Autopsie d’une criminelle

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   Elle est pire que la pire des guerres au vu du nombre de cadavres qu’elle porte sur sa conscience. Ennemie publique numéro un, elle tue plus de 4 millions de ses victimes par année dans le monde ; 650 000 en Europe ;

66 000 en France —huit morts par heure : elle génère huit fois plus de victimes que les accidents de la route.

   Elle est connue de tous depuis plus d’un demi-siècle, a fait ses classes auprès de l’élite européenne, puis, arpentant les trottoirs mondiaux, elle a vite jeté son dévolu sur tout quidam qui ne sait résister à ses charmes se monnayant à prix fort : il en coûte au monde plus de 500 milliards de dollars américains annuels pour bécoter avec elle.

    Blonde, brune, parfumée, douce ou plus corsée, elle s’adapte aux exigences de ses proies. Elle prête une attention particulière à son habillage qu’elle accompagne de slogans hypocritement préventifs et transparents : « Fumer crée une forte dépendance, ne commencez pas », « Fumer peut entraîner une mort lente et douloureuse », « Protégez les enfants : ne leur faites pas respirer votre fumée », « Fumer peut nuire aux spermatozoïdes et réduit la fertilité », etc.
Sa communication et ses ruses pour accoutumer ses victimes se sont sophistiquées au cours du temps. La cigarette, car c’est bien d’elle dont il s’agit, a encore d’heureux jours devant elle pour perpétrer ses crimes.

    Quelle est son origine ? Qui sont ses souteneurs et ses complices ? Quelle est sa véritable nature et les ruses qu’elle déploie pour aliéner ses victimes ? Qui sont ses proies et quel est l’état des lieux de ses crimes ? Existe-t-il une ou des parades face à ses méfaits ?Voilà beaucoup d’interrogations auxquelles il faut répondre.

Ses origines

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Feuilles de tabac

   La cigarette doit son existence à sa matière première, le tabac (Nicotiana tabaccum) qui pousse dans les pays chauds. Il appartient à la famille des pommes de terre et du poivre. Sa culture aurait débuté il y a 8 000 ans sur le continent sud-américain, supposément sur l’île de Tobago dans les Caraïbes. Actuellement, la Chine arrive en tête du peloton pour la production du tabac, suivie des Etats-Unis, puis l’Inde, le Brésil, la Turquie, le Zimbabwe et le Malawi.

   Les Amérindiens utilisent le tabac depuis plus de 2 000 ans pour ses vertus médicinales —  analgésiques notamment, contre les rages de dents dans sa forme mâchée. C’est Christophe Colomb, en 1494, qui ramène ses feuilles séchées comme présent pour ses supérieurs. Les marins espagnols introduisent la plante en Europe : elle est considérée comme un traitement des maladies majeures. Jean Nicot, ambassadeur de Catherine de Médicis, la fait découvrir à la France. Au 17ème siècle, le tabac est aussi estimé que l’or. C’est en 1700 que la première compagnie du tabac, et la plus ancienne actuellement, est créée. Vers le milieu du 19ème siècle, la France importe la cigarette.

Ses souteneurs et complices

   Pour se reproduire en vue d’accomplir sa morbide et létale mission, la cigarette bénéficie de sérieux appuis financiers et industriels. Voici les cinq plus importants fabricants de cigarettes : CNTC (Chine), Altria (Etats-Unis), British American Tobacco (Grande-Bretagne), Japan Tobacco (associé à Gallaher) et Imperial Tobbacco (associé à Altadis). La France se situe en quatrième position parmi les producteurs européens.

   La cigarette a pignon sur rue grâce également à la publicité insidieuse que lui consacrent l’industrie cinématographique et musicale, la presse écrite, les évènements culturels et sportifs, l’art et la littérature. Les messages promus via l’acte de fumer sont le plaisir, la détente, la convivialité, la virilité et la capacité d’endurance pour la gent masculine, la rébellion contre toute forme d’autorité et le rituel obligé pour l’adolescent (-e) qui veut devenir adulte, l’émancipation pour la femme, l’élégance pour la plupart des consommateurs.

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La réalité est moins séduisante…

   Mais la cigarette ne serait rien sans l’intervention et le soutien de l’Etat. Cyniquement, celui-ci classe le tabac parmi les drogues… « légales », au même titre que l’alcool : il autorise sa production, son commerce et sa consommation tout en menant en parallèle des campagnes de santé publique. Souvent principal actionnaire des compagnies du tabac, l’Etat est considéré à juste titre comme le plus gros souteneur de la cigarette, taxée à hauteur de 70% sur les bénéfices qu’elle réalise. La « belle » s’offre dès lors à tout venant sans qu’aucun justificatif d’âge ne soit demandé à ce dernier. Aux Etats-Unis, le système est encore plus pervers : de fortes amendes sont distribuées aux fumeurs publics.

Sous son corset

   La nicotine, découverte et isolée en 1826, est le composant principal de la cigarette. C’est elle qui provoque l’accoutumance, la dépendance du consommateur. Lorsque la cigarette se consume, ce sont plus de 4 000 substances chimiques, dont 50 reconnues comme cancérigènes, qui sont inhalées.

Ses ruses

   Pour se rendre attractive et attachante, la cigarette ne s’épargne aucun effort, se montrant même fort inventive. Pour preuves, elle se rembourre régulièrement le corset de nouveaux additifs, et cela pour des visées bien précises :

·  Le cacao est augmenté : le broncho-dilatateur (théobromine) contenu permet à la fumée de mieux pénétrer les poumons.
· L’ammoniac : augmente la proportion de nicotine libre et accélère l’absorption, la dépendance à la cigarette s’accroit.
· Du miel et du sucre pour adoucir la fumée à inhaler et renforcer l’accoutumance.
· Des détergents pour blanchir les cendres… pas les dents !
· Le propylène et la glycérine, agents humectants, qui visent à retarder le mécanisme de la toux et permettre ainsi de respirer plus de fumée, mais aussi à faciliter la première bouffée aux plus jeunes fumeurs.
· Le menthol pour retarder l’élimination de la nicotine et rendre le sevrage plus long.
· Les amines (dans les cigarettes dites « légères ») pour augmenter la quantité de nicotine disponible afin d’être directement exploitée par le système nerveux.
· Divers additifs pour rendre la fumée moins pénible à l’entourage du consommateur, et par là, minimiser la pression des non-fumeurs sur les fumeurs.

   Tous ces produits ont donc pour objectif de rendre la cigarette plus addictive que jamais et remplir les caisses de ses souteneurs.

Ses proies

    Nul n’est à l’abri des griffes de la cigarette. Longtemps la proportion des fumeurs était supérieure à celle des fumeuses, mais cet écart se réduit très rapidement. La dépendance à la nicotine ne suffit pas à expliquer le comportement tabagique. Les motivations masculines se distinguent bien des féminines : l’homme fume pour rechercher des expériences ou se désinhiber ; la femme répond davantage à l’incitation de son entourage.

   De plus en plus de préadolescents et adolescents de 11 à 15 ans fument : les garçons commencent plus tôt que les filles, mais cela tend à être moins vrai. La cigarette dans les films est souvent le facteur déclenchant de l’initiation à la cigarette de 38% de ces jeunes ayant vu des scènes où des acteurs fument. Plus le consommateur de cigarette débute jeune, plus il aura tendance à fumer à vie.

   Les dangers de la cigarette ne guettent pas uniquement ses consommateurs, mais également ceux qui inhalent involontairement leur fumée : c’est le tabagisme passif, très nocif puisque le second courant de cigarette est plus toxique que la fumée inhalée directement par les fumeurs. En France, on estime que quelques milliers de non-fumeurs meurent chaque année prématurément de maladies provoquées par le tabagisme passif.

   Les lois anti-tabac des pays développés se sont durcies. Le nombre des fumeurs a baissé. La cigarette lorgne désormais les femmes et les enfants des pays les plus pauvres. Les interdits culturels ont longtemps maintenu bas le taux du tabagisme féminin. Mais la publicité, très agressive, véhicule l’idée que pour être modernes et émancipées les femmes doivent flirter avec la cigarette.

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Ses crimes

   La cigarette commet un crime contre l’humanité du point de vue sanitaire. Dès 1950, des données scientifiques indiscutables accusent le tabac d’être la cause de nombreuses maladies et de dysfonctionnements psychologiques et physiques :
·Globalement, les fumeurs sont plus anxieux ou dépressifs, mais également plus extravertis (une certaine excitation) et plus enclins à rechercher les sensations fortes que les non-fumeurs.
· Il existe une forte dépendance.
· Une perte d’appétit partielle est à noter.
· La perte du souffle est caractérisée.
· Les maladies respiratoires sont une réalité : le cancer du poumon touche aussi bien les femmes que les hommes. Le nombre des femmes atteintes est multiplié par quatre entre 1980 et 2005 : la femme est davantage sensible aux carcinogènes du tabac que l’homme. En 1980, la mortalité féminine due au cancer du poumon dépasse celle du cancer du sein.

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    Le tabac provoque des effets négatifs graves sur le cœur (risque cardiaque accru), des vaisseaux sanguins (athérosclérose : formation de plaques au niveau des artères ; métastases cérébrales d’un cancer bronchique), du cerveau (l’augmentation de la pression artérielle provoquant des accidents vasculaires cérébraux), et des cellules (30% des cancers, tous organes confondus, sont imputés au tabac.)
· Il est plus difficile pour les fumeuses de tomber enceinte, et leurs enfants sont souvent hyperkinétiques et plus sujets à des malformations et maladies.
· Le fumeur se heurte au problème érectile et à l’altération de la qualité du sperme. La fertilité féminine et masculine est remise en cause. Fumer peut provoquer des avortements spontanés.
· Le tabac à une action néfaste sur la sphère ORL : parce que soumises à des températures très élevées, les lèvres et la langue souffrent de brûlures chroniques ; les papilles gustatives sont détruites ; l’odorat et le goût sont altérés ; idem pour les cordes vocales (la voix est rauque et désagréable) ; la bouche, la gorge et le larynx présentent des lésions précancéreuses ; le système de défense contre les infections microbiennes laisse à désirer ; une toux d’irritation chronique s’installe. Fumer nuit à l’audition dans les sons aigus. En cas de consommation de plus d’un paquet et demi par jour de cigarettes, le risque d’une hypoacousie (baisse auditive) est multiplié par deux.

·Sur le plan visuel, fumer peut provoquer la cataracte.
· Au niveau du système digestif, l’œsophage est l’organe le plus visé par le cancer. L’ulcère gastrique est plus fréquent et plus tenace chez les fumeurs. Le risque de cancer colorectal est accru.
· Le risque de tumeur cancérigène de la vessie et du petit bassin est de cinq ou six fois supérieur à celui du non-fumeur.
· La cigarette accélère le vieillissement cutané, surtout chez la femme.
· Le tabac peut être à l’origine des cancers de l’estomac, du foie, du col de l’utérus, du rein, des sinus et du sang (leucémie myéloïde chronique).

   Les méfaits du tabac se répercutent également sur le développement durable, sur le commerce, les politiques sociales, la fiscalité, l’exercice du pouvoir, les relations au travail, les rapports hommes-femmes, le social et le familial. La culture du tabac épuise le sol plus rapidement que toute autre culture. Elle nécessite une abondante utilisation d’engrais et de pesticides. 200 000 hectares de forêts sont sacrifiés annuellement pour l’agriculture tabatière. Dans les pays en développement, la culture et le traitement du tabac comportent de sérieux risques professionnels pour les femmes et les enfants en particulier.En 2004, le coût des maladies liées au tabac s’élèvent entre 98 et 130 milliards d’euros par an en Europe.

La résistance

   Depuis les années 80, les pouvoirs publics ont tiré la sonnette d’alarme : fumer devient « politiquement incorrect ». Les personnalités en vue ne s’affichent plus avec la cigarette en public. Le nombre des lieux interdits aux fumeurs augmente au grand dam de ces derniers. Aux Etats-Unis, dans les années 90, la loi interdit de fumer sur le lieu de travail et oblige l’employeur à aménager des espaces réservés aux fumeurs. En France, la loi anti-tabac entre en vigueur le 1er février 2007 : elle s’applique aux entreprises, aux administrations, aux établissements scolaires (y compris les endroits ouverts ; les lieux d’accueil, de formation et d’hébergement des mineurs), aux établissements de santé, aux galeries marchandes, aux gares, aux aéroports, à l’ensemble des transports collectifs ; le 1er janvier 2008, cette application s’étend aux lieux dits de « convivialité » (cafés, hôtels, restaurants, discothèques, casinos, salles de sport ou de spectacles, etc.). Une pénalité financière est prévue en cas de violation de cette loi.

   Pour diminuer la consommation de la cigarette, l’augmentation de son prix est décrétée, de même que l’interdiction de sa vente aux mineurs. Les mentions « light » (« légère »), etc. ont été prohibées : le fumeur tire plus sur la cigarette pour avoir sa dose de nicotine, ce qui est beaucoup plus toxique ; les teneurs en goudrons et en nicotine annoncées sur le paquet ne correspondent pas à celles inhalées par le fumeur (10 à 15 fois supérieures selon la manière dont le consommateur fume) ; les additifs font varier les proportions de nicotine libre pour que le pouvoir addictif de la cigarette « légère » reste semblable à celui de la « forte ».

   Le Canada est le chef de fil dans la lutte contre le tabagisme : c’est lui qui a inséré les messages relatifs à la santé sur les paquets de cigarettes. Ce précédent s’est répercuté partout dans le monde et confère au Canada une place de choix dans l’élaboration d’une stratégie internationale constructive de lutte contre le tabagisme. Il préconise, outre l’augmentation du prix de la cigarette, l’interdiction de la publicité sur le tabac, la prohibition de la commandite d’évènements spéciaux, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, l’accès accru des fumeurs aux moyens sûrs pour cesser de fumer, une contre-publicité efficace et la participation des organisations non gouvernementales au programme de lutte contre le tabac.

Conclusion

   S’il n’est plus permis de douter de la dangerosité du tabac, de la cigarette, la  guerre contre le tabagisme est loin d’être gagnée. Une projection fait état de l’augmentation annuelle de la production mondiale du tabac et des victimes du tabagisme. En 2010, le tabac tuera six millions de personnes par an, dont 71% dans les pays en développement. En 2025, les victimes seront au nombre de dix millions. Il est à parier que les enfants des pays du Sud commenceront à fumer de plus en plus jeunes : actuellement, bravant les interdictions religieuses, le tabac est déjà devenu un élément culturel dans certains pays.

   Faut-il rappeler que la cigarette inoffensive est celle que l’on ne fume pas ?

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