Le salaire de l’intention

Commentaire du Hadith

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   Jâbir Ibnou Abdillâh Al-Ançârî  a rapporté le récit suivant : « Nous étions en campagne militaire (ghazwa) avec le Messager de Dieu  lorsqu’il nous dit : “Certains hommes sont restés à Médine et pourtant, il n’est pas un pouce de chemin parcouru ni une vallée qui n’ait été traversée, sans qu’ils n’aient été avec vous : c’est la maladie qui les a retenus !” » On trouve dans une autre version : « …sans qu’ils ne partagent votre récompense. » [Rapporté par Mouslim.]

   Quant à Al-Boukhârî, il rapporte un hadith semblable qu’il fait remonter à Anas : « Nous revenions de la bataille de Taboûk avec le Prophète  lorsqu’il nous dit : “Nous avons laissé derrière nous des hommes à Médine. Or, nous n’avons pas emprunté un chemin ni traversé une vallée sans qu’ils n’aient été avec nous. Ils ont été retenus (là-bas) pour des motifs valables.” »

عَنْ جَابِرِ بْنِ عَبْدِ اللَّهِ الأنصَارِيِّ – رَضِيَ الله عَنْهُمَا – قَالَ : كُنَّا مَعَ النَّبِيِّ – صلى الله عليه وسلم – فِي غَزَاةٍ فَقَالَ :  » إِنَ بِالْمَدِينَةِ لَرِجَالاً مَا سِرْتُمْ مَسِيراً، وَلاَ قَطَعْتُمْ وَادِياً إِلاَ كَانُوا مَعَكُمْ حَبَسَهُمُ الْمَرَضُ « 

وَفِي رِوَايَةٍ :  » إلاَ شَرِكُوكُمْ فِي الأجْرِ « . رَوَاهُ مُسْلِمٌ
وَرَوَاهُ الْبُخَارِيُّ عَنْ أَنَسٍ – رَضِيَ الله عَنْهُ – قَالَ : رَجَعْنَا مِنْ غَزْوَةِ تَبُوكَ مَعَ النَّبِيِّ – صلى الله عليه وسلم – فَقَالَ :  » إنَّ أَقْوَاماً خَلْفَنَا بِالمَدِينَةِ مَا سَلَكْنَا شِعْباً ، وَلاَ وَادِياً إِلاَّ وَهُمْ مَعَنَا ، حَبَسَهُمُ الْعُذْرُ « 

Sens du hadîth

   Le Prophète  informa les Compagnons présents lors de la bataille de Taboûk que les musulmans qui ne purent prendre part à la campagne militaire à cause d’un cas de force majeure partageront les mêmes récompenses que ceux qui ont participé au jihad armé. Lorsque le musulman a l’intention d’accomplir une œuvre pie, mais qu’un motif valable l’en empêche, il sera finalement rétribué en fonction de l’intention qu’il a eue. Il en est de même pour celui qui avait l’habitude d’effectuer une bonne action : si une raison recevable entrave la réalisation de cette œuvre pie, il recevra tout de même la récompense habituelle. Son incapacité momentanée n’annule pas la volonté réelle qui le pousse à œuvrer lorsqu’il se trouve dans les meilleures conditions. C’est en fait la concrétisation de sa bonne intention en temps normal qui permet à l’adorateur de bénéficier de la même rétribution lorsque certaines contraintes rendent impossible la réalisation de l’action souhaitée. En effet, le Prophète  a dit : « Si le serviteur [de Dieu] tombe malade ou voyage, on lui inscrit la même chose que ce qu’il accomplissait [comme bonnes œuvres] lorsqu’il était dans son lieu de résidence et jouissait de sa santé. » [Rapporté par Al-Boukhârî.]

   C’est le cas de celui qui a l’habitude de prier en groupe à la mosquée. S’il lui arrive une fois de manquer cette action – généreusement rétribuée – pour cause de maladie, de sommeil ou pour une autre raison valable, il sera malgré tout récompensé comme à l’accoutumée.

   Idem pour le fidèle qui accomplit régulièrement des prières surérogatoires (telles celles de la nuit) : s’il n’a pas été en mesure, un jour, d’honorer cet engagement, il recevra tout de même la récompense de l’accomplissement de ces prières.

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   Celui qui a l’habitude de jeûner régulièrement se trouve exactement dans la même situation : s’il est contraint de s’alimenter (temporairement ou définitivement), il bénéficiera de la rétribution allouée pour chacun des jours de jeûne qu’il aurait effectués en temps normal. En revanche, s’il souhaite jeûner alors que ce n’était pas une habitude pour lui, et qu’un empêchement le contraint à s’alimenter (pour une raison valable), seule la récompense relative à son intention lui sera comptabilisée.

  Dans un autre hadîth, le Messager de Dieu a décrit quatre types d’individus en disant : « La vie n’appartient qu’à quatre personnes :

1 – Une personne à qui Dieu a octroyé une fortune et une science [sagesse]. Elle craint Dieu dans sa façon de dépenser ses richesses. Elle en donne à ses proches parents et sait qu’une part revient à Dieu. Cet individu occupe la meilleure position.

2 – Une personne que Dieu a dotée d’une science, mais sans lui accorder de fortune. Son intention est néanmoins sincère quand elle dit : “Si j’avais de l’argent, je le dépenserais à la manière d’untel [individu précité].” Elle sera alors rétribuée selon cette intention et recevra la même récompense que celui qu’elle imite.

3 – Une personne que Dieu a comblée de richesses, tout en étant dépourvue de science. Elle dépense son argent à tort et à travers, sans craindre son Seigneur. Elle ne reconnaît ainsi aucun droit à Dieu et ne donne rien à ses parents. Celle-ci occupe la plus mauvaise position.

4 – Une personne que Dieu a privée et de fortune et de science. Elle ne fait que répéter de bonne foi : “Si je possédais la richesse d’untel [troisième catégorie d’individus], je la dépenserais à sa manière.” Elle sera alors jugée sur son intention et son péché sera le même que celui de la personne qu’elle suit. » [Rapporté par At-Tirmidhî et Ibnou Mâjah.]

    En résumé, les deux premières personnes seront récompensées de la même manière en raison de leur bonne intention, même si la deuxième ne possède pas les biens matériels qui lui permettraient d’accomplir les œuvres pies de la première. La troisième et la quatrième personne recevront, quant à elles, le même châtiment, même si la quatrième ne dispose pas de la richesse financière lui permettant de pécher comme la troisième.

   Ce hadîth pousse donc le musulman à envisager d’accomplir le bien quelle que soit sa situation. Allâh  est témoin de ce que souhaitent les cœurs de Ses serviteurs qu’Il récompense conformément aux intentions des uns et des autres.

   Selon Aboû Hourayra , parmi les Compagnons exilés de la Mecque, les plus pauvres d’entre eux se sont adressés au Prophète en ces termes :

― « Les riches ont gagné les degrés les plus élevés du paradis ainsi que ses délices éternels. Ils accomplissent, en effet, la prière comme nous, jeûnent comme nous et ils ont, en plus, un excédent de biens : ils peuvent ainsi effectuer le grand et le petit pèlerinage, ils prennent part à la guerre sainte et ils distribuent l’aumône. »

― Voulez-vous que je vous indique quelque chose qui vous permette de rattraper ceux qui vous ont devancés et de devancer ceux qui viennent après vous, si bien qu’il n’y aura plus de plus méritant que vous, si ce n’est celui qui fait ce que vous faites ? répliqua le Prophète .

― Nous voulons bien, ô Messager de Dieu ! répondirent-ils.

― Dites à la fin de chaque prière “SoubhânAllâh” (gloire et pureté à Dieu) trente-trois fois, “Alhamdoulillâh” (la louange est à Dieu) trente-trois fois et “Allâhou Akbar” (Allâh est plus Grand) trente-trois fois. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.]

   L’imâm Mouslim ajouta : « Les plus pauvres parmi les exilés de La Mecque revinrent dire au Messager de Dieu : “Nos frères riches ont su ce que nous faisions et ont fait de même !” Le Messager de Dieu leur rétorqua alors : “Telle est la générosité de Dieu qu’Il donne à qui Il veut !” »

   Ainsi, le Prophète  ne leur a pas précisé qu’ils seraient rétribués pour l’intention relative à l’accomplissement des mêmes œuvres que les riches. Si ce hadîth paraît en contradiction avec le précédent, c’est parce que les rétributions sont de deux ordres. En effet, dès qu’un musulman s’apprête à effectuer une bonne action, il obtient une hassana (salaire de bonne action), mais s’il parvient à concrétiser l’action souhaitée, sa récompense en sera décuplée, voire multipliée sept cents fois ou davantage encore.

   Lorsque le Prophète  indiqua dans le hadîth susmentionné que les deux premières personnes recevaient la même récompense, il faisait allusion à la rétribution de l’intention et non à celle liée à la réalisation de la bonne œuvre. Ces paroles prophétiques rapportées par ‘Abdoullâh Ibnou ‘Abbâs corroborent d’ailleurs cette idée : « Certes, Dieu a inscrit les bonnes et les mauvaises actions [sur la Table Gardée]. » Le Prophète expliqua ainsi ce hadîth : « Quiconque a l’intention d’accomplir une bonne action et ne la fait pas se verra compter par Dieu pour une bonne action à part entière. Et s’il l’accomplit après avoir eu l’intention de la faire, Dieu multipliera cette bonne action en la comptant de dix à sept cents fois plus ou davantage encore. Et quiconque pense à commettre une mauvaise action puis s’en abstient, Dieu lui comptabilisera une bonne action à part entière. S’il l’a commet après y avoir songé, Dieu la lui comptera pour une seule mauvaise action. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.]

   Les savants ont divergé sur le type de récompense que recevra le musulman qui n’a pas pu réaliser une bonne action malgré son intention de l’accomplir :

– premier avis : il s’agit du choix d’Al-Qortobî qui pense que le fidèle recevra une récompense complète et multipliée ;

– deuxième avis : le croyant ne sera rétribué que sur son intention, la récompense relative à  l’œuvre étant inexistante. Cette position soutenue par l’imâm As-Soubkî fut rapportée par Ibnou Hajar Al-‘Asqalânî sans que ce dernier n’émît d’objection, ce qui laisse entendre qu’il était de cet avis ;

– troisième avis : le musulman recevra la récompense de l’intention et la rétribution liée à l’œuvre, comptée une seule fois. Il s’agit de l’opinion d’Ibnou Rajab.

Ce dernier avis serait prépondérant, puisqu’il confirme le sens du verset suivant : « Ne sont pas égaux ceux des croyants qui restent chez eux – sauf ceux qui ont quelques infirmité – et ceux qui luttent corps et biens dans le sentier d’Allâh. Allâh donne à ceux qui luttent corps et biens un grade d’excellence sur ceux qui restent chez eux. Et à chacun Allâh a promis la meilleure récompense ; et Allâh a mis les combattants au-dessus des non combattants en leur accordant une rétribution immense », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.95. Ibnou ‘Abbâs commenta ce verset : « Les croyants qui restent chez eux à cause d’une infirmité se situent à un niveau d’excellence inférieur à celui des moujâhidîn qui luttent. Quant à ceux qui restent chez eux sans raison valable, ils occupent un rang bien plus bas que celui de ceux qui combattent. »

   Par ailleurs, le hadîth abordé au début de cet article indique que le croyant qui s’engage dans une campagne militaire ou « jihâd » dans le sentier de Dieu obtiendra une récompense sur chacun de ses pas. C’est dans ce sens que le Prophète  a déclaré : « Il n’est pas un pouce de chemin parcouru ni une vallée qui n’ait été traversée, sans qu’ils n’aient été avec vous. »

   Le Coran confirme ce point de vue : « Il n’appartient pas aux habitants de Médine, ni aux Bédouins qui sont autour d’eux, de traîner loin derrière le Messager de Dieu, ni de préférer leur propre vie à la sienne. Car ils n’éprouveront ni soif, ni fatigue, ni faim dans le sentier de Dieu, ils ne fouleront aucune terre en provoquant la colère des infidèles, et n’obtiendront aucun avantage sur un ennemi, sans qu’il ne leur soit écrit pour cela une bonne action. En vérité Dieu ne laisse pas perdre la récompense des bienfaiteurs.

   Ils ne supporteront aucune dépense, minime ou importante, ne traverseront aucune vallée, sans que (cela) ne soit inscrit à leur actif, en sorte que Dieu les récompense pour le meilleur de ce qu’ils faisaient. », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.120-121.

   En réalité, la récompense méritée pour chaque effort déployé ne concerne pas uniquement le jihâd. Elle est consécutive à toute bonne œuvre accomplie par le croyant sincère. C’est le cas, par exemple, de l’homme qui sort de chez lui pour accomplir la prière à la mosquée en ayant pris soin d’effectuer ses ablutions au préalable. Chaque pas effectué lui est bénéfique puisqu’un pas l’élèvera d’un degré et l’autre lui effacera un péché. En effet, le Prophète a affirmé : « Celui qui fait ses ablutions chez lui, puis se dirige vers l’une des maisons de Dieu [les mosquées] pour y faire l’une des prières obligatoires de Dieu : de tous ses pas, l’un le décharge d’un péché et l‘autre l’élève d’un degré. ». [Rapporté par Mouslim.]

   Au terme de ces explications, il apparaît clairement que la bonne intention du croyant est l’élément essentiel à sa réussite ultime. Le musulman doit s’efforcer d’alimenter son for intérieur de pensées positives qui le pousseront à vouloir accomplir le bien en toutes circonstances. Le désir constant de plaire à Dieu doit être le moteur de cette volonté inflexible qui caractérise le croyant sincère. Pour parvenir à trouver l’intention la plus pure qui soit, le fidèle doit sans cesse renouveler ses objectifs en gardant à l’esprit que la satisfaction divine est la seule source de félicité. Que Dieu facilite ce travail intérieur à tout musulman et à toute musulmane !

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