Commentaire de l’aphorisme 6 (article)

Sagesses d'Assakandarî (articles)

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« لا في ما تختاره لنفسك، وفي الوقت الذي يريد، لا في الوقت الذي تريد

   « Garde-toi du désespoir, si en dépit de tes instantes supplications, Il tarde à t’exaucer mais en ce qu’Il a choisi pour toi, non en ce que tu choisis pour toi-même, au temps voulu par Lui, et non au temps que tu aurais voulu. »

   La présente sentence traite du délai d’exaucement des demandes effectuées par le croyant et concerne donc tous les fidèles qui espèrent voir leurs souhaits adressés à Dieu se réaliser. Toutefois, nombreux sont ceux qui désespèrent trop rapidement si leurs requêtes ne sont pas satisfaites. Pour une compréhension éclairée de cet aphorisme, quelques explications s’imposent afin que chaque musulman s’adresse à son Seigneur de la meilleure des façons.

Requête ou supplication ?

   La nuance entre ces deux termes n’est pas évidente pour tous. La requête est une demande verbale adressée à Dieu afin d’obtenir ce dont on a besoin. Quant à la supplication ou invocation, il s’agit d’un état d’âme ou d’esprit particulier qui accompagne la requête adressée à Dieu. Cette disposition mentale se caractérise par deux conditions :

1. un éveil du cœur conduisant l’invocateur à un sentiment d’humilité et d’indigence ;

2. une volonté ferme de se repentir et de se défaire de ses péchés.

1. La conscience de ses faiblesses

   En général, celui qui invoque Dieu est motivé par un besoin particulier, un manque, une faiblesse ou une incapacité à obtenir ce qu’il espère. Ce besoin est souvent lié à des éléments matériels (argent, richesse, mariage, enfants, parents, etc.) ou immatériels (notoriété, réussite, célébrité). Toutefois, la demande peut également être liée à la nécessité d’écarter un mal qui inflige l’invocateur (pauvreté, chômage, maladie, peur, insécurité, problèmes conjugaux, etc.).

   Face à ses besoins et son inaptitude à les assouvir ou face à ses problèmes et son incapacité à les résoudre par lui-même ou avec l’aide d’autrui, le croyant ne trouve d’autre solution que de s’adresser à Celui qui possède la toute puissance, Celui qui accorde les bienfaits, Celui qui guérit, Celui qui pourvoit, etc. La foi du croyant s’illumine alors, il se réveille et s’adresse à Dieu qui énonce dans le Coran : « Votre Seigneur a dit : “Appelez-moi et je vous répondrai […]” », s.40 Ghâfir (L’Absoluteur), v.60.

   L’individu implore son Seigneur avec les invocations qu’il a apprises par cœur ou avec les mots que lui inspire son état de besoin et s’adresse à Lui avec insistance : il L’invoque debout, assis, couché, sans relâche dans l’espoir qu’Allâh exauce ses vœux et lui apporte Son soutien. Malheureusement, cette requête ainsi suscitée ne respecte pas la première exigence de l’invocation : la prise de conscience de son indigence et de ses limites en tant qu’être humain. L’absence de cette condition est la raison pour laquelle tous ceux qui s’adressent à Allâh avec cet état d’esprit se détournent de Lui dès qu’ils obtiennent ce qu’ils espéraient.

   Dieu corrobore cette idée dans le Coran : « Et quand le malheur touche l’homme, il fait appel à Nous, couché sur le côté, assis, ou debout. Puis quand Nous le délivrons de son malheur, il s’en va comme s’il ne Nous avait point imploré pour un mal qui l’a touché. […] », s.10 Yoûnous (Jonas), v.12.

   Ce qui manque à cet invocateur est un véritable éveil du cœur propice à la prise de conscience de son indigence et de sa faiblesse. C’est cette lucidité qui le poussera à implorer Dieu avec une profonde humilité, non pas parce qu’il est dans le besoin, mais parce que cette nécessité lui révèle sa vraie nature et lui fait estimer Dieu à Sa juste valeur. Un proverbe arabe énonce avec justesse : « Celui qui a un besoin s’aveugle de tout tant qu’il ne le satisfait pas. » La nécessité ne doit précisément pas aveugler le croyant sur la réalité de son être et ce à quoi il aspire réellement.

2. Une volonté ferme et sincère de se repentir

   Celui qui ne satisfait pas la première condition de l’invocation tombe inévitablement dans l’oubli et dans l’inconscience dès que Dieu lui octroie ce dont il avait besoin. En réalité, le besoin que le croyant éprouve à un moment donné de son existence est une opportunité pour lui de redéfinir sa vie autrement, de reclasser ses priorités, de se repentir de ses péchés, et de cheminer activement et sans relâche vers Dieu. La première condition conduit inéluctablement à la deuxième.

   Quant à celui qui continue à commettre des péchés ou qui s’adresse à Dieu sans réel désir de s’en purifier, il manque sérieusement de respect à Allâh . Tout comme le fidèle s’engage dans une prière uniquement après avoir purifié son corps, l’invocateur ne doit s’engager dans l’invocation et la supplication qu’après avoir assaini son cœur. Allâh peut certes exaucer le vœu de cette personne et l’éloigner ainsi de Lui, parce qu’Il ne veut pas entendre sa sollicitation durer, même si celle-ci est dénuée de sincérité et de bonne volonté. En toute logique, comment l’invocateur saurait-il s’adresser à Dieu et Lui demander d’exaucer ses vœux alors qu’il Lui a désobéi et a refusé de se repentir comme Allâh lui a demandé de le faire ? N’est-ce pas un manque de respect flagrant vis-à-vis de Dieu que de Le supplier alors même que l’on persiste à pécher ?

   La meilleure supplication est donc celle dont le fidèle peut espérer une réponse de la part de Dieu. Elle consiste à s’adresser à Allâh avec humilité, sensation d’indigence et d’infériorité, le tout accompagné de la ferme intention de se repentir et d’améliorer sa vie, aussi bien dans son rapport avec Allâh que dans ses interactions avec les hommes.

   À partir de ces explications, il devient facile de comprendre pourquoi plusieurs supplications formulées individuellement sont rapidement exaucées par Dieu, alors que les réponses aux invocations relatives à une amélioration de la situation communautaire tardent à venir.

   Au regard de la dégradation des conditions de vie des musulmans à travers le monde, de leur pratique religieuse en décadence, de l’endoctrinement de leurs esprits, de l’égarement de leur jeunesse, des malheurs occasionnés par les conflits armés sur leurs terres, etc., les croyants sincères lèvent les mains et supplient Dieu d’améliorer leur condition, mais en vain. Loin d’être incapable d’exaucer ces vœux, Allâh retarde Sa réponse à cause de l’égarement de la majorité de la communauté. Comment des individus noyés dans le péché et l’insouciance mériteraient-ils la miséricorde divine ? La solution réside en chaque musulman : ceux qui sont conscients de cette situation ont le devoir de réveiller les pécheurs de leur insouciance, leur expliquer leur responsabilité sur terre et la nécessité de se repentir avec sincérité dans l’espoir de voir le souhait de la communauté devenir réalité.

   À la lumière des définitions précédentes, la sentence d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh As-Sakandarî peut être analysée : « Garde-toi du désespoir, si en dépit de tes instantes supplications, Il tarde à t’exaucer mais en ce qu’Il a choisi pour toi, non en ce que tu choisis pour toi-même, au temps voulu par Lui, et non au temps que tu aurais voulu. »

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   Dès lors que le fidèle respecte les conditions précitées, il peut être sûr et certain de l’exaucement de son souhait, comme l’a promis Allâh . Toutefois, la réponse de Dieu à son vœu ne coïncidera pas toujours exactement avec ce que le croyant a demandé et ne se produira pas forcément dans le délai attendu. Lorsque l’invocateur formule un vœu dans sa supplication, il espère atteindre un objectif déterminé selon sa propre analyse. Or, il se peut que ce qu’il demande ne le mène pas à ce but ou le conduise à une situation accablante, voire nuisible. En effet, l’être humain ne possède pas la capacité d’évaluer des éléments du présent ou de l’avenir avec exactitude puisqu’il ne maîtrise pas la connaissance de plusieurs circonstances présentes ou futures, qui pourraient influer directement ou non sur sa requête. Dieu explique clairement cette notion dans le Coran : « Le combat vous a été prescrit alors qu’il vous est désagréable. Or, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est un bien. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle vous est mauvaise. C’est Dieu qui sait, alors que vous ne savez pas. », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.216.

   La sentence d’Ibnou ‘Atâ’i Allâh informe le croyant que dès que celui-ci respecte les exigences relatives à l’invocation et qu’il supplie son Seigneur avec sincérité, Dieu décide de répondre directement à l’objectif de son vœu et non pas aux moyens qu’il a sollicités pour parvenir à son but. Allâh choisit donc pour l’invocateur d’autres moyens qui peuvent être diamétralement opposés à ce qu’il avait demandé, mais qui l’aideront malgré tout à réaliser son dessein. Il se peut en effet que Dieu ait décelé un mal en ce que le croyant demandait alors que ce dernier ne s’en rendait même pas compte. Ainsi, le musulman commence à désespérer parce qu’il croit ne pas avoir de réponse de son Seigneur, alors qu’il se peut que Dieu lui ait déjà répondu en mettant à sa disposition ce qui l’aidera à trouver son vrai bonheur.

   Le croyant qui ne s’éloigne pas de Dieu se rend souvent compte en prenant du recul que Dieu a choisi pour lui plusieurs voies qui lui ont procuré du bonheur dans sa vie ou lui apporteront la félicité dans l’au-delà, alors même qu’il a tout fait pour s’engager par lui-même dans des voies qu’il avait estimées être salutaires pour lui à une époque donnée. Grâce à cette rétrospection, le musulman prend conscience de la grâce divine et de la grandeur de Dieu, non pas par une analyse théorique, mais par une observation concrète et pratique basée sur l’évolution de sa vie. Aussi, la réflexion que mène le croyant sur les épreuves de son existence révèle que celles-ci ont contribué à son élévation spirituelle et l’ont orienté vers une connaissance authentique d’Allâh .

   La sentence met également l’accent sur une autre erreur dans laquelle tombe le fidèle lorsqu’il invoque et qu’il ne constate pas Sa réponse immédiatement : attendre l’exaucement de son vœu comme si la supplication était un moyen et non un objectif. Or, l’invocation est une adoration à part entière, car elle représente pour le fidèle le moyen de manifester son attachement à Dieu en Lui demandant tout ce dont il a besoin, même s’il est en mesure de l’obtenir par un simple effort. Le musulman supplie et invoque son Seigneur sans attendre la réponse à ses demandes. Le Prophète a expliqué : « Dieu répond à l’un de vous tant qu’il ne s’impatiente pas en disant : “J’ai invoqué et Dieu ne m’a pas exaucé.” » [Rapporté par Al-Boukhârî, Mouslim, Aboû Dâwoûd, At-Tirmidhî et Ibnou Mâjah.]

   Il a également montré que la réponse à l’invocation se fait de trois manières :

– Dieu donne à l’invocateur ce qu’il attendait, celui-ci est donc certain d’avoir été écouté.

– Allâh écarte Son serviteur d’un mal qui allait l’atteindre par sa sollicitation. Dans ce cas de figure, il est difficile pour le croyant de se rendre compte de la réponse de Dieu, sauf s’il est lucide et qu’il médite sur ce qui lui est arrivé après un laps de temps.

– Allâh décide de récompenser l’invocateur sur la confiance que celui-ci a placé en Lui en ne cessant de L’invoquer ; cette récompense sera donnée dans l’au-delà.

   Quoi qu’il en soit, le fidèle doit persévérer dans son invocation car il est rapporté que le Prophète a dit : « Dieu aime le serviteur insistant. » ; et : « Celui qui n’invoque pas Allâh subira Sa colère. » [Rapportés par At-Tirmidhî et considéré comme bon par Al-Albânî.]

   Quant à celui qui invoque son Seigneur et qui doute de la promesse divine, il n’est qu’un serviteur ingrat qui ne mérite pas de voir son vœu exaucé. Aussi, le croyant doit toujours se remettre en cause s’il ne constate pas de réponse immédiate en se demandant :

– s’il a été sincère lors de son invocation ;

– si son repentir est véridique ;

– si la procrastination de la réponse divine n’a pas pour but de le purifier de ses péchés à travers l’épreuve par laquelle il passe.

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