(19) La tranchée

Biographie du Messager

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   Suite à la bataille d’Ouhoud, les ennemis de l’Islam comprirent que se débarrasser du Messager  ne serait pas une mince affaire tant que chacun agirait isolément. En l’an 5 de l’Hégire, les différentes tribus s’organisèrent donc pour concrétiser leur funeste dessein.

L’instigateur d’une telle entreprise était Houyayy Ibnou Akhtab, le chef de la tribu juive Banoû An-Nadîr. Les membres de cette communauté étaient des citoyens médinois à part entière, mais le non respect du pacte conclu avec les musulmans obligea le Prophète  à tous les expulser de Médine.

   Les musulmans devaient donc une nouvelle fois faire face à l’animosité profonde des ennemis de l’Islam et montrer que leur détermination dépassait toutes les motivations existantes.

Un engagement au service de la haine

   Lorsque le Messager  arriva à Médine, Houyayy vint le voir en compagnie de son frère pour vérifier l’authenticité de sa prophétie et observer le sceau commun à tous les prophètes qui se trouve entre les épaules. Après un petit interrogatoire, les deux parents s’éloignèrent. Le frère de Houyayy ne sachant quoi penser questionna son aîné. Houyayy lui confirma qu’il était bien l’Envoyé de Dieu annoncé par la Torah, et qu’il le combattrait jusqu’à la mort. Salmâne al-Fârissî , qui entendit cette conversation avertit le Prophète  du danger qu’il courrait. Ce à quoi le Messager  répondit : « Ô Salmâne, nous ne jugeons pas les gens sur ce qu’ils disent ! »

   Que cette parole pertinente soit une source de réflexion apaisante pour qui considère les non musulmans comme des ennemis à combattre en toutes circonstances !

   Houyayy quitta donc Médine avec ses coreligionnaires pour Khaybar où une autre communauté juive les accueillit. Son expulsion ne fit qu’attiser le feu de son intarissable haine pour le Messager  et le poussa à tisser des liens avec le reste des ennemis de l’Islam. Il s’adressa d’abord à Aboû Sofiâne : « Je suis venu me mettre d’accord avec toi pour détruire Mouhammad ! » Le chef polythéiste s’en réjouit ouvertement : « Tu es le bienvenu, celui qui nous aide contre Mouhammad devient notre ami. » Rassemblant les autres notables de Qoraych, Aboû Sofiâne emmena son nouveau compagnon à l’intérieur de la Ka‘ba. Tous collèrent leur poitrine sur les murs de la Maison sacrée et prêtèrent serment de s’allier contre le Messager .

   La deuxième puissance de la péninsule arabique après Qoraych était la tribu de Ghatafâne. Leur chef ‘Ouyayn Ibnou Hiçn accueillit le dirigeant juif à bras ouverts et se joignit au sinistre projet.

   Houyayy se dirigea ensuite vers la tribu d’Achga’, qui adhéra également au complot anti musulman. Malgré la nature pernicieuse de son ambition, Houyayy ne baissa jamais les bras et réussit à rassembler autour de lui tous les dirigeants arabes hostiles à l’Islam. Dix-mille guerriers commandés par Aboû Sofiâne se préparaient donc à combattre les musulmans qui n’avaient jusque là affronté des armées composées de trois mille soldats tout au plus. L’armée qoraychite comptait à elle seule 4 000 combattants, 300 chevaux et 1 500 chameaux ; Ghatafâne participait avec 3 000 soldats, Achga’ avec 300 et les autres petites tribus complétaient la différence.

Une préparation minutieuse

   Lorsque le Prophète  eut vent de l’expédition qui se dirigeait vers Médine, il ne restait qu’entre dix et quinze jours aux musulmans pour s’organiser avant son arrivée. Les croyants investissaient tous les champs humains possibles pour se donner un maximum de chances de réussite, sans compter exclusivement sur les invocations et les miracles divins.

   Le Messager  commença par réunir ses compatriotes pour délibérer et déterminer quelle action mener face à leurs ennemis. Depuis la fondation de Médine, le Prophète  n’imposait jamais son opinion, il consultait toujours ses Compagnons ; cette démarche renforçait l’esprit patriotique des uns et des autres, favorisait une prise de décision réfléchie et entretenait le courage et la solidarité.

   Après un exposé clair de la situation, chacun s’exprima pour donner son avis. Vint le tour de Salmâne Al-Fârissî, un Compagnon d’origine perse, qui proposa : « Ô Messager d’Allâh, quand nous étions assiégés en Perse, nous construisions une tranchée. » Cette idée se prêtait parfaitement à la configuration de Médine qui ne présentait qu’une seule entrée au nord. En accord avec le reste des participants, le Prophète  opta donc pour cette solution.

   L’ouvrage débuta aussitôt entre les montagnes qui entourent Médine de toutes parts. Au niveau de cette entrée devait être creusée une tranchée de quatre kilomètres de long, cinq mètres de profondeur et six mètres de large. Chacun donnait son maximum pour réaliser cette fosse infranchissable ; l’implication et le sens des responsabilités motivaient les troupes efficacement.

   Le déroulement des événements était planifié avec minutie : après le creusage de la tranchée, celle-ci devait être surveillée en continu par les mille cinq cents combattants disponibles afin d’arrêter quiconque chercherait à l’escalader, et les femmes et les enfants avaient gagné un droit sûr.

   Aboû Bakr  et ‘Omar  étaient chargés de superviser le bon déroulement des travaux et le Prophète  s’assurait que l’ensemble du plan se passe comme prévu. Il aidait chaque groupe de tâche pour les encourager. La peur était tout de même présente et le spectre de la bataille d’Ouhoud hantait encore quelque peu les esprits. S’ajoutait à cela une famine sévère qui obligeait les Médinois à se serrer le ventre avec une pierre, voire deux. Malgré ces difficultés, le moral restait positif, car tous ces efforts servaient la cause divine. Hassân Ibnou Thâbit , le poète de Médine déclinait quelques vers repris par tout le monde :

Par Allâh et si ce n’était Lui,

Nous ne nous serions jamais assagis,

D’aumône et de prière nous n’aurions pas fait.

Raffermis nos pieds à la rencontre, recouvre-nous de paix.

Si du tort les autres nous voulaient

Et que le trouble ils mettaient

Nous y serions tous opposés.

Les Musulmans lui répondaient :

Nous sommes ceux qui ont prêté serment

A Mouhammad  pour la lutte éternellement

Même ‘Omar , qui n’appréciait guère ces chants en de pareilles circonstances, finit par fredonner le refrain à l’instar du Messager .

Des miracles pour le bonheur de tous

   Cinq jours après le début des travaux, la fatigue et la faim notamment se faisaient de plus en plus sentir et rendaient l’ouvrage bien pénible. Un Compagnon répondant au nom de Jâbir Ibnou ‘Abdillâh s’enquit auprès de son épouse de ce qu’il restait chez eux. Celle-ci l’informa qu’il restait à peine de quoi nourrir une personne. Jâbir lui demanda donc de ne point donner cette maigre pitance à ses enfants, mais de la réserver pour le Messager . Lorsqu’il notifia au Prophète  qu’un peu de nourriture l’attendait chez lui, ce dernier lui rétorqua : « Veux-tu que je vienne seul Jâbir ? Veux-tu que je mange tandis que le reste de l’armée souffre de la faim ? » Il grimpa ensuite au sommet de la montagne et invita tous les Compagnons à partager le repas chez Jâbir ce jour-là.  L’hôte s’en retourna immédiatement chez lui pour avertir sa femme. Telle fut sa réaction : « Puisque tu as expliqué au Prophète et qu’il a pris cette décision, Allâh et Son Messager savent certainement mieux que nous. »

   L’armée entra par groupe dans la demeure de Jâbir. Chaque homme, exténué et affamé en ressortit rassasié, et il resta même assez de nourriture pour l’hôte et sa famille. Ce genre de miracle ne se produit qu’en cas d’altruisme désintéressé.

   La tranchée de quatre kilomètres de long s’acheva au bout de dix jours de dur labeur. Mais un roc extrêmement difficile à pulvériser empêchait les musulmans de terminer l’ouvrage. Le Prophète  demanda à ce que ce rocher soit arrosé avec un peu d’eau ; il s’empara de la pioche et y donna un coup qui provoqua des étincelles ! Il cria devant les Compagnons qui tressaillirent : « Allâhou Akbar ! la Perse a été envahie » Il asséna un second coup et continua : « Allâhou Akbar ! Byzance a été envahie ! » Un troisième et dernier impact vint à bout de l’obstacle qui tomba en miettes. Mentionner la conquête de la Perse et celle de Byzance est un moyen de redonner de l’espoir, le Prophète  aimait à ranimer continuellement l’optimisme des Compagnons. Mais, il ne pouvait faire une telle annonce sans que Dieu ne lui ait dévoilé la conquête de ces deux empires par les musulmans dans un avenir proche.

Le siège

   Le contingent exceptionnel fut surpris par la tranchée qui l’attendait à l’entrée de la ville. Personne n’avait vu une telle démarche chez les Arabes. L’armée s’était préparée au combat, non pas à assiéger Médine. Grâce à son esprit d’initiative, le Prophète  contraignait toujours l’ennemi à réagir, et maitrisait ainsi la situation.

   Qoraych se posta donc devant la tranchée, guettant le moindre signe de faiblesse du côté musulman. ‘Amr Ibnou-l-‘Âç et Khalîd Ibnou-l-Walîd arpentaient les lieux avec la cavalerie pour se donner toutes les chances d’agir rapidement au moindre signal.

   Mais du côté médinois, le Prophète  avait tout prévu : les musulmans formaient des stations de guet tout le long de la tranchée. Sa‘d Ibnou Mou‘âdh  s’assurait que chaque groupe de vingt-cinq soldats observait attentivement le camp ennemi. Aboû Bakr  et ‘Omar  surveillaient l’ensemble de l’ouvrage et le Prophète  lui-même surplombait le tout du haut de la montagne.

   Il restait quelques juifs de Qouraydha à l’intérieur de Médine et Qoraych misa sur leur aide pour déstabiliser les musulmans en attaquant leurs femmes et enfants. Houyayy s’adressa à Ka‘b Ibnou Sa‘d, le chef des Banî Qouraydha : « Ô Ka‘b, je suis venu avec tous les biens du monde. Je suis venu avec Qoraych et Ghatafâne, tout ce qu’il y a de plus honorable au monde pour supprimer Mouhammad. » Il lui répondit : « Tu viens avec l’humiliation ? Je n’ai vu de Mouhammad que de la loyauté et de la franchise. Il ne m’a rien pris de mes biens, ne m’a pas obligé à suivre sa religion et lorsqu’il vous a chassé, il ne m’a pas rendu responsable de vos actions. »

   Malgré sa bonne volonté, Ka‘b finit par se laisser convaincre par Houyayy. Le Prophète eut vent de l’affaire et voulut s’assurer de son exactitude. Pour ce faire, il envoya Sa‘d Ibnou Mou‘âdh, qui appartenait à la tribu des Aws avant l’arrivée du Messager, des alliés de Banî Qouraydha : « Ô Ka‘b, n’as-tu pas signé un pacte avec le Messager d’Allâh ? » La réponse qu’il reçut ne fit que confirmer les soupçons : « Qui est le Messager d’Allâh ? Il n’y a rien entre nous et vous, nous avons déchiré l’acte.”

Vers un affrontement inévitable ?

   Sa‘d rapporta donc la mauvaise nouvelle au Prophète  qui cria néanmoins à son armée en guise d’encouragement : « Allâhou Akbar ! Bon augure, attendez-vous au triomphe de la part d’Allâh ! » Gagné par l’inquiétude, il se couvrit le visage et se mit à réfléchir. Pendant ce temps la nouvelle se répandait comme une trainée de poudre par les juifs à l’intérieur de Médine. À cette pénible situation s’ajoutait les insinuations sournoises et les moqueries des hypocrites au sujet de ce qu’avait dit le Prophète  en effritant le roc. Le Coran descendit pour commenter l’attitude de ces imposteurs : « Et quand les hypocrites et ceux qui ont la maladie [le doute] au cœur disaient : “Allâh et Son Messager ne nous ont promis que tromperie”. (12) De même, un groupe d’entre eux dit : “Gens de Yathrib ! Ne demeurez pas ici. Retournez [chez vous]”. Un groupe d’entre eux demande au Prophète la permission de partir en disant : “Nos demeures sont sans protection”, alors qu’elles ne l’étaient pas : ils ne voulaient que s’enfuir. (13) », s.33 Al-Ahzâb (Les Coalisés), v.13.

وَإِذۡ يَقُولُ ٱلۡمُنَـٰفِقُونَ وَٱلَّذِينَ فِى قُلُوبِہِم مَّرَضٌ۬ مَّا وَعَدَنَا ٱللَّهُ وَرَسُولُهُ ۥۤ إِلَّا غُرُورً۬ا (١٢) وَإِذۡ قَالَت طَّآٮِٕفَةٌ۬ مِّنۡہُمۡ يَـٰٓأَهۡلَ يَثۡرِبَ لَا مُقَامَ لَكُمۡ فَٱرۡجِعُواْ‌ۚ وَيَسۡتَـٔۡذِنُ فَرِيقٌ۬ مِّنۡہُمُ ٱلنَّبِىَّ يَقُولُونَ إِنَّ بُيُوتَنَا عَوۡرَةٌ۬ وَمَا هِىَ بِعَوۡرَةٍ‌ۖ إِن يُرِيدُونَ إِلَّا فِرَارً۬ا

   Un homme des Banî Qoraydha tenta de pénétrer à Médine pour y semer la panique. Il se dirigea vers le fort gardé par Hassâne Ibnou Thâbit , où se trouvait également Safiya , la tante du Prophète . Safiya  aperçut l’ennemi et cria à Hassân de l’abattre ; mais le poète au cœur tendre ne put s’y résoudre. La courageuse femme s’arma d’une barre de fer et asséna un coup sur la tête de l’intrus qui tomba raide mort. Elle demanda à Hassân de couper la tête du cadavre pour la jeter ensuite devant le fort juif, afin de leurrer l’adversaire. Mais voyant que le Compagnon était incapable d’agir, elle s’y attela elle-même. La hardiesse des musulmanes n’avait rien à envier à la bravoure masculine !

   Désireux de sauver Médine, le Prophète  s’adressa à la tribu ennemie de Ghatafâne avec cette proposition : « Accepteriez-vous de partir et de prendre le tiers des récoltes de Médine ? » Intéressé, ils acceptèrent l’offre en exigeant la moitié du rendement agricole. L’Envoyé d’Allâh ne pouvait se prononcer sur cette option sans consulter ses Compagnons et rapporta donc la conversation à Sa‘d Ibnou Mou ‘âdh  et Sa‘d Ibnou ‘Oubada . Le premier s’enquit de la motivation du Prophète  :

« ― Ô Messager d’Allâh, fais-tu cela parce que tu en as reçu l’ordre par révélation ou parce que c’est une chose que tu aimes ou bien est-ce pour notre bien à nous ? »

― Je le fais pour vous. Je veux disperser les Arabes qui se sont unis contre vous.

― Ô Messager d’Allâh, lorsque nous étions encore mécréants, personne de ceux-là n’aurait osé prendre quelque chose de Médine sans payer son prix. Maintenant que nous avons la force de l’Islam, nous le leur permettrons ? Par Allâh, ils n’auront de nous que les coups d’épée. »

   Le siège durait déjà depuis vingt-trois jours et certains combattants placés dans la tranchée devaient quitter leur poste pour aider les femmes et les enfants à l’intérieur de la ville, ce qui affaiblissait la défense des musulmans. Un certain ‘Amr Ibnou Woud, un cavalier invaincu, s’aventura dans la tranchée, appelant un volontaire à l’affronter. Après plusieurs invitations, ‘Alî  demanda au Prophète  de le laisser combattre. Celui-ci, conscient du danger qu’encourait son cousin refusa, mais devant l’insistance du brave homme, il finit par lui donner son épée et invoqua Dieu en sa faveur.

‘Amr voulait savoir à qui il avait à faire, et quand il apprit l’identité de son adversaire, lui dit : « Je n’aimerais pas te tuer parce que ton père était mon ami. » ‘Alî  de rétorquer : « Moi, j’aimerais te tuer et tu choisis entre embrasser l’Islam, partir de suite vers la Mecque ou avoir la gorge coupée. » Courroucé par ce qu’il venait d’entendre, ‘Amr coupa les jarrets de sa monture – pour montrer qu’il combattrait jusqu’à la mort –, enduit son visage de sang et porta un coup d’épée à ‘Alî . Personne ne put suivre le combat tant la poussière du sol dansait autour des deux combattants, mais le Messager  n’interrompit ses supplications à aucun moment. Tout-à-coup, une silhouette se dessina, c’était ‘Alî  brandissant la tête de son adversaire. Il la jeta également de l’autre côté de la tranchée pour effrayer l’ennemi.

Pendant ce temps, Sa‘d Ibnou Mou ‘âdh reçut une flèche dans le coude qui provoqua une hémorragie. Le Prophète  fit installer une tente dans la mosquée pour ce cher Compagnon et sollicita les compétences de Roufayda, la première infirmière musulmane. Sa‘d n’oubliait pas d’invoquer Dieu : « Ô Allâh, si je devais mourir de cette blessure, garde-moi en vie tant qu’il y aura des combats entre nous et Qoraych et si c’est le dernier, ne me fais pas mourir avant de me venger des Banî Qouraydha. »

Une détermination justement récompensée

Entre temps, un membre de la tribu des Achga’ vint trouver le Prophète  pour annoncer sa conversion à l’Islam et lui proposer ses services. Comme la situation ne nécessitait pas un grand déploiement, il proposa à ce nouveau Compagnon prénommé Nou‘aym de retourner de l’autre côté de la tranchée pour tromper les mécréants.

Il se dirigea vers les Banî Qouraydha qui ne se doutaient de rien :

« ― Ô vous, les Banî Qoraydha, vous savez mon amitié pour vous.

― Oui, nous n’avons aucun doute à ton sujet, répondirent-ils.

― Vous savez que Qoraych ne sont pas de ce pays, s’ils décident d’arrêter le siège, ils repartiront et vous laisseront entre les mains de Mouhammad.

― Que nous conseilles-tu ?

― Incitez-les au combat et demandez-leur cinquante hommes en otage afin d’être sûrs qu’ils ne vous abandonneront pas sans s’être battus. S’ils refusent, vous devriez craindre pour vous-mêmes. »

Séduits par l’idée, ils acquiescèrent.

   Nou‘aym alla ensuite trouver Aboû Sofiâne pour le prévenir : « J’ai su que Mouhammad s’était réconcilié avec les Banî Qouraydha qui lui ont promis de lui livrer cinquante des vôtres pour lui prouver leurs bonnes intentions. » Le chef qoraychite s’enquit auprès des Banî Qoraydha pour savoir quand ils comptaient débuter le combat. Ces derniers exigèrent de lui qu’il leur laisse cinquante de ses hommes, conformément au conseil du musulman fraichement converti. Aboû Sofiâne en déduisit que Nou‘aym avait raison donc refusa la requête. Ce quiproquo paralysa tout simplement et efficacement l’armée ennemie.

   Le vingt-quatrième jour de siège, le Prophète  se mit à implorer Dieu avec encore plus de ferveur. Le soir même, une bourrasque de vent surprit les ennemis de l’Islam, emportant violemment les tentes et tout ce qu’elles protégeaient. Le Coran mentionne cet épisode singulier : « Ô vous qui croyez ! Rappelez-vous le bienfait d’Allâh sur vous, quand des troupes vous sont venues et que Nous avons envoyé contre elles un vent et des troupes que vous n’avez pas vues. Allâh demeure Clairvoyant sur ce que vous faites. », s.33 Al-Ahzâb (Les Coalisés), v.9.

يَـٰٓأَيُّہَا ٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ ٱذۡكُرُواْ نِعۡمَةَ ٱللَّهِ عَلَيۡكُمۡ إِذۡ جَآءَتۡكُمۡ جُنُودٌ۬ فَأَرۡسَلۡنَا عَلَيۡہِمۡ رِيحً۬ا وَجُنُودً۬ا لَّمۡ تَرَوۡهَا‌ۚ وَڪَانَ ٱللَّهُ بِمَا تَعۡمَلُونَ بَصِيرًا

   Allâh  envoie Son armée quand Il le souhaite, mais ce miracle exige un effort certain, comme l’explique ce verset : « Ô vous qui croyez ! si vous faites triompher [la cause d’] Allâh, Il vous fera triompher et raffermira vos pas. », s.47 Mouhammad, v.7.

يَـٰٓأَيُّہَا ٱلَّذِينَ ءَامَنُوٓاْ إِن تَنصُرُواْ ٱللَّهَ يَنصُرۡكُمۡ وَيُثَبِّتۡ أَقۡدَامَكُمۡ

   En cette nuit terriblement froide, le Prophète  sollicita ses Compagnons pour rapporter des nouvelles de l’ennemi. Personne n’osa s’aventurer dehors, alors ce fut Houdhayfa qui fut désigné d’office. Il se dirigea donc vers le camp adverse et lorsqu’il y parvint, il se sentit enveloppé de chaleur ; il réussit à se glisser parmi les soldats. Aboû Sofiâne rappelait ses hommes et leur dit : « Je veux vous dire quelque chose d’important et que chacun s’assure de son voisin car je ne suis pas sûr qu’il n’y ait pas des espions de Mouhammad. » Inquiet pour sa vie, Houdhayfa n’attendit pas qu’on le questionne sur son identité, il s’adressa directement à son voisin, sûr de lui : « Qui es-tu ? » Perspicaces et intelligents, les Compagnons ne se contentaient pas de pratiquer leur religion retirés de la vie, ils vivaient pleinement dans leur temps et s’adaptaient à chaque situation.

   L’idée de tuer Aboû Sofiâne qui se trouvait en face de lui traversa l’esprit de Houdhayfa, mais les instructions prophétiques lui interdisaient de provoquer la guerre. Le chef polythéiste dit alors : « Les Juifs vous ont délaissés et les vents vous attaquent, je pars, suivez-moi. »

   Houdhayfa remercia Dieu d’avoir suivi les ordres du Prophète  vers qui il retourna sans attendre. Il ressentait de nouveau le froid ; le Messager  qui priait l’enveloppa dans sa cape et le garda blotti contre lui tout le temps de son adoration. À la fin de sa prière, il loua Allâh  et dit fièrement : « Il n’y a d’autre Dieu qu’Allâh Seul et Unique qui a tenu Sa promesse, a fait triompher Son Serviteur, a soutenu Ses guerriers et vaincu Seul les partis. Dorénavant, nous les envahirons et ils ne pourront pas nous envahir. »

Epilogue

   Le Prophète  et ses Compagnons, extrêmement éreintés par ces jours d’adrénaline intensément sécrétée, retournaient chez eux quand Jibrîl  vint s’adresser au Messager  : « Ô Mouhammad, est-ce que vous avez déposé vos armes avant les Anges ? Il faut punir la traîtrise des Banî Qouraydha, Allâh n’aime pas les traîtres. »

   Le Messager  appela donc ses hommes à le suivre en direction des Banî Qouraydha. Quatorze jours de siège musulman fit réfléchir ces traitres, qui proposèrent de quitter Médine. Le Prophète  expliqua que cette décision ne relevait pas que de lui seul. Ils demandèrent l’avis de Sa‘d Ibnou Mou‘âdh , ce qui convenait complètement au Messager . Sa‘d ne ménagea pas ces concitoyens, comme ils auraient pu le croire : « Je vois que les hommes doivent être tués, les femmes et les biens pris. » Approuvant complètement ce jugement, le Prophète  lui dit : « Tu as prononcé la sentence d’Allâh »

   Même si l’Islam prône la miséricorde et la compassion, la traitrise reste une faute sévèrement punie pour le bien-être de la société.

   Cet événement révolu, la blessure de Sa‘d  se remit à saigner. Le Prophète  le serra contre lui et lui dit : « Ô Sa‘d, le Trône d’Allâh tremble à ta mort [à cause de tous les Anges qui s’affairaient pour préparer et assister aux funérailles de Sa‘d]. »

   Ainsi prit fin la vie sur terre de Sa‘d, conformément à son invocation ; il fut inhumé au cimetière d’Al-Baqi’, à l’instar de bien d’autres Compagnons.

   La bataille de la tranchée fut un événement important dans l’histoire de l’Islam. La détermination et la persévérance dont firent preuve les musulmans et les musulmanes en ces circonstances démontrent que rien ne pourra faire fléchir leur motivation. Grâce à leur courage, l’Islam raffermissait ses pas jour après jour et le déclin de l’hégémonie qoraychite était de plus en plus flagrant. L’heure de la victoire n’allait plus tarder…

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