(13) Chou’ayb

Vie des prophètes

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   Le prophète Chou‘ayb  fut missionné par Allâh  auprès du peuple de Madyane, en Jordanie, à proximité du lac de Lôt . Cette tribu tire son origine de Madyane fils de Madyane fils d’Ishâq  fils d’Ibrâhîm . Selon certains savants,

Chou‘ayb Ibnou Yaʻchine Ibnou Laʻwâ Ibnou Ya‘qoûb  serait l’arrière petit-fils du prophète Ya‘qoûb  ; pour d’autres, il ne descendrait pas directement de ce prophète. Ibnou ‘Assâkir dit que la grand-mère de Chou‘ayb  n’était autre qu’une des filles de Lôt, et une version énonce qu’il a été le gendre de Lôt  par ses épousailles avec une des deux filles de celui-ci. D’autres savants déclarent qu’il a vécu au temps d’Ibrâhîm  et qu’il aurait participé à la tentative d’immolation de ce dernier. Ce serait à ce moment-là qu’il aurait embrassé la religion d’Ibrâhîm , en même temps que Lôt . Chou‘ayb  était un prophète arabe comme l’avait affirmé le Prophète Mouhammad  lorsqu’il s’adressait à Aboû Dhar Al-Ghifâri  : « Parmi les prophètes, quatre sont Arabes : Hoûd, Çâlih, Chou‘ayb et ton Prophète, ô Aboû Dhar ! » [Rapporté par Ibnou Hibbân.]

   Ibnou Ishâq  rapporte de Jouwaybir, et Mouqâtil d’Ad-Dahâk, cette parole  d’Ibnou ‘Abbâs  : « Chaque fois que le Messager d’Allâh  mentionnait le nom de Chou‘ayb, il disait de lui qu’il était l’orateur des prophètes. »

   Allâh  expose la nature des relations qu’entretenait Chou‘ayb avec son peuple dans sourate 7 Al-Aʻrâf (Les Murailles), verset 85 à 93 : « Et aux Madyane, leur frère Chou‘ayb : “Ô mon peuple, dit-il, adorez Allâh. Pour vous, pas d’autre divinité que Lui. Une preuve vous est venue de votre Seigneur. Donnez donc la pleine mesure et le poids et ne donnez pas aux gens moins que ce qui leur est dû. Et ne commettez pas de la corruption sur la terre après sa réforme. Ce sera mieux pour vous si vous êtes croyants. (85) Et ne vous placez pas sur tout chemin, menaçant, empêchant du sentier d’Allâh celui qui croit en Lui et cherchant à rendre ce sentier tortueux. Rappelez-vous quand vous étiez peu nombreux et qu’Il vous a multipliés en grand nombre. Et regardez ce qui est advenu aux fauteurs de désordre. (86) Si une partie d’entre vous a cru au message avec lequel j’ai été envoyé, et qu’une partie n’a pas cru, patientez donc jusqu’à ce qu’Allâh juge parmi nous car Il est le Meilleur des juges.” (87) Les notables de son peuple qui s’enflaient d’orgueil, dirent : “Nous t’expulserons certes de notre cité, ô Chou‘ayb, toi et ceux qui ont cru avec toi. Ou que vous reveniez à notre religion.” – Il dit : “Est-ce même quand cela nous répugne ? (88) Certes, nous aurions forgé un mensonge contre Allâh si nous revenions à votre religion après qu’Allâh nous en a sauvés. Il ne nous appartient pas d’y retourner à moins qu’Allâh notre Seigneur ne le veuille. Notre Seigneur embrasse toute chose de Sa science. C’est en Allâh que nous plaçons notre confiance. Ô notre Seigneur, tranche par la vérité, entre nous et notre peuple car Tu es le meilleur des juges.” (89) Et les notables de son peuple qui ne croyaient pas, dirent : “Si vous suivez Chou‘ayb, vous serez assurément perdants.” (90) Alors le tremblement (de terre) les saisit ; et les voilà étendus, gisant dans leurs demeures. (91) Ceux qui traitaient Chou‘ayb de menteur (disparurent) comme s’ils n’y avaient jamais vécu. Ceux qui traitaient Chou‘ayb de menteur furent eux les perdants. (92) Il se détourna d’eux et dit : “Ô mon peuple, je vous ai bien communiqué les messages de mon Seigneur et donné des conseils. Comment donc m’attristerais-je sur des gens mécréants ?” (93) »

وَإِلَىٰ مَدۡيَنَ أَخَاهُمۡ شُعَيۡبً۬ا‌ۗ قَالَ يَـٰقَوۡمِ ٱعۡبُدُواْ ٱللَّهَ مَا لَڪُم مِّنۡ إِلَـٰهٍ غَيۡرُهُ ۥ‌ۖ قَدۡ جَآءَتۡڪُم بَيِّنَةٌ۬ مِّن رَّبِّڪُمۡ‌ۖ فَأَوۡفُواْ ٱلۡڪَيۡلَ وَٱلۡمِيزَانَ وَلَا تَبۡخَسُواْ ٱلنَّاسَ أَشۡيَآءَهُمۡ وَلَا تُفۡسِدُواْ فِى ٱلۡأَرۡضِ بَعۡدَ إِصۡلَـٰحِهَا‌ۚ ذَٲلِڪُمۡ خَيۡرٌ۬ لَّكُمۡ إِن ڪُنتُم مُّؤۡمِنِينَ (٨٥) وَلَا تَقۡعُدُواْ بِڪُلِّ صِرَٲطٍ۬ تُوعِدُونَ وَتَصُدُّونَ عَن سَبِيلِ ٱللَّهِ مَنۡ ءَامَنَ بِهِۦ وَتَبۡغُونَهَا عِوَجً۬ا‌ۚ وَٱذۡڪُرُوٓاْ إِذۡ ڪُنتُمۡ قَلِيلاً۬ فَكَثَّرَڪُمۡ‌ۖ وَٱنظُرُواْ كَيۡفَ كَانَ عَـٰقِبَةُ ٱلۡمُفۡسِدِينَ (٨٦) وَإِن كَانَ طَآٮِٕفَةٌ۬ مِّنڪُمۡ ءَامَنُواْ بِٱلَّذِىٓ أُرۡسِلۡتُ بِهِۦ وَطَآٮِٕفَةٌ۬ لَّمۡ يُؤۡمِنُواْ فَٱصۡبِرُواْ حَتَّىٰ يَحۡكُمَ ٱللَّهُ بَيۡنَنَا‌ۚ وَهُوَ خَيۡرُ ٱلۡحَـٰكِمِينَ (٨٧) ۞ قَالَ ٱلۡمَلَأُ ٱلَّذِينَ ٱسۡتَكۡبَرُواْ مِن قَوۡمِهِۦ لَنُخۡرِجَنَّكَ يَـٰشُعَيۡبُ وَٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ مَعَكَ مِن قَرۡيَتِنَآ أَوۡ لَتَعُودُنَّ فِى مِلَّتِنَا‌ۚ قَالَ أَوَلَوۡ كُنَّا كَـٰرِهِينَ (٨٨) قَدِ ٱفۡتَرَيۡنَا عَلَى ٱللَّهِ كَذِبًا إِنۡ عُدۡنَا فِى مِلَّتِڪُم بَعۡدَ إِذۡ نَجَّٮٰنَا ٱللَّهُ مِنۡہَا‌ۚ وَمَا يَكُونُ لَنَآ أَن نَّعُودَ فِيہَآ إِلَّآ أَن يَشَآءَ ٱللَّهُ رَبُّنَا‌ۚ وَسِعَ رَبُّنَا كُلَّ شَىۡءٍ عِلۡمًا‌ۚ عَلَى ٱللَّهِ تَوَكَّلۡنَا‌ۚ رَبَّنَا ٱفۡتَحۡ بَيۡنَنَا وَبَيۡنَ قَوۡمِنَا بِٱلۡحَقِّ وَأَنتَ خَيۡرُ ٱلۡفَـٰتِحِينَ (٨٩) وَقَالَ ٱلۡمَلَأُ ٱلَّذِينَ كَفَرُواْ مِن قَوۡمِهِۦ لَٮِٕنِ ٱتَّبَعۡتُمۡ شُعَيۡبًا إِنَّكُمۡ إِذً۬ا لَّخَـٰسِرُونَ (٩٠) فَأَخَذَتۡہُمُ ٱلرَّجۡفَةُ فَأَصۡبَحُواْ فِى دَارِهِمۡ جَـٰثِمِينَ (٩١) ٱلَّذِينَ كَذَّبُواْ شُعَيۡبً۬ا كَأَن لَّمۡ يَغۡنَوۡاْ فِيهَا‌ۚ ٱلَّذِينَ كَذَّبُواْ شُعَيۡبً۬ا كَانُواْ هُمُ ٱلۡخَـٰسِرِينَ (٩٢) فَتَوَلَّىٰ عَنۡهُمۡ وَقَالَ يَـٰقَوۡمِ لَقَدۡ أَبۡلَغۡتُڪُمۡ رِسَـٰلَـٰتِ رَبِّى وَنَصَحۡتُ لَكُمۡ‌ۖ فَكَيۡفَ ءَاسَىٰ عَلَىٰ قَوۡمٍ۬ كَـٰفِرِينَ (٩٣)

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   À chaque fois que Dieu parle des prophètes, il emploie de façon récurrente le vocable « frère », et ceci est capital : Dieu met en évidence que ces nobles personnages ont tous grandi au milieu de leurs peuples, et que ces derniers refusaient justement leur message non pas parce que les prophètes étaient des imposteurs – ils connaissaient leur droiture –, mais par jalousie puisque Dieu avait élu un des leurs. Beaucoup croyaient ou s’attendaient aussi à ce qu’un prophète eût été un ange. Dieu confirme Son choix dans certains versets : « Nous n’avons envoyé, avant toi, que des hommes auxquels Nous avons fait des révélations. Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas. », s.16 An-Nahl (Les Abeilles), v.43 ; « Et Nous n’en [les prophètes] n’avons pas fait des corps qui ne consommaient pas de nourriture. Et ils n’étaient pas éternels. », s.21 Al-Anbiyâ’ (Les Prophètes), v.8.

   Les prophètes étaient donc des hommes choisis parmi le commun des mortels, pour que leurs semblables ne pussent prétendre qu’ils n’avaient pu suivre leur exemple du fait de leur origine angélique, donc trop éloignée de leur humanité. Tout serviteur de Dieu est donc capable de leur ressembler. Dieu confirme que ce message fut celui de tous les prophètes et messagers qu’Il a envoyés : « Et Nous n’avons envoyé avant toi aucun Messager à qui Nous n’avons révélé : “Point de divinité en dehors de Moi. Adorez-Moi donc !” », s.21 Al-Anbiyâ’ (Les Prophètes), v.25.

   Ce verset est une réponse pour ceux qui prétendent que l’on peut croire en Dieu sans L’adorer et pratiquer l’Islam ; ceux qui disent que la foi est dans le cœur, qu’Allâh  n’a pas besoin de l’adoration de Ses serviteurs, qu’Il est Celui qui pardonne et que l’on ira tous au paradis. Cette allégation est fausse, le croyant ne parachève sa foi que par la foi en Dieu et la pratique des préceptes religieux agréés par Lui.

   Toujours dans le verset 85, Allâh rapporte les enseignements prodigués par Chou‘ayb  à son peuple : « … Donnez donc la pleine mesure et le poids et ne donnez pas aux gens moins que ce qui leur est dû. Et ne commettez pas de la corruption sur la terre après sa réforme. Ce sera mieux pour vous si vous êtes croyants. »

   Les concitoyens de Chou‘ayb  étaient de grands commerçants. Mais à chaque fois qu’ils mesuraient et pesaient la marchandise, ils trichaient. C’était leur caractéristique, ils étaient des fauteurs de troubles sur terre.

   La tromperie dans la pesée ne rapporte pas beaucoup, et le peu de bénéfice illicite issu de cet acte entraîne une perte importante du gain licite. À ce propos, Allâh  dit : « Dis: ʺ Le mauvais et le bon ne sont pas semblables, même si le mauvais te séduit par son abondance […]ʺ », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.100.

   Pour le croyant, une petite part licite prévaut sur d’incalculables richesses illicites : c’est la qualité qui compte et non la quantité. Nombreux sont les nantis qui thésaurisent leur argent et vivent comme des pauvres, alors que des gens plus modestes profitent pleinement de leurs biens et vivent une quiétude manifeste.

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   Les savants distinguent « al-kasb : الكَسْب » (l’acquisition) du « rizq : الرِّزْق » (la subsistance). Le premier terme concerne tout ce que l’on peut gagner (revenu licite ou illicite). Le second représente ce qui est consommé de ce qui a été acquis : ce qui sera utilisé pour se vêtir, se nourrir, etc. Comparativement et relativement à l’emploi du kasb, une personne modeste mais généreuse et indulgente profite certainement mieux de ses possessions qu’un riche avare et cupide. Le Messager d’Allâh  dit à ce propos : « Le fils d’Adam dit : “Mes biens ! Mes biens !” Or que possèdes-tu d’autre, ô fils d’Adam, comme bien si ce n’est ce que tu as mangé et que tu as ainsi épuisé ; ou ce que tu as porté comme vêtements et que tu as ainsi usés ; ou ce que tu as donné en aumône et que tu as fait parvenir aux ayants-droit. » [Rapporté par Mouslim.]

   Le système économique mondial actuel, dominé par le modèle occidental, est basé sur l’intérêt usuraire, ce qui provoque de profonds déséquilibres sociaux : seuls les nantis peuvent bénéficier des prêts et crédits bancaires, ce qui contribue à leur enrichissement perpétuel.

   La religion musulmane ne se limite pas aux domaines spirituel et de l’éthique, elle prend en considération les aspects économiques, sociaux, commerciaux, etc. Elle offre des solutions réalistes et pragmatiques aux problèmes des sociétés humaines.

   Un jour au marché, le Prophète Mouhammad  s’était approché d’un homme qui vendait des dattes. Il glissa sa main dans le tas de fruits présentés à la vente et sentit de l’humidité : les dattes n’étaient pas de la qualité présentée extérieurement par le vendeur. Le Messager demanda à ce dernier : « Qu’est ce que c’est que cela, ô vendeur de cette nourriture ! ». Le vendeur répondit : « C’est la pluie qui les a touchées ».  Ceci fit dire au Messager de Dieu : « Tu aurais dû mettre [les dattes mouillées] au dessus pour que les gens les voient, celui qui triche n’est pas des nôtres. » [Rapporté par Mouslim.]

   Cette vérité concerne aussi bien la tromperie envers un musulman qu’un non musulman : le croyant doit observer son éthique quels que soit le lieu ou les personnes qu’il côtoie. Le Prophète  annonçait : « Le commerçant véridique sera au même degré que les prophètes, les véridiques et les martyrs. » [Rapporté par At-Tirmidhî.]

   Le commerce est un moyen de gagner rapidement de l’argent, ce qui rend l’équité et la véridicité difficiles à respecter. C’est pourquoi, quand Allâh  veut critiquer ceux qui sont détournés de la vie spirituelle par la vie mondaine, Il parle du commerce : « Quand ils entrevoient quelque commerce ou quelque divertissement, ils s’y dispersent et te laissent debout. Dis : “Ce qui est auprès d’Allâh est bien meilleur que le divertissement et le commerce, et Allâh est Le Meilleur des pourvoyeurs.” », s.62 Al-Joumou‘a (Le Vendredi), v.11.

   Dans le Coran, Dieu rapporte les paroles qu’adressait Chou‘ayb à son peuple : « Ce qui demeure auprès d’Allâh est meilleur pour vous, et je ne suis pas un gardien pour vous. », s.11 Hoûd, v.86. Chou‘ayb garantit à ses concitoyens qu’Allâh  fera fructifier les gains issus de leurs transactions s’ils ne trichent pas en commerçant.

   Dieu ne manque pas de préciser à chaque fois à Ses prophètes qu’en les envoyant Il ne les a pas chargés de surveiller les faits et gestes de leurs semblables. Les messagers n’ont pour mission que de conseiller les humains et illuminer les jalons qu’ils doivent suivre ; les choix d’actions procèdent de leur libre arbitre et de leur responsabilité. Les prophètes n’ont aucun pouvoir de contraindre quiconque.

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   Chaque législation religieuse donnée à un prophète ne se contentait pas de prôner la foi et l’adoration, elle visait également la réforme du comportement de ses contemporains et la résolution des problèmes sociaux de sa cité. Allâh  n’omet pas de mentionner les détails de la vie quotidienne de Ses serviteurs. Le verset 86 dévoile d’autres caractéristiques de ce peuple : « Et ne vous placez pas sur tout chemin, menaçant, empêchant du sentier d’Allâh celui qui croit en Lui et cherchant à rendre ce sentier tortueux. Rappelez-vous quand vous étiez peu nombreux et qu’Il vous a multipliés en grand nombre. Et regardez ce qui est advenu aux fauteurs de désordre. »

   L’autre tare spécifique aux habitants de Madyane est la cupidité. Celle-ci les motivait à barrer la route aux caravaniers pour leur extorquer des biens sous prétexte de payer un droit de passage. Aussi, menaçaient-ils plus particulièrement ceux qui désiraient embrasser la religion de Chou‘ayb .

   Aux exhortations de Chou‘ayb , son peuple rétorquait : « Nous t’expulserons certes de notre cité, ô Chou‘ayb, toi et ceux qui ont cru avec toi, ou que vous reveniez à notre religion. », s.7 Al-A‘râf (Les Murailles), v.88.

   De telles paroles pouvaient être tenues à une époque où les droits de l’Homme n’existaient pas. Mais cette menace a plané et planera toujours lorsque des croyants rappelleront l’au-delà à leurs semblables noyés dans la vie matérielle. Pour répondre aux notables qui incitaient les fidèles à revenir à leur égarement et à leurs mœurs, Chou‘ayb  affirmait qu’il lui était impossible d’accepter une façon de vivre qui le répugne ; il ne contraint personne, et personne ne doit l’obliger à ce qui lui déplaît : « […] “Est-ce même que cela nous répugne ? Certes, nous aurions forgé un mensonge contre Allâh, si nous revenions à votre religion après qu’Allâh nous en a sauvés. Il ne nous appartient pas d’y retourner, à moins qu’Allâh notre Seigneur ne le veuille. Allâh embrasse toute chose de Sa science. C’est en Allâh que nous plaçons notre confiance. […] », s.7 Al-A‘râf (Les Murailles), v.88-89.

   Dans d’autres versets, Allâh  donne encore plus de détails sur les répliques du peuple de Madyane contre Chou‘ayb  : « Ils dirent : ʺÔ Chou‘ayb ! Est-ce que ta prière te demande de nous faire abandonner ce qu’adoraient nos ancêtres, ou de ne plus faire de nos biens ce que nous voulons ? Est-ce toi l’indulgent, le droit ?ʺ », s.11 Hoûd, v.87.

   Il y a une moquerie certaine dans cette phrase, puisque ce peuple entend bien disposer de son argent comme bon lui semble.

   « Est-ce toi l’indulgent, le droit ? » est, selon Ibnou ‘Abbâs , bel et bien une parole sarcastique : les notables ne vantaient point les qualités de Chou‘ayb . Pour toute réponse – et c’est sur elle que doit se calquer l’attitude des croyants et des croyantes face aux vexations les plus odieuses – Chou‘ayb  déclarait : « […] Ô mon peuple ! Voyez-vous, si je me base sur une preuve évidente émanant de mon Seigneur, et s’Il m’attribue de Sa part une excellente donation, vous ne pouvez prétendre détenir la vérité. Je ne veux nullement faire ce que je vous interdis. […] », s.11 Hoûd, v.88.

   Chou‘ayb  invitait ses concitoyens à émettre au moins un petit doute quant à une possible maladresse de leur position ou à une éventuelle justesse de sa part. L’imâm Ach-Châfiʻî abondait dans ce sens en affirmant : « L’opinion de mon adversaire est fausse et suppose la justesse ; et mon opinion est juste et suppose l’erreur. »

   En outre, la réponse de Chou‘ayb  renseigne sur une éthique de comportement : les musulmans qui commandent le bien et prohibent le mal doivent avoir une attitude irréprochable pour être cohérents avec eux-mêmes, et ne pas exiger d’autrui ce qu’ils n’appliquent pas eux-mêmes. Le Prophète Mouhammad  mettait en garde sa communauté : « Le jour de la Résurrection, on fera venir un homme et on le jettera au Feu. Ses entrailles sortiront par son ventre et il tournera autour d’elles comme l’âne tourne autour d’une meule. Les habitants de l’Enfer se rassembleront et diront : ʺO untel ! Qu’as tu donc ? N’ordonnais-tu pas le convenable et ne réprouvais-tu pas le blâmable ?ʺ L’homme répondra : ʺEn effet, j’ordonnais le convenable mais, moi-même, je ne l’accomplissais pas, et je reprouvais le blâmable alors que, moi-même, je le commettais.ʺ » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.]

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   Tel sera le châtiment bien réel de ceux qui se comportent de la sorte. Le Prophète  avait annoncé qu’un des signes de la fin des temps est l’existence de prédicateurs éloquents et écoutés, mais étant égarés, ils fourvoieront les gens. À chaque fois qu’ils seront interrogés, ils répondront aux questions sous prétexte qu’ils savent tout. Or, certains Compagnons du Prophète  répugnaient à répondre aux interrogations des gens et les renvoyaient vers d’autres Compagnons qu’ils affirmaient être plus compétents qu’eux. En effet, c’est une lourde responsabilité devant Dieu que de répondre à une question juridique quand les compétences font défaut.

   Chou‘ayb  préconisait à son peuple de réformer ses mœurs sans reproduire l’histoire des peuples passés : « Ô mon peuple ! Que votre répugnance et votre hostilité à mon égard ne vous entraînent pas à encourir le même châtiment que le peuple de Noûh, de Hoûd et de Lôt. L’exemple du peuple de Lôt n’est pas si éloigné de vous. », s.11 Hoûd, v. 89.

   Il ajoute : « Et implorez le pardon de votre Seigneur et repentez-vous à Lui ! Mon Seigneur est vraiment Miséricordieux et plein d’amour. », s.11 Hoûd, v.90.

   Pour contrer l’animosité des siens, Chou‘ayb  a conservé son calme, sa sérénité, et a continué à prodiguer de bons conseils ; il s’est positionné en tant que prédicateur et non en juge. Sourd à ses appels, son peuple lui lançait : « […] Ô Chou‘ayb ! Nous ne comprenons pas grand- chose à ce que tu dis. Et vraiment, nous te considérons comme un faible parmi nous. Et si ce n’était ton clan, nous t’aurions certainement lapidé ! Et rien ne nous empêche de t’atteindre. », s.11 Hoûd, v.91.

   Le Prophète Mouhammad  avait rencontré la même adversité, et était soutenu par son oncle Aboû Tâlib ; sans lui, assurément il aurait été lapidé. Exception faite de Lôt , tous les prophètes ont trouvé soutien auprès d’une partie de leur clan.

   Chou‘ayb  rétorquait à cela : « Ô mon peuple ! Mon clan est-il à vos yeux plus puissant qu’Allâh à qui vous tournez ouvertement le dos ? Mon Seigneur cerne de Son savoir toutes vos œuvres. Ô mon peuple ! Agissez comme bon il vous semble, moi aussi j’agis ! Bientôt vous saurez sur qui tombera un châtiment qui le déshonorera, et qui de nous est l’imposteur. Puis attendez la conséquence de vos actes, moi aussi j’attends avec vous. », s.11 Hoûd, v.92-93.

   Les contemporains de Chou‘ayb  le défièrent d’apporter la punition du ciel : « Ils dirent : ʺTu es certes du nombre des ensorcelés, tu n’es qu’un homme comme nous. Et vraiment nous pensons que tu es du nombre des menteurs. Fais donc tomber des morceaux du ciel sur nous, si tu es du nombre des véridiques ! ʺ », s.26 Ach-Chou‘arâ’ (Les Poètes), v.185-187.

   Allâh  envoya alors Son châtiment, comme Il avait déjà puni d’autres cités. Ce ne fut point une banale catastrophe naturelle : une inondation, une pluie torrentielle aurait permis aux gens de fuir ; or, lorsqu’elle était si inattendue et rapide, cela dépasse les lois de la nature. Allâh dit à ce propos : « Alors le tremblement de terre les saisit, et les voilà étendus, gisant dans leur demeure. »

   Allâh  avait fait tomber le vent durant sept jours, la température était telle que l’atmosphère en était devenue suffocante. Puis Il commanda à un nuage de se positionner en dehors de la cité, attirant vers lui les citadins qui désiraient profiter de sa fraîcheur. Or, ce nuage renfermait le piège et le châtiment de Dieu : « […] Alors le châtiment du jour de l’ombre les saisit ; ce fut le châtiment d’un jour terrible. », s.26 Ach-Chou‘arâ’ (Les Poètes), v.189.

   Les savants affirment qu’en plus d’un tremblement de terre, des flammes sont descendues de ce nuage et qu’elles ont immolé le peuple de Chou‘ayb . Ce dernier et les croyants qui l’avaient suivi étaient loin de ce sinistre et furent épargnés : « Il se détourna d’eux et dit : ʺ Ô mon peuple ! Je vous ai bien communiqué le message de mon Seigneur et des conseils, comment alors m’attristerai-je sur un peuple mécréant ?ʺ », s.7 Al-A‘râf (Les Murailles), v.93.

   Le prophète Chou‘ayb  mourut à la Mecque, selon certains doctes ; pour d’autres, ce fut à Madyane même, car elle fut reconstruite par les croyants qui avaient survécu au cataclysme. C’était justement vers cette cité que se dirigea Moûssâ  quand il avait fui l’Egypte…

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