Commentaire de l’aphorisme 4 (article)

Sagesses d'Assakandarî (articles)

f33

« أَرِحْ نَفْسَكَ مِنَ التَّدْبير فَما قامَ بِهِ غَيْرُك عَنْكَ لاَ تَقُمْ بِهِ لِنَفْسِكَ »

   « Déleste-toi du gouvernement de toi-même, ce dont un autre se charge pour toi, ne le fais pas pour toi-même. »

   À première vue, cette sentence énonce l’inverse de la conclusion de la hikma précédente « Les fortes déterminations ne traversent pas les remparts de la prédestination. » Elle suggère en apparence qu’il ne faut pas agir avec les moyens, sous-entendant que seul le fatalisme existe. Or, en explicitant le mot « at-tadbîr : التّدبير », on s’aperçoit que ce n’est pas le cas. Agir avec les moyens représente un effort physique et matériel que l’homme déploie pour assurer sa subsistance, tandis que « التّدبير : at-tadbîr » est le souci permanent qui gouverne l’effort physique et matériel conduisant souvent l’homme à la déception, à l’anxiété voire à la dépression dès lors qu’il s’aperçoit qu’il n’a pas atteint ses objectifs ou qu’il a perdu ses acquis. Cette irritation de l’esprit est le résultat d’une fausse conviction qui laisse l’homme croire qu’il est lui-même le garant de sa subsistance et de sa survie. Cet état d’esprit témoigne ainsi indéniablement d’un manque de confiance en Allâh , Le Pourvoyeur par excellence.

   Dans cet aphorisme, Ibnou ‘Atâ’i s’adresse spécifiquement à ceux qui s’acharnent dans la recherche éperdue de subsistance au point d’oublier les devoirs pour lesquels Dieu les a créés. D’ailleurs, la sentence suivante le prouve clairement : « Ton effort à poursuivre ce qui t’es garanti et ta négligence en ce qui t’es demandé est une preuve que l’œil de ton cœur s’est assombri. »

   Lorsque qu’un serviteur va travailler, il fournit un effort pour gagner sa vie et respecte ainsi la loi divine : la mise en œuvre de moyens conduit forcément vers un résultat. Il se soumet donc à l’ordre de Dieu Qui demande à l’homme de travailler, tout en restant animé d’une tranquillité d’esprit qui révèle sa confiance inébranlable en Allâh, à Qui revient le résultat de ses efforts et de Qui provient réellement toute subsistance.

   Cet aphorisme s’adresse également à celui qui a usé de tous les moyens licites mis à sa disposition pour parvenir à un noble objectif, mais sans jamais pouvoir l’atteindre. Dans cette situation, la sentence d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh s’applique à lui sans conteste : « Déleste-toi du gouvernement de toi-même, ce dont un autre (en l’occurrence, Allâh) se charge pour toi, ne le fais pas pour toi-même. »

   Ainsi, lorsque le Prophète  devait émigrer vers Médine, il mit en place une stratégie minutieuse pour se protéger des Qoraychites. Son cousin ‘Alî  occupa sa couche pour laisser croire aux polythéistes que le Messager était encore chez lui. En début d’après-midi – un moment où l’on sort rarement à cause de la forte chaleur –, le Prophète s’est rendu chez son ami Aboû Bakr. Ils partirent tous deux se réfugier dans la grotte de Thoûr, qui se trouve dans une direction opposée au chemin qui mène à Médine et, pour effacer les traces de leurs pas, le Prophète SAW demanda au berger d’Aboû Bakr de passer sur leur itinéraire avec son troupeau de moutons. Moyennant finance, un polythéiste du nom de ‘Abdoullâh Ibnou Arqatt avait rendez-vous avec les deux amis près de la grotte pour les guider vers Médine trois jours plus tard…

   Le Prophète  avait donc mis en œuvre tous les moyens nécessaires à sa sécurité, mais une fois dans la grotte et que les polythéistes qui les traquaient s’en rapprochèrent, Aboû Bakr s’inquiéta pour le Prophète, mais le Messager le rassura : « Que penses-tu de deux personnes dont Dieu et leur troisième ? »

f34

   En prononçant ces mots, il est clair que le Prophète  avait délaissé le gouvernement de lui-même, car il savait que, malgré la précarité de leur situation, Le Créateur des moyens et Gouverneur des lois de l’Univers interviendrait pour le protéger. C’est ainsi qu’un oiseau pondit son œuf à l’entrée de la grotte, dissuadant les polythéistes d’y pénétrer. Aussi, lorsque les deux musulmans et le guide se dirigeaient vers Médine, Sourâqa les rattrapa à cheval pour les stopper et les tuer ; mais une fois en face du Prophète , son cheval s’engloutit dans le sable.

   Il en est de même pour Ibrâhîm : lorsque Nemrod le jeta dans un fossé rempli de bois pour le brûler, l’ange est venu voir Ibrâhîm et lui demanda : « As-tu besoin de moi ? » Ibrâhim, confiant, répliqua alors : « Je n’ai nul besoin de toi, Dieu me suffit, Il est Le meilleur Garant. » Avec cette confiance absolue en Son Seigneur, Ibrâhîm bénéficia de l’intervention directe de Dieu Qui ordonna au feu — qui a pour spécificité de brûler — de changer sa nature et de se transformer en fraîcheur salutaire. Le Coran mentionne cet épisode : « Ils dirent : “Brûlez-le. Secourez vos divinités si vous voulez quelque chose pour elles.” Nous dîmes : “Ô feu, soit pour Ibrâhîm une fraîcheur salutaire” », s.21 Al-Anbiyâ’ (Les Prophètes), v.68-69.

   Le croyant ne doit jamais oublier que c’est Allâh  qui a pourvu les moyens qu’utilise l’homme de caractéristiques susceptibles de donner des résultats :

–   c’est Lui qui a attribué aux médicaments la possibilité de guérir. Dès lors qu’un croyant est victime d’une maladie, son devoir est de prendre des médicaments et de demander à Allâh  de leur donner la capacité de le guérir. Dieu reste donc Le Guérisseur ;

–   tout combustible doit sa propriété de brûler à Allâh. Mais lorsque Son protégé Ibrâhîm a été jeté au feu, Dieu a retiré au bois sa capacité de s’enflammer.

   Allâh  dit dans le Coran : « Voyez-vous ce que vous labourez ? Est-ce vous qui le cultivez ? Ou en sommes-Nous Le Cultivateur ? Si Nous voulions, Nous le réduirons en débris. Et vous ne cesseriez pas de vous étonner et de crier “Nous voilà endettés ! ou plutôt exposés aux privations.” Voyez-vous donc l’eau que vous buvez ? Est-ce vous qui l’avez fait descendre du nuage ? Ou en sommes-Nous Le Descendeur ? Si nous voulions, Nous la rendrions salée. Pourquoi n’êtes-vous donc pas reconnaissants ? Voyez-vous le feu que vous obtenez par frottement ? Est-ce vous qui avez crée son arbre ou en sommes Nous Le Créateur ? », s.56 Al-Wâqi‘a (L’Événement), v.63-72.

   En méditant ces paroles divines, le musulman est convaincu qu’il doit placer toute sa confiance en Allâh. Cependant, lorsqu’il ressent une inquiétude dans sa vie à cause d’une épreuve (maladie, pauvreté, etc.) et que son esprit est envahi par des pensées néfastes qui le font sombrer dans le stress voire la déprime, c’est que sa foi en Dieu ne s’est pas encore traduite dans la réalité. Lorsqu’un jour le Prophète  dit aux Compagnons : « Placez votre confiance en Allâh », ils répondirent « Nous plaçons notre confiance en Allâh ». Le Messager dit alors : « Ce n‘est pas cela. Si vous placiez votre confiance en Allâh comme il convient, Il vous apportera la subsistance comme Il l‘apporte aux oiseaux qui quittent leurs nid le matin, le ventre creux, et y rentre le soir, le ventre plein. » [Rapporté par Ahmad, At-Tirmidhî (hassan sahîh).]

f35

   Le Coran corrobore ces paroles prophétiques : « […] Et quiconque place sa confiance en Allâh, Il [Allâh] lui suffit. […] », s.65 At-Talâq (Le Divorce), v.3.

« […] Et c’est en Allâh qu’il faut avoir confiance, si vous êtes croyants.” », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.23.

Comment traduire ces textes  ̶  dont la véracité ne laisse aucun doute  ̶  en un comportement quotidien qui permette au croyant de ne ressentir aucune inquiétude quant à l’acquisition de sa subsistance ?

1. Méditer sur la réalité de la vie et sur ses caractéristiques

   Allâh  enseigne dans le Coran : « Sachez que la vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, une course à l’orgueil entre vous et une rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants. Elle est en cela pareille à une pluie : la végétation qui en vient émerveille les cultivateurs, puis elle se fane et tu la vois donc jaunie ; ensuite elle devient des débris. Et dans l’au-delà, il y a un dur châtiment, et aussi pardon et agrément de Dieu. Et la vie présente n’est que jouissance trompeuse. », s.57 Al-Hadîd (Le Fer), v.20.

   Dieu présente la vie d’ici-bas comme étant une série de divertissements et de faux-semblants. Avec une telle description, le croyant prend conscience que cette vie n’est pas ce qui est le plus important dans son existence. Elle n’est qu’un ensemble d’apparences trompeuses qui certes plaisent, mais qui ne procurent pas le vrai plaisir, celui-ci étant réservé à la vie dans l’au-delà. Dieu dit en la matière : « Cette vie d’ici-bas n’est qu’amusement et jeu. La demeure de l’au-delà est assurément la vraie vie, s’ils savaient ! », s.29 Al-‘Ankaboût (L’Araignée), v.64.

   Dieu décrit également la vie d’ici-bas comme étant une compétition entre humains dans l’acquisition de biens en tout genre et de démonstration d’arrogance. Ce tableau conforme à la réalité prend vie à travers le surenchérissement constant des humains de biens les distinguant les uns des autres et à travers leur certitude de pouvoir gagner notoriété et grandeur face à leurs pairs. Cette course effrénée mais éphémère leur fait oublier que la vie est une impasse au bout de laquelle la mort les attend et leur porte le coup de grâce qui mettra fin à tous leurs rêves, aspirations, motivations et espoirs matériels. Dieu dit avec justesse : « La course aux richesses vous distrait, jusqu’à ce que vous visitiez les tombes. », s.102 At-Takâthour (La Course aux richesses), v.1-2.

   Une fois que le croyant est conscient de la relativité de la vie d’ici-bas et de l’importance de l’existence de l’au-delà à tous les niveaux, il se fixe comme objectif d’investir sa vie terrestre pour gagner une vie éternelle au Paradis. Le musulman ressent une quiétude à l’égard de sa vie terrestre dès lors qu’il a choisi de confier sa vie à Dieu et de se soumettre à Ses prescriptions. En remettant la direction de sa vie à Dieu, il n’a plus aucun souci dans la gestion quotidienne de sa propre vie.

   Allâh  rapporte dans le Coran les paroles de Noé (Noûh)  lorsqu’il s’adressa à son Seigneur après avoir mis en œuvre tous les moyens nécessaires à la transmission du message divin et ne se retrouvant au final qu’avec quelques fidèles de son peuple : « Il invoqua donc son Seigneur : “Je suis vaincu. Fais triompher Ta cause” », s.54 Al-Qamar (La Lune), v.10.

2. Ne jamais s’éloigner de l’évocation de Dieu

   En confiant sa vie à Dieu tout en usant des moyens qu’Il a mis à disposition de l’homme, le croyant reste en perpétuel contact avec son Créateur à travers le rappel « الذكر : adh-dhikr ». L’évocation se décline sous différentes formes :

̶  la lecture et la méditation du Coran ;

̶  la prise en compte et la reconnaissance de tous les bienfaits dont Allâh lui fait don ;

̶  la mention de Ses noms et attributs qui lui permettent de considérer Dieu à Sa juste valeur ;

̶  les louanges verbales ;

̶  l’accomplissement de bonnes œuvres (physiques) ;

̶  la méditation continuelle de l’esprit.

   En ayant recours à ces pratiques, la sentence d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh prend tout son sens et pourra ainsi être comprise et vécue à sa juste valeur : « Déleste-toi du gouvernement de toi-même, ce dont un autre se charge pour toi, ne le fais pas pour toi-même. »

   Il s’agit pour le fidèle d’utiliser les moyens que Dieu à mis à sa disposition, tout en étant persuadé que c’est Lui Qui décide du résultat de ce qu’il entreprend. Cet état d’esprit permet au croyant de vivre en toute sérénité en ne laissant aucune place aux jouissances terrestres susceptibles de le détourner de la voie droite. Le Coran précise : « C’est qu’Allâh est vraiment Le Protecteur de ceux qui ont cru, tandis que les mécréants n’ont pas de protecteur. », s.47 Mouhammad, v.11.

Archives

Catégories

Poser une question

Mettre un lien vers formulaire de contact