(9) La reconstruction de la Ka‘ba et le début de la Révélation

Biographie du Messager

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La reconstruction de la Ka‘ba

  La reconstruction de la Ka’ba fut un des évènements majeurs précédant la prophétie de Mouhammad . Ibrâhîm et Ismâ‘îl (paix sur eux) avaient déjà rebâti l’édifice sur ses fondations abîmées auparavant.

Cinq années avant la prophétie de Mouhammad , alors que celui-ci était âgé de trente-cinq ans donc, un torrent impétueux provoqua l’inondation de la Mecque : les murs de la Ka’ba déjà fragilisés par un précédent incendie s’effondrèrent.

   Les Arabes décidèrent d’un commun accord la reconstruction de la bâtisse. Mais ils savaient que l’argent qu’ils allaient investir n’était pas licite : il provenait, en effet, des femmes qu’ils forçaient à se prostituer. Cette fois-ci donc, ils ne voulurent pas utiliser un tel revenu. Trente-cinq années seulement s’étaient écoulées depuis l’épisode des gens de l’éléphant, et le souvenir de la perte d’Abraha était encore frais dans l’esprit des Arabes : le respect que leur inspirait la Ka’ba et la crainte du mauvais sort en cas de transgression incitèrent les Arabes à refuser de l’argent illicite.

   Mais pour reconstruire, encore fallait-il détruire ce qui restait des ruines de la Ka’ba. Une fois de plus, la crainte du mauvais sort empêcha les Arabes d’oser prendre cette initiative : Al-walîd Ibnou Al-Moughîra s’attaqua alors à la tâche tandis que les autres le regardaient malgré son invitation à le rejoindre. « Si tu es encore vivant demain, nous t’aiderons », lui lancèrent-ils. Le lendemain, Al-Walîd vint avec ses enfants pour continuer le labeur. Voyant cela, les gens se décidèrent enfin à retrousser leurs manches.

   Lorsqu’ils parvinrent aux fondations de l’édifice, leurs outils se heurtèrent à un énorme dôme en pierre verte « semblable au dos du dromadaire ».
Ils résolurent de tout dégager, même les fondations, mais une aveuglante lumière en jaillit et les gens jugèrent bon d’abandonner l’idée de poursuivre le déblayage. Les travaux de reconstruction continuèrent bon train jusqu’au moment de remettre la pierre noire en place.

   La pierre noire est réputée venir du paradis, et sans la vénérer, les musulmans la considèrent comme un haut symbole attaché à la sacralité de la Ka’ba. ‘Omar Ibnou Al-Kâttâb déclarait en substance en s’adressant à la pierre : « Je sais que tu n’es qu’une simple pierre qui ne peut ni me faire du bien ni me faire du mal. Et si ce n’était parce que j’ai vu le Prophète t’embrasser, je ne t’aurais jamais embrassée. »
Embrasser la pierre est donc une sunna, mais s’accrocher comme des désespérés au tissu de la Ka’ba ne procède pas de la tradition prophétique.

     Les différents clans de la Mecque se disputèrent le privilège de poser la pierre noire dans la cavité prévue à cet effet. L’altercation dura quatre nuits et était telle que des membres d’un clan vinrent même à tremper leurs mains dans un récipient rempli de sang et à clamer : « Nous jurons par Dieu que si quelqu’un d’autre que nous pose la pierre, nous en viendrons à verser le sang ! » ; les autres tribus leur emboîtèrent le pas. La crise était à son paroxysme lorsqu’ils se tournèrent vers le doyen de la Mecque, Aboû Oumayya Ibnou Al-Moughîra Al-Makhzumi, l’oncle paternel de Khâlid Ibnou Al-Walîd, pour qu’il les aidât à résoudre leur litige. L’homme leur déclara : « Ô gens ! Ne vous disputez pas, et choisissez comme arbitre, entre vous, celui dont vous acceptez l’arbitrage. » Ses interlocuteurs de dire : « Nous confierons cette mission à celui qui va entrer le premier [dans la Ka’ba]. »
Et le premier à y entrer fut Mouhammad , le bien nommé « le Digne de confiance ».

   Ce fut Mouhammad qui emprunta le chemin, et cette vision tira de la bouche des gens cette exclamation : « C’est le véridique, le digne de confiance ! » Mouhammad était déjà très respecté des siens avant sa prophétie, il n’y eut donc rien d’étonnant qu’il fit l’unanimité de son peuple pour solutionner leur discorde.

   Les personnes présentes proposèrent à Mouhammad d’arbitrer leur querelle, ce qu’il accepta. Il se départit de sa mante, l’étendit au sol à une certaine distance de la Ka’ba, puis déposa la pierre noire au centre du vêtement. Il invita dès lors les chefs de chaque tribu à se saisir chacun d’un pan de l’habit, puis à se diriger vers la Ka’ba. Après qu’ils eurent soulevé la cape, Mouhammad s’empara de la pierre noire et la remit dans sa cavité : par la sagesse, le médiateur réussit le tour de force d’honorer chaque clan à leur grande satisfaction et parvint ainsi à éviter l’effusion inutile de sang.

   Cette anecdote démontre que Mouhammad est un conciliateur, une miséricorde pour le monde.

   Le Prophète avait-il une opinion différente de ses contemporains quant à la manière de réédifier la Ka’ba ? Très certainement quand on s’appuie sur sa parole, lorsqu’il deviendra Prophète et qu’il dira à son épouse ‘Â’icha : « Si je n’avais pas peur que ton peuple fraîchement converti à l’Islam réagisse mal, j’aurais détruit la Ka’ba pour la reconstruire sur ses fondations initiales. »

   En effet, actuellement encore, un petit muret qui est en fait un vestige des limites du cube est encore visible : normalement, la Ka’ba possède une dimension plus large. La leçon à tirer de ce hadîth est que lorsque l’on veut établir la justice, redresser un tort, il faut peser les avantages et les inconvénients : si les conséquences fâcheuses et prévisibles sont supérieures au profit, alors il faut s’abstenir de rendre cette justice… entre deux maux, préférer le moindre.

   Apparemment ce principe a été jeté aux oubliettes à l’époque du calife ‘Abdoullâh Ibnou Az-Zoubayr : une guerre avait éclatée entre ce calife de la Mecque et le gouverneur omayyade de Koufa, Al-Hajjâj Ibnou Yoûssouf Ath-Thaqafî. Ce dernier projeta des pierres de feu à l’aide de catapultes sur la Ka’ba : celle-ci fut détruite par l’incendie. Suite à cela, ‘Abdoullâh Ibnou Az-Zoubayr décida de la rebâtir. Pour ce faire, il consulta son peuple : devait-il entreprendre les rénovations sur les fondations d’Ibrâhîm ou devait-il réfectionner la Ka’ba dans les dimensions de l’époque de quand le Prophète avait trente-cinq ans ? Les gens lui conseillèrent la première option, car telle était la volonté du Prophète, mais il avait craint les réactions négatives des Arabes nouvellement convertis. ‘Abdoullâh Ibnou Az-Zoubayr agréa l’avis et la Ka’ba fut reconstruite selon les limites d’Ibrâhîm .Or, quelque temps après, Al-Hajjâj tua le calife et rétablit le monument dans les dimensions de l’époque du Prophète.

   En ce qui concerne la pierre noire, elle avait été un jour dérobée par les Qarâmita, un peuple puissant d’obédience chi‘ite qui se révolta contre les Abbassides au troisième siècle de l’Hégire. Celui-ci fit construire, toujours en Arabie, une autre Ka’ba, et il logea la pierre noire volée dans sa nouvelle niche : cette situation dura entre vingt et soixante ans selon les versions rapportées, car les musulmans redevenus forts la leur reprirent. La pierre noire porte des séquelles de ces conflits : elle ne demeura pas intacte, mais se morcela et ses fragments furent rassemblés avec du ciment.

Les prémices de la prophétie

   Toutes les épreuves existentielles du Prophète l’avaient préparé psychologiquement à sa mission ; l’étape suivante était sa préparation spirituelle.Deux années avant la prophétie de Mouhammad , alors que celui-ci était âgé de trente-huit ans, Allâh envoya des signes précurseurs de sa mission : Mouhammad commençait à avoir les prémices des miracles (« irhâçât ») ; Allâhsoutenaient toujours les prophètes avec des miracles (« mou‘jizât » : un évènement extraordinaire que ne peut produire un être humain et que Dieu donne à celui-ci pour l’appuyer dans sa mission prophétique et servir de preuve de sa prophétie). Pour illustration, Moûssâ avait ainsi un bâton prodigieux ; ‘Îssâ (psl) rappelait les morts à la vie et guérissait les lépreux avec la permission de Dieu.

   Six mois avant la prophétie, Mouhammad faisait des rêves prémonitoires qui se réalisaient toujours exactement comme il les voyait dans son sommeil. Mouhammad dira d’ailleurs : « Le rêve prémonitoire représente le 1/46ème de la prophétie ». Avec un petit jonglage mathématique on déduit que ce hadîth présente un caractère miraculeux : en effet, les rêves prémonitoires étaient apparus six mois avant la mission prophétique, et six mois représentent la moitié d’une année. Lorsque l’on divise quarante-six par deux, on obtient vingt-trois, soit le nombre d’années de la mission prophétique de Mouhammad (dix années à la Mecque et treize à Médine). Mouhammad devint Prophète à quarante ans, sa mission durant vingt-trois années, il devait mourir à soixante-trois ans… et ce fut ce qui advint. Qui apprit cela au Prophète, sinon Allâh par inspiration ?

   Il arrivait aussi au Prophète de marcher et d’entendre des voix le saluer : « Assalâmou ‘alayka yâ rassoula-Allâh ! » (« Que la paix de Dieu soit avec toi, ô Messager de Dieu ! »). Plus tard, il interrogera l’Archange Jibrîl qui lui apprendra que c’étaient les rochers qui le saluaient ainsi.

m35Mont Hirâ’.

   Un autre signe était que Mouhammad aimait de plus en plus à se retirer du monde pour méditer dans la grotte au sommet du mont Hirâ’. La cavité était ceinte par trois rochers et ne pouvait accueillir qu’une à deux personnes ; elle possédait deux issues : l’une donnait une vue sur la Mecque et les montagnes, l’autre sur le ciel. Il fallait à un jeune homme environ une heure et demie pour atteindre le sommet. Le Prophète y demeurait parfois un mois entier, et c’était son épouse Khadîja (cinquante-cinq ans !) qui le pourvoyait en provisions en escaladant elle aussi le mont.

   Une nuit, alors qu’il était là à méditer dans la grotte, Mouhammad sentit une présence : l’archange Jibrîl lui était apparu sous une apparence humaine — car s’il avait pris sa véritable image, Mouhammad aurait sûrement été très choqué par la rencontre. Ceci causa bien sûr la stupéfaction du Prophète : qui était cet homme et comment avait-il pu parvenir sur le lieu à son insu ?

   Jibrîl dit à Mouhammad : « Lis ! ». « Je ne sais pas lire », lui rétorqua le Prophète. « Lis ! », répéta l’ange. Mais il reçut la même réponse de la part du Prophète. Jibrîl serra le Messager d’Allâh dans ses bras à lui couper le souffle et lui ordonna à nouveau de lire. Derechef, Mouhammad ne put s’exécuter. Jibrîl lui révéla alors des versets du Coran : « Lis au Nom de ton Seigneur Qui a tout créé, Qui a créé l’homme d’une adhérence ! Lis, car la bonté de ton Seigneur est infinie ! C’est Lui Qui a fait de la plume un moyen du savoir et Qui a enseigné à l’homme ce qu’il ignorait », s.95 Al-‘Alaq (L’Adhérence), v.1-5.

   Puis l’ange disparut… Mouhammad avait-il rêvé ? Cela ne se pouvait, et quand Jibrîl avait enlacé le Prophète, c’était bien pour lui signifier que celui-ci n’était pas en train de vivre un songe ; en même temps, ce contact physique rassurait Mouhammad sur les intentions bienveillantes de l’ange.

   Une fois Jibrîl volatilisé, le Prophète effrayé dévala la montagne jusqu’à son domicile ; il demanda aux siens de le couvrir : l’évènement l’avait perturbé et ébranlé au point qu’il ressentit le froid parcourir tout son corps et en même temps il suait à grosses gouttes. Cet état était extraordinaire en lui-même car paradoxal : il en était toujours ainsi lorsque le Messager d’Allâh recevait une révélation. En outre, le corps du Prophète devenait pesant : il est rapporté qu’une fois il reçut la révélation alors qu’il se trouvait à dos de mule, le poids de sa personne était tel que la pauvre bête s’agenouilla sur place !

   Mouhammad trouva en son épouse Khadîja le réconfort espéré. A sa question de savoir s’il était possédé par le démon, elle le rassura en affirmant que cela était impossible : « Tu n’aurais pas dû avoir peur, Dieu ne te couvrira jamais de honte ! Tu maintiens le lien de parenté ; tu soutiens les faibles et les démunis ; tu honores tes hôtes ; et tu viens en aide aux victimes de l’injustice.»

   Khadîja soutenait toujours impeccablement son époux depuis les débuts de sa mission prophétique. Mouhammad ne se privait pas de vanter ses vertus au-delà de son décès, et ce, même en présence de ‘Â’icha , ce qui avait pour don d’irriter la mère des croyants : « Ô Messager d’Allâh ! Pourquoi parles-tu si fièrement d’une vieille femme qouraïchite qui avait des lèvres rouges et qui est morte depuis longtemps ? Allâh vous a donné de meilleures femmes », lui lançait-elle au visage. Et le Prophète de changer de couleur : «Elle était, dit-il, la femme qui croyait en moi quand les autres me rejetaient. Quand les gens me traitaient de menteur, elle me déclarait véridique. Quand j’étais délaissé, elle dépensait sa richesse pour alléger le fardeau de mon chagrin. Elle m’a donné des enfants alors que les autres femmes ne m’en ont pas donnés. »

   Un jour, après la conquête de la Mecque, ‘icha ( vit le Prophète en pleine discussion avec une dame âgée. Le Messager d’Allâh était animé, à l’aise et il souriait. Après son départ, ‘icha l’interrogea au sujet de l’interlocutrice, le Prophète de lui répondre : « C’est une amie de Khadîja ; et on parlait de la belle époque de Khadîja. »
Le Prophète aimait sa première épouse au-delà de la mort et clamait haut et fort son attachement pour elle.

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Prénom « Khadîja » calligraphié

   Khadîja proposa à son mari de se rendre le lendemain auprès de son cousin à elle, Waraqa Ibnou Nawfal, un Arabe converti au christianisme et qui traduisait la bible de l’hébreu à l’arabe. Selon Khadîja , ce monothéiste était capable de leur fournir une explication sur ce qui s’était passé.

   En entendant l’histoire de Mouhammad , Waraqa conclut que celui-ci avait bel et bien rencontré l’ange Jibrîl , celui-là même qui apparut à Moûssâ (Moïse) , et d’ajouter : « J’aimerais être encore jeune pour te soutenir lorsque ton peuple va te chasser de la ville. » « Vont-ils vraiment agir ainsi envers moi ? », interrogea le Prophète. « Aucun homme n’a vu ce que tu as vu sans se faire d’ennemi. J’espère vivre assez longtemps pour te suivre et te servir », confirma, hélas, Waraqa. Malheureusement, le vieillard mourut peu de temps après et ne put concrétiser son vœu d’assister le Prophète dans sa mission.

   Selon les versions, entre six mois (délai le plus admis) et deux ans, l’archange Jibrîl ne visita plus le Prophète. Durant cette période, le Messager d’Allâh douta de la réalité de sa vision. Mais Allâh avait décrété ce répit pour Son serviteur afin qu’il se préparât psychologiquement à sa mission.
Et un jour, Mouhammad entendit une voix l’appeler du ciel. Il leva le regard et vit Jibrîl sous son apparence angélique, muni de six cents ailes et assis sur un trône qui lui dit : « Je viens te délivrer ta mission. »
A la même époque, il y avait un homme, Aboû ‘Âmir, qui avait étudié les Ecritures et savait qu’un prophète allait venir. Il espérait être ce prophète, aussi s’évertuait-il à faire montre d’un excellent comportement, mais son tempérament inné prit le dessus sur celui qu’il avait façonné. Lorsqu’il apprendra la mission du Prophète, il combattra avec rage le Messager de Dieu.

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