(15) La bataille de Badr (1/2)

Biographie du Messager

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   Les premiers musulmans ont enfin quitté l’atmosphère de terreur qui régnait à la Mecque. C’est à Médine qu’ils ont élu domicile, une terre d’accueil généreuse marquée néanmoins par de longues luttes intestines.

Mais l’arrivée du Prophète  et de ses Compagnons a profondément modifié la façon de vivre et de penser des Médinois, apportant sans contexte un sens nouveau à leur existence. Le Messager a su unifier les différentes composantes de la nouvelle société tout en respectant les spécificités des uns et des autres.

   De leur côté, les Mecquois n’ont pas renoncé à l’idée d’entraver la mission du Prophète  pour autant, car éliminer Mouhammad  et faire taire le message de l’Islam restait leur priorité. Une série d’affrontements légitimes s’annonçaient donc entre les musulmans et les polythéistes, commençant par la fameuse bataille de Badr.

Une vie nouvelle à Médine

   La communauté musulmane en tant qu’entité citoyenne à part entière se développait petit-à-petit à Médine. Une brise embaumée de miséricorde soufflait sur la cité bénie et apaisait délicatement les éventuelles tensions entre les musulmans. De fait, le Prophète  a su récolter le meilleur de ses ouailles en semant dans leur cœur les principes d’une fraternité sincère et foncièrement altruiste. Quelques anecdotes riches d’enseignements  illustrent parfaitement la philanthropie ambiante.

   Une nuit, un Mouhâjir tenaillé par la fin ne trouvait pas le sommeil. Sa souffrance parvint jusqu’aux oreilles du Messager qui, inquiet, demanda à ses Compagnons qu’un dîner soit expressément apporté au pauvre Mouhâjir pour que s’estompe la pénible douleur. Sans hésitation, un Ançâriy (ou ansarite) se proposa d’accueillir cet homme et de lui servir à manger. Pourtant, il ne lui restait cette nuit-là qu’une maigre ration de nourriture qu’il s’apprêtait à servir à ses enfants. Secrètement, il s’empressa d’ordonner à son épouse d’aliter les enfants à jeun, d’éteindre discrètement la lampe de leur chambre en feignant de l’arranger et d’apporter la modeste réserve de nourriture à leur hôte. Ce sacrifice montre qu’une foi sincère animait le cœur de ce généreux croyant et celui de son épouse.

  À cette époque – tout comme aujourd’hui –, l’Islam n’avait nullement pour vocation de prescrire exclusivement des pratiques cultuelles et conventionnelles comme le jeûne ou la prière. L’édification d’une société saine et équilibrée restait un objectif majeur. L’économie, le commerce ou l’éducation sont autant de domaines que l’Islam promeut et concernant lesquels des principes éthiques bien précis sont établis. Ainsi, un groupe de soixante-dix jeunes hommes se constitua pour enseigner aux gens d’Ahlou Çouffa le Coran ainsi que la pratique de métiers artisanaux au moyen desquels ils pouvaient améliorer leur situation matérielle.

   D’ailleurs, comme les juifs de Médine possédaient la quasi-totalité des puits de la ville et que leur mépris envers les Arabes polythéistes s’étendit en outre à l’ensemble des musulmans, ‘Othmâne Ibnou ‘Affâne  se lança dans une acquisition fort profitable. Il acheta un puits nommé « Ar-roûma  » en vue de le mettre au service des musulmans de Médine et de les libérer de l’emprise des juifs sur l’or bleu : c’est ainsi que naquit le concept du waqf.

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   La communauté supportait ses peines grâce à l’infaillibilité du modèle prophétique. Un Compagnon vint se plaindre au Prophète  de la faim qui le tiraillait : comme il lui montra la pierre attachée à son ventre pour apaiser sa douleur, le Messager dévoila contre toute attente les deux énormes cailloux qui soulageaient la sienne. ‘Aïcha  témoignait que les mois passaient sans que ne soit allumé le feu pour cuisiner ; l’eau et les dattes étaient leur principale nourriture.

   Un jour de grand froid, le Prophète  reçut en cadeau une belle cape de laine. Après la prière, un homme transi la lui demanda ; sans hésiter, le Prophète l’ôta et la déposa sur les épaules de son Compagnon.

  C’est également durant cette période que se précisèrent certaines pratiques cultuelles pour les musulmans. La prière, qui ne se composait que de deux cycles, fut prescrite sous son aspect actuel. L’injonction divine qui ordonna la pratique du jeûne revivifia l’énergie spirituelle et ce, deux ans à peine après l’Hégire. En fait, les révélations coraniques relatives au rite proprement dit oxygénaient le cœur des croyants que les épreuves matérielles et la pauvreté avaient inexorablement crispés.

   Par ailleurs, d’autres usages furent adoptés à cette période, comme la mise en place du minbar – idée émise par une femme – afin que le Prophète  soit visible de tous.

   L’appel à la prière (al-adhân) fut institué suite à un songe fait par ‘Abdoullâh Ibnou Zayd  dans lequel il entendit une personne réciter distinctement la célèbre formule.

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« Le Messager » de M. Akkad : premier appel à la prière à Médine

En dehors de Médine

   Même si les tensions purement physiques entre les musulmans et les polythéistes de la Mecque avaient pris fin avec le départ des convertis, les Qoraychites entendaient toujours aussi fermement entraver la mission du Prophète  en l’empêchant de communiquer son message. D’ailleurs, les polythéistes avaient bien compris que la transmission de la parole divine représentait la revendication majeure de l’Envoyé d’Allâh , puisque celui-ci n’a jamais cessé de répéter : « Ne vous interposez pas entre les gens et moi, laissez-moi leur parler. » À l’aube de la bataille de Badr, un des grands chefs de Qoraych, ‘Outba Ibnou Rabî‘a, a tenté de dissuader ses confrères de freiner le Prophète  : « Retournons et laissons le champ libre entre Mouhammad et les gens. S’il échoue, vous serez débarrassés de lui et s’il réussit cela sera un honneur de plus pour vous », mais l’ennemi juré de l’Islam, Aboû Jahl, lui rappela aussitôt les enjeux de la confrontation : « Lâche ! Abandonnerons-nous nos intérêts, notre argent, nos idoles et notre commerce avec les Arabes ? »

   Ainsi, en quittant la Mecque, le Prophète  garantissait une sécurité de culte essentielle à l’épanouissement de la nouvelle société, mais le fond du problème – répandre librement le message divin – restait entier. Il ne s’agissait donc pas pour le Bien-Aimé de se cloîtrer à Médine pour mener une vie strictement spirituelle dans la sécurité et la paix, mais bel et bien de continuer à essaimer l’Islam dans l’ensemble de l’Arabie et le reste du monde, coûte que coûte. Enrayer le dictat polythéiste qui asservissait les tribus et plongeait la péninsule arabique dans un effroyable obscurantisme s’avérait indispensable, d’autant plus que les Qoraychites s’étaient emparés de tous les biens laissés par les Mouhâjirîn à la Mecque. En outre, un groupe d’entre eux fit une incursion dans les territoires médinois pour se saisir de leurs troupeaux. L’inexorable affrontement qui devait donc opposer les Qoraychites au faible nombre de croyants se dessinait irrévocablement.

   Pendant que le Messager  se préparait minutieusement techniquement et surtout spirituellement à combattre les polythéistes, Allâh  ordonna le changement de la direction de la qibla. Cette modification soudaine réorientant le corps et l’esprit du croyant du Dôme du Rocher vers la Ka‘ba visait à raffermir le cœur du Prophète  et de ses Compagnons dans leurs velléités de libérer tôt ou tard la Ville Sainte du joug polythéiste.

   Vu le faible nombre de musulmans, former une troupe opérationnelle requérait de bien cerner les capacités physiques, mentales et intellectuelles des croyants potentiellement disposés à combattre. C’est ainsi que le Prophète  sonda les uns et les autres afin de déterminer l’effectif d’hommes capables de porter et manier les armes et le nombre de ceux qui savaient lire et écrire. En parallèle, il mit en place un service de renseignements composé de très jeunes hommes. Dirigés entre autres par Talha Ibnou ‘Oubaydillâh, Sa‘d Ibnou Zayd (le mari de Fâtima bint Al-Khattâb sœur de ‘Omar) – à qui fut garanti l’accès au paradis –, ils se déplaçaient en petits groupes pour examiner scrupuleusement toutes les données utiles de l’axe La Mecque – Médine. Leur rôle consistait également à intervenir auprès des tribus environnantes dans le but de garantir leur neutralité en cas de conflit avec les Qoraychites et pour s’assurer un contrôle total du secteur. Dans le même temps, le Prophète  envoyait les Mouhâjirîn en bataillons (dix-sept en tout) dans le cadre d’une formation essentielle au combat : consolider les savoir-faire en matière de maniement d’armes, tester la fluidité organisationnelle de l’armée, etc.

Les prémices d’un affrontement

   Le dernier bataillon, composé de neuf personnes, fut mené par ‘Abdoullâh Ibnou Jahch . Craignant que les Compagnons prennent peur et refusent cette expédition, le Prophète  avait confié une lettre que ‘Abdoullâh ne devait lire qu’au troisième jour de route. Décachetant l’écrit à la date fixée, le Compagnon découvrit qu’il devait conduire ses hommes à Batn-Nakhla (بطن نخلة), bourgade située entre At-Tâ’if et la Mecque, pour informer le Messager du sort qu’avaient réservé les Qoraychites au troupeau qu’ils s’étaient approprié et ce qu’ils projetaient d’entreprendre par la suite.

   Le Prophète  a prit soin de les envoyer au cours du mois de Rajab, un mois sacré durant lequel toute forme de guerre est proscrite. Aucun des Compagnons n’était obligé de remplir cette mission, mais tous acceptèrent de s’engager, même au péril de leur vie. En route, Sa‘d Ibnou Abî Waqqâs  et ‘Outba Ibnou Ghazwâne  égarèrent leur chameau commun ; ils partirent donc à sa recherche dès le lendemain.

   Pendant ce temps, ‘Abdoullâh et le reste des Compagnons recueillaient des renseignements utiles de-ci de-là. Une caravane mecquoise s’apprêtait à transporter des marchandises de valeur vers la Syrie, dont une partie des biens que les musulmans ont laissés derrière eux en émigrant. Une occasion rêvée pour les Mouhâjirîn de récupérer l’équivalent de leurs affaires, spoliées par les Mecquois.

   Mais pour l’heure, il s’agissait de passer inaperçu en milieu hostile. ‘Oukâcha Ibnou Mihçane  alla jusqu’à se raser la tête à l’image des pèlerins venus de toute part pour ne pas être reconnu à la Mecque. Pendant que ce Compagnon récoltait des informations en terre sainte, une caravane chargée de fruits fit halte près du campement de ‘Abdoullâh Ibnou Jahch . Elle était escortée par quatre Qoraychites de renom : ‘Amr Ibnou-l-Hadramî, ‘Othmâne Ibnou ‘Abdillâh ainsi que son frère Nawfal, et Al-Hakam Ibnou Kaysâne. Apercevant les Mouhâjirîn, ces derniers nourrirent quelques appréhensions légitimes et envisagèrent tout naturellement de chercher du secours à la Mecque. Mais lorsqu’ils virent ‘Oukâcha la tête rasée, ils en déduisirent : « Nous sommes au mois de Rajab, le mois sacré, ces hommes sont (sans doute) des Arabes venus pour visiter les lieux saints. » Et Al-Hakam d’ajouter : « Quand bien même ce seraient des gens de Mouhammad, celui-ci respectera assez le mois de Rajab pour ne pas ordonner de faire la guerre en ce mois sacré, et de commettre des actes de brigandage. »

   Malgré la sacralité du mois de Rajab, les Mouhâjirîn décidèrent tout de même d’attaquer la caravane installée à proximité. Leur réflexion les avait menés à penser que l’infidélité de ces voyageurs annihilait toute obligation de respecter une interdiction sacrée envers eux. C’est ainsi que les deux archers les plus habiles tirèrent sur ‘Amr Ibnou-l-Hadramî, chef de la caravane qui s’apprêtait à quitter les lieux. En voyant son compagnon tomber à terre, ‘Othmâne Ibnou ‘Abdillâh prit la fuite vers la Mecque, tandis que les deux autres Qoraychites se rendirent sans mot dire. Aussitôt, ‘Abdoullâh prit la route de Médine avec la caravane et les deux captifs.

   Les Mecquois se lancèrent à leur poursuite, mais rentrèrent bredouille. Leur étonnement devant une telle action de la part des hommes du Prophète  ne les laissa cependant pas sans voix puisqu’ils propagèrent cette affaire dans toute l’Arabie.

   ‘Abdoullâh et ses hommes, qui rentrèrent à Médine durant le mois de Cha‘bâne, ne reçurent pas l’accueil escompté : tout le monde blâmait son acte qu’aucun idolâtre n’aurait osé perpétrer. Courroucé, le Prophète  confisqua le butin sans l’utiliser et retint les prisonniers en attendant les commandements d’Allâh . Ceux-ci ne tardèrent pas à être révélés : « Ils t’interrogent sur le fait de faire la guerre pendant les mois sacrés. – Dis : “Y combattre est un péché grave, mais plus grave encore auprès d’Allâh est de faire obstacle au sentier d’Allâh, d’être impie envers Celui-ci et la Mosquée sacrée, et d’expulser de là ses habitants. L’association est plus grave que le meurtre.” Or, ils ne cesseront de vous combattre jusqu’à, s’ils peuvent, vous détourner de votre religion. Et ceux qui parmi vous abjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu : ils y demeureront éternellement. », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.217.

   Allâh  a donc publiquement réprouvé la conduite des quelques Mouhâjirîn, mais précisa qu’une telle erreur était insignifiante devant la tyrannie des Qoraychites vis-à-vis des croyants. Les versets révélés rassurèrent donc les musulmans qui ne manquèrent pas de communiquer la réponse divine à la Mecque afin de faire taire les polythéistes.

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