Hadîth d’Aboû Hourayra

Commentaire du Hadith

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   Selon Aboû Hourayra ‘Abdour-Rahmâne Ibnou Sakhr, le Prophète  a dit : « Dieu ne regarde ni vos corps ni vos images, mais Il regarde vos cœurs. » [Rapporté par Mouslim.]

Aboû Hourayra


Aboû Hourayra fut un grand Compagnon du Prophète . Il appartenait à la tribu de Daws et se prénommait ‘Abdou Chams (Serviteur du soleil) avant sa conversion. La majorité des habitants de cette tribu embrassa l’Islam en l’an 7 de l’Hégire. Ces nouveaux musulmans voyagèrent jusqu’à Khaybar pour rencontrer le Prophète .

   La première fois qu’Aboû Hourayra accosta l’Envoyé de Dieu, celui-ci lui demanda quel était son nom. Lorsque le Prophète eut connaissance de son prénom, il esquissa un sourire et lui dit : « ’Abdour-Rahmâne [Adorateur du Miséricordieux] est mieux ». Aboû Hourayra exprima sans tarder son accord et son dévouement : « Ô Messager de Dieu, (je choisis) Abdour-Rahmâne et je sacrifierais pour toi père et mère. »

   Aboû Hourayra vécut quatre années aux côtés du Prophète . Il fut surnommé « Aboû Hourayra » car il faisait preuve de bienveillance et de générosité à l’égard d’un jeune chaton (hirra). Allâh inclina en effet son cœur à lui prêter une attention particulière, si bien qu’il ne se séparait jamais du petit félin.

   Aboû Hourayra faisait partie des habitants d’Ahlou-ç-çoffa, un groupe de Compagnons qui vivaient dans une aile de la mosquée du Prophète . Avec lui se trouvaient Bilâl, Salmâne, ‘Ammâr, Aboû Dharr, et bien d’autres.

    Le Compagnon au petit chat avait une mémoire infaillible. D’ailleurs, les savants spécialistes du hadîth précisent qu’il a rapporté plus de 1600 ahâdîth. Il disait lui-même : « Vous dites : “Aboû Hourayra a rapporté beaucoup d’ahâdîth du Prophète […].” Mais sachez que mes Compagnons de la Mecque (Mouhâjiroûn) étaient absorbés par leurs commerces, mes Compagnons de Médine (Ançâr) étaient quant à eux soucieux de l’agriculture qu’ils devaient préserver. Alors que moi, pauvre que j’étais, j’assistais fidèlement aux assises du Prophète. J’étais présent lorsqu’ils étaient absents, et mémorisait ce qu’ils oubliaient. »

   Aboû Hourayra savait d’où lui venait cette prodigieuse capacité de mémorisation : « Le Prophète nous interpella un jour : “Qui donc parmi vous peut étendre son manteau jusqu’à ce que je termine mon discours, puis le reprendre sans rien oublier de ce qu’il a entendu ?” Je m’exécutais, étendais mon manteau et, après qu’il eût terminé son discours, je le repris. Par Dieu, depuis ce jour je n’oubliais plus rien de ce que j’entendais de lui. Par Dieu, si cela n’était pas dans le Livre de Dieu, je ne vous l’aurais jamais dit : « Certes ceux qui cachent ce que Nous avons fait descendre en fait de preuves et de guide après l’exposé que Nous en avons fait aux gens, dans le Livre, voilà ceux qu’Allâh maudit… », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.159.

   Un jour Marwân Ibnou-l-Hakam voulut mettre la mémoire d’Aboû Hourayra à l’épreuve. Il l’invita chez lui pour l’entendre réciter quelques paroles du Prophète . Une personne dissimulée derrière un rideau transcrivait scrupuleusement ce que déclamait Aboû Hourayra. Une année plus tard, il l’invita de nouveau à réciter tous les ahâdîths mentionnés ce jour-là ; ses paroles correspondaient mot pour mot à celles consignées par le scribe un an auparavant.

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   Cette faculté à mémoriser sans prise de note relevait de l’exploit comme en témoigna Aboû Hourayra lui-même : « Aucun, parmi les Compagnons du Prophète, ne connait plus d’ahâdîth que moi à l’exception de ‘Amr Ibnou Al-‘Âç car il prend en note ce qu’il entend contrairement à moi. »

   L’imâm Ach-Châfi‘î, le fondateur de la troisième école jurisprudentielle, évoquait également cette singularité hors norme : « Aboû Hourayra fut de son époque celui qui mémorisait le mieux les ahâdîth rapportés ». En effet, plus de huit cents personnes – Compagnons, successeurs et savants – ont rapporté de lui.

   Sa mère n’était pas croyante et ne cessait de le blesser en proférant inlassablement des injures à l’encontre du Prophète . Au fur et à mesure, cette profonde et intime souffrance assombrissait le visage du noble Compagnon et une douleur sans nom l’affligeait. C’est donc le cœur empli de tristesse qu’il exprima son déchirement maternel au Prophète  : « Ô Messager de Dieu, j’ai beaucoup invité ma mère à l’Islam mais elle le refuse radicalement. Je l’ai invitée aujourd’hui même mais elle m’a fait entendre à ton sujet ce que je déteste. Invoque Dieu pour qu’Il guide ma mère à l’Islam ! » L’insupportable souffrance de son Compagnon ne laissa pas le Prophète indifférent qui, les mains levées, invoqua Celui Qui répond à l’appel et Qui guide : « Ô Seigneur, guide la mère d’Aboû Hourayra ! ».

   Arrivé au seuil de la porte de son domicile, une voix solennelle jaillit soudainement : « Ô Aboû Hourayra, restes où tu es ! ». Quelques instants après, sa mère apparaissait, le visage rayonnant de lumière divine et les cheveux recouverts d’un voile soigneusement disposé. L’expression de la foi provenait alors de celle qui, quelques heures plus tôt, sombrait dans l’ignorance : « Je témoigne qu’aucune divinité ne mérite adoration si ce n’est Dieu et que Mouhammad est le serviteur et le Messager de Dieu ».

   Aboû Hourayra, le cœur inondé de joie, savourait la fraîche libération de l’âme maternelle. Il s’empressa de retrouver le Messager de Dieu pour lui annoncer la bonne nouvelle. La voix entrecoupée et altérée par les larmes, il dit : « Ô Messager de Dieu ! Réjouis-toi car Allâh a exaucé ton invocation et a guidé ma mère vers I’Islam. Invoque Dieu afin qu’il mette de l’amour pour moi et pour ma mère dans le coeur des croyantes et des croyants ». Le Messager de Dieu invoqua alors Dieu en ces termes : « Ô Seigneur ! Fais que les croyants et les croyantes aiment ton petit serviteur que voici ainsi que sa mère. »

   Le grand érudit Aboû ‘Othmâne Al-Hindî décrivit l’adoration d’Aboû Hourayra comme suit : « J’ai invité Aboû Hourayra durant sept jours. Lui, son épouse et son esclave se relayaient au cours de la nuit pour prier. Dès que le premier avait achevé son adoration, il réveillait le suivant et lorsque celui-ci avait fini, il laissait sa place au dernier. » Et selon ‘Ikrima : « Aboû Hourayra glorifiait Dieu douze mille fois par jour [tasbîh] ».

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   Aboû Hourayra était un homme d’une extrême générosité. Un jour, Marwân Ibnou-l-Hakam lui fit parvenir cent dinars (pièces en or) par l’intermédiaire de son commissionnaire, mais lui dit plus tard : « Mon messager s’est trompé en te donnant les dinars, alors que je les destinais à un autre que toi ». Aboû Hourayra lui avoua : « Je les ai dépensés dans le sentier de Dieu, et rien de ces dinars n’est resté chez moi. Lorsque ma part sortira de « bayt-al-mâl », tu la récupéreras ». En réalité, Marwân agit ainsi pour tester Aboû Hourayra : après vérification, il reconnut la véracité de ses propos.

   D’autres qualités caractérisaient ce personnage. Outre son incontestable magnanimité, il suivait assidûment la tradition du Prophète  et jeûnait régulièrement les lundis et jeudis comme le veut la sunna.

   Après la mort du Prophète . il fut nommé gouverneur de la région d’Al-Bahrein par ‘Omar Ibnou-l-Khattâb .

   Enfin, son existence touchant à sa fin, il invoquait Allâh  en ces mots : « Ô seigneur, j’ai hâte de Te rencontrer, aie hâte de me rencontrer ! » Il mourut des suites d’une longue maladie en l’an 59 H, à l’âge de soixante-dix-huit ans, et fut inhumé au cimetière d’Al-Baqî’.

Explication du hadîth

« Dieu ne regarde ni vos corps ni vos images, mais Il regarde vos cœurs » est l’un des nombreux ahâdîth rapportés par Aboû Hourayra. De ces quelques paroles émanent plusieurs enseignements.

   Tout d’abord, ce hadîth met en évidence l’importance de l’intention. Celle-ci doit être pure et accompagner l’être humain dans toutes ses œuvres. En effet, l’action, en apparence, n’a au regard de Dieu aucune valeur. Cet élément ô combien fondamental est conforté la Parole de Dieu dans le Coran où Il dit : « […] Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux […] », s.49 Al-Houjourât (Les Appartements), v.13.

   La piété repose sur le contenu du cœur et non sur ce qui relève de l’apparence. Dieu ne regarde ni la couleur de la peau, ni la beauté ni la laideur d’un corps, ni même les titres honorifiques ou autres situations privilégiées : seule la piété est un élément différenciateur pour Lui. Plus l’individu est pieux et plus il se rapproche de Dieu. Il gagnera en noblesse, Allâh l’aimera davantage et lui facilitera le cheminement vers Lui. Ce cercle vertueux ne se déclenche qu’à l’instant où la piété occupe toute sa place dans le quotidien du croyant.

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   Dans la vie terrestre, et plus particulièrement à l’époque contemporaine, l’apparence joue un rôle capital dans les relations humaines. L’influence qu’elle exerce sur le lien social – qui est censé cimenter la société – conditionne incontestablement le regard que chacun porte sur autrui. Les gens accordent plus d’importance aux aspects déterminant l’élévation ou la dépréciation d’une personne. En se sens, il ne serait point inexact d’affirmer que ce regard porté sur autrui aurait tendance à respecter davantage la personne bien vêtue, de corpulence moyenne et au visage attirant.

Plusieurs exemples illustrent parfaitement ces propos.

   L’imâm Aboû Hanîfa An-Nou‘mâne, fondateur de la première école jurisprudentielle, dispensait des cours de sciences islamiques alors qu’il était souffrant. Étant donné qu’il se trouvait en présence de ses élèves, il n’hésitait pas à étendre ses jambes afin de ménager ses douleurs persistantes aux genoux. Il ne craignait aucun grief concernant cette posture de la part de ses élèves puisqu’ils connaissaient son état de santé. Un bel homme dont la remarquable élégance et le charisme ne pouvaient passer inaperçus, s’introduisit dans l’assise. Aboû Hanîfa, par pudeur et par respect envers cet étranger, replia ses jambes. Une fois le cours fini, l’illustre professeur s’adonna au traditionnel jeu des questions-réponses. Plusieurs questions d’ordres jurisprudentielles furent alors posées au savant qui, comme à l’accoutumée, y répondit avec précision et pragmatisme. Dans un silence paralysant, l’inconnu s’élança et questionna à son tour Aboû Hanîfa : « Ô cheykh, combien de temps dure le jeûne pendant le mois de ramadan ? »

   Aboû Hanîfa, particulièrement étonné d’entendre cette question élémentaire sur un des piliers de l’Islam lui répondit : « Depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher. » Mais l’homme reprit avec insistance : « Et si le soleil ne se lève pas ? » Aboû Hanîfa soulagé et d’un brin ironique, soupira : « Maintenant, Aboû Hanîfa peut étendre ses jambes ! »

   Le docte s’était mépris sur le degré de savoir de l’inconnu en se basant sur son aspect extérieur.

   Dieu informa le Prophète  concernant la situation de quelques hypocrites de son époque : « Et quand tu les vois, leurs corps t’émerveillent. Et s’ils parlent, tu écoutes leurs paroles. Ils sont comme des bûches appuyées (sur des murs) et ils pensent que chaque cri est dirigé contre eux. L’ennemi c’est eux, prends-y garde. Que Dieu les extermine ! Comme les voilà détournés (du droit chemin) », s.63 Al-Mounâfiqoûn (Les Hypocrites), v.4.

   La situation est similaire aujourd’hui : bon nombre de croyants, piégés par l’éloquence et la maîtrise du verbe, accordent trop de considération à certains savants autoproclamés. La  rhétorique de ces derniers émerveille, hypnotise et enivrent les ignorants. Toutefois, leur comportement et leur pratique contredisent totalement leur discours : ils touchent le cœur de leur auditoire en jouant sur l’émotion et le choix des mots.

   Nombreux sont ceux qui s’aventurent dans le domaine de la prédication, de la consultation juridique (iftâ’ : إِفْتَاء) ou de la pensée islamique alors qu’ils sont des hypocrites notoires dont le seul avantage est de maîtriser l’art de la communication. Ces prédicateurs sournois hurlent jusqu’à égarer les jeunes musulmans et les faire sombrer dans l’extrémisme. Ceux-ci finissent par nuire à l’Islam plus dangereusement que les ennemis officiels de la religion de Mouhammad . Le manque de savoir et une mauvaise compréhension sont les éléments phares de l’égarement lorsque l’individu est trompé par la magie de l’éloquence.

   Le Prophète  a mis ses coreligionnaires en garde contre les « pseudo-savants » (ar-rouwaybida) qui apparaitront à la fin des temps. Ils répondront aux questions sans connaissances ; ces égarés ne feront que dévoyer autrui : « À la fin des temps, il y aura des hommes qui seront jeunes en âge et faibles d’esprit. Ils auront les meilleures paroles qui puissent être. Ils sortiront de la religion comme la flèche transperce sa proie. Mais leur foi ne dépassera pas leur gosier… » [Rapporté par At-Tirmidhî, Aboû Dâwoûd et Ahmad.]

   Le Prophète a aussi montré que les gens peuvent se tromper dans l’évaluation de la véracité de ceux qui sont devant eux, il dit : « Je ne suis qu’un être humain et il arrive que des personnes en désaccord viennent me voir (pour régler leur différents) ; il est possible que l’un d’entre vous soumette son cas avec plus d’éloquence que l’autre, que je le considère véridique et que je lui donne un jugement en sa faveur. Que celui à qui je donne le droit [par erreur] au lieu de le donner à son frère, ne le prenne pas, car je lui présente en réalité une partie du feu de l’enfer. » [Rapporté par Al-Boukhârî.]

   Il arrive également que les gens se trompent dans le respect qu’ils montrent à certains, car ce que cachent les poitrines n’est perçu que de Celui Qui connait les mondes invisibles. Le Coran en témoigne : « Dis : “Si vous cachiez ce qu’il y a dans vos poitrines ou que vous le divulguiez, Dieu le sait.” Et Il sait ce qu’il y a dans les cieux et dans la terre, et Allâh est Omnipotent. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.29.

   Allâh précise aussi : « Il est certes capable de le [l’homme] ressusciter. Le Jour où les cœurs dévoileront leurs secrets », s.86 At-Târiq (L’Astre nocturne), v.8-9. Et Il ajoute : « Ne sait-il donc pas que lorsque ce qui est dans les tombes sera bouleversé. Et que sera dévoilé ce qui est dans les poitrines. Ce jour-là, certes, leur Seigneur sera parfaitement connaisseur d’eux.  », s.100 Al-‘Âdiyât (Les Coursiers), v.9-11.

   Il ne s’agit pas pour autant de négliger son apparence et son image, la mise en garde concerne ceux qui accordent une importance démesurée à l’aspect extérieur. Celui qui a réussi à leurrer les humains ici-bas ne pourra tromper le Seigneur des hommes, car Dieu connait ce que renferment les cœurs et jugera les coupables sur ce qu’ils cachaient comme hypocrisie, tromperie et autres ruses.

   Quant au musulman, il lui est demandé de montrer le bienfait de Dieu sur lui à travers sa tenue vestimentaire, sa nourriture, son parfum, etc. Mais il doit s’éloigner des vêtements ostentatoires (libâs ach-chouhra : لِباس الشّهْرَة) et éviter de s’enfler d’orgueil par ces atours et son aspect physique devant l’indigent.
Par ailleurs, les gens du savoir doivent se distinguer des autres par leur tenue vestimentaire pour que les fidèles leur accordent le respect dû à leur personne et à leurs connaissances.

   Le musulman ne doit point aspirer à plaire aux gens ou chercher à gagner leur respect ou leurs égards. Son objectif premier doit être l’agrément de Dieu : le croyant ne peut espérer l’obtenir sans une sincérité profonde, une intention saine et un cœur exempt de tout associationnisme.

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