Commentaire de l’aphorisme 20 (article)

Sagesses d'Assakandarî (articles)

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ما أرادتْ هِمّةُ سالكٍ أن تقِفَ عند ما كُشِف لها، إلاّ ونادته هواتِفُ الحقيقة: الذي تطلبُ أمامك، ولاتَبَرِّجت له ظواهرُ المكوّنات إلاّ ونادته حقائقُها : إنما نحنُ فتنة فلا تَكفُر

  « Jamais l’itinérant ne met fin à son ambition (de découvrir) ce qui lui a été dévoilé sans entendre aussitôt la voix de la vérité : “Celui que tu cherches, est en avant !” Et si les créatures font apparemment miroiter leurs charmes aux yeux du fidèle, leurs réalités profondes lui crient sans tarder : “Nous sommes une tentation, ne sois pas parjuré”[, s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.102.] ».

  Cette sentence s’adresse à l’itinérant qui a déjà bien avancé dans son cheminement spirituel vers Dieu. Ibnou ‘Atâ’i Allâh met en garde le croyant contre une éventuelle baisse d’effort voire d’ambition, pensant qu’il aurait atteint sa destination finale et relâchant du même coup sa vigilance devant les tentations qui ne cessent de l’assaillir tout au long de sa route. Cet aphorisme doit retentir comme une sonnette d’alarme chaque fois que l’itinérant fait preuve d’autosatisfaction quant à ses œuvres, son adoration ou son savoir.

  Satan le maudit ne se résigne jamais à quitter l’être humain, même si ce dernier s’est fermement engagé sur le sentier d’Allâh, exception faite des prophètes que Dieu protège continuellement des insufflations sataniques. Durant sa quête spirituelle, le musulman doit donc toujours être attentif face aux ruses du diable. Iblîs procède de deux manières :
– soit l’individu est noyé dans les jouissances d’ici-bas, auquel cas Satan l’enfonce davantage en accentuant en lui la sensation des plaisirs mondains pour l’empêcher d’entreprendre une quelconque quête du bien-être spirituel ;
– soit la personne découvre le cheminement salvateur vers Dieu, apprécie la beauté de l’adoration et de la soumission à son Seigneur, et dans ce cas, Satan opte pour un tout autre stratagème : afin d’anéantir tout ce que l’aspirant a échafaudé pendant sa quête, il le pousse à l’autosatisfaction et à l’orgueil.

   Le fidèle commence alors à être satisfait de son adoration et de l’effort qu’il déploie pour se maintenir sur le chemin de Dieu. Il n’hésite pas à louer intérieurement ses œuvres (sa prière, son jeûne, sa lecture du Coran, le savoir qu’il a acquis). Tout en se comparant aux égarés ou aux négligents de sa communauté, il se rassure : « Alhamdoulillah, Dieu m’a guidé et je suis comblé de Sa miséricorde ! Rien ne me manque par rapport à mes devoirs religieux. Je suis mieux qu’une grande partie de ma communauté… ».

  Par ailleurs, Satan s’arrange pour qu’il croise des personnes qui le couvrent d’éloges et lui manifestent un respect frôlant parfois la glorification. Un profond sentiment d’autosatisfaction s’installe alors en lui et peut le pousser à la prétention et à l’orgueil. Or, ce sont les deux attitudes qui ont causé la perte de Satan – qu’Allâh nous en préserve.

Quelle attitude adopter pour l’itinérant qui ressent un tel sentiment ?

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   La réponse figure dans l’énoncé de cette sentence : « Jamais l’itinérant ne met fin à son ambition (de découvrir) ce qui lui a été dévoilé sans entendre aussitôt la voix de la vérité : “Celui que tu cherches, est en avant !” Et si les créatures font apparemment miroiter leurs charmes aux yeux du fidèle, leurs réalités profondes l’avertissent sans tarder : “Nous sommes une tentation, ne sois pas parjuré”[, s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.102.] »

   En effet, dès que Satan sème en lui cette tendance à l’orgueil et à l’autosatisfaction, le croyant doit se dire : « Je suis encore loin de la proximité de Dieu telle que je la cherche dans mon cheminement. Je ne me trouve que dans les premiers stades de l’ascension réalisée par les vrais pieux » et s’interroger sincèrement sur sa condition. Quelques questions simples suffisent à établir un bilan réaliste :

– Où en suis-je par rapport à ceux qui passent leur nuit en prières et à évoquer Allâh ?
– Où en suis-je par rapport à ceux qui terminent la lecture du Coran en peu de jours, et ceci de manière répétitive et régulière ?
– Où en suis-je par rapport à ceux dont les larmes coulent à la mention d’Allâh ?
– Où en suis-je par rapport à ceux qui ont répudié la vie mondaine pour consacrer leur existence exclusivement à la cause de Dieu ?
– Où en suis-je par rapport à ceux dont l’humilité est le principal trait de caractère ?
– etc.

   Tel est le comportement préconisé au fidèle : recenser ses manquements, ses négligences et les imperfections de ses adorations. Grâce à ce processus d’autocritique et d’examen de conscience, le croyant échappe à la ruse satanique et ravive en lui l’ambition motrice qui lui permet de déployer les efforts nécessaires pour continuer son cheminement vers Dieu. Bien sûr, chaque fois que Satan réitère son stratagème, l’itinérant renouvelle ce type de réflexions motivantes pour continuer à avancer. Seule la mort mettra fin à l’élan de foi de ce croyant.C’est le sens qu’ont retenu les exégètes pour interpréter ce verset : « Et adore Ton Seigneur jusqu’à ce que la certitude te parvienne », s.15 Al-Hijr, v.99. La certitude dont parle Dieu est la mort. Dans l’histoire de l’Islam, certaines personnes sont tombées dans le piège du dépouillement du culte en se basant sur ce même verset, mais en l’interprétant différemment. Ils prétextaient qu’une fois convaincus de l’existence de Dieu, ils étaient autorisés à se passer de l’adoration. Or, en islam, la foi et l’adoration demeurent indissociables.

ambition2   Le fidèle ne doit jamais oublier que son engagement et son honorable pratique sont le résultat de la guidance de Dieu. En tant qu’être humain, il n’a aucun mérite dans ce qu’il fait ou entreprend. Le Prophète disait : « Sachez que personne ne méritera le paradis grâce à ses propres œuvres. » On lui demanda : « Même pas toi Messager de Dieu ? » Il répondit : « Même pas moi, sauf si Allâh me comble de Sa miséricorde. » [Rapporté par Mouslim.]

   D’ailleurs, c’est le Messager lui-même qui prononçait et enseignait cette invocation : « Mon Dieu, Tu es mon Seigneur. Il n’y a de divinité en dehors de Toi, Tu m’as créé et je suis ton serviteur, et je suis dans Ton alliance et Ta promesse autant qu’il est en mon pouvoir, je cherche en Toi protection contre le mal que j’ai commis, je suis reconnaissant envers tous les bienfaits que Tu m’as accordés et je n’attribue qu’à moi-même les péchés que j’ai commis ; daigne pardonner mes péchés. Tu es le seul à pardonner tous les péchés. » [Rapporté par Al-Boukhârî.]

   Cette supplication révèle l’humilité du Prophète et l’absence de la moindre autosatisfaction face à ses œuvres et son adoration. Cette supplication n’est pas surnommée « la maîtresse des demandes de pardon » pour rien !

   En se documentant sur la vie des personnes pieuses de cette communauté, le fidèle se rend compte qu’aucun d’entre eux ne s’est vanté de son adoration ou de ses sacrifices pour cette religion, bien au contraire. Ces dévots se remettaient toujours en cause et se sous-estimaient constamment. Dieu décrit ces individus de grande valeur dans le Coran : « qui donnent ce qu’ils donnent, tandis que leurs cœurs sont pleins de crainte à la pensée qu’ils doivent retourner à leur Seigneur. », s.23 Al-Mou’minoun (Les Croyants), v.60.
Leur progression vers Allâh est continuelle, alors qu’ils s’éloignent de plus en plus de la vie et de ses parures. Cette vérité s’applique également à ceux qui s’investissent dans le domaine du savoir.

   Dans la deuxième partie de la sentence, Ibnou ‘Atâ’i Allâh évoque les faux semblants de la vie. « Jamais l’itinérant ne met fin à son ambition (de découvrir) ce qui lui a été dévoilé sans entendre aussitôt la voix de la vérité : “Celui que tu cherches, est en avant !” Et si les créatures font apparemment miroiter leurs charmes aux yeux du fidèle, leurs réalités profondes lui crient sans tarder : “Nous sommes une tentation, ne sois pas parjuré”[, s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.102.] »

 Les apparences trompeuses se présentent à l’itinérant de deux manières :

1 – soit il profite de nombreux bienfaits matériels qui lui permettent de vivre dans la jouissance ;
2 – soit sa vie est jonchée de circonstances et d’évènements qui sortent de l’ordinaire au point qu’il pense être l’objet d’un miracle divin.

ambition2  Selon la première possibilité, Dieu éprouve souvent Ses bons serviteurs par des épreuves diverses parmi lesquelles la richesse et l’abondance des moyens de subsistance. Le Prophète conseillait sa communauté jusqu’à la fin de sa vie : « Ô gens pour Allâh, je ne crains pas la disette et la pauvreté pour vous, mais je crains pour vous la vie d’ici-bas, je crains que vous la disputiez comme l’ont fait ceux qui vous ont précédés et qu’elle vous fasse périr comme elle les a fait périr ». [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim].

  Le Coran cite un exemple particulier : « Et raconte-leur l’histoire de celui à qui Nous avions donné Nos signes et qui s’en écarta. Le Diable, donc, l’entraîna dans sa suite et il devint ainsi du nombre des égarés. Et si Nous l’avions voulu, Nous l’aurions élevé par ces mêmes enseignements, mais il s’inclina vers la terre et suivit sa propre passion. Il est semblable à un chien qui halète si tu l’attaques, et qui halète aussi si tu le laisses. Tel est l’exemple des gens qui traitent de mensonges Nos signes. Eh bien, raconte le récit. Peut-être réfléchiront-ils ! », s.7 Al-A‘râf, v.175-176.

  Cet homme (Bal’âm Ibnou Ba’ourâ) reçut une multitude de faveurs de la part d’Allâh : non seulement il était savant, mais il était également pieux et bon adorateur. Toutefois, son amour pour les mondanités le poussa à se défaire peu à peu des privilèges d’Allâh. Dieu le compare à un chien qui halète continuellement qu’il soit au repos ou en activité.

  Qu’ils sont nombreux les savants et les prédicateurs musulmans qui ont perdu toute notoriété religieuse pour avoir recherché aveuglément les plaisirs terrestres, abandonnant sans réfléchir leurs acquis spirituels…, ces bagages de valeur inégalable qui auraient pu leur faire valoir les plus hauts degrés du Paradis !

  La connaissance de Dieu doit pousser le croyant à bien ordonner les priorités de son existence sur terre. Elles constituent sa feuille de route qui le mène droit à ses objectifs tout en balisant son chemin pour éviter toute déviation. Si la vie ouvre ses portes et que la richesse vient dynamiser l’existence du fidèle, rien n’empêche ce dernier à en profiter tant que cet usage s’opère dans un cadre licite et ne le détourne pas des priorités tracées. Dieu dit : « Afin que vous ne vous tourmentiez pas au sujet de ce qui vous a échappé, ni n’exultiez pour ce qu’Il vous a donné. Et Allâh n’aime point tout présomptueux plein de gloriole », s.57 Al-Hadîd (Le Fer), v.23.

  Le croyant ne doit jamais oublier que les apparences de la vie terrestre ne sont que des jouissances éphémères et trompeuses. C’est ce que décrit Ibnou Atâ’i Allâh : « Et si les créatures font apparemment miroiter leurs charmes aux yeux du fidèle, leurs réalités profondes lui crient sans tarder : “Nous sommes une tentation, ne sois pas parjuré”[, s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.102.] ». Ibnou Atâ’i Allâh considère les réalités profondes des créatures comme étant uniquement des moyens et non des objectifs ; qu’elles sont éphémères et non éternelles ; qu’elles ne constituent que des tentations et non des bienfaits. D’ailleurs, le 78ème aphorisme Ibnou Atâ’i Allâh confirme cette réalité : « Le dehors des créatures est un leurre, leur dedans est un avertissement ».

  Selon la deuxième possibilité, Dieu peut éprouver le croyant en le confrontant à des circonstances et des évènements sortant de l’ordinaire, au point qu’il pense être l’objet d’un miracle divin. Ainsi lorsque ce fidèle est un savant, un prédicateur ou un mystique engagé, il peut être séduit par le respect et l’amour que la communauté éprouve à son égard, allant même jusqu’à croire que c’est parce qu’il bénéficie de l’amour de Dieu qu’il a mérité l’amour des autres. Il justifiera cette conviction par un hadith du Prophète : « Si Dieu aime un serviteur, Il fait appel à Jibrîl et lui dit : “J’aime untel, alors aime-le”. Jibrîl aime alors cette personne. Puis Jibrîl lance un appel dans le ciel : “Allâh aime telle personne, aimez-la donc”. Les habitants du ciel l’aiment. Ensuite on lui met l’acceptation sur terre ». [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim]. Or, qui peut prétendre mériter l’amour d’Allâh ?

ambition2   Enfin, il arrive parfois que le croyant pense vivre des miracles susceptibles de prouver sa proximité avec Dieu. C’est le cas des fidèles qui prétendent voir le Prophète dans leur sommeil ou en état d’éveil. Certains croient même recevoir des messages du Prophète qui leur dévoileraient le futur ou des injonctions religieuses pouvant contredire l’esprit de l’Islam. Or, si voir le Prophète en rêve est possible, les savants ont émis plusieurs conditions avant de considérer cette vision comme authentique.

  En somme, les pensées frauduleuses guettent le croyant en toutes circonstances. A lui d’être vigilant pour ne pas succomber à ce genre de tentations qui risquerait de le détourner de Dieu et de mettre fin à son cheminement spirituel. Ainsi, prendre exemple sur les pieux prédécesseurs en se remettant en cause régulièrement et en se sous-estimaient sans cesse reste la solution la plus saine et la plus efficace. Existe-t-il une meilleure protection que s’en remettre simplement à la miséricorde divine ?

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