(1) Préambule

Jurisprudence malikite

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   Son fondateur : un jurisconsulte émérite (voir la rubrique « Ecoles islamiques »)

   Le père de l’école mâlikite n’est autre que l’illustre docte Mâlik Ibnou Anas qui vit le jour à Médine en l’an 93H. Il acquit son érudition des plus grands savants de son époque.

Il reçut ses premiers enseignements de Rabî‘a Ar-Ra‘y qui collecta sa science des sept grands savants juristes de Médine : Aboû Bakr Ibnou ‘Abdir-Rahmâne Ibnou-l-Hârith Ibnou Hichâm, Al-Qâsim Ibnou Mouhammad Ibnou Abî Bakr As-Siddîq, ‘Orwa Ibnou Az-Zoubayr Ibnou Al-’Awwâm, Sa’îd Ibnou-l-Mousayyib, Soulaymân Ibnou Yasâr, Khârija Ibnou Zayd et ‘Oubaydoullâh Ibnou ‘Abdillâh Ibnou ‘Outba Ibnou Mas‘oûd.

    Mâlik étudia ensuite auprès d’Ibnou Hourmouz qui rapportait des ahâdîth d’Aboû Hourayra, de Mou‘âwiya, d’Ibnou ‘Abbâs et bien d’autres Compagnons .
Il faisait également partie des élèves de Nâfi’ Ibnou Abî Nou‘aym, un successeur qui transmit des ahâdîth de ‘Âïcha, d’Aboû Hourayra, d’Aboû Sa‘îd Al-Khoudrî, etc. Mais surtout, Nâfi’ et Mâlik étaient deux maillons de la chaîne d’or (« as-silsila adh-dhahabiya ») certifiée comme la plus sûre par Aboû Dâoûd.
Mâlik a rapporté plus de 132 ahâdîth de son maître Ibnou Chihâb Az-Zouhrî et 9 de Ja‘far As-Sâdiq dans Al-Mouwatta’.
Il côtoya aussi Aboû Az-Zinâd qui rapporta des ahâdîth d’après Anas, ‘Âïcha Bintou Sa‘d, Khârija Ibnou Zayd Ibnou Thâbit, etc.

   Pieux héritier des Compagnons du Prophète , il dispensa un enseignement de grande qualité que les Médinois de son époque suivirent scrupuleusement. C’est ainsi qu’il se distingua de ses pairs, attirant des étudiants et des personnes en quête d’avis juridiques des quatre coins du monde musulman.

   Ibnou Hourmouz, son maître, disait de lui qu’il était le plus grand savant de son temps. Son disciple et fondateur de la quatrième école juridique, l’imâm Ach-Châfi‘î, déclarait à son sujet : « Mâlik est mon maître, il m’a inculqué la science. Nul n’a été plus doux à mon égard que lui. Je fais de lui mon avocat auprès d’Allâh. Lorsqu’on évoque les oulémas en tout lieu, Mâlik est parmi eux l’unique étoile étincelante, grâce à sa mémoire infaillible, à sa maîtrise des sciences et à ses vertus humaines. »

   L’imâm Ahmad Ibnou Hanbal lui accorda la primauté en matière de sciences religieuses sur les imâms Al-Awza‘î, Ath-Thawrî, AI-Layth, Hammâd Ibnou Zayd et AI-Hakam par ces paroles : « Il est en effet l’imam incontesté en traditions rapportées et en droit (déduit de la chari‘a). »

   La majorité des traditionnistes considèrent qu’il est le « savant de Médine » mentionné par le Prophète dans un hadith reconnu comme authentique par Al-Qâdî ‘Iyâd : Aboû Hourayra rapporte que l’Envoyé de Dieu a dit : « Arrivera le jour où les gens en quête de sciences essouffleront leurs montures et ne trouveront pas plus savant que le savant de Médine. » Cette citation suffit à elle seule à légitimer l’incontestable autorité de l’imâm Mâlik en droit, en traditions et en sciences de la loi, d’autant plus que sa dévotion et sa ferveur témoignaient indubitablement de sa probité. Ibnou-l-Moubârak s’exprime dans ce sens : « J’ai connu Mâlik et j’ai vu qu’il faisait partie des humbles qui ne cessent de se recueillir en soumission à Dieu d’autant qu’il ne s’affichait jamais et se recueillait en secret. Je l’ai souvent entendu dire que celui qui voudrait que son cœur s’éclaire pour échapper aux affres de la mort et au tourment de l’au-­delà, qu’il agisse en bien en secret plus qu’en public. »

   La notoriété de l’imâm Mâlik se renforça posthumément avec la probité dont ont fait preuve ses disciples. En effet, aucun spécialiste de son école n’a glissé vers une quelconque innovation en matière de religion. Ar-Ra‘î, vantant les mérites de l’infaillible imâm, précisa : « Parmi ce qui le distingue — que Dieu ait son âme —, signalons le fait que sa doctrine ne comporte nulle innovation, au point que, par la suite, au Maghreb où elle fut adoptée, aucun mouvement d’égarement ni de dissidence n’apparut au sein de son école ». Cet aspect des choses témoigne de la suréminence de son érudition et de sa production juridique, au point qu’Allâh a préservé son œuvre des siècles durant.

Genèse de l’école mâlikite

   C’est à Médine que le Prophète a établi les fondements de l’authentique Islam. Après sa mort, les Médinois transmirent fidèlement son précieux enseignement de générations en générations. Mâlik Ibnou Anas en hérita tout naturellement, et grâce à ses capacités d’assimilation, de compréhension des sources et de déduction des lois conformément à l’esprit de l’Islam, apparurent les bases de son droit appliqué. Un des plus grands savants en sciences islamiques, ‘Ali Ibnou Al-Madâ’inî, en convint : « Zayd Ibnou Thâbit a transmis son enseignement à vingt et une personnes parmi celles qui partageaient ses opinions et s’y conformaient. La science de tous ces hommes est revenue à trois savants, à savoir Ibnou Chihâb, Bakr Ibnou Abdallâh AI-Assaj, et Aboû Az-Zinâd. Par la suite le savoir de cette pléiade de savants est passé à Mâlik Ibnou Anas ». De par la nature du patrimoine que Mâlik avait recueilli, le savant bénéficia d’une autorité presque sans égale : « Depuis Zayd Ibnou Thâbit, jamais les Médinois ne se sont conformés aux opinions d’une personne comme ils l’ont fait avec Mâlik », expliquait Hamid Ibnou-l-Aswad. Car l’imâm Mâlik était non seulement reconnu par ses pairs, mais il faisait également l’unanimité auprès de la population qui le prenait comme modèle. Al-Qâdî ‘Iyâd rapporte d’après ‘Âtiq, d’après Ya‘qoûb : « Nul n’a pu rassembler les gens à Médine après la mort du Prophète sauf ‘Alî, Aboû Bakr et ‘Omar. Puis vint Mâlik et lorsqu’il fut mort, on ne trouva pas une seule personne en désaccord avec ses enseignements. »
Parmi les ouvrages de référence de l’école mâlikite, il y a Al-Mouwatta’ de l’imâm Mâlik et la Moudawwana, une compilation des avis juridiques de Mâlik recueillis par Sahnoûn Ibnou Sa‘îd At-Tannoûkhî.

   La doctrine mâlikite est répandue en Egypte, en Iraq, dans le Khorâssan, en Andalousie et en Afrique du Nord.

Ses sources scripturaires

   Le rite mâlikite se base non seulement sur des sources communes aux quatre écoles, mais aussi sur des fondements qui lui sont spécifiques.

1 – Le Coran et la sunna

   Le Coran constitue un ensemble d’éléments textuels. Il est la Parole de Dieu transmise à Son Envoyé par l’entremise de l’archange Jibrîl (Gabriel) . Il constitue à la fois un signe de la prophétie de Mouhammad , un ensemble de lois destinées à guider les hommes et une supplication dont la lecture correspond à une adoration.
Quant à la sunna, elle représente la transmission verbale des traditions prophétiques. Elle comprend tous les dires du Prophète , toutes ses actions réalisées, mais aussi les actes et les paroles d’autrui qu’il a admises ou approuvées.

   C’est à partir de ces deux éléments scripturaires que l’imâm Mâlik a élaboré sa doctrine : il s’est basé sur leur authenticité pour dégager le sens véhiculé par leur formulation en éclaircissant leur sémantique et en usant d’une logique rigoureuse.

2 – Le consensus (« al-ijmâ‘ »)

   Le consensus correspond à l’accord de tous les savants d’une même époque sur un cas juridique précis. Les moujtahidîn conviennent ensemble d’un avis commun duquel résulte un jugement qui a force de loi religieuse. Ce fondement apparut après la mort du Prophète . Les fouqahâ se mettent unanimement d’accord pour adopter une nouvelle norme légale pour une problématique nouvelle à une époque déterminée. Cet assentiment peut être explicite ou implicite, ce dernier ayant été le plus usuel.

3 – La pratique des Médinois (« ‘amal ahl al-madîna »)

   Cette source juridique réunit l’ensemble des avis émis par les Compagnons du Prophète et leurs successeurs qui ont résidé à Médine. L’authenticité de cette jurisprudence réside dans sa transmission : elle fut enseignée de génération en génération, ce qui lui confère une primauté que l’imâm Mâlik ne reconnaissait pas pour les ahâdîth isolés en cas d’opposition entre les deux. En effet, un savoir véhiculé de génération en génération présente une authenticité incontestable, contrairement à une information transmise d’une personne à une autre.

4 – Le « dire » du Compagnon du Prophète

   Il s’agit de l’avis émis suite à l’ijtihâd d’un Compagnon pour une situation précise. Dès lors qu’il est validé et qu’il n’éveille aucune contestation, il devient une source de droit reconnue. En revanche, s’il rapporte un discours non issu d’une réflexion personnelle, celui-ci a force de sunna.

Ses sources rationnelles

1 – Le raisonnement par analogie (« al-qiyâs »)

   Quatrième source du droit musulman, le qiyâs consiste à juger un cas juridique inconnu des textes en le comparant à une situation analogue pour laquelle une prescription existe déjà dans un texte. Il s’agit de déterminer la cause précise (al-‘illa) d’une décision, qui servira à déterminer d’autres décrets respectant la même logique. L’exemple de la consommation du vin est significatif : sa prohibition est due à l’ivresse (al-‘illa) qu’il engendre chez l’être humain ; l’ensemble des boissons alcoolisées sera alors interdit pour la même raison.

2 – Le choix préférentiel : l’« istihsân »

   Ce procédé juridique consiste soit à délaisser une solution manifeste du raisonnement analogique au profit d’une conclusion moins évidente mais plus congruente au contexte, soit à prononcer une dérogation à une prescription générale. Ce principe laisse le libre choix au jurisconsulte entre deux règles : l’une résultant d’un sens évident, et l’autre découlant s’un sens sous-jacent. Le jurisconsulte finit par estimer le second sens préférable au premier, car plus appropriée au contexte. L’istihsân est une méthode permettant d’éviter la rigidité et l’injustice qui pourraient découler d’une application littérale de la loi. Ce concept se rapproche de celui d’équité connu dans le monde occidental.

3 – La recherche de l’intérêt général : « istiçlâh » ou « al-maçlaha al-moursala »

   Ce fondement consiste à définir des prescriptions en tenant compte des intérêts à plus ou moins long terme de la société. La priorité revient à tout ce qui lui est directement bénéfique et à ce qui permet d’éviter les vices et la corruption. Certains cas d’intérêt général sont reconnus par la législation islamique, d’autres non, et enfin d’autres sur lesquels elle ne s’est pas prononcée. Le moujtahid doit considérer les objectifs du Législateur pour pouvoir y associer les intérêts généraux passés sous silence par la loi. L’istiçlâh est finalement une forme de raisonnement par analogie à plus grande échelle.

4 – La coutume : (« al-‘ourf »)

   L’école mâlikite accorde une place importante aux us et coutumes de la société tant qu’ils ne s’opposent pas au droit musulman. L’usage peut traduire des traditions orales, gestuelles ou comportementales: il s’agit donc de toutes les coutumes des gens, quelque soit leur nature, contrairement à l’ijmâ‘ qui représente le consensus des savants. Les juristes intègrent ce principe à l’istiçlâh, car il permet aussi de préserver l’intérêt général.

5 – La prévention des actes illicites (« sadd ad-darâ’i‘ »)

   Il s’agit là d’écarter un moyen reconnu légal, mais ouvrant la voie à des interdictions, soit avec certitude soit avec une forte probabilité. C’est qu’en effet les moyens sont jugés selon leurs fins et comme on parvient à la norme légale en obstruant l’accès à un moyen licite qui mènerait à un acte illicite, on peut y parvenir par le moyen inverse. Par conséquent, lorsque ce qui est recherché par la norme légale ne trouve pas son moyen légal, le moyen qui ne le serait pas devient nécessaire et licite conformément au principe qui veut que le moyen parvenant à ce qui est obligatoire devient à son tour obligatoire.

6 – La présomption de continuité : l’« istiçhâb »

   Ce terme signifie littéralement « cour » ou « compagnie ». Dans les sciences du fondement de la jurisprudence, il exprime la présomption d’existence ou de non existence de faits. Ce principe peut être utilisé en cas d’absence d’autres preuves. Dans son acception positive, il suppose la continuation d’un acte (mariage ou transfert de propriété) jusqu’à ce que son annulation soit prouvée. En revanche, nul besoin de preuve si l’acte est temporaire (par exemple, pour un bail). Parce qu’il se base sur une probabilité, l’istiçhâb n’est pas un fondement assez probant pour la déduction de lois. De ce fait, s’il y a contradiction avec une autre preuve, celle-ci a la priorité. Il existe quatre types d’istiçhâb :
– « istiçhâb al-‘adam al-açlî » (la présomption d’absence originale) : un acte ou une loi qui n’existait pas dans le passé est supposée ne pas exister.<
– « istiçhâb al-woujoûd al-açlî » (la présomption de présence originale) : tout ce qui est prescrit par la loi ou la raison est considéré comme admis. Par exemple, un mari est assujetti au paiement du « mahr » (dote) en vertu de l’existence d’un mariage valide.
– « istiçhâb al-houkm » (la continuité du jugement) : c’est la présomption de la continuité des règles générales et des principes juridiques. Une obligation ou une interdiction est supposée perdurer dans le temps.
– « istiçhâb al-waçf » (la continuité de l’attribut) : c’est la présomption d’un attribut jusqu’à ce que son contraire soit établi. Par exemple, l’eau pure sera toujours traitée en tant que telle.
Les savants s’accordent sur les trois premières sortes d’istiçhâb.
Certaines maximes importantes ont été fondées sur l’istiçhâb : « Al-yaqînou lâ yazoûlou bich-chakk » (« La certitude ne peut être démentie par le doute »).

7 – La considération de l’avis différent (« moura‘ât al-khilâf »)

   C’est le fait de mettre en œuvre un argument pour une obligation dont la signification appelle un argument contraire, ou bien lorsque le moujtahid met en œuvre une norme pour un argument qu’il a utilisé pour son contraire. À titre d’exemple, le rite mâlikite rejette le mariage dit « ach-chighâr » : C’est quand un homme donne sa fille en mariage à quelqu’un, à condition que ce dernier lui donne également sa propre fille en mariage, sans que ni l’un ni l’autre paye de dot. Mais si à la mort de l’un des deux conjoints le mariage s’avère être un «chighâr », le principe de l’héritage sera admis conformément au « moura’ât al-khilâf ».

   Tout compte fait, les sources de l’école mâlikite sont nombreuses et variées. Elles permettent ainsi l’émission de jugements en tenant compte d’un maximum d’éléments ou de circonstances, ce qui garantit des lois saines et établies en toute logique.

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