Décrets relatifs aux animaux sacrifiés : al-oudhiya et al-‘aqîqa (1/2)

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   Le sacrifice est une pratique répandue chez certains peuples depuis la nuit des temps. Avec l’avènement de l’Islam, ce rite fut adopté et définitivement entériné selon des règles très précises. Outre son côté commémoratif consistant à célébrer le geste du prophète Ibrâhîm , le sacrifice permet également de répondre à des objectifs spirituels et sociaux.

Mais dans l’optique de profiter pleinement de la récompense divine, le musulman doit connaître au préalable la réglementation inhérente à cette pratique.

   De même, lorsque le croyant accueille un nouveau-né au sein de son foyer, la tradition prophétique l’encourage à sacrifier une bête en signe de reconnaissance pour ce cadeau divin.

Définitions

   Il existe deux formes de sacrifice en Islam : « al-oudhyia : الأُضْحِيَة » et « al-‘aqîqa : العَقِيقَة ». Littéralement, « al-oudhyia : الأُضْحِيَة » est le nom exclusivement donné à l’animal sacrifié pendant les jours de la fête du sacrifice (aïd al-adhâ). Juridiquement, il s’agit de l’immolation d’un animal précis avec l’intention de se rapprocher de Dieu (al-qorba : القُرْبَة) à un moment bien déterminé.

   Quant à « al-‘aqîqa : العَقِيقَة », ce terme provient du verbe « ‘aqqa : عَقَّ » (couper) ; cela correspond au fait d’égorger une bête à l’occasion de la naissance d’un nouveau-né. Certains savants l’appellent également « at-tamîma : التَّميمَة » (fin) en référence à l’achèvement de la première semaine de vie du nouveau-né. En effet, cette échéance passée, les probabilités  pour que l’enfant reste vivant sont plus élevées. Cela dit, les hanbalites pensent que la ‘aqîqa concerne également les enfants mort-nés, incluant même les fœtus ayant vécu au minimum quatre mois.

   Le terme « al-‘aqîqa : العَقِيقَة » ne correspond donc pas au repas organisé à l’occasion de la naissance, mais au sacrifice de l’animal choisi pour cet événement ; le repas proprement dit s’appelle « al-khirâça : الخِرَاصَة ».

   La pratique du sacrifice fut instituée deux ans après l’Hégire, soit quinze ans après l’avènement de l’Islam. Ce rituel n’existait pas lorsque les musulmans habitaient à la Mecque (c’est également le cas de la zakât ou des prières des deux fêtes). En fait, tous les rites sont apparus une fois que les croyants se trouvaient à l’abri des persécutions qoraychites.

   Elle fut décrétée par les trois principales sources de juridiction, à savoir le Coran, la tradition prophétique (la sunna) et le consensus des savants (al-ijmâ‘). Allâh  dit dans le Coran : « Accomplis la çalât pour ton Seigneur et sacrifie. », s.108 Al-Kawthar (L’Abondance), v.2.

فَصَلِّ لِرَبِّكَ وَٱنۡحَرۡ

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   Certains savants précisent que le verbe « sacrifier » renvoie au sacrifice de l’aïd. Même si ce verset fut révélé à la Mecque, ce décret n’est devenu obligatoire que plus tard, idem pour la zakât et la prière. Dieu dit aussi : « Nous vous avons désigné les chameaux (et les vaches) bien portants pour certains rites établis par Allâh. Il y a en eux pour vous un bien. Prononcez donc sur eux le nom d’Allâh, quand ils ont eu la patte attachée, [prêts à être immolés]. Puis, lorsqu’ils gisent sur le flanc, mangez-en, et nourrissez-en le besogneux discret et le mendiant […] », s.22 Al-Hajj (Le Pèlerinage), v.36.

وَٱلۡبُدۡنَ جَعَلۡنَـٰهَا لَكُم مِّن شَعَـٰٓٮِٕرِ ٱللَّهِ لَكُمۡ فِيہَا خَيۡرٌ۬‌ۖ فَٱذۡكُرُواْ ٱسۡمَ ٱللَّهِ عَلَيۡہَا صَوَآفَّ‌ۖ فَإِذَا وَجَبَتۡ جُنُوبُہَا فَكُلُواْ مِنۡہَا وَأَطۡعِمُواْ ٱلۡقَانِعَ وَٱلۡمُعۡتَرَّ‌ۚ[…]

    Plusieurs ahâdîth du Prophète  parlent du sacrifice. ‘Aïcha  a rapporté quelques uns de ses dires : « La meilleure œuvre que fait le fils d’Adam le jour du sacrifice est le fait de faire couler le sang. L’animal sacrifié viendra le Jour du jugement avec ses cornes, ses ongles et sa laine. Le sang tombe à proximité de Dieu avant de toucher le sol. Soyez donc satisfaits de votre sacrifice. » [Rapporté par Al-Hâkim, Ibnou Mâja et At-Tirmidhî qui dit que ce hadîth est bon et étrange (hassan-gharîb).]

    L’animal sacrifié sera ressuscité le Jour du jugement, satisfait d’avoir été utilisé comme animal de sacrifice. D’ailleurs certaines traditions populaires affirment qu’à la naissance, les ovins (et les bovins) souhaitent être sacrifiés pour l’aid al-adhâ plutôt qu’être tués un autre jour de l’année. Ce privilège qu’ils espèrent pour eux doit inspirer le croyant au moment du sacrifice : avant que le sang de la bête ne touche le sol, sa récompense divine est écrite. Le fidèle ne doit pas considérer ce sacrifice comme une perte d’argent, car il obtient en échange une récompense de grande valeur.

   Anas Ibnou Mâlik  décrivit même la manière de procéder du Prophète  : « Le Prophète a sacrifié deux beaux moutons blancs et cornus. Je l’ai vu poser son pied sur leur cou en disant “bismillâh, Allâhou akbar” puis il les a égorgés de sa propre main. » [Rapporté par Al-Jamâ‘a.] Le Messager préférait des bêtes qui avaient deux cornes identiques et dont la laine tirait plus vers le blanc ; il stabilisait l’animal pour que l’égorgement se passe dans les meilleures conditions.

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   Concernant le consensus, tous les savants des différentes époques ont confirmé que le sacrifice appartenait aux rites musulmans. Il est la sunna du prophète Ibrâhîm  à propos duquel Allâh  dit dans le Coran : « Et Nous le rançonnâmes d’une immolation généreuse. », s.37 Aç-Çâffât (Les Rangs), v.107.

وَفَدَيۡنَـٰهُ بِذِبۡحٍ عَظِيمٍ۬

    Plusieurs preuves soutiennent donc que le sacrifice est bien une pratique islamique à part entière, et comme toute autre forme de culte, son instauration renferme différentes sagesses :

– la reconnaissance des bienfaits de Dieu ;

– la purification des péchés de celui qui immole le jour du sacrifice ;

– permet de répandre l’allégresse dans les familles, aussi bien dans celle de celui qui égorge que dans les familles qui vont recevoir une partie du sacrifice. L’imâm Ahmad précise même que réaliser l’immolation est préférable au fait de donner l’aumône de sa valeur.

Statut juridique

    Concernant la « al-‘aqîqa : العَقِيقَة », les érudits la classent dans la catégorie des actes vivement recommandés puisque le Prophète  a dit : « Chaque nouveau-né (garçon) est tributaire de sa ‘aqîqa qu’on égorge le septième jour ; ensuite on rase ses cheveux et on lui donne un prénom. » [Rapporté par les auteurs des sounan]. Il a également énoncé : « Chaque nouveau-né est tributaire de sa ‘aqîqa. »

    La question de la dépendance liée à cette ‘aqîqa est clairement expliquée par les savants : si jamais un père n’égorge pas pour son enfant, ce n’est pas un péché pour lui (puisque ce rite n’est pas obligatoire), mais ce parent ne pourra pas bénéficier de l’intercession de son enfant le Jour du jugement si celui-ci fait partie des pieux et qu’Allâh lui en donne l’autorisation. Il est donc très important de sacrifier une ‘aqîqa ; d’ailleurs il est toujours possible de se rattraper en égorgeant une bête, quel que soit l’âge de sa progéniture, si cela n’a pas été réalisé à sa naissance (par oubli, ignorance ou incapacité).

   Les savants autorisent même l’enfant à sacrifier une ‘aqîqa pour lui-même après le décès de son père si ce dernier n’a pas suivi cette tradition, cet acte non accompli s’apparente à une dette. Le Prophète  a bien montré son caractère fondamental en rappelant que « la dette vis-à-vis de Dieu [était] prioritaire au niveau de sa réalisation. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim].

Quel animal choisir pour la ‘aqîqa ?

   La tradition prophétique parle du sacrifice d’un ovin, mâle ou femelle. Il est en effet rapporté que le Prophète  égorgea un mouton pour la naissance d’Al-Hassan et un autre pour Al-Houssayn (avis mâlikite). Dans une autre version, on rapporte qu’il en a sacrifié deux pour chacun de ses petits-fils (opinion hanbalite). Les caractéristiques à prendre en compte pour le choix de la bête sont identiques à celles qui concernent l’animal du sacrifice de l’aïd.

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   Quant au sacrifice, les savants divergent sur son caractère obligatoire ou recommandé :

– les hanafites considèrent le sacrifice comme une obligation. Seuls deux disciples, Aboû Yoûssouf et Mouhammad Ach-Chaybânî, contredisent leur imâm Aboû Hanîfa : pour eux il s’agit d’une sunna mou’akkada (vivement recommandée), car le Prophète  l’a toujours respectée. Les hanafites avancent comme preuve le hadîth prophétique rapporté par Aboû Hourayra  : « Celui qui était aisé pour sacrifier et ne l’a pas fait, qu’il ne se rapproche pas de notre endroit de prière. » [Rapporté par Ahmad et Ibnou Mâja.]

– les autres écoles (mâlikite, châfi‘ite et hanbalite) considèrent que c’est une sunna mou’akkada. Ils présentent plus de preuves qui sont d’ailleurs plus probantes. Oumm Salama  rapporte que le Prophète  a déclaré : « Si vous voyez le croissant lunaire de dhou-l-hijja, et que l’un d’entre vous souhaite sacrifier, qu’il s’abstienne de couper ses cheveux et ses ongles. » [Authentifié par Al-Jamâ‘a sauf Al-Boukhârî.]

   Ibnou ‘Abbâs  rapporte aussi : « J’ai entendu le Messager dire : “Trois choses sont obligatoires pour moi et autorisées pour vous : la prière du witr, le sacrifice et la prière de dohâ”. » [Rapporté par Ahmad, Al-Hâkim et Ad-Dâraqoutnî.] An-Nassâ’i et Ad-Dâraqoutnî l’ont qualifié de faible à cause d’un transmetteur.

   An-Nassâ’i rapporte un hadîth du Prophète  qui dit : « On m’a ordonné le sacrifice et c’est une sunna pour vous. »

   Aboû Bakr  et ‘Omar  n’accomplissaient pas systématiquement le sacrifice par peur que les gens le considèrent comme une obligation.

   Avec ces preuves, on comprend qu’il arrive que certains dirigeants interdisent le sacrifice en situation de sécheresse par exemple. Le gouverneur sacrifiera alors deux moutons : un pour lui et un pour son peuple, comme le faisait le Prophète . Mouhammad  immolait toujours un mouton pour lui et un pour ceux qui n’égorgeaient pas dans sa communauté.

Conditions requises pour le sacrifice

   En ce qui concerne la ‘aqîqa, il est nécessaire d’immoler un animal, le croyant ne peut se contenter de verser la somme correspondant à la valeur de la bête.

   Quant à « al-oudhyia : الأُضْحِيَة », il existe trois types de conditions, selon que l’on considère le sacrifice comme obligatoire (hanafites) ou recommandé (autres écoles).

Conditions d’as-sunniya :

   Le sacrifice est vivement recommandé pour le croyant qui a les moyens financiers d’acheter l’animal du sacrifice et n’a pas besoin de cette valeur pour d’autres nécessités, sinon l’immolation n’est plus vivement recommandée pour lui. Cependant, les malikites et les hanbalites avancent que celui qui est capable d’emprunter l’argent nécessaire pour acheter l’animal du sacrifice, peut le faire (pour ne pas dire « il doit »). Pour les châfi‘ites, le fidèle n’est pas tenu d’emprunter, même s’il peut le faire.

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Conditions de validité :

   Plusieurs conditions entrent en jeu pour que le sacrifice soit valable :

– l’animal ne doit pas présenter de grands défauts. Quatre imperfections unanimement reconnues par les savants annulent l’immolation : la maladie visible, la perte d’un œil, la claudication et la maigreur excessive ;

– le sacrifice doit s’accomplir dans un intervalle de temps précis : le jour de l’aid et les deux jours suivants, soit les 10, 11 et 12 du mois de dhou-l-hijja. Les malikites déconseillent d’accomplir le sacrifice de nuit, car pour eux, cela annule la validité du sacrifice. D’autres savants expliquent que sacrifier en journée n’est pas une condition, mais permet de mieux voir l’animal pour l’immoler.

Les mâlikites rajoutent deux autres conditions par rapport aux autres écoles :

1. le sacrificateur doit être musulman ; s’il fait partie des gens du Livre, le sacrifice est tout de même valide (cas vraiment exceptionnel). Si le fidèle n’immole pas lui-même, quelqu’un d’autre peut le faire pour lui à condition que ce dernier soit musulman.

2. ne pas cotiser à plusieurs pour l’achat d’un animal à sacrifier. Si l’animal appartient à plusieurs personnes (deux associés possèdent un troupeau de moutons par exemple), si une des bêtes est sacrifiée, elle n’est valable pour aucun des deux. En revanche, il est tout à fait possible que chacun choisisse une bête à immoler dans leur troupeau.

Les mâlikites permettent au fidèle de cotiser pour l’achat d’un chameau ou d’une vache en respectant trois conditions :

– que l’associé soit un proche comme le fils, le cousin ou l’épouse ;

– qu’il s’associe avec des personnes pour qui il serait obligé de dépenser en cas de pauvreté (père ou fils) ou quelqu’un pour qui il dépense sans y être obligé (frère ou cousin). En dehors de ces personnes, s’associer financièrement avec d’autres (voisin, ami) n’est pas valable ;

– les cotisants doivent habiter ensemble pour que le sacrifice soit accueilli dans la même maisonnée.

   Pour les non mâlikites, il est acceptable de cotiser à sept (pas plus) ou moins pour une vache ou un chameau à condition que chacun donne le septième du prix de l’animal (pas moins).

Conditions relatives au sacrificateur :

   Les hanafites considèrent que le voyageur (qui se déplace pour le commerce ou qui n’a pas le temps) n’a pas à s’acquitter du sacrifice ; mais s’il est en vacances chez sa famille, il vaut mieux respecter cette pratique. De même, le pèlerin qui s’apprête à faire le hady (sacrifice relatif au pèlerinage) n’est pas tenu d’immoler une bête pour l’aid.

   L’intention du sacrifice doit précéder l’immolation de l’animal ; celle-ci ne doit pas forcément être formulée par des mots. En cas de cotisation chez les hanafites, tous les cotisants doivent avoir la même intention de sacrifier ; si l’un d’entre eux désire immoler pour une autre raison, le sacrifice n’est valide pour aucun d’entre eux.

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