(4) Abraha et la Ka’ba

Biographie du Messager

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   Sur les vingt mille croyants condamnés à être précipités dans la fosse ardente (voir chapitre précédent), seul un homme, Daws Ibnou Ta’laba, put échapper à ses poursuivants par le désert.

Il se rendit auprès de César (Qaysar), chef suprême de Byzance la chrétienne,

et lui narra le tragique évènement.

César chargea le rescapé de se rendre avec une missive auprès du Négus (Annajâchî), également chrétien et roi d’Abyssinie. Ce souverain leva une armée de soixante-dix mille hommes, à la tête de laquelle il plaça Ariyat et Abraha. L’expédition punitive traversa la Mer Rouge  pour aller à la confrontation avec Dhou Nouwâs. L’Abyssinie emporta la guerre contre le Yémen, et Dhou Nouwâs se suicida pour éviter d’être traité en prisonnier.

   A peine sortis du conflit armé, Ariyat et Abraha lorgnèrent tous deux le pouvoir sur le Yémen, ce qui conduisit les antagonistes à opposer leurs partisans dans une lutte sanglante et sans merci. Le nombre de tués était si important que les deux leaders décidèrent d’un commun accord de cesser l’effusion de sang et de se battre en duel. Et ce fut au cours de cet affrontement qu’Ariyat coupa le nez d’Abraha, qui dès lors fut surnommé « Al-Achram » (« Celui qui a le nez coupé »). Mais en retour, Ariyat fut occis par Abraha, et celui-ci prit la direction du Yémen.

   Quand l’information parvint au Négus, les murs du palais répercutèrent l’écho du courroux royal : le souverain jura de piétiner la terre du Yémen et de raser la tête d’Abraha. Le fautif prit peur en apprenant cela. Mais malin, il se fit tondre le crâne, et envoya ses cheveux et de la terre yéménite à l’intention du Négus, afin que celui-ci puisse la fouler et se délier ainsi de son serment. Le  Négus apprécia son intelligence, agréa son acte et sa demande de pardon, puis le laissa diriger le Yémen.

   En signe d’allégeance, Abraha ordonna la construction d’une église dédiée au Négus. Une fois achevée, il la baptisa « Al-Qolays » : il appela les Arabes au christianisme, les forçant à choisir cet édifice comme lieu de pèlerinage.

   Or, le caractère sacré de la Ka‘ba était si ancré dans le cœur des Arabes que, lorsque « l’invitation » leur parvint aucune tribu n’y répondit. Au contraire, un homme du clan de Kinâna se rendit au Yémen, se faufila de nuit rapidement à l’intérieur de l’église pour y souiller les murs et le sol. Abraha fut hors de lui quand il sut ce qui s’était passé. Apprenant que l’auteur de ce sacrilège était un glorificateur de la Ka‘ba, il décida de détruire celle-ci par vengeance, mais également pour contraindre les Arabes à se convertir au christianisme et à prendre l’église pour temple sacré.

   Aucune tribu arabe ne put stopper l’avancée de l’armée d’Abraha. Et pour cause, Abraha fit appel aux services d’un éclaireur,  Aboû Roughâ des Banou Thaqîf, pour lui indiquer la route de la Mecque ; il prit le commandement de soixante mille hommes, soutenus par neuf (ou treize) éléphants, dont le plus grand marchait en tête.

   En traversant les plaines mecquoises, Abraha confisqua les chameaux des autochtones, dont deux cents appartenant au grand-père du Prophète Mouhammad ,  ‘Abd Al-Mouttalib. Celui-ci se fit introduire auprès d’Abraha, qui le reçut dignement, ayant remarqué sur ‘Abd Al-Mouttalib les caractéristiques des notables.
L’homme aux éléphants questionna son hôte sur les raisons de sa venue : ‘Abd Al-Mouttalib lui sollicita la reddition de ses camélidés. Ceci donna cet échange mémorable entre les deux protagonistes :
« Au lieu de me demander d’épargner la Ka‘ba, tu me réclames la restitution de ton troupeau !
—    Mon rôle est de protéger mon troupeau. Quant à la Ka‘ba, elle a un Seigneur qui la protégera ! »

   Déçu par l’attitude de ‘Abd Al-Mouttalib, Abraha lui rendit ses chameaux. Or, c’était sous-estimer l’intelligence du grand-père du Prophète  : aussitôt de retour parmi les siens, il leur conseilla de ne pas s’opposer par la force à une armée qui les dépasse en puissance, mais plutôt de se retirer dans les alentours de la Mecque pour observer ce qui adviendra des lieux…

   Lorsque la meute guerrière arriva entre Al-Mouzdalifa et Mînan, l’éléphant de tête refusa de poursuivre sa route. A plusieurs reprises on l’obligea à marcher en direction de la Ka‘ba, mais à chaque fois il se braquait. En revanche, quand on le menait dans une toute autre direction, il obtempérait.

   Le salut de la Mecque vint du ciel : Allâh envoya une nuée d’oiseaux bombarder les envahisseurs avec des pierres d’argile, que les volatiles tenaient dans le bec et de part et d’autre des serres. De la taille du pois chiche, ces cailloux provoquaient toutefois énormément de dégâts : dès qu’ils atteignaient une cible, ils déchiquetaient ses membres. Une grande partie de l’armée fut décimée, et Abraha ne demanda pas son reste, il fuit aussi vite qu’il était venu…sinon plus rapidement encore !
Mais le pire l’attendait au Yémen, puisque là-bas, à peine se croyait-il en sécurité au pays qu’une grave maladie l’accueillit et le conduisit six pieds sous terre.
Aboû Roughâl, l’éclaireur, décèdera près de la Mecque, et sa tombe sera transformée en stèle de lapidation.

   Le Coran relate cette bataille qui n’en était pas une, tant la puissance de Dieu n’a point d’égale, et que nul injuste ne peut s’y soustraire : « N’as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi avec les gens de l’éléphant ? N’a-t-Il pas rendu leur ruse complètement vaine, et envoyé sur eux par volée des oiseaux qui leur lançaient des pierres d’argile ? Et Il les a rendus semblables à de la paille mâchée. »

   Le Yémen était toujours sous la domination des Ahbaches chrétiens jusqu’à l’intervention d’un jeune Yéménite du nom de Sayf Ibnou Dhî Yazan, qui éprouvait l’ardent désir de libérer son pays de l’occupation byzantine. Il se rendit auprès d’Annou‘mân Ibnou Al-Moundhir, roi d’Irak, et obtint son soutien. Le monarque l’emmena rencontrer Kosroes (empereur de Perse) en vue de rallier celui-ci à leur cause.
Le protocole perse voulait que l’on se prosternât devant le souverain, or Sayf Ibnou Dhî Yazan ne s’y soumit point :
« Qu’est-ce qui t’empêche de te prosterner devant moi ? lui demanda Kosroes.
—    L’angoisse s’empare de moi quand je vois mon peuple être colonisé par les Ahbaches : c’est ce qui m’empêche de me prosterner devant toi. »

   L’empereur refusa d’abord d’apporter son soutien armé, mais il offrit au jeune homme dix mille dirhams et de somptueux habits. A peine avait-il franchi le seuil du palais, Sayf Ibnou Dhî Yazan distribua tous les dons impériaux. Quand il eut vent de ce fait, Kosroes le convoqua :
« Pourquoi as-tu donné tous les présents venant de ma part ?
—    ô Kosroes ! Je viens d’un pays où les montagnes sont d’or et d’argent. »

   Face à l’obstination et au désintéressement de son interlocuteur, Kosroes lui consentit un détachement de huit cents soldats, tous des prisonniers, menés par son chef de guerre Boutrouz. Sayf Ibnou Dhî Yazan accepta l’aide, embarqua sur un des huit vaisseaux de guerre, traversa l’Euphrate, la mer d’Arabie pour enfin atteindre ‘Aden. Là, il réunit autour de lui des Yéménites pour renforcer sa troupe…les hostilités pouvaient commencer !
La bataille fit rage et Boutrouz défit les Ahbaches, conduits par Masrouk, représentant en titre du Négus.

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Kosroes

   Kosroes prit la victoire à son compte : par la ruse, il écarta Sayf Ibnou Dhî Yazan de la gouvernance du Yémen et confia le pouvoir à Badhân, un de ses courtisans. Plus tard, la route de Badhân croisera celle du Prophète  : quand Kosroes reçut une missive du Prophète le conviant lui et son peuple à l’Islam, il déchira la noble lettre avec mépris. Ceci fit dire au Prophète  : « Puisqu’il a déchiré ma lettre, qu’Allâh déchire sa royauté ! »
Kosroes chargea Badhân de se renseigner sur « le prétendu prophète ». Badhân missionna deux hommes auprès du Messager d’Allâh pour l’entendre. Ce dernier les reçut et leur annonça :
—    « Kosroes est mort ce soir !
—    Comment le sais-tu ?
—    C’est mon Seigneur qui m’en a informé. »

   Les émissaires retournèrent au Yémen, rapportèrent à Badhân cet échange, puis prirent route vers la Perse. Deux semaines s’étaient écoulées depuis leur départ, quand on avertit Badhân du décès de Kosroes. Badhân constata la concordance du jour de la mort de Kosroes avec celui de l’entretien avec le Prophète  ; il fut convaincu de la prophétie de Mouhammad  : lui et tous les Yéménites se convertirent alors à l’Islam. Le Messager d’Allâh le laissa gouverner le Yémen et lui dépêcha Mou‘âd Ibnou Jabal pour dispenser à son peuple les fondements de l’Islam.

   A la mort de Badhân, l’autorité passa à son fils Chihr, qui fut tué par « l’imposteur » qui se prétendait prophète. Cet évènement se produisit juste après le décès de Mouhammad

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