَ قَآٮِٕلُهَا‌ۖ وَمِن وَرَآٮِٕهِم بَرۡزَخٌ إِلَىٰ يَوۡمِ يُبۡعَثُونَ

   Les conseils coraniques devraient résonner en boucle dans l’esprit du croyant avant qu’il ne soit trop tard : « Et dépensez de ce que Nous vous avons octroyé avant que la mort ne vienne à l’un de vous et qu’il dise alors : “Seigneur ! si seulement Tu m’accordais un court délai : je ferai l’aumône et serai parmi les gens de bien”. Allâh cependant n’accorde jamais de délai à une âme dont le terme est arrivé. Et Allâh est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. », s.63 Al-Mounâfiqoûn (Les Hypocrites), v.10.

وَأَنفِقُواْ مِن مَّا رَزَقۡنَـٰكُم مِّن قَبۡلِ أَن يَأۡتِىَ أَحَدَكُمُ ٱلۡمَوۡتُ فَيَقُولَ رَبِّ لَوۡلَآ أَخَّرۡتَنِىٓ إِلَىٰٓ أَجَلٍ۬ قَرِيبٍ۬ فَأَصَّدَّقَ وَأَكُن مِّنَ ٱلصَّـٰلِحِينَ

Trois arguments incontestables permettent au fidèle de reconsidérer chaque occasion d’agir en bien :

1. La garantie de vivre longtemps n’est assurée pour personne ; en outre, bénéficier d’assez de temps libre ou même de la santé nécessaire pour bien œuvrer sont deux autres paramètres incertains.

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[…] لَا يَسۡتَوِى مِنكُم مَّنۡ أَنفَقَ مِن قَبۡلِ ٱلۡفَتۡحِ وَقَـٰتَلَ‌ۚ أُوْلَـٰٓٮِٕكَ أَعۡظَمُ دَرَجَةً۬ مِّنَ ٱلَّذِينَ أَنفَقُواْ مِنۢ بَعۡدُ وَقَـٰتَلُواْ‌ۚ وَكُلاًّ۬ وَعَدَ ٱللَّهُ ٱلۡحُسۡنَىٰ‌ۚ وَٱللَّهُ بِمَا تَعۡمَلُونَ خَبِيرٌ۬

3. Les bonnes actions doivent accompagner le musulman continuellement dans son quotidien, car elles constituent une orientation protectrice évitant de basculer vers l’illicite ou la négligence.

– (rechercher) le savoir mène à la crainte de Dieu. Le Coran en témoigne à plusieurs reprises : « […] Parmi Ses serviteurs seuls les savants craignent Allâh. […] », s.35 Fâtir, v.28.

[…]إِنَّمَا يَخۡشَى ٱللَّهَ مِنۡ عِبَادِهِ ٱلۡعُلَمَـٰٓؤُاْۗ […]

« […] Et dis : “Ô mon Seigneur, accroît mes connaissances !” », s.20 Ta-Ha, v.114.

وَقُل رَّبِّ زِدۡنِى عِلۡمً۬ا […]

– procrastiner l’accomplissement de certaines œuvres adoratives revient à préparer un plat sans épices et à le consommer tel quel en laissant l’assaisonnement pour plus tard ! Or le goût d’un mets n’est rehaussé qu’en étant agrémenté d’aromates. De même, la vie du musulman ne prend tout son sens que lorsque les œuvres adoratives côtoient les occupations de la vie courante ;

– celui qui diffère à un éventuel moment plus disponible ressemble de très près à un responsable délégué pour être consul dans un pays étranger. L’État mandataire met un salaire, une voiture de fonction, une maison et un staff à sa disposition pour faciliter le déroulement de son travail.

   La comparaison s’opère si le fonctionnaire décide d’ajourner l’objet de son déplacement, qu’il profite du salaire et des biens matériels mis à son service pour les investir et les fructifier. Au terme de sa mission, il aura certes profité matériellement et personnellement de la tâche qui lui aura été confiée, mais il aura failli à son devoir et trahi la confiance de sa hiérarchie.

   L’être humain qui oublie que sa mission première sur terre est d’adorer Dieu et de participer activement au triomphe la cause divine manque à sa vocation.

   En définitive, le musulman est invité à réconcilier le temps destiné au gain de sa subsistance et celui réservé à sa religion, sa communauté et sa spiritualité. Il s’investira alors dans tous les champs d’activités nécessaires à son bien-être et bénéficiera de la bénédiction divine dans tous ses engagements. En effet, organiser sa vie harmonieusement entre ces deux pôles est le gage d’un équilibre salutaire ici-bas et au-delà.

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