(2) Mâlik Ibnou Anas : Le choix des maîtres

École Malikite

ee21

bnou Hourmouz

   Mâlik Ibnou Anas , alors âgé d’une dizaine d’années, sait pertinemment par intuition qu’il a choisi la crème des érudits de son temps en la personne de ‘Abderrahmâne Ibnou Hourmouz Al-A’raj Aboû Dâwoûd Al-Madanî,

le client (mawlâ) de Rabi’a Ibnou Al-Hârith Ibnou ‘Abd Al-Mouttalib. Le maître appartient à la catégorie des suivants, il rapporte des hadîths d’après Aboû Hourayra, Aboû Sa‘îd, Ibnou Abbâss, Mou’âwiya et d’autres Compagnons (que Dieu les agrée tous).Il oriente judicieusement et avec abnégation les prédispositions de son disciple.

   Chaque séance d’apprentissage des hadîths prophétiques, du fiqh et des fatwas permet au jeune étudiant de découvrir l’océan de savoir de son maître, mais également ses vertueuses qualités personnelles, éléments caractéristiques des authentiques doctes.

   Mâlik Ibnou Anas voue une véritable affection pour son maître : c’est avec enthousiasme, le cœur léger et serein, qu’il se rend, confiant, chez le scrupuleux et modeste Ibnou Hourmouz : on saura plus tard, que l’honorable sommité fera promettre à son élève de ne jamais le citer dans ses chaînes de transmission ; Ibnou Hourmouz cadenasse ainsi son âme pour la prévenir contre les démons qui insufflent dans l’esprit des hommes l’enjolivement de leurs actes, dans le dessein de les mener à leur perte par le biais de la fatuité et de l’ostentation. Y a-t-il meilleur témoignage de droiture du cœur et de l’intention désintéressée à l’égard de l’enseignement qu’il dispense ? Un tel éducateur n’est-il pas digne d’être suivi ?
Une parole du sage pédagogue reviendra sans cesse à la mémoire de Mâlik Ibnou Anas : « Le savant a le devoir de léguer à ses élèves l’expression  » Je sais « , de telle sorte qu’ils la conservent comme une référence, et que si l’un d’entre eux est interrogé sur ce qu’il ne sait pas, qu’il dise  » Je ne sais pas « . »
Sept à treize années (selon les versions) de fréquentation exclusive et assidue de ce noble personnage laisse inévitablement des empreintes indélébiles sur le tempérament de Mâlik Ibnou Anas : il hérite de l’amour de l’étude, la dignité, l’aversion pour les polémiques stériles, la prudence et la modestie ; il se conforme à l’habitude de son pieux maître en répondant « Je ne sais pas » ou « Je ne maîtrise pas cette question » à plusieurs des interrogations qu’on lui soumettra ultérieurement.

  « J’ai fréquenté Ibnou Hourmouz treize ans, sans divulguer à personne la science que j’ai apprise. », dira-t-il : De quelle connaissance s’agit-il, outre les paroles prophétiques, la jurisprudence et les décrets religieux ? Mâlik Ibnou Anas ne les dévoilera jamais, sinon peut-être par allusion lorsqu’il cite les qualités de son maître Ibnou Hourmouz ? : « Il était parmi les plus savants quand il s’agissait de répondre à ceux qui s’écartent de la religion et de répondre aux différends [entre savants]. » Ainsi, serait-il question de la science de la controverse ou de celle de l’éducation spirituelle appelée aussi soufisme? Allâh est Le Mieux Informé.

   Ibnou Hourmouz a à cœur d’entretenir l’esprit critique de son protégé le mettant en garde contre le suivisme et le sectarisme. Il ouvre son esprit à la culture générale et lui enseigne la science de la transmission. Au soir de sa vie, quand ses forces commenceront à décliner, il aimera s’entretenir des sujets intellectuels avec Mâlik Ibnou Anas et Abd Al-Azîz Ibnou Abî Salama car contrairement à ses autres disciples, ces deux-là examinent sans complaisance les propos de leur maître, à la lumière du savoir qu’ils ont acquis.

Une fois âgé, quelqu’un a dit à Ibnou Hourmouz :
« On t’interroge, mais notre question demeure le plus souvent sans réponse. Cependant, lorsque tu es questionné par Mâlik et ‘Abd Al-Azîz, tu leur énonces toujours une réplique ».
– Je crains que la faiblesse qui a alangui mon corps se soit également emparée de mon esprit. Quant à vous, lorsque vous m’interrogez sur une question et que je vous formule la réponse, vous l’acceptez volontiers ; tandis que Mâlik et ‘Abd-Alzîz exposent ma réponse à un examen. Et si elle s’avère bien fondée, ils l’acceptent, mais dans le cas contraire, ils la rejettent. »
Cette réponse dénote qu’Ibnou Hourmouz place sa confiance en la science de Mâlik et ‘Abdelazîz . Elle montre aussi qu’il aborde avec ces deux disciples des questions suscitant des analyses profondes hors de portée des autres étudiants.

ee22

   Treize printemps (ou moins) se sont succédés… De même qu’un arbre croît admirablement avec des soins appropriés, les racines s’ancrant fermement dans le sol riche d’où il puise ses ressources, le branchage ramifié et solide, le feuillage luxuriant et expansif, à l’ombre rafraîchissante, Mâlik Ibnou Anas parvient à l’âge adulte doté d’une vigoureuse érudition certifiée. C’est à ce moment là qu’Ibnou Hourmouz l’autorisera à rechercher la compagnie d’autres remarquables instructeurs : sagesse et ouverture d’esprit sont deux autres qualités essentielles à tout érudit ; respect, humilité et gratitude sont l’apanage de qui veut acquérir du savoir…

   Médine la lumineuse, sous la khilâfah ommayade, est le creuset de la science religieuse : les pieux prédécesseurs, « at-tabi‘oûn », encore vivants et en grand nombre, y ont élu domicile ; notamment pour fuir les troubles dans le reste du territoire musulman.Mâlik Ibnou Anas n’a que l’embarras du choix pour renforcer davantage son érudition, et il ne s’en privera pas, se plaçant sous l’autorité d’environ une centaine de savants (As-souyoûtî mentionne dans un livre 95 chouyoûkh), plus pieux et sincères les uns que les autres : c’est là quelques uns des principaux critères sur lesquels Mâlik Ibnou Anas s’appuie pour choisir ses maîtres. Il est, en matière de hadîth, fort précautionneux et déclare : « Cette science est une religion, soyez attentifs à celui qui vous enseigne votre religion. (…) »

Nâfi’ Ibnou Abî Nou’aïm

   Tout naturellement, il se dirige vers Nâfi’ Ibnou Abî Nou’aïm (120 H) , l’affranchi (mawlâ) de ‘Abdoullâh Ibnou ‘Omar , et fils de ce dernier avec une esclave daylamite. Nâfi’ est considéré comme un des rapporteurs de hadîths les plus précis parmi les pieux suivants. Il tient sa science de son père en matière de hadiths et de fiqh, mais également de ‘Aïcha, d’Aboû Hourayra, et d’Aboû Sa’îd Al-Khoudarî (qu’Allâh les agrée tous). Il est un des trois hommes de « la chaîne d’or » dont Aboû Dawoûd dit qu’elle est la chaîne de transmetteurs la plus valide et sûre (Mâlik, d’après Nâfi’, d’après Ibnou ‘Omar). C’est le lecteur du Coran par excellence, et il enseigne les sciences de l’exégèse coranique, du hadîth prophétique et des qirâ’ât à Mâlik (. Il est le plus instruit au sujet des consultations d’Ibnou ‘Omar . Il perdra la vue vers la fin de sa vie, et ses sauts d’humeur seront fréquents, mais ne rebuteront en rien Mâlik Ibnou Anas assoiffé de connaissances authentiques.

   Mâlik Ibnou Anas fera preuve de la même ténacité et de l’identique patience auxquelles il a déjà eu recours avec Ibnou Hourmouz : « J’allais visiter Nâfi’ en plein midi, sans être inquiété par la violence du soleil. Je guettais sa sortie, et lorsqu’il sortait, je restais un moment comme si je ne l’avais pas vu, puis je me présentais et le saluais, et je le laissais à nouveau jusqu’à ce qu’il rentre, en lui disant alors :  » Quelle était l’opinion d’Ibnou ‘Omar sur ceci ou cela ?  » Il me répondait, puis je le quittais. Il était sévère. »
Pour bien comprendre l’ampleur de l’effort consenti par Mâlik Ibnou Anas dans sa quête de la science religieuse, un détail a son importance : Nâfi’ habite le quartier « Al-Baqî’ », hors de la ville ; Mâlik Ibnou Anas doit non seulement parvenir jusqu’à lui, mais il lui faut de surcroît effectuer en sa compagnie le trajet jusqu’à la mosquée, sous le soleil de plomb, pour obtenir des réponses relatives aux paroles du Prophète (pbDsl) et à la jurisprudence.

Az-Zouhrî Ibnou Chihâb

   Mâlik Ibnou Anas sollicite également Az-Zouhrî Ibnou Chihâb . C’est un successeur (mort en 124 H) et autre éminente cellule grise de la religion en matière de hadîths et de récits traditionnels. Il jouit d’une excellente réputation auprès de ‘Omar Ibnou ‘Abd Al-‘Azîz qui le recommande : « Il vous faut vous référer à Ibnou Chihâb, car vous ne trouverez pas plus savant que lui en tradition prophétique. » Mâlik rapporte d’après lui dans son Mouwatta’ plus de 132 hadîths.Un jour, ce docte visite Rabî‘a Ar-Ra’y , qui, avec Mâlik Ibnou Anas , lui fait bon accueil. Az-Zouhrî Ibnou Chihâb leur délivre plus de quarante hadîths. Le lendemain, Rabî’a et Mâlik Ibnou Anas (Dieu les agrée) retournent voir Az-Zouhrî Ibnou Chihâb qui dit :
« Préparez de quoi écrire afin que je vous transmette des hadîths ! Vous rappelez-vous de ce que je vous ai rapporté hier ?
— Voici quelqu’un qui pourras te répondre, dit Rabî’a (RA).
— Qui est-ce ?
— Ibnou Abî ‘Âmir.
— Vas-y ! », lançe Az-Zouhrî Ibnou Chihâb (RA) à l’adresse de Mâlik Ibnou Anas .
Celui-ci récite entièrement les hadîths de la veille, sans erreur, et Az-Zouhrî d’ajouter : « Je n’aurai jamais pensé qu’il eût quelqu’un d’autre que moi pour retenir tout cela. »
Mâlik Ibnou Anas a dû être d’une discrétion exemplaire lors de sa première rencontre avec le savant pour que celui-ci ne s’intéressât à lui qu’à la seconde. Il est du caractère du futur illustre docte de s’écarter du groupe, de s’effacer, pour mieux approcher les érudits et profiter de leurs connaissances, comme le montre l’anecdote suivante.

Egal à lui-même, Mâlik Ibnou Anas manifeste alors son légendaire zèle pour acquérir le savoir, quittant une fête pour se rendre chez son maître Az-Zouhrî Ibnou Chihâb :
«Tu n’es donc pas toujours rentré chez toi ?
— Non.
— As-tu mangé ?
— Non.
— Nourris-toi !
— Je n’en ai pas besoin.
— Alors que veux-tu ?
— Que tu me rapportes des hadîths ! »
Az-Zouhrî Ibnou Chihâb lui récite alors quarante hadîths :
« Continue ! lui demande Mâlik Ibnou Anas (RA).
— Cela suffit, si tu peux rapporter ces hadiths, alors tu fais partie des érudits !
— Je les ai déjà assimilés !
— Rapporte ! rétorque le savant en lui prenant les tablettes des mains.
Mâlik Ibnou Anas s’exécute parfaitement, et l’auditeur de reconnaître :
— Lève-toi, car tu es un puits de science ! »

   Ja’far As-Sâdiq (RA) est un descendant du Prophète : c’est est un grand érudit (décédé en 148 H). Mâlik transmit 9 hadîths d’après lui dans son Mouwatta’.

Aboû Az-Zinâd

   Le dernier des maîtres de Mâlik Ibnou Anas est le fameux Aboû Az-Zinâd (‘Abderrahmâne Ibnou Qâsim al-Qorachî ) un des transmetteurs de la science des sept jurisconsultes médinois parmi les pieux successeurs à savoir : Sa‘ïd Ibnou Al-Mousayyib, ‘Ourwah Ibnou Az-Zoubayr Ibnou Al-’Awwâm, Al-Qâsim Ibnou Mouhammad Ibnou Abî Bakr As-Siddîq, Khârijah Ibnou Zaïd Ibnou Thâbit Al-Ansârî, ‘Oubayd Allâh Ibnou ‘Abdillâh Ibnou ‘Outbah Ibnou Mas‘oûd, Soulaymâne Ibnou Yasâr, Aboû Bakr Ibnou ‘Abd Ar-Rahmâne Ibnou Al-Hârith Ibnou Hichâm.Il transmit d’après Anas, ‘Aïcha Bintou Sa’d, Aboû Oumâma Ibnou Sahl, Sa’îd Ibnou Al-Mousayyib, Khârija Ibnou Zayd Ibnou Thâbit, ‘Ourwa Ibnou Az-zoubayr et Al-A’raj (qu’Allâh les agrée tous). Il fut qualifié de « amîr al-mou’minîn » dans le hadîth par Soufyân Ath-thawrî.
Sa piété et son scrupule l’ont propulsé au poste de responsable de la gestion de l’impôt foncier en Irak, sous la khilâfah d’’Omar Ibnou ‘Abd Al-Azîz . Mâlik Ibnou Anas le côtoiera surtout pour le hadîth et le fiqh transmis par les Compagnons et les pieux successeurs.

Yahyâ Ibnou Sa‘d Al-Ansârî et Rabî‘a Ar-Ra’y

   Mâlik Ibnou Anas reçoit également l’enseignement du fiqh d’interprétation de deux maîtres avec lesquels il divergera plus tard, fort de ses connaissances, et reprochant à ces érudits l’usage de leurs opinions personnelles au détriment de celles des Compagnons du Prophète .
Le premier se prénomme Yahyâ Ibnou Sa‘d Al-Ansârî qui a reçu sa science des sept jurisconsultes de Médine. Ahmad Ibnou Hanbal dit de lui : « Yahyâ Ibnou Sa‘d est la personne la plus sûre ».

   Le second est Rabî‘a Ar-Ra’y (décédé en 132 H) , surnommé ainsi, car il cultivait le ra’y (opinion personnelle) : l’interprétation et le raisonnement par analogie. Il fait partie des clients des Taymites (descendants de la famille d’Aboû Bakr ). Il a recueilli sa science des sept grands juristes de Médine qu’il a parfois contredits ; il a agi de même avec les suivants au sujet de certaines fatâwâ.

   Il est fréquenté par Mâlik Ibnou Anas dans sa prime jeunesse. La mère de Mâlik lui recommande de se faire le disciple de ce successeur en disant : « Va chez Rabî’a et apprend de lui sa science autant que son comportement. » Le père de Mâlik , jugeant que son fils ne tire aucun profit du fait de son immaturité intellectuelle de l’époque et inapte à suivre la pensée de Rabîa Ar-Ray , le confie à Ibnou Hourmouz .

   Rabî‘a Ar-Ray est une sommité à l’éloquence incomparable et d’une profonde intelligence : Allâh lui a fait don de la capacité à capter l’attention de ses auditeurs, au point que ses détracteurs ne pouvant ni rivaliser avec lui ni le contredire, biaisent cette qualité et le qualifient de « bavard ennuyeux ».
Les savants sont unanimes quant à son éminence en matière de science et de jurisprudence. Yahyâ Ibnou Sa‘îd dit de lui : « Je n’ai vu plus sensé que Rabî‘a. »
Le jeune Mâlik apprit la jurisprudence interprétative de l’Ecole de l’Opinion auprès de Rabî ‘a et, plus tard, lorsque Rabî’a décède, Mâlik prononce ces mots nostalgiques : « La saveur de la jurisprudence disparut depuis la mort de Rabî‘a.»
Malgré leurs divergences, Mâlik Ibnou Anas estime grandement son ancien maître : lorsqu’il participait encore à ses séances, il ne le contredisait jamais, jusqu’à ce que son maître insistât pour qu’il répondît. Mâlik Ibnou Anas attendra même son autorisation avant d’émettre un décret religieux (fatwa).

   Les maîtres sont connus et reconnus — en tout, 900 dont 300 sont les successeurs —, qu’en est-il de l’étudiant Mâlik Ibnou Anas ?…

Archives

Catégories

Poser une question

Mettre un lien vers formulaire de contact