La purification de l’âme

Vie spirituelle

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   Pour le musulman, la vie sur Terre représente un examen. La mission que lui a confiée son Seigneur ― L’adorer ― l’incite à gérer sa présence ici-bas par priorité. L’issue certaine qui marque la fin de son existence terrestre lui rappelle qu’il doit se présenter devant son Créateur aussi pur que possible pour pouvoir espérer le salut éternel.

Allâh  dit dans le Coran : « A réussi, certes, celui qui la [l’âme] purifie. Et est perdu, certes, celui qui la corrompt. », s.91 Ach-Chams (Le Soleil), v.9-10. C’est en se basant sur ce verset que chaque musulman doit s’efforcer de débarrasser son âme de tout péché en suivant certaines règles essentielles.

Définitions

   Le Coran aborde le thème d’« النَّفْس : an-nafs » de différentes manières. Qu’il utilise des termes tels que « égo », « personne » ou « âme », il s’agit de la même idée : celle-ci englobe l’ensemble des forces et des instincts qui animent l’être humain. Certains versets vont plutôt mettre l’accent sur l’âme en tant qu’élément qui donne vie au corps : « […] et les anges tendront leurs mains, adressant au futur défunt et en leur disant « faites sortir vos âmes » », s.6 Al-An’âm (Les Bestiaux), v.93 ; ce qui correspond au sens le plus commun. Dans un autre verset, Allâh  dit : « Quant à toi, ô âme, désormais apaisée ! Retourne auprès de ton Seigneur, satisfaite et agréée ! », s.89 Al-Fajr (L’Aube), v.27-28 ; il est question ici de l’âme tranquille à laquelle le croyant aspire avant de rencontrer son Seigneur, celle qui résulte de la purification et qui ouvre la porte à la salvation.

   Au total, le Coran parle de trois âmes, au point que certains pensent qu’il en existe trois catégories différentes, mais en réalité Allâh  envisage la même âme dans trois états distincts :

– l’âme sereine (An-nafs al-moutma’inna ) : elle a trouvé sa tranquillité parce qu’elle a suivi la voie de son Seigneur, a rempli son rôle envers la création et parce qu’elle est contente de L’avoir rencontré.

– L’âme blâmable (An-­nafs al-lawwâma) : elle se remet toujours en cause, fait constamment son auto critique. Cette étape est nécessaire pour atteindre le dernier stade puisqu’elle permet de se redresser pour cheminer vers Dieu.

– L’âme qui commande le mal (An-nafs al-ammâra bissoû’) : elle pousse la personne à commettre le pire et à s’égarer de la voie divine. Elle est intrinsèque à tout être humain : si celui-ci ne fournit pas d’effort pour la corriger, il sombrera certainement dans la perdition. Allâh  rapporte les propos de la femme d’Al-‘Azîz (ministre qui a adopté Yoûssouf ) : « “Je ne m’innocente cependant pas, car l’âme est très incitatrice au mal, à moins que mon Seigneur, par miséricorde, [ne la préserve du péché]. Mon Seigneur est certes Pardonneur et très Miséricordieux”. », s.12 Yoûssouf, v.53.

   Ces paroles sont la preuve formelle que quel que soit l’état de l’âme, sa purification émane de Dieu. C’est lorsque le croyant le mérite qu’Allâh  donne les moyens nécessaires pour se purifier. Il dit dans le Coran : « […] Et n’eussent été la grâce d’Allah envers vous et Sa miséricorde, nul d’entre vous n’aurait jamais été pur. Mais Allâh purifie qui Il veut […] », s.24 An-Noûr (La Lumière), v.21. Cette idée est récurrente et concerne même la plus pure des âmes : le Prophète  qui ne commettait pas de péché : « Et si Nous ne t’avions pas apporté Notre soutien, tu aurais failli t’incliner quelque peu vers eux [les polythéistes] », s.17 Al-Isrâ’ (Le Voyage nocturne), v.74.

   Certains, cependant, pensent avoir acquis leur foi de leur propre chef et vantent leur piété, or Allâh  ne manque pas d’avertir de tels présomptueux : « Ne vantez pas vous-même votre pureté ; c’est Lui qui connaît mieux ceux qui [Le] craignent », s.53 An-Najm (L’Etoile), v.32 ; c’est à Lui que revient tout le mérite, et c’est dans ce sens qu’Il dit : « N’as-tu pas vu ceux-là qui se déclarent purs ? Mais c’est Allâh qui purifie qui Il veut […] », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.50.

   Le musulman doit rester humble et ne jamais mettre en avant ses qualités de croyant car il n’en est pas l’auteur. Allâh  répond à celui qui fait un pas vers Lui, celui qui mérite d’être purifié : Il lui facilite alors l’accès à la purification.

   Le Prophète  reste l’exemple à suivre en la matière. Bien qu’il fût déjà sur la bonne voie, il n’omettait jamais de dire ces invocations. Celles-ci montrent son humilité et sa sensation d’indigence devant Dieu : « Seigneur, purifie mon âme, car Tu es Le Meilleur qui puisse purifier l’âme » et : « Seigneur, guide-moi par la bonne vertu parce qu’il n’y a que Toi Qui peut guider vers la bonne vertu et écarte-moi de la mauvaise vertu, car il n’y a que Toi qui puisse préserver de la mauvaise vertu ». Il répétait aussi à chaque début de prêche du vendredi : « Nous demandons protection auprès de Dieu contre le mal de nos âmes. » C’est justement la reconnaissance de l’inclination de l’âme pour le mal qui permet de cheminer vers la purification.

   Le Prophète allait encore plus loin en avouant qu’il était transgresseur vis-à-vis de lui-même. En reprenant l’invocation d’Adam et Eve : « J’ai commis du tort à moi-même, et si Tu ne me pardonnes pas et que Tu ne m’accordes pas Ta miséricorde, je serai perdant » ; il montre qu’il ne se surestimait nullement et qu’il ne manifestait jamais d’orgueil par rapport à sa piété. Il restait modeste en toute circonstance et cherchait toujours à se purifier.

   Comment comprendre la phrase « purifier son âme » ? « التَّزْكِيَة : at-tazkiya » peut avoir deux sens : lorsqu’on dit « زَكَى : zakâ », cela signifie « il a grandi, il s’est développé » ou bien « il a été purifié ». Par conséquent, « التَّزْكِيَة : at-tazkiya » regroupe les deux idées puisque purifier son âme revient à gravir les échelons de la foi, à rehausser la qualité de sa piété.

   Même si « التَّزْكِيَة : at-tazkiya » est un mot coranique sur lequel tout le monde s’accorde, les soufis parlent de « التّصوُّف: at-taçawwouf ».

   Le contraire d’« التَّزْكِيَة : at-tazkiya » est « التَّدْسِيَة : at-tadsiya » qui correspond au fait de cacher quelque chose. Ce terme était utilisé à l’époque anté-islamique lorsque les Arabes enterraient leur fille, afin de dissimuler, selon eux, cette potentielle source de déshonneur. À chaque fois que l’être humain commet un péché, il le cache par honte. C’est un peu comme si l’individu enterrait son âme par crainte de l’opprobre.

L’âme : une entité complexe

   D’aucuns affirment que purifier leur âme est au-dessus de leurs forces, or « Allâh n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. […] », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v. 286. Il est scientifiquement reconnu que l’être humain n’utilise pas ses facultés à 100 % et que l’âme possède de grandes capacités. Personne ne peut prétendre être arrivé à un degré tel qu’il ne peut plus se dépasser pour accomplir ses devoirs vis-à-vis de Dieu. Mais de quoi se compose l’âme ?

   Elle est constituée de sentiments plus ou moins forts, de passions et de désirs. Certains avancent que les mauvais penchants sont instinctifs et que la volonté ne peut les stopper ; d’autres, au contraire soutiennent que la volonté permet de se contrôler et de changer ses défauts en qualités. L’Islam adopte une position intermédiaire entre ces deux théories : chaque état d’âme présente deux aspects, l’un physiologique et l’autre psychologique. L’exemple de la colère est significatif. Le côté instinctif de ce sentiment s’exprime par une réaction physiologique : les sécrétions hormonales et l’augmentation de la pression artérielle modifient l’état physique, ce sur quoi l’individu ne peut rien. En revanche, il est complètement maître de ses actions régies par sa volonté : rien ne l’oblige donc à exprimer sa colère par des coups ou des insultes ! En définitive, l’Islam n’interdit pas les réactions instinctives, mais invite plutôt à les contrôler, à purifier son âme d’une réaction naturelle. Allâh  dit dans le Coran : « Et concourez au pardon de votre Seigneur, et à un Jardin (paradis) large comme les cieux et la terre, préparé pour les pieux, qui dépensent dans l’aisance et dans l’adversité, qui dominent leur rage et pardonnent à autrui – car Allâh aime les bienfaisants. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.133-134.

   Purifier son âme revient donc à ne pas laisser libre cours à ses instincts, c’est se maîtriser grâce à sa volonté et sa raison.

   Un homme est venu dire à ‘Abdoullâh Ibnou ‘Abbâs  : « Ô Ibnou ‘Abbâs, j’ai divorcé ma femme à trois reprises dans la même assise [et je le regrette]. » Ce « طَلاق بِدْعي : talâq bid‘î » est un divorce qui n’a pas lieu d’être en Islam ; la réponse du grand Compagnon en témoigne : « Certains d’entre vous tombent dans des folies et ensuite viennent demander que faire. » Ne pas dominer ses instincts peut avoir des conséquences irréparables, c’est pourquoi le Prophète  a dit : « Il n’y a pas de divorce ou d’affranchissement lorsqu’on est en colère. » Ce hadîth concerne les personnes qui ne savent plus ce qu’elles disent et qui perdent tout contrôle lorsqu’elles sont en colère.

   L’amour et la haine sont également deux sentiments instinctifs que le musulman se doit de maîtriser. Aimer une personne au point de la considérer comme un ange et détester quelqu’un jusqu’à le prendre pour Iblis représente deux extrêmes incompatibles avec la justice du musulman.

   L’amour ne doit pas masquer les fautes commises par l’être adulé, et la haine ne doit pas pousser à condamner tous les actes de la personne abhorrée.

   Un homme est venu trouver ‘Omar Ibnou-l-Khattâb  après son accès au califat : « Est-ce que le pouvoir que tu viens d’acquérir va me faire perdre mes droits à cause du différent existant entre nous ? ». ‘Omar  le rassura : « Non, la justice, je l’appliquerai avec ceux que j’aime et ceux que j’aime moins. » Justice et équité sont les maître-mots de l’équilibre sentimental.

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Les moyens de purifier son âme

Plusieurs procédés participent au processus de purification spirituelle.

● En premier lieu, il s’agit d’acquérir un savoir utile. Nul besoin de thésauriser ses connaissances, car savoir sans agir ne sert à rien, tout comme agir sans savoir est inefficace. Seule la science qui se traduit en actions fructifie. Les connaissances équilibrent ainsi la raison qui prend alors le dessus sur l’instinct.

● Puis vient l’examen de conscience (« al-mouhâsabah ») : Allâh  invite chaque âme à estimer ce qu’elle a préparé pour le Jour de la Résurrection. L’âme est à l’image de l’associé traitre : si l’individu ne le contrôle pas, il vole ses biens. Parmi les fruits d’un examen de conscience bien accompli, on compte :

–  la découverte de ses défauts, étape indispensable à leur éradication.

–  Apprendre à se sous-estimer, ce qui va abolir l’orgueil et laisser place à la modestie et l’humilité.

–  « Al-moujâhada » : c’est une motivation qui pousse le croyant à mieux œuvrer pour son avenir, à adorer Allâh  de la meilleure des manières.

● Le troisième moyen est de se souvenir du trépas. Le Prophète  incitait les musulmans à se rappeler de la mort, à suivre les cortèges funèbres et à rendre visite aux cimetières de temps à autres. Si ‘Omar Ibnou ‘Abdel-‘Azîz a atteint un tel degré de foi et de justice, c’est justement parce qu’entre autres il invitait des savants pour parler de la mort au point de faire pleurer toute l’assise. C’est le meilleur moyen d’adoucir son cœur.

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● La bonne fréquentation vient en quatrième position. L’être humain est souvent influencé par ceux qu’il côtoie. Le Prophète  a recommandé de bien choisir sa compagnie lors des réunions : « Le bon voisin dans une réunion s’apparente au vendeur de musc, si tu n’en touches pas, au moins tu en reçois l’odeur. Le mauvais voisin dans une réunion s’apparente au souffleur, si tu n’es pas couvert par sa noirceur, au moins tu reçois sa fumée. » [Rapporté par Aboû Dâwoûd.] Ce hadîth concerne une réunion de quelques heures, qu’en est-il des amis fréquentés des années durant à raison de plusieurs jours par semaine ? Bien choisir ses amis n’est donc pas à prendre à la légère, puisque cela peut s’avérer soit salutaire, soit désastreux…

● Purifier son âme passe également par la prière et le rappel. Celui qui se remémore constamment Allâh , qui entre en communion avec Lui par la prière, remarque qu’Allâh  se rappelle de lui et le soutient. Conscient qu’il a des comptes à rendre à l’Omniscient, le musulman évitera la débauche et l’égarement, et s’efforcera de suivre la voie de la purification.

● Enfin, il est nécessaire de s’éloigner des péchés, car se purifier tout en continuant à fauter restera vain. Les péchés sont de plusieurs types : ceux du cœur (ostentation, envie, haine, orgueil), ceux du corps (vol, consommation de produits illicites) et les péchés sociaux (l’indifférence devant la déviance de la société). En se débarrassant de ces maux, les croyants visent à atteindre un équilibre intérieur qui permet de cheminer vers Dieu.

   Purifier son âme passe finalement par un ensemble de procédés complémentaires. Le musulman doit s’efforcer de les inclure dans son quotidien et de s’y tenir afin de bonifier son for intérieur. L’existence du croyant représente un capital à investir dans des activités profitables à sa vie future, il ne peut d’ailleurs se permettre de perdre son temps : la vie est trop courte pour qui souhaite rencontrer son Seigneur avec un cœur purifié ; l’homme n’est jamais prêt à affronter la mort…

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