(7) Honnête commerçant mandaté et époux modèle

Biographie du Messager

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La perle des mandataires

   Mouhammad passa de la garde de Halîma As-Sa’diya à celle de son grand-père ‘Abd Al-Mouttalib, puis à celle de son oncle Aboû Tâlib : il acquit ainsi une riche expérience familiale,

différente à chaque fois. Il connut l’âpreté de la vie campagnarde chez Halîma et la modestie des moyens chez son oncle, père de dix enfants — même si celui-ci était un notable. En vérité, Allâh préparait le Prophète à sa future mission en lui faisant vivre une existence étroite.
Le voyage avec son oncle est sa première ouverture sur l’extérieur ; il avait à peine quinze ans. C’est l’époque des premières responsabilités. Deux évènements participent à la construction de l’insigne personnalité du Prophète :
— la bataille d’Al- Fijâr qui s’est déroulée entre les Arabes lors d’un des quatre mois où toute guerre était interdite ; alors âgé d’à peine douze ans, le Prophète préparait les flèches de ses oncles.

— Le pacte d’Al-Foudoûl : un Yéménite était venu vendre à la Mecque de l’étoffe du Yémen réputé pour la qualité de son tissage. Il en vendit à Al-‘Âsî Ibnou Wâi’îl, un parmi les notables de Qoraïche. L’acquéreur demanda à ce que le paiement de la marchandise pût être différé, le temps qu’il rassemblât la somme convenue. Or, beaucoup de temps passa et le tissu n’était toujours pas payé.

    Le Yéménite se rendit alors à Dar An-nadwa, institution mise en place par les aïeux du Prophète pour régler tous les problèmes rencontrés par leur société. Le Yéménite rassembla la foule et clama une poésie très sévère à l’encontre de l’honnêteté de Qoraïche en un lieu aussi hautement spirituel que la Mecque.

   La fierté de Qoraïche en prit un coup, et il fut proposé aux notables de se rencontrer pour trouver une solution à l’affront.

   Certains historiens affirment que trois grandes personnalités qoraïchites portant le même nom, « Fadl » (d’où le nom du pacte au pluriel), se réunirent au sujet de l’incident ; d’autres historiens disent qu’« al-foudoûl » équivaut à « al-houqoûq », signifiant « les droits » : la réunion ayant pour but de rendre les droits au Yéménite, le pacte prit donc la dénomination de « Hilf Al-Foudoûl ».

   Toujours était-il que ces notables, brandissant leurs armes — et c’était là leur manière de manifester leur fermeté — décidèrent de tout entreprendre pour qu’aucun étranger à leur société ne subît une quelconque injustice de la part d’un des leurs sur leur sol ; ils jurèrent de défendre corps et âme toute victime qui aura fait appel à eux. Le pacte reçut l’allégeance de nombreuses personnalités dont le Prophète, et Al-‘Âsî Ibnou Wâ’il ne put qu’honorer sa dette auprès du Yéménite.

   De son vivant, le Prophète déclarait : « J’ai été invité lors de la période de l’ignorance [époque pré-islamique] à un pacte auquel j’aurais répondu présent si on m’y avait invité au temps de l’Islam. »
De cette sentence, le croyant comprend qu’il doit se montrer avenant et participer à toute proposition, à tout accord qui établira la justice ; et cela, même si l’initiateur de l’action n’est pas musulman. Les croyants doivent être les premiers signataires de tout pacte respectant l’esprit de justice et de fraternité humaine, ils s’obligent aussi à s’y tenir fermement.

   Le Prophète avait maintenu le pacte d’Al-Foudoûl en son temps, et ses Compagnons l’avaient préservé après sa disparition. Ainsi Houçayn Ibnou ‘Alî avait subi une iniquité de la part de Yazîd Ibnou Mou’âwiya : il réclama ses droits à ce dernier, faute de quoi, il s’en serait référé au pacte. Le gouverneur injuste se plia à sa requête.

   A l’époque de ce pacte, le Prophète était âgé de vingt ans. Il avait une personnalité très responsable de par les épreuves vécues depuis sa naissance. Son caractère était si éminent que ses contemporains le surnommaient « As-Sâdiq » et « Al-Amîne », à savoir « Le véridique » et « Le doué de confiance » : nul ne l’avait jamais vu se livrer au mensonge, au vol ou aux divertissements des jeunes de son âge ; tous le voyaient respecter l’éthique prônée par tout homme correct.

   Jusque-là berger, Mouhammad avait tiré d’édifiantes leçons de ses longues méditations inspirées par l’exercice de sa fonction, la solitude et la nature. Son caractère était celui de quelqu’un de pondéré et de sage, et déjà il avait beaucoup réfléchi sur le sens de la vie et sur le monde qui l’entoure. Ses pensées l’avaient conduit depuis toujours à refuser le polythéisme ambiant : jamais il ne s’était prosterné à aucune idole, il lui était évident qu’il était aberrant d’adorer des statuts façonnées de la main des hommes mêmes.Son for intérieur était habité par la conviction de l’existence d’un Dieu à la suprématie absolue.

   Les modestes revenus que Mouhammad retirait de son activité de berger ne suffisaient plus à combler ses propres besoins et ceux de ses nombreux cousins. Aussi, alors qu’il avait un peu plus de vingt-cinq ans, son oncle lui proposa de devenir commerçant pour pouvoir voler de ses propres ailes. Il l’entretint de Khadîja , une riche commerçante — troisième fortune de la Mecque — et lointaine cousine du Prophète. Dans la quarantaine, très belle veuve par deux fois, elle avait jusqu’à là toujours refusé des propositions de mariage : elle était à la recherche d’un homme de confiance pour assurer et garantir la prospérité de son activité commerciale.

   Khadîja confia d’énormes sommes d’argent à son nouveau mandataire  et l’envoya commercer en Syrie. Elle ordonna à son esclave Mayssara de l’accompagner et de l’observer : elle désirait avant tout connaître la probité et le sens des affaires de sa nouvelle recrue, car des employés peu honnêtes et incompétents ne manquaient pas.
Khadîja eût l’agréable surprise de voir que Mouhammad lui rapportait d’importants gains qu’elle n’avait pas l’habitude de recevoir de ses autres mandataires. Mayssara témoigna : « Je n’ai jamais vu un homme aussi sérieux, aussi honnête : il ne triche pas au travail. Il est véridique, il a des qualités humaines que je n’ai jamais observées chez d’autres. » Il ajoutait : « Je n’ai jamais vu quelqu’un comme lui. Je n’ai jamais vu pareil sérieux, pareil dévouement dans le travail. »

   Habituellement, les caravaniers liquidaient leurs marchandises en Syrie au bout de cinq à six semaines. Cela ne se passa pas ainsi avec le Prophète : à la grande stupéfaction de Mayssara, Mouhammad vendait tous les biens avant même d’atteindre la Syrie, puis, alors que cela n’avait pas été stipulé dans son contrat avec Khadîja , il s’en procurait d’autres sur place, et à son retour à la Mecque il s’en défaisait ; ses bénéfices par conséquent doublaient.
Khadîja fut étonnée des profits générés en si peu de temps, et elle apprécia particulièrement l’esprit d’initiative et la droiture de Mouhammad . Elle comprit également qu’il était un homme véridique qui ne cherchait pas à se faire de l’argent aux dépens d’autrui.

   A cette époque, il n’était pas encore question de miracles prophétiques, mais la lumière était mise sur les qualités personnelles de Mouhammad avant son apostolat.

   Les croyants se doivent d’être des travailleurs et suivre ce sérieux, car le travail est au regard de l’Islam une entreprise charitable. Il est raconté qu’un jour un homme vint saluer le Prophète. Il avait des mains calleuses, le Prophète s’en saisit et les embrassa, mais l’homme les retira. Alors le Prophète prononça ces mots : « Dieu aime ce genre de mains ! » ; c’est-à-dire que Dieu aime les mains travailleuses.

   Dans un autre hadîth, le Messager d’Allâh disait : « La main haute est préférable à la main basse. » : il est mieux pour le croyant de travailler pour gagner sa subsistance plutôt que de tendre la main. Et tout acte du quotidien, banal en soi, lorsqu’il est précédé de la bonne intention — comme travailler pour aider les nécessiteux ou ne pas mendier — sera récompensé par Allâh .

Un époux et un père attentionnés

   En constatant les nombreuses qualités de son employé et cousin Mouhammad , Khadîja nourrit pour lui des sentiments amoureux. Elle s’en ouvrit à une confidente, Nafîssa. Celle-ci se proposa de jouer le rôle d’entremetteuse. Khadîja accepta à la condition que cela soit entrepris dans les règles de l’art et avec beaucoup d’élégance.

   Nafîssa se rendit auprès de Mouhammad , et avec beaucoup de tact, elle lui soutira des informations relatives à ses intentions de mariage. Elle apprit ainsi qu’il ne voulait pas encore se décider à cause de la modestie de sa situation matérielle. Nafîssa mit en avant la richesse de sa personnalité en lui affirmant que n’importe quelle femme ne l’épouserait que pour cela. Puis, elle lui demanda ce qu’il pensait de sa patronne Khadîja . Mouhammad la couvrit d’éloges. Nafîssa bondit sur l’occasion pour lui demander pourquoi il ne prétendrait pas à sa main. Mouhammad lui rétorqua que l’idée ne lui viendrait même pas en tête d’agir de la sorte : peut-on imaginer une notable parmi les plus importants notables de la Mecque, celle-là même qui avait refoulé bon nombre de prétendants bien nantis, peut-on seulement s’imaginer qu’elle poserait le regard sur son pauvre employé !
Nafîssa proposa à Mouhammad , si tel était son souhait, de tâter du terrain auprès de la noble Khadîja : il accepta. L’amour propre des protagonistes étant préservé, Nafîssa se précipita chez son amie pour lui annoncer la bonne nouvelle. Fierté féminine oblige, Khadîja l’enjoignit de ne donner une réponse positive à Mouhammad que dans quelques jours.

   Lorsqu’il entendit de la bouche de Nafîssa que Khadîja pourrait répondre favorablement à sa demande, Mouhammad en fit par à ses oncles Aboû Tâlib et Hamza , puis, il se rendit en leur compagnie auprès de l’oncle de Khadîja pour solliciter sa main.

   Le mariage eut lieu, et la dote de Khadîja s’éleva à vingt chameaux.

   Mouhammad s’établit dans la demeure de son épouse. Il continua à travailler pour elle, et il partagea les profits de leur négoce. Mouhammad tenait à subvenir aux besoins de sa famille, alors que sa femme détenait plus de richesses que lui.Son union avec Khadîja était motivée par la noblesse de caractère de la dame, et non par un quelconque intérêt matériel. Pour ceux qui prétendent que Mouhammad était un homme à femmes, cette union suffit à balayer leurs allégations : le noble, jeune et beau Mouhammad avait l’embarras du choix s’il désirait épouser une quelconque femme, mais il a décidé d’épouser la vertu incarnée par Khadîja, son aînée de quinze ans. Son couple était très heureux et équilibré : Mouhammad demeura monogame jusqu’au décès de sa tendre moitié, et ce fait rarissime mérite d’être relevé dans une société où la polygamie non encadrée était de règle. Le Prophète avait plus de cinquante ans lorsqu’il se remaria avec plusieurs femmes, et ce n’est sûrement pas à plus de cinquante ans que l’instinct sexuel est le plus fort, mais c’est plutôt dans la vingtaine : exit donc les critiques infondées !

   De nos jours, la question se pose encore de savoir si un couple pourrait réussir son mariage lorsque le décalage d’âge est très important entre l’homme et la femme, et particulièrement si la femme est plus âgée que l’homme.
Le mariage de Khadîja et de Mouhammad est une réponse affirmative. Quelques éléments concourent à cette réussite : tous deux étaient issus de la noblesse qoraïchite ; Mouhammad était très mûr pour son âge et convenait donc à une femme d’affaire, veuve par deux fois, donc qui avait l’expérience de la vie et qui savait reconnaître les qualités réelles du Prophète ; Khadîja ( avait vérifié auparavant que son futur époux n’était pas animé par la cupidité, et elle eut raison puisque le Prophète subvint à tous ses besoins d’épouse : il cherchait bien une femme noble, et non la fortune qu’elle possédait.

   Le couple dura vingt-cinq ans, et six enfants virent le jour : deux fils Al-Qâssim et ‘Abdoullâh) et quatre filles (Zaynab, Roqayya, Oum Kalthoûm et Fâtima ; que Dieu les agrée !). Le Prophète fut surnommé Aboû-l-Qâssim, et nul, de son vivant, ne pouvait donner ce prénom à son enfant pour éviter toute confusion avec le Messager d’Allâh.Cependant, le Prophète perdit ses deux fils très jeunes : Al-Qâssim (à trois ou sept ans selon les versions) et ‘Abdoullâh, également surnommé At-Tâhîr et At-Tayyîb.

   Plus tard, lorsque le Prophète épousera Maria la Copte , elle lui donnera Ibrâhîm qui décèdera aussi alors qu’il prenait encore le sein de sa mère. Bien qu’il soit habitué aux épreuves de la vie, le Prophète pleura cette disparition. Les gens qui le savaient endurant et patient s’en étonnèrent ; le Prophète leur déclara : « L’œil peut verser des larmes, le cœur peut-être peiné, mais nous ne disons que ce qui satisfait notre Seigneur. »

   A ce genre de drame, les croyants peuvent manifester de la tristesse, mais ne pas réagir d’une manière démesurée — comme se griffer le visage, s’arracher les cheveux ou se laisser gagner par l’hystérie : cela est interdit en Islam. Au plus fort de la douleur, les croyants disent : « C’est à Dieu que nous appartenons, c’est à Lui que nous retournons » (« Innâ lillâhi wa innâ ilayhi raji‘oûn »).

   Par la perte des héritiers mâles du Prophète, Allâh a préservé la communauté musulmane de la dérive dans leur foi : à la mort du Prophète, sa succession ne prit pas une tournure dynastique, contrairement à ce qui se passe chez les chi’ites où le dogme reconnaît uniquement ‘Alî et toute sa lignée mâle issue de Fâtima et sa descendance comme les successeurs du Prophète — jusqu’à nos jours, cette dernière option a divisé la communauté musulmane.

   La patience de Mouhammad fut récompensée par Allâh . Le baume de son cœur se présentera sous la forme d’un fils adoptif, dont voici l’histoire : une femme nommée Sa‘dâ Bintou Thâ‘laba se rendait avec son fils de huit ans, Zayd Ibnou Hâritha, de son village à celui de ses parents à Banî Ma‘n. Or des coupeurs de route les surprirent : ils ravirent l’enfant et le vendirent comme esclave au marché de ‘Okâdh à la Mecque.

   Le neveu de Khadîja, Hakîm Ibnou Hizâm Ibnou khouwaylid, l’acquit et l’offrit à sa tante pour compenser l’absence d’enfant mâle dans la maison. Mouhammad éleva Zayd Ibnou Hâritha d’une manière extraordinaire : une profonde affection les lia.

   Or, le père du petit ne pouvait surmonter son chagrin et ne put se résoudre à la perte de son fils : il le pleura dans une touchante poésie à son adresse, la clama à qui voulait l’entendre afin qu’elle soit un moyen pour lui de retrouver son enfant. Or, un jour, des pèlerins l’informèrent que son fils se trouvait à la Mecque avec Mouhammad . Sans tarder, il dépensa une grosse somme d’argent pour se rendre auprès de Mouhammad et racheter son petit. Malgré sa tendresse pour Zayd Ibnou Hâritha, Mouhammad enjoignit le père de laisser le garçon choisir avec qui il voudrait vivre : l’intérêt affectif de l’enfant passait avant tout.

   Lorsqu’il se présenta devant les deux hommes, Zayd Ibnou Hâritha choisit de demeurer chez Mouhammad et avoua à son père qu’il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi remarquable que Mouhammad . Le père avait bien observé l’accueil et la personnalité de Mouhammad , et il convint lui-même que Mouhammad était un homme honorable et qu’il était rassuré sur le sort de son enfant : pour lui, son enfant avait deux pères désormais.
Mouhammad prit alors Zayd Ibnou Hâritha avec lui et le présenta comme son fils adoptif à la foule mecquoise assemblée près de la Ka’ba : dès ce jour, Zayd fut surnommé Zayd Ibnou Mouhammad (« Zayd fils de Mouhammad»).

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   L’adoption était possible avant l’avènement de l’Islam, mais Dieu l’interdit par la suite tout en autorisant le parrainage des orphelins, et ce, dans l’intérêt de la filiation et des relations de l’enfant avec sa véritable famille. Quand cette prohibition descendit sous forme de révélation coranique, Zayd Ibnou Hâritha fut très affligé, car c’était pour lui un très grand honneur que d’être reconnu comme le fils du Prophète : Allâh le consola et l’honora en le mentionnant explicitement dans Son Livre au verset 37 de sourate 33 Al-Ahzâb (Les Coalisés).
Aucun Compagnon n’eut comme lui ce privilège de voir graver pour l’éternité son nom dans le noble Coran.

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