Sourate 83 Al-Moutaffifîne (Les Fraudeurs) (4/5)

Tafsir du Saint Coran (articles)

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Verset 25 : On leur sert à boire un nectar pur, cacheté,

يُسۡقَوۡنَ مِن رَّحِيقٍ۬ مَّخۡتُومٍ

   Dieu a délibérément employé le verbe « yousqawna : يُسْقَوْنَ » et non « yachraboûn : يَشْرَبُونَ », ce choix mérite d’être analysé. Deux raisons l’expliquent :

1- D’une part, l’utilisation du passif indique que les gens du paradis disposeront de serveurs à leur service : de jeunes enfants créés spécialement pour cette tâche, que le Coran appelle « ghilmâne : غِلْمان » ou « wildâne : وِلْدان ».
« Et parmi eux circuleront des garçons à leur service pareils à des perles bien conservées. », s.52 At-Toûr, v.24.

وَيَطُوفُ عَلَيۡہِمۡ غِلۡمَانٌ۬ لَّهُمۡ كَأَنَّہُمۡ لُؤۡلُؤٌ۬ مَّكۡنُونٌ۬

   « Parmi eux circuleront des garçons éternellement jeunes avec des coupes, des aiguillères et un verre rempli d’une liqueur de source. », s.56 Al-Wâqi‘a (L’Evénement), v.17-18.

يَطُوفُ عَلَيۡہِمۡ وِلۡدَٲنٌ۬ مُّخَلَّدُونَ (١٧) بِأَكۡوَابٍ۬ وَأَبَارِيقَ وَكَأۡسٍ۬ مِّن مَّعِينٍ۬ (١٨)

   Pour montrer qu’ils sont très nombreux, Dieu précise : « Parmi eux circuleront des garçons éternellement jeunes, si tu les verras, tu les prendras pour des perles éparpillées. », s.76 Al-Insâne (L’Homme), v.19.

وَيَطُوفُ عَلَيۡہِمۡ وِلۡدَٲنٌ۬ مُّخَلَّدُونَ إِذَا رَأَيۡتَہُمۡ حَسِبۡتَہُمۡ لُؤۡلُؤً۬ا مَّنثُورً۬ا

   Par ailleurs, lorsque Dieu emploie « ghilmâne : غِلْمان », Il précise en même temps implicitement que ces serveurs ne s’occuperont que des habitants des hauts degrés du paradis, ce qu’Il ne précise pas pour les « wildâne : وِلْدان » qui seront au service de tout le monde. C’est également la raison pour laquelle Il compare les « ghilmâne : غِلْمان » à des perles conservées, puisqu’ils ne servent qu’une catégorie des gens du paradis. Ceci n’est pas précisé pour les « wildâne : وِلْدان ». Ces derniers sont assimilés à des perles éparpillées, car ils sont plus nombreux. Aussi, les « wildâne : وِلْدان » resteront éternellement jeunes, contrairement aux « ghilmâne : غِلْمان » : les premiers s’apparentent à de petits enfants, tandis que les seconds sont des adolescents. L’adjectif « moukhalladoûne : مُخَلَّدون » qualifie donc mieux « wildâne : وِلْدان » que « ghilmâne : غِلْمان », car les plus jeunes changent beaucoup avec l’âge, tandis que les plus âgés possèdent déjà les caractéristiques apparentes de l’adulte.

   2- D’autre part, préciser que cette boisson leur sera servie révèle qu’ils ne boiront pas forcément des sources d’où proviennent les ingrédients de ce breuvage. Cette information sera plus développée dans le verset 27.

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Signification d’Ar-Rahîq

   D’après Al-Akhfach et Az-Zajjâj, « ar-rahîq » est une boisson pure, dont la composition est la plus raffinée qui soit. Selon d’autres exégètes, il s’agit d’un vin d’une qualité inégalée.

Signification de « makhtoûm : مَخْتُوم »

   Les savants ont divergé quant à la signification de cet adjectif :

1- « makhtoûm : مَخْتُوم » signifie « cacheté, fermé ». « Al-khitâm : الخِتام », qui vient du verbe « khatama : خَتَمَ », fait référence à l’argile que les Arabes utilisaient pour clore l’ouverture d’un récipient ou cacheter les parchemins contenant des messages. D’ailleurs, les Arabes aimaient à dire : « le bienfait avec un message, c’est de le cacheter ».

   Les rois possédaient un petit cachet nommé « al-khâtam : الخاتَم » sous forme de bague qu’ils portaient à l’auriculaire ou à l’annulaire. Influencés par cette signification, ‘Alî An-Nakh‘î, Ad-Dahhâk et Al-Kissâ’i ont lu « khâtamouhou misk : خاتَمُهُ مِسْك ».

   Selon cette première définition, la boisson ou le nectar que boiront les gens du paradis se trouve dans des récipients hermétiques, à l’abri de l’air pour préserver toute la saveur du breuvage ;

2- d’après Ibnou Mas‘oûd, Wakî‘ et Al-A‘mach, « makhtoûm : مَخْتُوم » signifie « mélangé ». Conformément à cette explication, le vin serait associé à du musc comme le précise le verset suivant « son mélange est mélangé » ;

3- selon la dernière interprétation – moins évidente que les deux précédentes –, « makhtoûm : مَخْتُوم » tire son sens du mot « khitâm : خِتام » qui signifie « la fin, la clôture ». Après avoir bu ce vin, les gens du paradis sentiront l’odeur du musc se dégager des récipients.

   Dans un hadîth rapporté par At-Tirmidhî, le Prophète a dit : « Tout croyant qui nourrit un croyant qui a faim, Allâh le nourrit le jour du jugement des fruits du paradis. Tout croyant qui abreuve un croyant qui a soif, Allâh l’abreuve le jour du jugement du nectar cacheté. Tout croyant qui habille un croyant qui est nu, Allâh l’habille des habits verts du paradis. »

Verset 26 : Laissant un arrière-goût de musc. Que ceux qui convoitent entrent en compétition pour l’acquérir.

خِتَـٰمُهُ ۥ مِسۡكٌ۬ۚ وَفِى ذَٲلِكَ فَلۡيَتَنَافَسِ ٱلۡمُتَنَـٰفِسُونَ

   Le musc fait partie des rares matières animales entrant dans la composition des parfums. Il est produit, par exemple, par le chevrotain porte-musc, un cervidé vivant en Sibérie, dans l’Himalaya et au Tibet. Le musc est sécrété en période de rut chez le mâle et s’accumule dans une poche située dans l’abdomen. Chaque mâle de plus de trois ans en produit environ 30 g.
D’autres animaux produisent un musc d’une autre nature comme le rat musqué ou le bœuf du même nom, mais le plus réputé en Arabie – car extrêmement rare – reste celui produit par le chevrotain porte-musc.

   De toute évidence, le musc du paradis mentionné dans le Coran est une substance qui excède incontestablement ce que les esprits peuvent imaginer en termes de senteur.
Dieu invite ensuite les gens à l’émulation pour bénéficier de ces bienfaits paradisiaques, car convoiter la vie d’ici-bas ne procure que des plaisirs éphémères.

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   « At-tanâfous : التَّنافُس » est le substantif du verbe « tanâfassa : تَنافَس » ; ce mot vient de « an-nafîs : النَّفِيس » qui signifie « une chose rare, recherchée et convoitée ». Il provient également du mot « an-nafs : النَّفْس » : l’âme ou l’égo, car ce dernier se caractérise par la fierté.

Versets 27-28 : Il est mélangé à la boisson de Tasnîm, (27) source dont les rapprochés boivent.

وَمِزَاجُهُ ۥ مِن تَسۡنِيمٍ (٢٧) عَيۡنً۬ا يَشۡرَبُ بِہَا ٱلۡمُقَرَّبُونَ

« Al-mizâj : المِزاج » correspond aux ingrédients utilisés dans un mélange. « Tasnîm : تَسْنيم » est le nom d’une source au paradis, comme le précise le verset 28. Cette appellation était inconnue chez les Arabes, mais elle tire néanmoins son origine de la langue arabe. Le verbe « sannama : سَنَّمَ » signifie « élever (en hauteur) » ; « sinâm al-jamal : سِنام الجَمَل » correspond donc à la bosse du chameau, puisqu’il s’agit de la partie la plus haute du camélidé. Le nom propre « Tasnîm : تَسْنيم » supporte donc deux interprétations :
– la boisson qui jaillit de cette source est d’une qualité et d’une saveur élevées et surpasse de loin toutes les boissons en termes de goût ;
– d’après Moujâhid et Al-Kalbî, cette source est très haute dans le paradis.
Le vin du paradis est mélangé à cette source. De cette composition nouvelle boiront tous les résidents du paradis. En revanche, les rapprochés de Dieu consommeront cette boisson à l’état pur, puisque leur rétribution est supérieure à celle des autres.

Pourquoi Dieu dit « yachrabou bihâ : يَشْرَبُ بِها » au lieu de « yachrabou minhâ : يَشْرَبُ مِنْها » ?

Ceci est confirmé encore une fois dans les versets 5 et 6 de sourate Al-Insâne : « Les vertueux boiront d’une coupe dont le mélange sera de camphre, d’une source de laquelle boiront les serviteurs d’Allâh et ils la feront jaillir en abondance. »

إِنَّ ٱلۡأَبۡرَارَ يَشۡرَبُونَ مِن كَأۡسٍ۬ كَانَ مِزَاجُهَا ڪَافُورًا (٥) عَيۡنً۬ا يَشۡرَبُ بِہَا عِبَادُ ٱللَّهِ يُفَجِّرُونَہَا تَفۡجِيرً۬ا

Deux possibilités répondent à cette question :

1- la formule « boire d’une source » n’implique pas forcément une consommation jusqu’à étanchement de la soif. En revanche, l’expression « yachrabou bihâ : يَشْرَبُ بِها » sous-entend une satiété complète et satisfaisante.

2- l’expression « yachrabou minhâ : يَشْرَبُ مِنْها » peut signifier qu’il se désaltère sans se trouver à la source. En revanche, l’expression « yachrabou bihâ : يَشْرَبُ بِها » suggère une consommation directe à son origine, d’où une proximité manifeste.

   Ces explications éclairent le lecteur sur l’emploi du passif dans le verset 25 « on leur sert à boire un nectar pur cacheté » : comme ces résidents du paradis ne peuvent accéder directement à cette source, celle-ci leur est servie par des tiers (et mélangée à la boisson de tasnîm).

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Verset 29 : Les criminels riaient de ceux qui croyaient

إِنَّ ٱلَّذِينَ أَجۡرَمُواْ كَانُواْ مِنَ ٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ يَضۡحَكُونَ

   Cette affirmation sera formulée le jour de la résurrection, comme l’annonce le Coran dans le verset 34 de cette même sourate : « Aujourd’hui donc ce sont ceux qui ont cru qui rient des infidèles. »

   Ce verset (29) marque le début de la dernière partie d’Al-Moutaffifîne. Les deux premières sections se focalisent sur les fraudeurs infidèles puis sur la fin qui leur est réservée. Dieu aborde ensuite l’issue des croyants pieux avant de revenir au dénouement des impies avec  le verset 17 dans lequel Dieu énonce les paroles qui leur seront adressées : « Voilà ce que vous traitiez de mensonge ». Le verset 29 enrichit le discours adressé aux mécréants qui sont qualifiés de criminels.

   Cette dernière partie traite du destin réservé à ceux qui se moquaient des croyants sur terre. À l’origine, ce sont les Qoraychites qui raillaient les plus faibles parmi les premiers musulmans. Il a été rapporté qu’Ibnou ‘Abbâs désignait ces criminels comme étant les têtes du polythéisme de l’époque : Al-Walîd Ibnou-l-Moughîra, ‘Oqba Ibnou Abî Ma‘ît, Al-‘Âç Ibnou-l-Wâ’il, Al-Aswad Ibnou ‘Abdi Yaghoûth, Al-‘Aç Ibnou Hichâm, Aboû Jahl et An-Nadr Ibnou-l-Hârith. Quant aux victimes de ces moqueries, citons ‘Ammâr, Khabbâb, Sohayb et Bilâl.

   Les infidèles riaient de ces croyants à cause de leur pauvreté, de leur faiblesse ou de leur statut d’esclave. Pour les polythéistes, la notoriété passait par la richesse et l’appartenance familiale. Ils ne pouvaient donc concevoir qu’une religion remette en cause ces principes ancestraux et établisse de nouveaux critères de valorisation applicables à tous : piété, crainte révérencielle, richesse de cœur, etc.

   L’histoire de l’opposition entre foi et mécréance se répète à travers les époques et les peuples. Ce qui était vrai autrefois continue de l’être aujourd’hui. Au 21ème siècle, plusieurs principes inaliénables régissent la vie sociale : liberté de culte, démocratie, tolérance, etc., mais les donneurs de leçons sont les premiers à transgresser ces règles et à stigmatiser l’Islam dès qu’il s’agit de gagner davantage de voix électorales ou de profiter impudemment des richesses de certains pays musulmans.

   Les croyants victimes du mépris et des moqueries de la part de leurs concitoyens doivent se rappeler constamment ce genre de versets : leur priorité doit rester la satisfaction de Dieu et leur devenir dans l’au-delà. Ces paroles divines transcendent le temps pour transporter les croyants et les non croyants de la demeure de l’épreuve (ici-bas) à la demeure de la reddition des comptes (au-delà). L’emploi du temps passé dans ces versets minimise les souffrances que peuvent ressentir les musulmans lorsqu’ils deviennent la cible d’une stigmatisation aveugle.

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Verset 30 : et, passant près d’eux, ils se faisaient des œillades

وَإِذَا مَرُّواْ بِہِمۡ يَتَغَامَزُونَ

   Ce verset supporte deux explications quant à qui passait près de l’autre : les sujets et les compléments sont intervertibles. Soit les criminels se lançaient des œillades en passant devant les croyants, soit les croyants œilladaient entre eux en passant devant les criminels, ou bien les deux possibilités à la fois.
Le verbe « ghamaza : غَمَزَ » signifie « lancer des œillades » ou « bouger quelque chose avec la main ». Dans un hadîth rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim, ‘Â’icha expliquait : « Je me suis vue des fois avec le Prophète qui priait pendant que je dormais entre lui et la qibla. Dès qu’il souhaitait se prosterner, il bougeait mes pieds (ghamaza) et je les rabattais ».
Le verbe « ghamaza : غَمَزَ » est aussi un synonyme de « ‘âba : عابَ » (critiquer, dévaloriser). En effet, le nom commun « ghamza : غَمْزَة » signifie également « défaut », conformément à son emploi dans cette phrase : « mâ fî foulân ghamza : ما في فُلان غَمْزَة » (il n’y a aucun défaut chez untel).

   Il fut rapporté que ces versets doivent leur révélation aux moqueries et aux œillades lancées par des hypocrites à l’encontre de ‘Alî Ibnou Abî Tâlib qui se déplaçait en groupe vers le Prophète. La petite troupe passa devant un rassemblement d’hypocrites, ce qui suppose que ce verset fut révélé à Médine. Cette hypothèse est d’autant plus vraie que la situation suggère des coups d’œil discrets de dérision. Ces précautions prises par les hypocrites indiquent une certaine crainte de représailles. Il appert de cette prudence que l’influence des musulmans à Médine contrastait incontestablement avec leur faiblesse à la Mecque : ils ne pouvaient représenter une source d’inquiétude pour les polythéistes moqueurs, tandis qu’ils intimidaient réellement les hypocrites à Médine. Cette configuration sociale n’empêchait pas ces derniers de rire des musulmans, mais plus subtilement.
Quand bien même ce verset aurait été révélé à la Mecque, l’interprétation selon laquelle les croyants se lançaient des œillades reste valable.

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