Sourate 83 Al-Moutaffifîne (Les Fraudeurs) (5/5)

Tafsir du Saint Coran (articles)

Verset 31et, retournant dans leurs familles, ils retournaient en plaisantant

وَإِذَا ٱنقَلَبُوٓاْ إِلَىٰٓ أَهۡلِهِمُ ٱنقَلَبُواْ فَكِهِينَ 

Dieu a choisi de répéter le verbe « retourner » dans ce verset ; Il aurait pu simplifier la tournure : « et en retournant dans leur famille ils plaisantaient ». La réitération permet de consolider le portrait de ces moqueurs dans l’esprit du lecteur : il imagine aisément la scène qui met en exergue le caractère hautain de ces personnes. En outre, cela montre que non seulement les infidèles raillaient allègrement les croyants auprès de leur famille, mais qu’ils s’en donnaient à cœur joie également sur le chemin qui les conduisait chez eux.

Après avoir nourri leur complexe de supériorité en se moquant hardiment des musulmans, ces criminels retournent chez eux satisfaits de leur outrage, sans être accablés par le moindre remords.

Ibnou-l-Qa‘qâ‘, Hafç, Al-A‘raj et As-Salmî ont lu « fakihîn : فَكِهين » sans prolongement, tandis que les autres lecteurs ont prononcé « fâkihîn : فاكِهين » avec allongement. Certains exégètes ont expliqué que ces deux mots étaient équivalents, comme le sont « tami‘ : طَمِع » et « tâmi‘ : طامِع » (signifiant cupide).

Toutefois, quelques-uns discernent une divergence entre ces deux termes, car « al-fakihou : الفَكِهُ » signifie « l’orgueilleux, le prétentieux », alors que « al-fâkihou : الفَاكِهُ » « le satisfait, le comblé ». Ces deux significations sont tout à fait appropriées dans ce verset,  puisque d’une part ce criminel éprouve un profond contentement en se moquant des musulmans, d’autre part il affiche un mépris manifeste empli d’orgueil à leur égard.

 

Verset 32 : et les voyant, ils disaient : « Ce sont vraiment ceux-là les égarés »

وَإِذَا رَأَوۡهُمۡ قَالُوٓاْ إِنَّ هَـٰٓؤُلَآءِ لَضَآلُّونَ 

 

Non seulement ces criminels raillaient les croyants par des gestes témoignant clairement de leur bassesse, mais ils se permettaient également de les juger selon des critères farfelus et distinguaient de fait le guidé de l’égaré. L’esprit humain révèle ses limites et son aveuglement lorsque les critères d’évaluation de la guidance sont bousculés.

Si la bonne éthique, la crainte de Dieu, la piété, le contrôle de soi, la bienfaisance envers autrui sont habituellement les qualités qui permettent d’apprécier une personne, l’orgueil, les passions, le mépris d’autrui, la malhonnêteté peuvent devenir des valeurs respectables pour les égarés qui refusent d’entendre une parole d’exhortation sincère tentant de les sauver.

 

Un petit coup d’œil sur la société actuelle permet d’observer un rejet allergique à toute vision qui s’attache à la dimension divine ou qui appelle au noble comportement.

Dans un hadîth rapporté par At-Tirmidhî, le Prophète dit : « Les gens vivront une époque où celui qui tient à sa religion est comme celui qui tient une braise. »

C’est ainsi que celui qui pourrait être un exemple à suivre dans sa société en termes de rigueur, de pureté d’esprit, d’altruisme et de foi devient aux yeux des autres un marginal et un extrémiste à combattre par tous les moyens. Lôt ne fut-il pas banni de sa ville lorsqu’il essaya de persuader son peuple de délaisser les pratiques irrespectueuses de la nature humaine ? Dieu a pérennisé l’échange qu’il eut avec les siens : « Et rappelle-leur Lôt, quand il dit à son peuple : “Vous livrez-vous à la turpitude alors que vous voyez clair. Vous allez aux hommes au lieu de femmes pour assouvir vos désirs ? Vous êtes plutôt un peuple ignorant.” Puis son peuple n’eut que cette réponse : “Expulsez de votre cité la famille de Lôt ! Car ce sont des gens qui affectent la pureté” », s.27 An-Naml (Les Fourmis), v.54-56.

Et le Prophète de confirmer cette vérité de ces propres mots : « L’Islam a commencé étranger et il redeviendra étranger comme il a débuté, quel bienfait pour les étrangers. On lui dit : qui sont les étrangers ô Messager d’Allâh ? Il dit : ceux qui font le bien lorsque les gens sèment le désordre. » [Rapporté par At-Tabarânî.]

 

 

 

Verset 33 : Or, ils n’ont pas été envoyés pour être leurs gardiens

 

وَمَآ أُرۡسِلُواْ عَلَيۡہِمۡ حَـٰفِظِينَ 

 

Dans ce verset Allâh tance sévèrement ces criminels qui se permettent de distinguer l’égaré du « bien-orienté », comme si ces derniers avaient été missionnés par Dieu pour discerner les deux groupes. En réalité, cette phrase s’apparente à une moquerie subtile qui répond aux railleries farfelues des infidèles.

Toutefois, si cette expression équivaut ici à une raillerie à l’endroit des criminels, elle est reprise par Allâh dans un contexte totalement différent. Dieu insiste en effet sur la nature de la mission prophétique : Mouhammad assurait la diffusion du message divin, mais ne garantissait aucunement la sauvegarde des gens. Plusieurs versets en témoignent :

     « Quiconque obéit au Messager obéit certainement à Allâh. Et quiconque tourne le dos… Nous ne t’avons pas envoyé à eux comme gardien. », s.4 An-Nissâ (Les Femmes), v.80.

مَّن يُطِعِ ٱلرَّسُولَ فَقَدۡ أَطَاعَ ٱللَّهَ‌ۖ وَمَن تَوَلَّىٰ فَمَآ أَرۡسَلۡنَـٰكَ عَلَيۡهِمۡ حَفِيظً۬ا 

 

     « Certes, il vous est parvenu des preuves évidentes, de la part de votre Seigneur. Donc, quiconque voit clair, c’est en sa faveur ; et quiconque reste aveugle, c’est à son détriment, car je ne suis nullement chargé de votre sauvegarde. », s.6 Al-An‘âm (Les Bestiaux), v.104.

قَدۡ جَآءَكُم بَصَآٮِٕرُ مِن رَّبِّكُمۡ‌ۖ فَمَنۡ أَبۡصَرَ فَلِنَفۡسِهِۦ‌ۖ وَمَنۡ عَمِىَ فَعَلَيۡهَا‌ۚ وَمَآ أَنَا۟ عَلَيۡكُم بِحَفِيظٍ۬ 

 

     « Si Allâh voulait, ils ne seraient point associateurs ! Mais Nous ne t’avons pas désigné comme gardien sur eux ; et tu n’es pas leur garant. », s.6 Al-An‘âm (Les Bestiaux), v.107.

وَلَوۡ شَآءَ ٱللَّهُ مَآ أَشۡرَكُواْ‌ۗ وَمَا جَعَلۡنَـٰكَ عَلَيۡهِمۡ حَفِيظً۬ا‌ۖ وَمَآ أَنتَ عَلَيۡہِم بِوَكِيلٍ۬ 

 

Chou’ayb tenait déjà ce discours : « Ce qui demeure auprès d’Allâh est meilleur pour vous si vous êtes croyant ! et je ne suis pas un gardien pour vous. », s.11 Hoûd, v.86.

 

بَقِيَّتُ ٱللَّهِ خَيۡرٌ۬ لَّكُمۡ إِن ڪُنتُم مُّؤۡمِنِينَ‌ۚ وَمَآ أَنَا۟ عَلَيۡكُم بِحَفِيظٍ۬ 

 

L’exhortation reste donc la tâche du Prophète, il n’a pas été missionné pour juger les gens ni pour les critiquer. D’ailleurs, dans les situations les plus pénibles, le Messager d’Allâh ne manquait pas d’invoquer son Seigneur pour la guidance de son peuple, malgré le mal qu’il lui causait. En revanche, ces criminels n’avaient aucun scrupule à se moquer des croyants, à les stigmatiser tout en les considérant comme des égarés. Ils concentraient même tous leurs efforts pour dissuader les musulmans de continuer sur la voie de Dieu en les harcelant continuellement, afin qu’ils retournent à leur idéologie erronée et tronquée.

 

 

 

Verset 34 : Aujourd’hui, donc, ce sont ceux qui ont cru qui rient des infidèles

 

فَٱلۡيَوۡمَ ٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ مِنَ ٱلۡكُفَّارِ يَضۡحَكُونَ 

 

Le complément circonstanciel de temps « aujourd’hui » ne désigne pas le jour de la révélation de ce verset, mais bien le jour de la résurrection. En effet, cette dernière partie fait suite à la deuxième partie de la sourate où Dieu décrit le châtiment des infidèles.

Dieu a inversé le verbe et son complément : seuls les infidèles subiront des moqueries le jour du jugement. « Rira bien qui rira le dernier ! » comme ironise le proverbe français.

 

Ce verset s’oppose au verset 29 « Les criminels riaient de ceux qui croyaient. » Le lecteur s’attendait plutôt à une formulation plus symétrique telle : « Aujourd’hui, donc, ce sont ceux qui ont cru qui rient des criminels ». Mais non, alors pourquoi Dieu a remplacé « criminels » par « infidèles » ? Il se peut en effet qu’un criminel se repente avant sa mort et que Dieu absolve ses péchés, même s’il a passé toute sa vie à fustiger les croyants et à se moquer d’eux. Une phrase telle que « les croyants riront des criminels » exclurait toute possibilité du pardon divin. En employant « al-kouffâr : الكُفّار », Dieu indique clairement que seule la mécréance précédant la mort engendre le châtiment de l’enfer. C’est aussi pour cette raison que Dieu précise « ceux qui ont mécru », car l’individu peut se repentir après avoir refusé de croire. De fait, si quelqu’un est qualifié de mécréant (« kâfir : كافِر ») le jour du jugement, c’est qu’il ne s’est pas repenti avant sa mort.

Les croyants riront lorsque l’orgueil et la prétention des infidèles sur terre apparaitront au grand jour sous forme d’ignominie et de bassesse.

 

Une explication attribuée à Ka‘b révèle que des ouvertures permettent aux croyants de voir leurs ennemis d’autrefois en enfer. Les versets 54-55 de sourate Aç-Çaffât en sont une preuve irréfutable : « Il dira : “Est-ce que vous voudriez regarder [d’en haut] ?” Alors il regardera et il le verra en plein dans la fournaise, et dira : “Par Allâh ! Tu as bien failli causer ma perte.” »

Quand à Ibnou-l-Moubârak, il déclare : « Al-Kalbî nous a informés que Abî Çâlih a interprété le verset 15 de sourate Al-Baqara : “C’est Allâh qui se moque d’eux” en expliquant qu’on dira aux gens de l’enfer “sortez !” Les portes de l’enfer s’ouvriront alors et dès qu’ils s’en approcheront pour sortir, elles se refermeront. Tout ceci se déroule devant les yeux des croyants qui sont accoudés sur des divans dans le paradis. » Il est à noter toutefois que cette affirmation ne puise pas sa source dans ce qui est explicitement énoncé dans le Coran ou prononcé par le Prophète.

 

 

 

Verset 35 : sur les divans, ils regardent

 

عَلَى ٱلۡأَرَآٮِٕكِ يَنظُرُونَ 

 

Certains exégètes expliquent que les croyants, installés sur les divans, observent le châtiment de ceux qui se moquaient d’eux et qui sont morts mécréants ; c’est l’avis de Mouqâtil.

D’aucuns comprennent qu’ils contemplent les délices apprêtés pour eux dans le paradis, oubliant ainsi à jamais ce qu’ils ont enduré avec les mécréants ; Ibnou ‘Abbâs, ‘Ikrima et Moujâhid soutiennent cette opinion.

Selon d’autres savants, les croyants admirent la face d’Allâh.

Ces trois interprétations sont toutes aussi plausibles les unes que les autres, puisque le verset ne mentionne pas de complément d’objet.

 

Verset 36 : Est-ce que les infidèles ont eu la récompense de ce qu’ils faisaient ?

 

هَلۡ ثُوِّبَ ٱلۡكُفَّارُ مَا كَانُواْ يَفۡعَلُونَ 

 

Le mot « thouwwiba : ثُوِّبَ » vient du verbe « thâba : ثابَ » qui signifie « revenir ». « Ath-thawâb : الثَّواب » est donc la récompense ou la punition qui revient à l’homme selon ses actes. Ce verset peut être expliqué de trois manières :

     1. Les croyants accoudés sur des divans vérifient si les infidèles ont obtenu la punition qu’ils méritaient.

     2. Les croyants installés sur des divans se demandent si les infidèles ont bien reçu les punitions de leurs crimes sur terre.

     3. Ce questionnement émane de Dieu en guise de moquerie.

 

 

 

Dans cette sourate, si Allâh insiste autant sur les rétributions de l’au-delà, c’est pour renforcer le cœur des croyants qui subissaient les pires des supplices à la Mecque. Dieu aurait pu leur octroyer la victoire sur terre sans mentionner la récompense de l’au-delà, mais Il voulait les lier directement à la vie dernière de sorte que leur patience ne soit pas uniquement justifiée par la promesse d’un triomphe terrestre.

Ainsi, peu importait pour le croyant de vivre assez longtemps pour déguster la victoire sur terre. Son esprit et son cœur n’aspiraient qu’à l’au-delà. Rien sur terre ne pouvait détrôner l’au-delà. Tel est le secret des Compagnons imprégnés par la révélation de ces versets : ils transcendaient tout objectif terrestre, et sacrifiaient tout ce qui leur était cher pour gagner la gratitude et la bénédiction de Dieu.

Ces versets balaient d’un coup tout le mal que pouvaient ressentir les croyants face à la dérision amère des infidèles. Les croyants se projetaient directement vers l’au-delà – la demeure éternelle – et visionnaient les scènes anticipées par le Coran sur l’issue de chacun. De tels versets renforcent la foi du fidèle et l’encouragent à poursuivre son chemin vers Dieu, sans se soucier des actions hostiles qui tentent de le déstabiliser.

 

Ces vérités sont souvent répétées dans le Coran comme c’est le cas dans cette sourate ou de la fin de sourate Al-Mou’minoûn où Dieu rend compte de ce que diront les infidèles une fois dans l’enfer et ce qui leur sera dit : « Ils dirent : “Seigneur, fais nous-en sortir ! Et si nous récidivons, nous serons alors des injustes”. Il dit : “Soyez-y refoulés (humiliés) et ne Me parlez plus”. Il y eut un groupe de Mes serviteurs qui dirent : “Seigneur, nous croyons ; pardonne-nous donc et fais-nous miséricorde, car Tu es le meilleur des Miséricordieux” mais vous les avez pris en raillerie jusqu’à oublier de M’invoquer, et vous vous riiez d’eux. Vraiment, Je les ai récompensés aujourd’hui pour ce qu’ils ont enduré ; et ce sont eux les triomphants. », s.23 Al-Mou’minoûn (Les Croyants), v.107-111.

 

رَبَّنَآ أَخۡرِجۡنَا مِنۡہَا فَإِنۡ عُدۡنَا فَإِنَّا ظَـٰلِمُونَ ( ١٠٧) قَالَ ٱخۡسَـُٔواْ فِيہَا وَلَا تُكَلِّمُونِ ( ١٠٨) إِنَّهُ ۥ كَانَ فَرِيقٌ۬ مِّنۡ عِبَادِى يَقُولُونَ رَبَّنَآ ءَامَنَّا فَٱغۡفِرۡ لَنَا وَٱرۡحَمۡنَا وَأَنتَ خَيۡرُ ٱلرَّٲحِمِينَ ( ١٠٩) فَٱتَّخَذۡتُمُوهُمۡ سِخۡرِيًّا حَتَّىٰٓ أَنسَوۡكُمۡ ذِكۡرِى وَكُنتُم مِّنۡہُمۡ تَضۡحَكُونَ ( ١١٠) إِنِّى جَزَيۡتُهُمُ ٱلۡيَوۡمَ بِمَا صَبَرُوٓاْ أَنَّهُمۡ هُمُ ٱلۡفَآٮِٕزُونَ ( ١١١ ) 

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