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    Parmi les doctrines dogmatiques figure celle des mourji’a. Le mouvement mourji’ite vit le jour en même temps que celui des kharijites et des chi‘ites, mais précéda celui des mou’tazila. Son nom découle du mot « irja’a » qui signifie « différer, attendre ».

Le terme « al-mourji’a » peut donc se traduire en français littéralement par « les procrastinateurs », puisqu’ils privilégient la foi et diffèrent les actes : ils considèrent qu’aucun péché (même grand) ne peut nuire tant que la foi existe dans le cœur et qu’aucune obéissance n’est utile en l’absence de la foi dans le cœur.

   L’instigateur de cette doctrine est Dharr Ibnou ‘Abdillâh Al-Hamadanî. Ses contemporains l’ont renié au point de ne pas lui rendre le salâm. Ses idées ont migré ensuite en grande partie à Koûfa en Iraq et furent propagées par des personnes telles que Mouhammad Ibnou Karam As-Sijistânî (m. 255H).

Récapitulatif

    La doctrine des mourji’a est apparue à l’époque de la polémique relative à l’issue de celui qui a commis un grand péché. La grande question était de savoir s’il était toujours croyant ou non :

    les kharijites déclarent qu’il est apostat — il doit donc divorcer de sa femme et n’a pas droit à un enterrement islamique, etc.

    Les mou‘tazila le situent entre le croyant et l’apostat.

    Pour Al-Hassan Al-Baçrî et un groupe de successeurs, le grand pécheur est un hypocrite, car ce sont les œuvres qui témoignent de la foi et non la parole — dans le Coran, l’hypocrite est pire que l’apostat.

    Pour la majorité des savants, c’est un croyant désobéissant, son issue dépend de la décision de Dieu Qui, soit lui pardonnera, soit le punira.

    Quant aux mourji’a, ils déclarent que le péché ne nuit pas à la foi, et l’obéissance ne sert pas l’incrédulité. Certains adhérents de ce mouvement pensent néanmoins que le devenir du grand pécheur revient à Dieu le jour du Jugement (avis des sunnites).

    Ce mouvement a été encouragé par des gouverneurs injustes pour que le peuple ne se révolte pas contre leur despotisme et diffère leur jugement pour l’au-delà.

Les origines

    La doctrine mourji’a est née de la décision prise par certains Compagnons qui n’ont pas voulu prendre position lors des événements douloureux survenus à la fin du califat de ‘Othmâne Ibnou ‘Affâne , et après son assassinat. Parmi ces Compagnons, Sa‘d Ibnou Abî Waqqâs, Aboû Bakr, ‘Abdoullâh Ibnou ‘Omar et ‘Imrâne Ibnou Houçayn (que Dieu les agrée) ne se sont ralliés ni au clan de ‘Alî , ni à celui de Mou‘âwiya . Certains conquérants, apprenant l’assassinat de ‘Othmâne à leur retour de Médine, ont également refusé de s’impliquer. Ibnou ‘Asâkir a appelé ces derniers « Ach-Choukkâk » (« Ceux qui doutent », « Les Sceptiques »).

Leur crédo

   Lorsque la polémique a éclaté au sujet de l’issue du grand pécheur, plusieurs personnes ont adopté la stratégie des Compagnons précités. Ce fut au départ une bonne solution, mais l’exagération a conduit certains à penser que la foi et la pratique étaient indépendantes. Ils prétendent que la foi est une conviction du cœur, même si la personne se déclare incrédule et même si elle adore les idoles, ou proclame la trinité dans un pays musulman. Ainsi, pour eux, le simple fait de connaître son Seigneur dans son cœur suffit pour être croyant, et, par conséquent, ignorer son Seigneur dans son cœur implique la mécréance. C’est ainsi qu’un grand nombre d’entre eux sont devenus laxistes dans leur pratique, arguant que leur foi suffit pour obtenir le pardon et la miséricorde de Dieu. Les mourji’a ont dévoyé un grand nombre de personnes en prétendant que les actes n’avaient pas d’importance pour accéder au paradis et que même les plus malfaisants côtoieront les croyants au paradis. Zayd Ibnou ‘Alî Ibnou Al-Hassan Ibnou ‘Alî déplore la doctrine mourji’ite : « Je me plains des mourji‛a qui ont donné aux pervers l’espoir dans le pardon de Dieu. »

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   Les savants en ont déduit en toute logique qu’une telle croyance supposait que Satan est croyant puisqu’il connaît son Seigneur. Allâh rapporte les paroles d’Iblis dans le Coran : « Seigneur, dit-il, accorde-moi un délai jusqu’au Jour où ils (les gens) seront ressuscités. », s.15 Al-Hijr, v.36.

   Il en va de même pour Pharaon et ses sbires au sujet desquels Allâh s’exprime également dans le Coran : « Ils les [les signes] nièrent injustement et orgueilleusement, tandis qu’en eux-mêmes ils y croyaient avec certitude. Regarde donc ce qu’il est advenu des corrupteurs. », s.27 An-Naml (Les Fourmis), v.14.

Les différents groupes de mourji’a

   Les mou‘tazila accusent tous ceux qui ne partagent pas leur opinion sur l’issue du grand pécheur d’être mourji‛a, visant notamment Aboû Hanîfa, ses deux élèves Aboû Yoûssouf et Mouhammad Ach-Chaybânî, ainsi que Sa‘îd Ibnou Joubayr . Quelques savants considèrent par ailleurs qu’il y a deux sortes de mourji‛a :

– Mourji’atou-s-sounna qui sont représentés par la majorité des savants sunnites qui pensent que la foi augmente avec les actes pieux et diminue avec les péchés ; toutefois ils laissent à Dieu le jugement d’un musulman pécheur.
– Mourji’atou-l-bid‘a qui comptent parmi eux ceux qui se sont égarés par leurs propos.
Le mieux est d’utiliser la dénomination « mourji‛a » seulement pour les égarés.

   Les mourji’a se sont divisés en douze groupes qui se distinguent par leur orientation dogmatique. Le grand érudit Ibnou-l-Jawzî les présente dans son livre Talbîs Iblîs :
– les târikites qui pensent qu’« Allâh n’a prescrit à Ses serviteurs aucune obligation, exceptée la foi. Celui qui croit en Lui et Le connaît peut faire ce qu’il veut. »
– Les sâbi’ites qui déclarent : « Allâh Le Très-Haut a fait naître Ses serviteurs afin qu’ils agissent selon leur bon vouloir. »
– Les râjites qui proclament : « Nous ne nommons pas « l’obéissant » celui qui obéit ni « le désobéissant » celui qui désobéit parce que nous ne savons pas ce qu’il en est pour lui auprès d’Allâh. »
– Les châkites qui affirment : « Les actes d’obéissance ne font pas partie de la foi. »
– Les bahisites (apparentés à Aboû Bayhis Al-Hayçam) qui expliquent : « La foi, c’est la connaissance. Celui qui ne distingue pas la vérité du faux et le licite de l’illicite est un mécréant. »
– Les manqoûsites qui disent : « La foi n’augmente pas et ne diminue pas. »
– Les moutathannites qui ont nié l’exception dans la foi.
– Les mouchabbihites dont l’adepte énonce : « Allah possède une vue comme la mienne et une main comme la mienne. »
– Les hachouwites qui avancent que celui qui délaisse un acte surérogatoire s’apparente à celui qui abandonne un acte obligatoire.

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– Les dhâhirites qui ont nié l’analogie. Ils ont suivi l’imâm Dâwoûd Ibnou ‘Alî Adh-Dhâhirî (né à Koûfa en 200 H), et sont morts en 270 H à Baghdâd, où avait grandi leur leader. Ce dernier fait partie des imâms sunnites.
– Les bida‘ites qui sont les premiers innovateurs de cette communauté.

L’irja’ contemporain ou les néo-mourji’a

   L’opinion des mourji’a est loin d’avoir disparu aujourd’hui. Beaucoup de personnes pensent que la foi se situe dans le cœur et qu’il n’est pas nécessaire d’œuvrer physiquement (actes des membres) pour accéder au paradis. Elles délaissent les piliers de l’Islam sans scrupule : elles abandonnent la prière, mangent durant les journées du mois de Ramadan, ne respectent pas le versement de la zakât et n’envisagent guère d’effectuer le pèlerinage à la Mecque. Allâh ne dit-Il pas dans le Coran : « Certes la religion agréée par Allâh c’est l’Islam […] », s.3 Âl-‘Imrâne (La famille d’Imrâne), v.19 ?

   L’issue de celui qui n’observe pas les injonctions de l’Islam est clairement définie : « Et quiconque recherche en dehors de l’Islam une autre religion, celle-ci ne sera point acceptée de lui ; et dans l’autre monde, il sera du nombre des réprouvés. », s.3 Âl-‘Imrâne (La famille d’Imrâne), v.85.

   Les mourji’a ont causé beaucoup de tort à l’Islam en répandant des idées erronées liées à leur crédo. Leurs opinions sont d’autant plus dangereuses qu’elles ont eu une incidence directe sur la pratique du musulman. Quelle que soit la définition qu’ils donnent de la foi, celle-ci ne saurait suffire pour caractériser l’Islam accompli. D’une foi correcte découlent nécessairement des actes conformes aux injonctions divines : leur exigence est une réalité pour qui cherche l’agrément d’Allâh . Que Dieu préserve Ses serviteurs des opinions fallacieuses diffusées par des esprits malveillants !

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