De la magnanimité

Commentaire du Hadith

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   Oubâda Ibnou As-Sâmit rapporte cette parole du Prophète : « Voulez-vous que je vous indique comment Dieu honore les demeures (au paradis) et élève les degrés ? » Les gens présents ont dit : « Oui, ô Envoyé de Dieu ! » Il a dit :

« C’est d’être magnanime avec celui qui t’agresse par stupidité, de pardonner à celui qui a été injuste à ton égard, de donner à celui qui t’a privé, de reprendre les rapports avec celui qui a rompu avec toi. », (mentionné par At-Tabarânî).

Intérêt du hadîth :

   Le temps s’est contracté et les cœurs se sont endurcis. Actuellement, les rapports humains n’ont jamais été aussi violents et distendus. Or, de tout temps, les relations humaines n’ont été facilitées et harmonieuses que lorsqu’elles respectent une certaine éthique, un certain code moral. Le hadîth suscité vient entériner les recommandations coraniques, à savoir que les hommes doivent s’accorder mutuellement le pardon pour les brouilles affectant leurs liens, afin que la paix règne dans la société, et qu’eux-mêmes s’élèvent auprès du Magnanime. Cet appel concerne, certes, l’humanité, mais il résonne plus intensément encore dans le cœur du croyant.

   Mais est-ce toujours facile de briser son ego, de surmonter ses rancoeurs et ses blessures pour offrir le meilleur de soi à ses agresseurs, à ceux desquels on a subi les injustices, et à ceux qui ont coupé les liens avec soi ?

   Ce hadîth émane de Mouhammad , l’Envoyé d’Allâh , homme parmi les hommes, le plus éprouvé d’entre les créatures de Dieu, le plus noble, celui qui ne diffuse une recommandation que s’il se l’applique à lui-même. Afin de puiser l’énergie nécessaire à l’entreprise du pardon, de la magnanimité, il n’est pas superflu d’examiner de près quelques exemples anecdotiques de la vie du Prophète et de ses compagnons pour comprendre comment ces qualités se concrétisent au quotidien.

   Mouhammad et ses compagnons, des exemples de magnanimité :

   Ibnou Hibbân, Al-Hâkim et At-Tabarânî mentionnent qu’avant sa conversion à l’Islam, Zayd Ibnou San’a se présenta à Mouhammad pour éprouver la véracité de la prophétie de l’homme. Usant d’une grossièreté et d’une brutalité déplacées, il réclama avant terme sa créance au Messager, provoquant les réprimandes courroucées de ‘Omar Ibnou Al-Khattâb . Or, l’Envoyé de Dieu demeura impassible à l’agression et dit à son compagnon : « Lui et moi avions plus besoin d’autre chose de ta part, ô ‘Omar ! Que tu me recommandes de bien payer ma dette, et que tu lui recommandes de réclamer convenablement son dû. »

   Et l’Envoyé de Dieu d’ordonner non seulement que l’on remboursât intégralement Ibnou San’a, mais qu’en plus on lui donnât un supplément pour la frayeur que lui avait causée ‘Omar Ibnou Al-Khattâb  !

   Que pensez-vous qu’il se produisit ? Cette attitude de Mouhammad convainquit Ibnou San’a que l’homme est bien un prophète, et il embrassa l’Islam ! Allâh permit ainsi à l’excellent Mouhammad de sauver une âme de la géhenne, rien qu’en manifestant de la grandeur d’âme… point n’est besoin de longs et fastidieux discours et démonstrations !

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   Jamais le Prophète ne s’est vengé des blessures personnelles occasionnées par ses ennemis. Lorsqu’il subit des persécutions de la part de ses ennemis, ses compagnons outrés lui dirent : « Lance des imprécations contre les polythéistes et maudis-les ! »

   Pour toute réponse, le noble Messager rétorqua : « Je n’ai été envoyé que comme miséricorde et non pour maudire.», (rapporté par Mouslim).

   Le Prophète exécrait que les croyants maudissent. Ainsi, il récusa son meilleur ami, Aboû Bakr , dit As-Siddîq (le véridique), pour avoir maudit certains de ses esclaves : « Il ne sied pas au véridique d’être en même temps quelqu’un qui maudit. », (mentionné par Mouslim) ; et dans la version d’Al-Hâkim : « Il est impossible que vous soyez à la fois des gens qui maudissent et des véridiques ! » Aboû Bakr affranchit ses esclaves et dit au Prophète : « Je ne reviendrai jamais à cela ».

   Par ailleurs, Mouhammad informait : « Quand le serviteur maudit une chose, sa malédiction monte au ciel, mais les portes du ciel se referment devant elle. Ensuite, elle descend vers la Terre, mais les portes se referment devant elle. Alors, elle se met à tourner à droite et à gauche. Si elle ne trouve pas d’issue, elle revient vers celui qui l’a proférée. », (rapporté par Aboû Dâoûd).

   La religion se montre toujours plus exigente à l’égard de l’élite des croyants, car la communauté se calque sur elle. Ainsi, Aboû Bakr sera éprouvé une autre fois encore dans sa maîtrise de soi et sa magnanimité, quand un grossier individu était venu l’invectiver violemment en présence du Messager d’Allâh . Aboû Bakr patienta grandement et s’abstint de répliquer. Au lieu de se calmer, l’autre poussait toujours plus loin son outrecuidance : excédé, Aboû Bakr commençait à rétorquer. Le Prophète se leva de sa place et s’éloigna. Aboû Bakr connaissait si bien le caractère de son ami, qu’il abandonna de suite l’altercation. Le Prophète l’informe : « Au moment où cet homme te provoquait, un ange à côté de toi répondait à ta place. Mais dès que tu t’es défendu toi-même, l’ange est parti et Satan a pris sa place. Et je ne pouvais me trouver dans une assise où Satan s’est installé.»

   Le Messager de Dieu enseignait aux croyants : « Deux hommes qui s’insultent assument ce qu’ils profèrent. Et c’est à celui qui commence les invectives qu’incombe la responsabilité, tant que la victime n’a pas répliqué. », (mentionné par Mouslim).

   Le comble de la bonté naturelle était atteint lorsque Mouhammad accorda son pardon au chef des hypocrites, ‘Abdallâh Ibnou Oubay Ibnou Saloûl, celui-ci même qui n’avait de cesse de le combattre par tout moyen pernicieux. Il ne se priva pas de calomnier l’innocente et insouciante Mère des croyants, ‘Aïcha , dans l’affaire du collier. Et qu’y avait-il de pire pour un Arabe, qui plus est s’avère être une femme, sinon de voir son honneur entaché, et par ce biais, tout son clan sali ? Que dire du bouleversement intérieur du Messager d’Allâh  ? : l’épouse est le couronnement de la dignité du musulman ! Touché de plein fouet par la calomnie, Aboû Bakr , le père de la malheureuse et le bienfaiteur d’un autre colporteur de la rumeur, son propre cousin Mistah Ibnou Outhâthah, jura de ne plus prodiguer des revenus à l’infâme et répondre à tous ses besoins. Mais un verset descendit : « Que les gens honorables et fortunés d’entre vous ne jurent point qu’ils ne viendront plus en aide à leurs parents, aux pauvres et à ceux qui se sont expatriés pour la cause de Dieu ! Qu’ils se montrent, au contraire, indulgents et cléments ! Vous-mêmes, n’aimeriez-vous pas que Dieu vous absolve ? Dieu est infiniment Clément et Miséricordieux. », sourate 24 An-Noûr (La Lumière),  v. 22. Et les nobles croyants outragés se plièrent à cette injonction divine ! Ils rendirent le bien en retour du mal reçu. Aïcha pardonna même au poète Hassân Ibnou Thâbit qui avait participé à la rumeur, et elle continua à vanter ses poèmes élogieux à l’endroit du Prophète.

   Les illustrations de la  magnanimité du Prophète et de ses compagnons sont nombreuses, retenons-en une dernière relative à ‘Omar Ibnou Al-Khattâb . Ce compagnon était réputé pour la dureté de son caractère et la fermeté de sa justice avant son acceptation de l’Islam. Dès qu’il accéda au califat, alors qu’il prêtait serment devant son peuple, il invoqua Allâh d’adoucir son tempérament afin que ses administrés n’eussent pas à subir sa rudesse. Ibnou ‘Abbâs relate à son propos : « En arrivant à Médine, ‘Ouyayna Ibnou Hisn descendit chez son neveu Al-Hourr Ibnou Qays qui avait droit d’entrer chez le deuxième calife ‘Omar, car il appartenait au groupe de lecteurs, qui étaient des proches du calife et ses conseillers. ‘Ouyayna dit à Al-Hourr : « Ô mon neveu ! Veux-tu demander pour moi la permission d’entrer auprès du Commandeur des croyants ? » Al Hourr s’exécuta et son oncle put entrer chez le calife. Il dit alors à celui-ci : « Ô toi, fils d’Al-Khattâb ! Par Dieu ! Tu ne donnes pas généreusement et tu ne juges pas nos différents avec équité ! » ‘Omar se fâcha et faillit le punir, mais Al-Hourr lui dit : « Ô Commandeur des croyants !  » Pratique le pardon, ordonne le bien et écarte-toi des ignorants !  » Cet homme est un ignorant. »

   Ibnou ‘Abbâs poursuivit : « Par Dieu ! ‘Omar s’arrêta net quand il entendit la récitation de ce verset par Al-Hourr, car c’était un homme qui respectait scrupuleusement le Livre de Dieu. », (mentionné par Al-Boukhârî).

   L’Islam a éduqué et construit des hommes et des femmes qui avaient su alors faire montre de magnanimité, marquant ainsi l’histoire de leur empreinte. Plus proches de nous dans le temps, citons pour exemples Salâh Ad-Dîne Al-Ayyoûbî  (cf. rubrique « Portrait », Ogier d’Anglure) et l’Emir Abd-Al-Qâdir : deux meneurs d’hommes à la spiritualité puissante, reconnus pour leur bravoure et leur grandeur d’âme.

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Enseigne-nous, ô Prophète ! :

   Jabîr Ibnou Salîm voulut connaître l’Islam par la bouche de Mouhammad  : il partit à sa rencontre. Et voici sa narration : « J’ai vu un homme dont les gens suivaient l’opinion et qui ne disait quelque chose sans qu’ils ne la respectent. J’ai dit : « Qui est celui-là ? » On me dit : « C’est l’Envoyé de Dieu ! » Je lui ai alors dit : « Sur toi la paix, ô Envoyé de Dieu ! » Il m’a répondu : « Ne dis pas « Sur toi la paix », c’est le salut des morts, mais dis « Que la paix soit avec toi » ! » J’ai dit : « C’est toi l’Envoyé de Dieu ? » Il me dit : « Je suis l’Envoyé de Dieu, Dieu Qui lorsque tu L’implores face à un malheur t’en délivreras ; Qui lorsque tu L’implores face à une année de sécheresse te rendra la terre verdoyante ; et Qui lorsque tu te trouves sur un terrain désertique où ta monture s’est égarée et que tu L’implores te la restitueras. » J’ai dit : « Enseigne-moi ! » Il me dit : « N’insulte personne — et je n’ai depuis jamais insulté personne —, ni un homme libre, ni un esclave, ni un chameau, ni une chèvre » Et il m’a dit aussi : « Ne méprise aucune forme de bien. Parle à ton frère avec un visage souriant. Cela aussi fait partie du bien » Puis il a ajouté :  » Si un homme t’insulte et te dénigre par ce qu’il sait sur toi, ne le raille pas par ce que tu sais sur lui, car il subira les conséquences de son forfait.  » », (rapporté par Aboû Dâoûd).

Conclusion :

   La magnanimité est une faveur divine, une parure pour les pieux, l’apanage des nobles de caractère. Elle est sublimée lorsque celui ou celle qui est agressé(e) a le pouvoir de riposter, mais qu’il ou elle s’en abstient pour l’amour d’Allâh . Chaque musulmane, chaque musulman, s’attache à parfaire son éthique. La réussite attend celui ou celle qui garde à l’esprit et applique la parole d’Allâh qui dit en substance : « La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Rends le bien pour le mal, et tu verras ton ennemi se muer en fervent allié ! Mais une telle grandeur d’âme est seulement le privilège de ceux qui savent faire preuve de patience et de ceux qui sont touchés par une grâce peu commune. Et si le démon t’incite à agir autrement, cherche aussitôt refuge auprès de Dieu, car Il entend tout et sait tout. », sourate 41 Foussilat (Les Versets détaillés), v. 34-36.

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