La jurisprudence de la zakât (1/2)

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La zakât est le troisième pilier de l’Islam après la profession de foi et l’accomplissement de la prière. Soumis à des règles strictes, ce devoir reste néanmoins souvent mal connu dans la communauté musulmane.

Définitions

Au sens étymologique, le terme « zakât :  زَكَاة» signifie « purification et accroissement ».

Le verbe « zakâ : زَكَى » s’emploie pour une personne qui gagne en piété.

Au sens terminologique, « az-zakât : الزَّكَاة » correspond à la part précise que doit donner chaque musulman responsable de ses biens matériels. Cette portion revient de droit à huit catégories de personnes prédéterminées par Dieu : « Les çadaqât ne sont destinées que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (à l’Islam), l’affranchissement des jougs, ceux qui sont lourdement endettés, dans le sentier d’Allâh, et pour le voyageur (en détresse). C’est un décret d’Allâh ! Et Allâh est Omniscient et Sage. », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.60.

La zakât permet à celui qui la donne de purifier le reste de ses biens matériels et d’en accroître la quantité. Dieu commande dans le Coran : « Prélève de leurs biens une çadaqa par laquelle tu les purifies et les bénis […] », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.103. D’après ce verset, cette aumône purifie non seulement les biens, mais aussi l’âme de celui qui la donne.

L’imâm Al-Mâwardî a expliqué l’utilisation du mot « çadaqa : صَدَقَة » dans le Coran : « La çadaqa est une zakât et la zakât est une çadaqa : les appellations diffèrent mais le référent est le même ».

Le terme « çadaqa : صَدَقَة » est tiré du mot « aç-çidq : الصِّدْق » (véracité). L’authenticité (ou la sincérité) d’une personne est déterminée par l’exacte concordance entre son être et son paraître. Une çadaqa est donc une preuve de véracité de la foi et de la croyance  au Jour du jugement (at-taçdîq : التَّصْدِيق ). C’est dans ce sens que le Prophète  a déclaré : « … La çadaqa est une preuve (bourhân) » [Rapporté par Mouslim.]

Quant à Roger du Pasquier, journaliste suisse, il écrivit dans son livre Découverte de l’Islam : « La purification équivaut aussi à un sacrifice qui enlève l’aspect maléfique de ce qui est trop quantitatif dans les possessions terrestres de l’homme, les faisant participer au sacré éminemment qualitatif que l’Islam confère à toute la vie ».

Le mot « zakât : زَكَاة » apparaît trente fois dans le Coran, dont vingt-sept fois couplé à la pratique de la prière dans le même verset et une fois dans deux versets proches (cf. début de sourate Al-Mou’minoûn).

Parmi les trente citations, huit appartiennent à des sourates mecquoises et le reste à des sourates médinoises.

Le terme « çadaqa : صَدَقَة » et son pluriel « çadaqât : صَدَقَات » ont été utilisés douze fois exclusivement dans le Coran médinois, tandis que l’emploi du mot « zakât : زَكَاة » remonte à la période mecquoise. Quelques occurrences :

– sourate 7 Al-A‘râf, verset 156 ;

– sourate 19 Maryam, versets 31 et 55 ;

– sourate 21 Al-Anbiyâ’ (Les Prophètes), verset 72 ;

– sourate 23 Al-Mou’minoûn (Les Croyants), verset 4 ;

– sourate 27 An-Naml (Les Fourmis), v.3 ;

– sourate 30 Ar-Roûm (Les Romains) v.39 ;

– sourate 31 Loqmâne, v.3 ;

– sourate 41 Fouççilat (Les Versets détaillés), v.7.

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Le statut de la zakât dans les autres religions

La pauvreté existe depuis l’aube de l’humanité. Maintes solutions ont été imaginées pour essayer de résoudre ce problème social et les religions monothéistes s’y sont intéressées plus que tout autre dogme humain. Le Coran nous fait part des injonctions divines faites aux prophètes dans ce domaine : « Nous lui donnâmes [à Ibrâhîm] comme fils Isaac et de surcroît Jacob, et Nous en fîmes deux hommes vertueux. Et Nous en avons fait des dirigeants pour guider les hommes selon Nos ordres, et Nous leur avons inspiré la pratique du bien, l’accomplissement de la salât et l’acquittement de la zakât. Ce furent pour Nous de fidèles serviteurs. », s.21 Al-Anbiyâ’ (Les Prophètes), v.72-73. Dieu déclare également : « Rappelle aussi l’histoire d’Ismaël, telle qu’elle est citée dans le Coran. Il était fidèle à ses promesses et c’était un messager et un prophète. Et il commandait à sa famille la prière et la zakât ; et il était agréé auprès de son Seigneur. », s.19 Maryam (Marie), v.54.

On retrouve d’ailleurs dans la Torah et la Bible plusieurs passages qui exhortent les croyants à aider les pauvres et les nécessiteux. Toutefois, ces exhortations s’adressaient à la conscience des croyants sans qu’il n’y ait de sanction réservée à celui qui ne s’y pliait pas.

Ces incitations ne définissaient cependant pas la valeur de l’aumône et ne visaient pas à éradiquer la pauvreté en aidant les pauvres à accéder à la propriété.

Son instauration

Le principe de la zakât fut instauré à la Mecque. Le Coran la mentionne dans les versets mecquois sans en préciser la valeur : « […] Et dans leurs biens, il y avait un droit au mendiant et au déshérité », s.51 Adh-Dhâriyât (Qui éparpillent), v.19 ;

Les versets mecquois qui mentionnent la zakât le font de manière informative, non pas sous la forme d’une injonction.

Deux ans après l’Hégire, les musulmans avaient constitué un état islamique capable de protéger les lois de Dieu. C’est alors qu’Allâh  leur ordonna formellement de s’acquitter de la zakât : « Accomplissez régulièrement la salât et acquittez-vous de la zakât ! Tout bien que vous aurez avancé sur Terre pour votre salut, vous le retrouverez auprès de votre Seigneur, car Allâh voit parfaitement ce que vous faites. », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.110.

Zakât al-mâl a donc officiellement été instaurée à Médine telle après l’établissement du jeûne du mois de Ramadan et de zakât al-fitr. Certains savants ont avancé qu’elle aurait été instituée en l’an 9 de l’Hégire, mais le hadîth de Doumâm Ibnou Tha‘laba authentifié par Al-Boukhârî et Mouslim prouve le contraire. En effet, Doumâm s’est adressé au Prophète  pour le questionner sur l’Islam en l’an 5 de l’Hégire ; il lui demanda, entre autres : « … est-ce bien Dieu qui t’a ordonné de prendre l’aumône de nos riches pour la distribuer à nos pauvres ? » Le Prophète  répondit par l’affirmative. La zakât a donc bien été instaurée avant l’an 5 de l’Hégire.

Son statut juridique

Il s’agit d’une obligation. Le Messager  a déclaré : « Les fondements de l’Islam sont au nombre de cinq : l’attestation qu’il n’est de dieu que Dieu et que Mouhammad est Son Messager, l’accomplissement de la çalât, l’acquittement de la zakât, le jeûne du [mois de] Ramadan et le pèlerinage à la Mecque pour celui qui en a la possibilité. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.]

Bien que le Prophète  ait explicitement signifié que les piliers de l’Islam étaient au nombre de cinq, il lui arrivait souvent d’insister sur l’attestation de foi, la prière et la zakât, comme ce fut le cas lorsqu’il envoya Mou‘âdh Ibnou Jabal  au Yémen : « Tu iras chez des gens du Livre. Quand tu seras parmi eux, invite-les à attester qu’il n’y a d’autre divinité qu’Allâh, et que Mouhammad est l’Envoyé d’Allâh. S’ils se conforment à cette invitation, informe-les qu’Allâh leur prescrit cinq prières à accomplir le jour et la nuit. S’ils y consentent, informe-les qu’Allâh leur prescrit une aumône qui sera perçue sur les riches parmi eux pour être reversée aux pauvres d’entre eux. S’ils se soumettent à tout cela, garde-toi de toucher à leurs biens précieux et redoute la plainte de l’opprimé, car rien ne s’interpose entre Allâh et elle. » [Authentifié par Al-Boukhârî et Mouslim.]

Ibnou Mas‘oûd est allé encore plus loin dans ses explications : « On vous a ordonné d’accomplir la prière et de vous acquitter de la zakât, celui qui ne la donne pas n’a pas [accompli] de prière. »

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Incitation à la verser

Dieu dit : « Prélève de leurs biens une çadaqa par laquelle tu les purifies et les bénis […] », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.103. La sourate At-Tawba (Le Repentir) faisait partie des dernières sourates révélées au Prophète . Ses versets représentent donc une preuve irréfutable de l’importance de la zakât en Islam. S’en acquitter est une caractéristique des pieux : « Et dans leurs biens, il y avait un droit au mendiant et au déshérité. », s.51 Adh-Dhâriyât (Qui éparpillent), v.19.

Le Prophète  a précisé en outre : « L’aumône ne diminue en rien des biens. » [Rapporté par At-Tirmidhî.]

La mise en garde contre son non paiement

Dieu ne manque pas de prévenir ceux qui refusent de verser la zakât du sort qui les attend dans l’au-delà : « […] À ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allâh, annonce un châtiment douloureux, le jour où (ces trésors) seront portés à l’incandescence dans le feu de l’Enfer et qu’ils en seront cautérisés, front, flancs et dos : voici ce que vous avez thésaurisé pour vous-mêmes. Goûtez de ce que vous thésaurisiez. », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.34-35.

Le Prophète  a explicité ces versets : « Celui qui possède de l’or et de l’argent et ne s’acquitte pas de la zakât qu’il doit verser, on lui en fabriquera le jour de la résurrection des plaques de feu qu’on chauffera par le feu de l’Enfer. On lui brûlera alors avec ces plaques son côté, son front et son dos. Dès qu’elles se refroidiront on les reportera pour lui en Enfer [pour les réchauffer et ceci durera] une journée évaluée à cinquante mille ans jusqu’à la fin du jugement. Il verra ensuite sa voie, ou bien au Paradis, ou bien en enfer. » [Rapporté par Al-Boukhârî et Mouslim.]

Par ailleurs, le Messager  a indiqué : « La çadaqa (ou la zakât) qui reste mélangée aux biens matériels les fait perdre. » [Rapporté par Al-Bazzâr et Al-Bayhaqî.]

Al-Moundhirî affirme que ce hadîth suppose deux interprétations :

1 – celui qui garde la zakât dans ses biens et ne la verse pas, finira par perdre ces richesses ;

2 – celui qui accepte de prendre la zakât alors qu’il ne la mérite pas et l’associe à son patrimoine finira par perdre ce bien (interprétation de l’imâm Ahmad).

Celui qui nie le caractère obligatoire de la zakât ou s’en moque

La zakât est reconnue comme étant un élément impératif et fondamental de la religion. Les savants sont unanimes à ce sujet. Par conséquent, celui qui nie son caractère obligatoire est considéré comme un apostat. L’imâm An-Nawawî explique : « Celui qui refuse de s’acquitter de la Zakât parce qu’il ne croit pas qu’elle est obligatoire est considéré comme apostat, sauf s’il n’avait pas connaissance de ce caractère obligatoire ou qu’il a grandit dans une contrée éloignée ; dans ce cas il doit être informé de son caractère obligatoire et on la soustrait de ses biens. »

Sanction relative au non paiement de la zakât

Non seulement un sévère châtiment sera réservé dans l’au-delà à ceux qui ne s’acquittent pas de la zakât (voir le verset et les ahâdîth précédents), mais une sanction leur sera également infligée ici-bas par la volonté divine. Le Prophète  a clairement énoncé :

– « Chaque fois qu’un peuple s’abstient de s’acquitter de la zakât, Dieu les éprouve par la famine et la disette » [Rapporté par Al-Hâkim et Al-Bayhaqî.] ;

– « […] et chaque fois qu’ils s’abstiennent de s’acquitter de la zakât, ils seront privés de la pluie, et si ce n’était pas [par compassion envers] les bêtes, ils n’auraient jamais de pluie. » [Rapporté par Al-Hâkim, Ibnou Mâjah, Al-Bazzâr et Al-Bayhaqî.]

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En outre, une sentence doit être prononcée par le gouverneur musulman contre toute personne qui ne s’acquitte pas de la zakât alors qu’elle en a le devoir. Le Messager  dit : « … Celui qui la donne en espérant la récompense divine sera rétribué en conséquence. Quant à celui qui refuse de la verser, nous la lui prendrons ainsi que la moitié de ses biens, tel est une des injonctions de Notre Seigneur, sans que rien n’en soit licite à la famille de Mouhammad. » [Rapporté par Ahmad, An-Nassâ’î, Aboû Dâwoûd et Al-Bayhaqî.]

Ce hadîth a élucidé deux principes fondamentaux concernant la zakât :

1 – le musulman doit s’acquitter de la zakât en espérant uniquement la récompense divine ;

2 – celui qui ne s’acquitte pas de la zakât se verra dépossédé de sa valeur ainsi que de la moitié de ses biens par l’État musulman. Certains savants pensent que ce jugement fut abrogé, mais ils n’ont aucune preuve valide sur cette allégation.

Cette sévérité dans la sanction montre que l’État islamique doit sauvegarder ce droit des pauvres et que la descendance du Prophète  n’a pas le droit de bénéficier de la zakât.

Par ailleurs, l’Islam ordonna à l’imâm [au gouverneur] des musulmans de combattre tout groupe de musulmans qui se soustrait au versement de la zakât. Le Prophète  expliqua : « On m’a ordonné de combattre les gens [qui combattent l’Islam], sauf s’ils attestent qu’il n’y a de Dieu qu’Allâh, que Mouhammad est Son Prophète, qu’ils accomplissent la prière et qu’ils s’acquittent de la zakât, s’ils font ceci, ils m’épargneront leur sang sauf pour un droit de l’Islam et leur jugement revient à Allâh. » [Rapporté Al-Boukhârî et Mouslim.]

Aboû Hourayra  rapporte : « Lorsque le Prophète  décéda, qu’Aboû Bakr  devint calife et que certaines tribus arabes apostasièrent – leurs membres continuaient de prier mais refusaient de verser la zakât –, ‘Omar Ibnou-l-Khattâb  demanda au nouveau chef des musulmans : « Vas-tu combattre les gens alors que le Messager  a dit : “On m’a ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils attestent qu’il n’y a de Dieu qu’Allâh. S’ils l’attestent, ils m’épargneront leur sang sauf pour un droit de l’Islam et leur jugement revient à Allâh.” Et Aboû Bakr  de répondre : “Par Dieu, je combattrai toute personne qui dissocie la prière de la zakât. Par Dieu s’ils me dessaisissent d’un chevreau femelle (‘inâqan : عِناقاً ) [dans une autre version une corde (‘iqâlan : عِقالاً )] qu’ils donnaient au Messager, je les combattrai pour cela !” ‘Omar déclara alors : “Je jure par Dieu que j’ai senti que Dieu a guidé Aboû Bakr au combat et je su alors que c’était la vérité” » [Rapporté par le groupe sauf Ibnou Mâjah.]

Aboû Bakr  a donc considéré la collecte et la distribution de la zakât comme étant un devoir garanti par l’Etat musulman pour que les ayant-droits ne soient pas lésés. Il a en effet combattu les tribus qui avaient refusé de la verser et ce fut la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un Etat utilisât les armes pour exiger de ses subordonnés le respect de leurs engagements envers leurs concitoyens indigents.

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