(6) De sa naissance à la mort d’Âmina

Biographie du Messager

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   Le messager d’Allâh vit le jour le lundi 9 Rabi’a al-awwal, équivalent au 22 avril 571 de l’ère chrétienne. Des faits extraordinaires ont accompagné cette naissance.

   La mère du Prophète, alors enceinte, avait vu en rêve qu’une lumière était sortie de son ventre et avait éclairé le palais de Damas. Sa grossesse évoluait à la perfection, sans douleur aucune ; il en était de même pour l’accouchement, et ce fut là une chose rarissime. En outre, lorsqu’elle prit son nouveau-né dans ses bras, Âmina prononça ces mots : « Je le mets sous la protection du Dieu Unique contre tout envieux ! ».

   Hassân Ibnou Thâbit, alors âgé de sept ans, témoignait avoir vu un rabbin monter sur le toit de sa maison et clamer à sa communauté : « ô peuple juif ! Aujourd’hui l’astre de Mouhammad est né ! Un nouveau prophète est venu ! »
Lorsqu’il rencontrera le Prophète, Hassân Ibnou Thâbit embrassera l’Islam à cause de cette information qu’il détenait depuis son enfance.

   Il est aussi relaté que le palais de Kosroes avait tremblé, provoquant l’effondrement de quatorze balcons. Le feu que les Perses adoraient, et qui était toujours entretenu, s’était éteint ce jour-là. Aux interrogations de Kosroes, les mages lui répondirent que sa dynastie ne comptera plus que quatorze kosroes, puis son empire disparaîtra. Et effectivement, dix années plus tard, dix de ses descendants moururent les uns après les autres dans un laps de temps très raccourci.

    Un lac eut son existence rayée de la carte : un gigantesque gouffre s’était formé en son sein entraînant la disparition de l’eau dans les entrailles de la terre.

   Même le choix du prénom de « Mouhammad » relevait de la prédestination : ʻAbd Al-Mouttalib avait entrepris un voyage vers Damas en compagnie de trois autres hommes. En cours de route, ils firent la rencontre d’un rabbin qui les questionna sur leur terre d’origine ; quand il sut qu’il s’agissait de la Mecque, il leur annonça la venue prochaine d’un grand Messager de Dieu nommé Mouhammad  . Or, ce prénom était inconnu et n’avait jamais été usité par quiconque auparavant. Il devait être plaisant à l’ouïe des quatre compagnons de voyage puisqu’ils décidèrent d’attribuer à leur progéniture ce prénom, si par bonheur Dieu les dotait d’un enfant mâle…

    Âmina fit prévenir son beau-père de la naissance de son petit-fils. Au comble de la joie, le vieil homme s’empressa de porter le petit être dans l’enceinte de la Kaʻba. Là, il remercia Dieu pour avoir remplacé son défunt ʻAbdoullâh par ce bel enfant pour lequel son cœur éprouvait déjà une véritable inclination. ʻAbd Al-Mouttalib se souvint alors de sa rencontre avec le rabbin et de ses paroles, aussi nomma-t-il « son fils »… « Mouhammad ». Or, dans la même période, ses trois compagnons de voyage eurent eux aussi des naissances masculines dans la famille, ils leur donnèrent par conséquent  le même prénom. Quatre « Mouhammad » venaient de voir le jour, qui d’entre eux sera l’élu de Dieu ?

   La naissance du Prophète Mouhammad comportait des éléments identiques de par leur caractère miraculeux à celle de ʻÎssâ (Jésus, ) : tous ces petits signes, ces petits miracles (« irhâçât »), avaient pour dessein de préparer les hommes à accueillir un prodige plus important, la venue d’un très grand prophète.

   Hormis le sein de sa mère, Mouhammad prit celui de Thouwayba, l’esclave d’Aboû Lahab. Celle-ci nourrissait également son fils Masroûh, qui devint donc le frère de lait du Prophète . Elle avait auparavant allaité Hamza, l’oncle de Mouhammad , et elle allaitera plus tard Aboû Salama Ibnou ʻAbdi Asa’d  Al-Makhzoumî.

   En ces temps reculés, les Arabes qui pouvaient se le permettre avaient pour sage coutume de confier leurs nourrissons à une nourrice de la campagne : ils leur évitaient ainsi de contracter de fatales maladies des cités, et leur offraient le grand air fortifiant de la nature. En outre, ils leur permettaient de côtoyer la langue arabe littéraire purifiée des multiples influences des pèlerins de la Mecque.

    Le Prophète Mouhammad ne fit pas exception à la règle, et on s’activa à lui rechercher une « mère de substitution ». Pour les nourrices de la péninsule arabe, il était honteux d’accepter d’allaiter un enfant en contrepartie de l’argent, mais elles ne refusaient pas les cadeaux et s’en remettaient à la générosité des parents : les Arabes étaient réputés pour leur habituelle libéralité.

   Allâh   gratifia Halîma Bint Aboû Dhouʻaïb, de la tribu de Sa’d Ibnou Bakr, du privilège d’allaiter le Messager. Elle narra elle-même dans quelles conditions l’enfant lui fut confié : « J’ai quitté, accompagnée de mon époux et de mon nourrisson, mon village pour chercher un nourrisson à la Mecque. Cette année-là, une grande sécheresse sévissait, et on ne trouvait pas de quoi manger. Mon nourrisson ne cessait de pleurer, réclamant le trop peu de lait que j’avais pour le rassasier. Une fois à la Mecque, aucune des femmes qui nous accompagnaient n’accepta de prendre le petit Mouhammad, car il était orphelin. J’étais la seule à ne pas avoir trouvé de nourrisson, aussi dis-je à mon mari : ʺ Je ne peux pas revenir sans nourrisson, je vais malgré tout prendre cet orphelinʺ. Il me dit alors : ʺ Il se peut que Dieu mette en lui de la baraka [bénédiction].

   ʺDès que j’ai pris l’enfant, mes seins se gorgèrent de lait, et je l’ai donc allaité, ainsi que son frère jusqu’à ce qu’ils furent repus. Puis il s’était endormi. Mon époux me dit alors : ʺ Tu vois !  Tu as pris un nourrisson béni.
ʺLors de notre retour, je suis montée sur mon ânesse et elle trotta avec une vigueur que je ne lui connaissais pas, au point que mes amies me demandèrent si c’était bien elle ; je leur répondis par l’affirmative. Une fois l’enfant chez nous, notre terre devint verdoyante, et nos brebis revenaient du pâturage leurs mamelles gorgées de lait comme jamais auparavant. Constatant cela, les gens amenaient leurs bêtes là où les miennes broutaient, mais elles n’eurent pas autant de lait.J’ai gardé Mouhammad jusqu’à l’âge de deux ans, le moment de son sevrage. Puis je l’ai ramené chez sa mère en proposant à celle-ci de me le laisser encore, tellement nous vivions mieux depuis qu’il était avec nous. Elle accepta et je le repris avec moi pour quelques années de plus. »

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   A deux ans, Mouhammad avait la corpulence d’un garçonnet de quatre ans. De surcroît, il parlait précocement l’arabe avec beaucoup d’éloquence. Halîma le garda auprès d’elle jusqu’à ce qu’il eut atteint l’âge de cinq ans et que survint l’évènement de « l’ouverture de la poitrine ». L’authenticité de cet épisode de la vie du Prophète, rapporté par Mouslim, est incontestable : le petit Mouhammad   jouait innocemment avec des enfants, lorsque l’archange Jibrîl (), sous l’apparence d’un homme, s’approcha de lui et l’étendit par terre. Puis il lui ouvrit le thorax et en sortit le cœur, duquel il ôta une impureté en disant : « C’est la part du démon qui est en toi. ». Il baigna ensuite l’organe dans l’eau de Zam-Zam contenue dans un seau en or, et enfin le remit à sa place.Effrayé, le frère de lait de Mouhammad   courut vers sa mère Halîma en criant : « On a tué mon frère Mouhammad !! »

   Quand ils le retrouvèrent, l’enfant était d’une extrême pâleur : Halîma en fut si épouvantée, et si angoissée qu’il ne lui survînt un autre malheur, qu’elle décida de le rendre à sa mère. Le garçonnet restera auprès de celle-ci jusqu’à ses six ans.

   Par fidélité pour la mémoire de son défunt mari et pour visiter sa tombe, Âmina fit route avec son fils vers Yathrib (Médine). Sa servante Oumm Aymane et ‘Abd Al-Mouttalib les accompagnaient. Ce fut sur le chemin du retour que la maladie surprit Âmina et que la mort la ravit : elle fut inhumée dans une région nommée Al-Abouâʻ, située entre Médine et la Mecque.

   Le Prophète racontera plus tard qu’il avait demandé à Allâh la permission de se recueillir sur la sépulture de sa mère, mais Allâh refusa.A six ans donc, Mouhammad   devint orphelin de mère, et ce fut son grand-père ʻAbd Al-Mouttalib qui prit soin de lui…

   Deuil et tristesse escortaient le retour à la Mecque de ʻAbd Al-Mouttalib et de son petit-fils. Malgré la perte inconsolable de sa mère pour un si jeune enfant, Mouhammad   sut faire preuve de la dignité qui caractérisait son clan. L’amour du grand-père n’en était que plus grand à son égard après ce sombre épisode.

   Très tôt, ʻAbd Al-Mouttalib pressentit les signes de la prophétie de Mouhammad , grâce aux informations délivrées par le rabbin rencontré sur la route de Syrie. Le vieil homme le préfèrera même à tous ses enfants : personne n’avait le droit, hormis Mouhammad , de venir s’asseoir à ses côtés lors de ses assemblées à la Ka‘ba. Quiconque de ses oncles voulait l’en empêcher était poliment rappelé à l’ordre en ces termes : « Laissez mon fils ! Je jure par Dieu qu’il aura une immense renommée. »

   Depuis quelque temps, le vieillard sentait ses forces décliner et la mort s’inviter. Dans ces instants-là, il caressait la tête de son bien-aimé enfant… les yeux humides, le cœur attendri et empli de compassion, il réfléchissait…
Puis sa décision tomba : Mouhammad sera confié à son oncle, Aboû Tâlib. Le futur Prophète ne pouvait trouver meilleur consolateur : le frère de ʻAbdoullâh, certes pauvre, n’en était pas moins absolument généreux et doté d’une remarquable amabilité. N’étaient-ce pas ces qualités du cœur avant celle de la bourse qui firent pencher la balance en sa faveur au détriment de ses autres frères ?
ʻAbd Al-Mouttalib, haut personnage à la réputation de sage bien avérée, s’éteignit alors que Mouhammad   était âgé de huit ans, deux mois et dix jours. Il laissera un souvenir impérissable à son petit-fils et une empreinte indélébile sur son caractère…

   Allâh  avait favorisé Aboû Tâlib d’une importante progéniture. Mouhammad   entrait dès lors dans une large fratrie au sein de laquelle il lui fallait trouver sa juste place. Même si Aboû Tâlib l’éduquait et le traitait comme l’un de ses enfants, lorsque le repas était servi et que ses cousins-frères se précipitaient sur le plat, Mouhammad leur abandonnait la préséance en prenant son temps pour s’attabler. Admirant cette sagesse précoce de la part de son neveu, et sachant pertinemment que celui-ci ne mangeait pas toujours à sa faim, Aboû Tâlib gardait toujours une part de côté pour l’orphelin.

   Les années passèrent, et pour venir financièrement en aide à son oncle, Mouhammad   endossa l’habit du berger aux environs de ses onze ou douze ans. Cette noble profession lui permit une proximité salutaire avec la nature, lui évitant les péchés issus du côtoiement du genre humain. La solitude le rejoignait habituellement dans les vastes espaces propices au silence et à la méditation. A force d’observer attentivement les agissements de ses bêtes, si semblables bien souvent aux comportements des hommes, et à force de se préoccuper continuellement de leur sécurité et de leur bien-être, Mouhammad ressentait un attachement pour elles, si fragiles et dépendantes, néanmoins porteuses de leçons pour qui désire atteindre la sagesse. Plus tard, en tant que Messager de Dieu, précurseur parmi les précurseurs de la protection des animaux, il se montrera exigent sur les convenances à adopter pour leur abattage : nul d’entre eux ne devait souffrir avant et pendant l’acte.

   Conduire les bêtes ou mener les hommes fait appel à un grand sens des responsabilités et à l’art d’amadouer, empreints de patience et de clairvoyance : pour cela, Mouhammad   avait été à bonne école grâce à la compagnie du remarquable et considéré chef de la Mecque ʻAbd Al-Mouttalib. Tous ces paramètres expliquaient la maturité précoce et le caractère exceptionnel de Mouhammad … Allâh   ne le prédestinait-Il pas à une fonction tout aussi hors du commun ?…

   Dans la même période des douze ans de Mouhammad , Aboû Talib effectua un périple commercial en direction de Damas. Mouhammad   insista bel et si bien pour l’accompagner qu’il céda à cet enfant, si jeune mais déjà doté de détermination et de force de persuasion.

   Sa silhouette se détachant sur des paysages tantôt de plaines, tantôt de dunes, la caravane lourde d’un chargement précieux ondulait nonchalante sous un soleil de plomb, vite obscurci par un nuage à l’ombre bienfaitrice. Apparemment, celui-ci tenait à suivre et à couvrir le convoi…

   Incontournable, un monastère isolé abritait des moines chrétiens coupés du monde. Or, la présence constante d’un nuage uniquement au-dessus de la caravane intrigua Bouhayrâ, un des membres de cette communauté religieuse. Bouhayrâ sortit de sa réserve et invita les caravaniers à compter parmi leurs hôtes de table : assurément, ce nuage signe la présence d’une personnalité notable ; or, il ne suivit pas le groupe d’hommes qui se présenta au moine, mais demeura avec les esclaves et Mouhammad , laissés à l’arrière pour garder le camp. Le moine pria ses invités à engager l’autre groupe à les rejoindre, et ce fut alors qu’il vit le nuage se déplacer enfin et protéger particulièrement Mouhammad .

   Parvenu à la hauteur de l’enfant qu’il n’avait cessé de dévisager, Bouhayrâ échangea quelques paroles avec lui :

« Je te conjure par Al-Lât et Al-ʻOuzzâ !…

—  … Ne m’adjure pas par ces idoles, coupa Mouhammad [], je les déteste depuis ma tendre enfance !

—   Alors je te prie par Dieu l’Unique de me découvrir, s’il te plaît, tes épaules ! » Mouhammad consentit au souhait du moine, et Bouhayrâ put tout à loisir constater la présence, entre les épaules de l’enfant, d’une tache sombre entourée de grains de beauté et de poils. Versés dans les écritures bibliques, le moine reconnut en elle l’indice caractéristique du prophète annoncé. Il se tourna alors vers Aboû Tâlib :

—   « Qui est ce garçon ?

—   C’est mon fils, répondit innocemment Aboû Tâlib, qui aimait sincèrement Mouhammad comme tel.

—   Ce n’est guère ton fils ! Son père ne doit point être en vie.—   Tu dis vrai, je suis son oncle, son père a quitté ce monde.

—   Protège ton neveu ! Je jure par Dieu, si les juifs le reconnaissaient, ils le tueraient ! Suis mon conseil : ramène-le à la Mecque ! ».

Aboû Tâlib, ne pouvant renoncer à son voyage d’affaire, fit reconduire Mouhammad à la Ville Sainte…

   Pour préparer Son Messager à sa future mission, Allâh protégea Mouhammad de quelques travers du commun des mortels : il ne s’était jamais prosterné devant une quelconque idole ; bien que tenté comme tout jeune de son âge, Mouhammad ne put jamais participer aux soirées réjouissantes, Allâh   l’en empêcha par le sommeil deux fois de suite, et Mouhammad comprit immédiatement que c’était là un signe et une grâce de Dieu ; il ne s’était jamais dénudé en public : les Qoraïchites avaient contraint les pèlerins à tourner autour de la Kaʻba revêtus des habits achetés à la Mecque, or les démunis ne pouvaient s’offrir un tel luxe, aussi déambulèrent-ils nus. Puis, dans le temps, cette pratique se généralisa aux nantis et perdura jusqu’à l’an neuf de l’Hégire. Un jour, pour soulever des pierres, Mouhammad voulut se plier au conseil d’un de ses oncles et ôter son izâr (tissu qui recouvre le bas du corps masculin) pour le poser sur son épaule, afin que les pierres ne le blessèrent point, mais il perdit connaissance et son intimité n’avait dès lors pas pu être dévoilée à autrui. Mouhammad ne mentait jamais et mérita les surnoms tels que « As-Siddîq » (« le véridique »), « Al-Amîne » (« le digne de confiance »). Plus mûr et responsable que les jeunes de son âge, également doué de sagesse et d’un  noble  caractère, Mouhammad était respecté des Mecquois, et ceux-ci se réfèreront à lui lors des situations épineuses. Avant même la Révélation, Mouhammad faisait montre d’une personnalité remarquable et impeccable…

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