(16) La bataille de Badr (2/2)

Biographie du Messager

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Les causes de la confrontation

   Entre temps, les Qoraychites avaient envoyé une caravane commerciale de plus de mille chameaux en Syrie. Ceux-ci transportaient 50 000 dinars d’or que des gardes aguerris surveillaient avec attention.

Mais toutes ces richesses appartenaient en majeure partie aux Mouhâjirîn qui ont quitté la Mecque sous l’oppression qoraychite. Intercepter cette expédition permettrait aux musulmans de récupérer leurs biens ou leur équivalent et de montrer aux polythéistes que l’Islam constituait maintenant une entité à part entière avec laquelle il fallait négocier. Faire pression sur le commerce mecquois était un excellent début !

   Les services de renseignements alertèrent le Prophète  sans tarder, d’autant plus que la caravane transitait par Médine au retour.

   Quantitativement, les ressources animales ne permettaient pas au Prophète  de disposer d’autant de montures que de combattants. Il devait donc composer avec son maigre contingent : 314 hommes, 2 chevaux et 70 chameaux qu’ils montaient à tour de rôle sur une distance de 150 km. Le Prophète  avait alors cinquante-cinq ans et lorsque les Compagnons voulaient lui céder leur place sur la monture, il leur répondait avec toute la modestie qui le caractérisait : « Vous n’êtes pas plus capables de marcher que moi, et je n’ai pas moins besoin de la récompense divine que vous. »

   Aboû Soufyân, chef de file de cette immense caravane commerciale, avait découvert ce que tramaient les musulmans. Conscient du danger qu’encourait l’expédition, il décida de modifier ses plans en changeant d’itinéraire : prendre la direction de Yanbou’ et Jedda par le littoral. Les Qoraychites restés à la Mecque, informés de la situation, organisèrent une armée de 950 hommes, 200 montures (chevaux et camélidés), ainsi que 100 chameaux chargés en ravitaillement.

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« Le Message » de M. Akkad : armée polythéiste en route vers Badr

   Le Prophète  pensait couper la route de la caravane à Badr mais Aboû Soufyân avait pris de l’avance et avait réussi à échapper à l’attaque. Le chef polythéiste envoya donc un nouvel émissaire prévenir les troupes mecquoises de rebrousser chemin. Mais sous l’influence appuyée d’Aboû Jahl, les dirigeants qoraychites refusèrent de faire demi tour, déterminés à poursuivre leur campagne car il s’agissait à leur tour d’exposer leur ennemi à une démonstration de force. Infatués par leur statut d’invaincus sur tout le territoire péninsulaire, ils prévoyaient déjà leurs festivités d’après-guerre. Mais le Coran mit en garde contre une telle attitude ostentatoire : « Et ne soyez pas comme ceux qui sortirent de leurs demeures pour repousser la vérité et avec ostentation publique, obstruant le chemin d’Allâh. Et Allâh cerne ce qu’ils font. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.47.

   Pour  les Médinois, les perspectives changeaient du tout au tout. Ils avaient quitté Médine avec l’intention de mettre la main sur une caravane pleine de richesses, et voici que venait à eux une armée trois fois plus importante que leur contingent et dont les chefs semblaient bien décidés d’en finir avec les musulmans.

  Etant donné que les textes du pacte signé entre les Ançâr et les Mouhâjirîn stipulaient une assistance mutuelle en cas de guerre à l’intérieur du territoire de Médine exclusivement, le Prophète  devait donc consulter l’ensemble de ses Compagnons avant d’envisager un assaut hors de la ville. Aboû Bakr  et ‘Omar  prirent d’emblée la parole pour manifester leur soutien au Prophète . Cette attitude réconforta celui-ci, mais c’était l’appui explicite des Ançâr qu’il recherchait, car ces derniers n’étaient pas directement concernés par le conflit avec Qoraych. Sa‘d Ibnou Mou‘âdh  s’exprima alors au nom de tous : « Nous avons cru en toi et nous sommes soumis, nous avons fait pacte de t’obéir, va donc au combat. Par Allâh, si tu allais en mer nous te suivrions tous sans exception. Prends ce que tu veux de nos biens, et laisse ce que tu veux, et ce que tu prendras nous est plus cher que ce que tu laisseras. Fais la paix avec qui tu veux, combats qui tu veux, établis ou romps des liens avec qui tu veux, par Allâh tu nous trouveras sincères et patients au combat, puisse Allâh te montrer de nous ce qui réjouira tes yeux. »

   Avec le consentement des deux partis, le Prophète  pouvait engager cette attaque en toute sérénité. D’ailleurs, il incitait ses Compagnons à exprimer leur opinion en toutes circonstances et les écoutait attentivement. Il stimulait leur sens critique et leur capacité à aller au-delà de l’obéissance aveugle ou de l’imitation mécanique. En stimulant leur intelligence et en leur donnant facilement la parole, le Messager faisait preuve d’une ouverture qui offrait à ses Compagnons la possibilité de se former, de s’affirmer et de prendre des initiatives. Houbâb Ibnou-l-Moundhir  en fut l’exemple le plus caractéristique : arrivé à Badr, le Prophète  établit le campement à proximité des premiers puits. Observant cela, Ibnou-l-Moundhir s’enquit de la démarche : « Le lieu où nous nous sommes arrêtés t’a-t-il été révélé par Dieu ou s’agit-il d’une stratégie liée à la ruse de guerre ? » Le Prophète  confirma qu’il s’agissait de son opinion personnelle.

   Le Compagnon suggéra alors de camper autour du grand puits, le plus proche de la route empruntée par le camp adverse, puis de boucher tous les puits alentour afin d’empêcher l’ennemi de se ravitailler en eau. Le Prophète  écouta attentivement l’exposé de cette stratégie et y adhéra immédiatement : le camp fut déplacé et le plan de Houbâb appliqué à la lettre.

    Le Prophète  tenta dans un premier temps de dissuader les Qoraychites d’opter pour la guerre. Il envoya ‘Omar Ibnou-l-Khattâb  qui leur proposa de rentrer chez eux et d’éviter ainsi la confrontation. Parmi Qoraych, certains voulaient également éviter le conflit, et ‘Outba, l’un des dignitaires, proposa même d’accepter le prix du sang de leur allié tué pendant le mois sacré. Mais rien n’y fit : les partisans de la guerre parmi les Mecquois étaient déterminés, d’autant plus que le nombre de combattants était nettement à leur avantage. Ils décelèrent par ailleurs un signe de faiblesse dans la démarche de ‘Omar.

   Par ailleurs, Satan se trouvait dans les rangs polythéistes sous les traits de Sourâqa Ibnou Mâlik. Il n’hésitait pas à exhorter les Mecquois à s’engager dans la bataille, leur assurant une victoire acquise : « Et quand le Diable leur eut embelli leurs actions et dit : “Nul parmi les humains ne peut vous dominer aujourd’hui, et je suis votre soutien.” … », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.48.

   Le Prophète , quant à lui, n’était pas moins résolu à se lancer dans une guerre. Un certain nombre d’inspirations et de rêves lui avaient fait comprendre que la confrontation allait être la conséquence de cette rencontre avec les gens de Qoraych et que l’issue en serait favorable. Allâh  en rend compte dans le Coran : « (Rappelez-vous), quand Allâh vous promettait qu’une des deux bandes sera à vous. Vous désiriez vous emparer de celle qui était sans armes, alors qu’Allâh voulait par Ses paroles faire triompher la vérité et anéantir les mécréants jusqu’au dernier. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.7.

   Allâh  voulait que cette bataille ait lieu et que les musulmans triomphent de leur ennemi. Cette victoire permettrait aux musulmans d’acquérir une renommée reconnue dans toute la péninsule arabe. Pour ne laisser aux deux clans aucun choix de réconciliation pacifique ou d’hésitation quant au déclenchement de la guerre, Dieu a trompé le jugement des uns et des autres, de sorte que chaque clan sous-estimait le nombre de combattants adverses. Dieu dit : « En songe, Allâh te les avait montrés peu nombreux ! Car s’Il te les avait montrés nombreux, vous auriez certainement fléchi, et vous vous seriez certainement disputés à propos de l’affaire. Mais Allâh vous en a préservés. Il connait le contenu des cœurs. Et aussi, au moment de la rencontre, Il vous les montrait peu nombreux à vos yeux, de même qu’Il vous faisant paraître à leurs yeux peu nombreux afin qu’Allâh parachève un ordre qui devait être exécuté. C’est à Allâh que sont ramenées les choses. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.43-44.

   Juste avant le début de la bataille, le Prophète  indiqua à ses Compagnons les endroits précis où certains chefs polythéistes allaient être retrouvés morts après la guerre. Allâh  lui révéla cette information pour le rassurer quant à l’imminence de la victoire. Mais malgré toutes ces certitudes, le Messager  ne manquait pas de manifester sa servitude à son Seigvneur et ne faillait pas à son rôle de chef de guerre. Il ne cessait donc d’invoquer Dieu avec toute humilité et d’appeler ses Compagnons à la persévérance et à la détermination, comme le lui préconisait Dieu dans le Coran : « Ô vous qui croyez ! Lorsque vous rencontrez une troupe (ennemie), soyez fermes, et invoquez beaucoup Allâh afin de réussir. Et obéissez à Allâh et à Son messager ; et ne vous disputez pas, sinon vous fléchirez et perdrez votre force. Et soyez endurants, car Allâh est avec les endurants. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.45-46.

La bataille de Badr

   La bataille se déclencha le vendredi 17 Ramadan, en l’an 2 de l’Hégire. Le combat commença par trois duels dans lesquels se sont engagés ‘Ali, Hamza et Aboû ‘Oubayda Ibnou-l-Hârith. Les deux premiers l’emportèrent alors que ‘Obayda fut mortellement blessé.

  Les hostilités s’intensifièrent. La stratégie du Prophète  se voulait efficace ; elle consistait à aligner ses hommes sur un rang qui dissimulait une deuxième rangée d’archers dans le but de surprendre et de déstabiliser l’ennemi.

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« Le Message » de M. Akkad : archers musulmans prêts au combat

  La première ligne de combattants musulmans s’élança courageusement, luttant avec force et persévérance. Une fois leur tâche accomplie, ils se retirèrent pour laisser place aux archers, prenant ainsi l’ennemi par surprise. ‘Abd Ar-Rahmâne Ibnou ‘Awf  narra ce récit : « Alors que je me trouvais avec un groupe de quinze hommes à droite du bataillon, deux adolescents m’interpelèrent, l’un d’eux [Mou‘âdh Ibnou ‘Amr Ibnou-l-Jamoûh] me demanda discrètement: “Ô mon oncle, connais-tu Abâ Jahl ?!” Surpris par l’aplomb du jeunot, je lui rétorquai : “Oui, mais que lui veux-tu ?!” » Le jeune me confia : “J’ai entendu dire qu’il insultait le Prophète , je jure par Celui qui détient mon âme que si je l’aperçois, mon ombre ne quittera pas la sienne jusqu’à ce que l’un de nous soit tué”. C’est alors que son ami [Mou‘âdh Ibnou ‘Afrâ’], m’apostropha discrètement à son tour en me posant la même question. J’ai alors aperçu  Abâ Jahl sur son cheval, passant la ligne de front et je leur criai : “Le voilà celui que vous cherchez !” Les deux garçonnets attachèrent solidement leurs épées autour de leur corps frêle et s’élancèrent vaillamment vers Aboû Jahl jusqu’à l’achever. Les deux adolescents, heureux et fiers de leur intervention, s’empressèrent d’annoncer la nouvelle au Prophète , chacun prétendant être l’auteur de l’acte héroïque. Le Prophète  leur demanda : « Avez-vous essuyé vos épées ? » Ils répondirent par la négative. Le Messager observa le sang qui marquait les armes des adolescents et conclut : « Vous l’avez tous les deux tué ». Mou‘âdh Ibnou ‘Amr raconta par la suite qu’il fut rattrapé dans le combat par ‘Ikrima, le fils d’Aboû Jahl, qui lui asséna un coup à l’épaule, lui détachant le bras du corps. Ceci ne l’empêcha pas de combattre valeureusement le reste de la journée jusqu’au triomphe des musulmans. Ce jeune croyant vécut longtemps et participa à différentes batailles menées par les musulmans jusqu’à l’époque du calife ‘Othmâne Ibnou ‘Affâne .

   Alors que les croyants combattaient courageusement malgré leur faible nombre, Allâh  fit descendre une armée d’anges pour les soutenir : « Et ton Seigneur révéla aux anges : “Je suis avec vous : affermissez donc les croyants. Je vais jeter l’effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.12.

   Dès que Satan s’aperçut de la présence des anges, il prit la fuite en s’adressant aux polythéistes en des termes bien précis : « … Mais, lorsque les deux groupes furent en vue l’un de l’autre, il tourna les deux talons et dit : “Je vous désavoue. Je vois ce que vous ne voyez pas ; je crains Allâh, et Allâh est Dur en punition.” », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.48.

   À la fin de la bataille, un lourd bilan endeuilla les Qoraychites et leur déroute générale – sans précédent – ne fit qu’accentuer leur amertume. Soixante-dix de leurs combattants devinrent prisonniers, et un même nombre de nobles et de personnages influents de leur tribu tombèrent sous les coups des musulmans et furent jetés dans l’ancien puits de Badr ; puis dans un silence de cimetière, Mouhammad  s’adressa aux corps inertes : « Avez-vous trouvé ce que votre Seigneur a promis véridique ? » Sa question n’entraina aucune réaction si ce n’est celle de ‘Omar qui, étonné de l’attitude du Prophète, lui murmura : « Ô Prophète, ils n’entendent pas ! », mais Mouhammad lui assura que leur ouïe était aussi fine que la sienne.

   Du côté musulman, quatorze martyrs tombèrent, dont huit Ançârs.

   La condition des prisonniers fut une question cruciale ; le Prophète  n’hésita pas à demander conseil à ses Compagnons. Aboû Bakr  lui suggéra de réclamer une rançon pour leur libération (l’argent ainsi récupéré servirait à enrichir les musulmans) tout en leur recommandant la guidance. Quant à ‘Omar Ibnou-l-Khattâb , il lui conseilla de les éliminer pour la simple et bonne raison qu’ils étaient les chefs des polythéistes. Le Prophète  opta pour la solution d’Aboû Bakr  et l’appliqua aussitôt. Mais certains versets furent alors révélés à ce sujet, entérinant l’avis de ‘Omar  et remettant en cause le choix du Messager : « Un prophète ne devrait pas faire de prisonniers avant d’avoir prévalu [mis les mécréants hors de combat] sur la terre. Vous voulez les biens d’ici-bas, tandis qu’Allâh veut l’au-delà. Allâh est Puissant et Sage. N’eût-été une prescription préalable d’Allâh, un énorme châtiment vous aurait touché pour ce que vous avez pris [de la rançon]. Mangez donc de ce qui vous est échu en butin, tant qu’il est licite et pur. Et craignez Allâh, car Allâh est Pardonneur et Miséricordieux. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.67-69.

   Cette victoire historique marqua malgré tout un tournant décisif dans les relations entre les Qoraychites et les musulmans : ces derniers devenaient une force politique et militaire avec laquelle il fallait désormais composer, car l’impérialisme idéologique qui dominait jusqu’à présent avait essuyé sa première correction. Au-delà de la victoire armée, les conséquences géostratégiques bousculèrent sérieusement les certitudes polythéistes.

   Cette bataille de Badr, également appelée « le Jour du discernement » (Al-Fourqân) dans le Coran, symbolise la victoire du bien contre le mal et le triomphe de la justice contre l’iniquité. En ce jour mémorable, Allâh  a permis à Ses fidèles de prendre l’offensive après douze années de persévérance admirable. Dorénavant, non seulement les convertis à l’Islam pouvaient vivre leur religion dans la sérénité de Médine, mais ils espéraient aussi résolument vaincre le dictat polythéiste pour transmettre librement le Message au reste de l’Arabie et du monde…

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