(3) L’assemblage du Coran après la mort du Prophète

Sciences du coran

i42

     Après vingt-trois années de prêche, d’invitation lancée à l’humanité à se conformer à la voie de Dieu, le Messager d’Allâh préféra retourner à son Créateur, lorsque Gibrîl (psl) vint lui annoncer qu’il avait le choix entre vivre encore de longues années ou quitter le bas monde.

Cette attitude est une preuve supplémentaire du désintéressement et de la véracité du noble Prophète dans sa mission et son rapport avec ses semblables : qui des humains pouvant…ou ayant seulement la prétention de détenir le pouvoir total et les richesses du monde souhaiterait rendre l’âme ? Une telle personne pouvait-elle mentir, tromper ? Certes non ! Ce fut donc fidèlement que Mouhammad délivra le message divin. Et parce qu’il fut un pédagogue hors pair, soutenu en cela par Le Tout Puissant, il connaissait la valeur de ses compagnons et savait pertinemment qu’ils opteraient pour les meilleures solutions dans la gestion des affaires de la communauté musulmane, à la lumière du Coran.

     Un homme disparaît, mais le message et son application devaient se poursuivre, et le choix du Messager de Dieu de s’éteindre est également une leçon pour qui médite sur sa vie et sa pédagogie : l’Islam est une religion de responsabilité, le Messager de Dieu a rempli sa part du contrat, ce fut désormais au tour des hommes qu’il a formés de continuer la transmission : « (…) Certes, les savants sont les héritiers des prophètes (…) » (mentionné par Ahmad, Ad-Dârimî, Aboû Dâoûd, At-Tirmidhî, Ibnou Mâjah).

     Déjà du vivant du Prophète, des copies éparses du Coran, pour certaines incomplètes, existaient. Un évènement historique et tragique allait inciter le calife Aboû Bakr As-Siddîq à rassembler toutes les transcriptions écrites, appuyées des mémorisations des compagnons, dans des souhouf — pluriel de sahîfah, signifiant des morceaux de matériaux écrits dispersés, tels le parchemin, la peau, etc. Dans ces souhouf, l’ordre des versets et des sourates était déjà défini, mais l’agencement des feuillets était volant : on ne pouvait pas encore parler véritablement d’un livre en tant que tel.

i44

Coran dit de ‘Outhmâne (Da) de Tachkent, Ouzbékistan.

      Lors de la bataille d’Al-Yamâmah (633 de l’ère chrétienne), sous le califat d’Abou Bakr As-Siddîq, des musulmans qui avaient mémorisé entièrement le Coran, soixante-dix avaient trouvé la mort. Ibnou As-Sabbâk rapporte que Zayd Ibnou Thâbit affirmait que le calife bien guidé fit alors appel à lui pour compiler les différents fragments du Coran. Une fois ce travail achevé, les souhouf restèrent chez Abou Bakr As-Siddîq jusqu’à sa mort, puis passèrent à ‘Omar Ibnou Al-Khattâb, puis au décès de celui-ci ils furent déposés chez sa fille Hafsa (que Dieu les agrée tous).

     L’étude des hadiths révèle que plusieurs compagnons avaient préparé leur propre assemblage de la révélation, sous forme de moushaf (signifiant la collection des feuillets, souhouf, en un seul volume). Les plus connues des compilations sont celles d’Ibnou Mas’oûd, d’Oubay Ibnou Ka’b, de Zayd Ibnou Thâbit. Outre ces trois personnes, d’autres compagnons vinrent allonger la liste de ceux possédant un assemblage personnel du texte sacré : ‘Âïcha,  Hafsa, Oum Salamah, ‘Omar Ibnou Al-Khattâb, ‘Alî Ibnou Abî Tâlib, Ibnou ‘Abbâs, Aboû Moûssâ, Anas Ibnou Mâlik, Ibnou Az-Zoubaïr, ‘Abdoullâh Ibnou ‘Amr, Sâlîm, ‘Oubayd Ibnou ‘Omar (qu’Allâh les agrée tous).
Pour quelle raison est-ce que le troisième calife bien guidé, ‘Outhmâne Ibnou ‘Affâne , commanda-t-il la production de multiples copies standard du Coran à partir des souhouf d’Aboû Bakr As-Siddîq , conservés à cette époque chez Hafsa bintou ‘Omar Ibnou Al-Khattâb ?
Quinze années après la mort du Prophète, les conquêtes musulmanes s’étendaient de l’Andalousie à la région de la Transoxiane — en arabe ما وراء النَّهْر (Mâ warâ’a-Nahr), ancien nom d’une partie de l’Asie centrale située au-delà du fleuve Oxus (actuel Amou-Daria). Elle correspond approximativement à l’Ouzbékistan actuel et au sud-ouest du Kazakhstan. Géographiquement, il s’agit de la région située entre les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria. L’utilisation de ce terme de nos jours implique généralement que l’on parle de la région à une époque antérieure au VIIIe siècle (source : Wikipédia) —, mais également de l’Arménie aux villes côtières de l’Inde de l’Ouest. Les conversions à l’Islam se comptaient par centaines de milliers, mais la langue arabe et surtout l’écriture arabe était peu répandue dans les diverses peuplades.

     Dans le sahih d’Al-Boukhâri,  il est dit qu’en ce temps se déroulait la campagne militaire des troupes de Syrie et d’Irak, ordonnée par le calife, pour la prise des régions de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Anas Ibnou Mâlik rapporte que Houdhaïfa Ibnou Al-Yamâne fut témoin et effrayé des nombreuses différences dans la récitation du Coran et des querelles naissantes à ce sujet. Il en fit part à ‘Outhmâne Ibnou ‘Affâne : « Ô prince des croyants, arrête les musulmans avant qu’ils ne soient, au sujet de leur Livre, dans un désaccord pareil à celui des juifs et des chrétiens. »

     Le calife emprunta donc le moushaf de Hafsa le temps d’effectuer sept copies. La tâche fut confiée à une commission composée de : ‘Abdoullâh Ibnou Az-Zoubaïr, ‘Abdourrahmâne Ibnou Al-Hârith Ibnou Hichâm, Sa’îd Ibnou Al-‘Âs, et Zayd Ibnou Thâbit. Ce dernier présida la commission, qui devait en outre revoir l’orthographe pour préserver la prononciation mecquoise.

   Pour garantir la pureté de la langue mecquoise, le choix des responsables de la retranscription du Coran avait son importance : Zayd Ibnou Thâbit était le seul Ansârite, tandis que ses compagnons étaient tous Qouraïchites. Lorsque du renfort sera requis et que l’équipe passera de quatre à huit, puis de huit  à dix ou douze personnes, selon les versions, les membres qouraïchites représentaient 50% de l’effectif total. ‘Outhmâne donnait en outre cette directive : « Si vous divergez avec Zayd Ibnou Thâbit sur quelque chose du Coran, inscrivez-la selon la langue [c’est-à-dire la graphie] de Qouraïche, car il [le Coran] a été révélé dans cette langue. »

   La prédilection pour le parler de Qouraïche émanait d’une autre raison qui relevait d’une évidente sagesse : à cette époque, la péninsule arabe était une mosaïque de tribus aux dialectes disparates. Or, la Mecque était le carrefour commercial et le lieu de pèlerinage de référence pour les environs et pour les terres lointaines acquises à la cause de l’Islam. L’idiome qouraïchite, comparativement aux autres, était par conséquent le plus connu, ou du moins le plus familier, au plus grand nombre de peuples.

   Du vivant du Prophète, des enseignants furent envoyés pour instruire le Coran et la religion aux différents clans. Ils surent user de pédagogie pour faciliter la religion aux gens, et rendre accessible la compréhension du Coran. Selon la population à laquelle ils s’adressaient, ils employèrent des termes appropriés, sans pour cela déformer le sens du message divin. Car un mot désignant une chose pour une tribu ne qualifiait pas forcément la même chose pour une autre, il fallait donc utiliser le terme employé par le peuple visé par le message (cf. le français de France et celui du Québec : même mot, sens différents).

i43

Coran dit de ‘Outhmâne (Da), Topkapi à Istanbul.

   ‘Outhmâne Ibnou ‘Affâne rendit le moushaf original à Hafsa, il se réserva un exemplaire des copies, puis expédia subséquemment les six autres vers les grands centres administratifs du vaste territoire musulman. Pour mettre fin définitivement aux disputes nées des divergences de la récitation du Coran, le calife décréta l’autodafé de toutes les autres copies en usage. Certaines non officielles n’étaient cependant pas systématiquement détruites : les rédactions de ’Ouqbah Ibnou ‘Âmir Al-Jouhanî, d’Ibnou Mas’oûd, d’Oubay, etc. existent encore aujourd’hui. Al-Ya’qoûbî relate que des parchemins furent seulement lavés à l’eau chaude et au vinaigre pour effacer l’encre.

   Cette action déplut forcément à certains hypocrites qui avaient déformé des termes coraniques afin de nuire à la nouvelle religion : « Certains parmi eux vont jusqu’à altérer la récitation du Livre, pour faire croire que leurs fabulations s’y trouvent, alors qu’elles lui sont totalement étrangères. Ils affirment que cela vient de Dieu, alors que cela n’a rien à voir avec la parole divine. Ainsi ils attribuent à Dieu leurs propres mensonges. », s.3 Al-‘Imrâne (La famille de ‘Imrâne), v. 78. Que les musulmans se rassurent, Allâh a promis de protéger Son Livre jusqu’à la fin des temps : « C’est Nous en vérité, qui avons révélé le Coran, et c’est Nous qui en assurons l’intégrité. », s. 15 Al-Hijr, v.9.
La communauté musulmane agréa l’initiative de ‘Outhmâne. ‘Abdoullâh Ibnou Mas’oûd, au début, désapprouva le choix du calife, mais son objection céda lorsqu’il examina le moushaf achevé.

   ‘Alî Ibnou Abî Tâlib déclara pour sa part : « Ne dîtes que du bien au sujet de ‘Outhmâne : tout ce qu’il fit était au vu et au su de chacun d’entre nous. Si j’étais calife, j’aurais pris la même initiative que ‘Outhmâne vis-à-vis du moushaf. »

   Les sept exemplaires ont été ravagés par des incendies, notamment, à différentes époques, et n’existent par conséquent plus. En revanche, des copies officielles des souhouf d’Abou Bakr As-Siddîq et diffusée par ‘Outmâne Ibnou ‘Affâne subsistent, et ce fut à partir d’elles que tous les Corans actuels tirent leur essence : trois exemplaires sont conservés, un au musée de Topkapi à Istanbul ; un autre au musée de Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan ; et le dernier à la mosquée Al-Hussein, au Caire.

i45

Coran dit de ‘Outhmâne (Da) de Tachkent, Ouzbékistan.

Archives

Catégories

Poser une question

Mettre un lien vers formulaire de contact